Histoire des Roumains et de leur civilisation/01

La bibliothèque libre.


CHAPITRE PREMIER

Base territoriale de la Nation roumaine


Entre le centre de l’Europe et la steppe russe, entre les régions brumeuses du Nord et le Midi ensoleillé qu’est la Péninsule des Balkans, s’étend toute une région dont l’unité géographique n’existe pas quant aux caractères positifs de la nature. Elle présente, au contraire, des contrastes frappants : les rudes hivers, riches en neige, de la Moldavie septentrionale ne ressemblent point au climat tempéré de la Valachie, où, pendant ces mois, quelques bourrasques seulement venues du Nord-Est donnent un aspect glacé aux riches campagnes, et où, le lendemain, dans la chaleur moite du dégel, février ressemble plutôt à un souriant début de printemps.

Les vallées, d’une orientation tout à fait spéciale, de l’Olténie ont une atmosphère méditerranéenne par rapport à cette plaine valaque, si sujette aux brusques rafales que rien n’arrête dans leur assaut. Il neige souvent à Jassy à l’époque où quelques gouttes de pluie tiède tombent à peine du ciel rose, à travers les nuages couvrant le riant Bucarest.

Ces différences ne tiennent pas qu’au voisinage des montagnes et de la plaine dans chacune des régions composant un pays si varié d’aspect et cependant si unitaire. Car, si la Transylvanie ne présente guère que des vallées étroites entre les cimes des Carpathes et les lignes des collines qui en sillonnent dans tous les sens l’étendue, si le terrain arable n’est représenté que par les « lunci », par les vallées assez larges des rivières, comme l’Olt, les Tîrnave, le Somes ; la Valachie, comprenant aussi l’Olténie et la Moldavie, telle qu’elle était avant les démembrements de 1755 et de 1812, présente tous les aspects possibles d’un territoire complet, et ces provinces forment comme un musée artificiel des aspects divers que peut avoir une riche nature tenant en même temps du froid Occident aux brumes fréquentes, aux prairies verdoyantes et de l’Orient au ciel bleu, au soleil brûlant et aux moissons fabuleuses. En quelques heures de marche, on passe, en Valachie, des rochers nus, des forêts de pins, des ruisseaux qui jaillissent des hautes sources pour s’engouffrer, bruissantes, au milieu des gorges, aux collines où s’étayent les riches vergers semblables à ceux de l’Angleterre, jusqu’à la blanche maison ancienne aux boiseries noircies par les ans. Un peu plus bas encore et l’on se trouvera, sous les rayons ardents, dans une plaine où, en quelques semaines, le brin de blé qui perçait à peine en avril, ploie vers le milieu de juin sous le poids de l’épi doré, alors que dans la montagne les premières fleurs du printemps ne sont pas encore flétries et que, devant les fenêtres des huttes, dans les hameaux, le lilas continue de fleurir. Puis, tout au bout, un monde spécial remplit d’éton-nement le voyageur. C’est la zone du Danube, aux forêts de saules noueux, impénétrables au premier aspect, qui cachent cependant les clairières où le pêcheur nettoie et raccommode ses engins, où il prépare le produit de ses filets. Dans la Dobrogea, cette zone franchit le fleuve, s’étend sur la rive droite, à travers un pays sans maître ayant un passé plus reculé, jusqu’aux grands lacs, à l’inextricable delta du Danube et à la mer. Là, une autre région de pêche attend l’indigène aussi bien que l’étranger, qui, depuis des siècles, accourt du Nord et du Sud pour exploiter ces richesses infinies.

Même spectacle dans la Moldavie : on descend des cimes nues du Ceahlau pour se trouver bientôt parmi les vergers des riants villages et des couvents antiques, dont les coupoles s’élèvent à l’improviste au-dessus des immenses forêts. Un peu plus loin, la large rivière du Séreth déroule majestueusement ses eaux claires parsemées d’îles nombreuses ; là, les coteaux baignés de soleil se recouvrent chaque année de splen-dides moissons ; entre les pâturages qui nourrissaient jadis une des plus nobles races de bétail de l’Europe, celle des bœufs au large front et aux puissantes cornes droites, miroitent les étangs créés par les anciens boïars pour nourrir, pendant les longs mois du carême orthodoxe, leur « cour » et leurs paysans. Au delà du Pruth aux eaux lentes, enfin, qu’enserrent de hauts rivages argileux qui le cachent presque aux regards, se déroule la plaine de la Bessarabie, avec ses ondulations douces, propices au pacage. Cette région peu peuplée, qui conserve partout le même caractère de la steppe et le souvenir de l’ancien « désert », conduit aux grands lacs du Danube, pareils à ceux de la Dobrogea voisine, et au « liman » du Dniester ; là se termine la principauté que les maîtres du pays au XIV siècle s’enorgueillissaient, dans leur titre même, d’avoir menée « de la montagne à la mer ».

L’Olténie, à tant d’égards pareille à la Serbie voisine et ayant des similitudes avec les territoires qui tendent, non plus vers la mer de Byzance, mais bien vers celle de Venise, offre de nouveau cette douce succession de tous les climats, de tous les aspects et de tous les produits, depuis les hauteurs solitaires de Parang jusqu’aux belles collines des districts de Mehedinti, de Gorj et de Valcéa, aux riches plaines du Dolj et du Romanati, et à ces pêcheries du Danube, qui, autour de Celeui, aujourd’hui échelle danubienne de second ordre, étaient au XIIIe siècle déjà célèbres.

Semblables par cette harmonie de nuances, les diverses zones des régions géographiques qui sont l’Olténie, la Valachie, la Moldavie et la Transylvanie avec ses annexes, sont cependant séparées par de profondes différences qui font de chacune d’elles un tout distinct et particulier. Nous avons déjà dit que l’Olténie se rapproche de la Serbie, l’Olt, dont elle porte le nom, étant une Morava de la rive gauche du Danube. Mais, si entre la Valachie et la Moldavie il y a l’élément commun de cette steppe qui, comprenant tout le Sud bessarabien, s’étend en deçà du Pruth dans la région de Galatz pour descendre vers Braila et se développer librement dans l’ancien « désert » de l’Ialomita, pareil à l’océan des riches herbes éphémères de la Russie méridionale, on ne retrouvera point en Moldavie cette molle plaine nourricière ouverte à tous les courants de l’air comme à ceux des immigrations humaines, invasions dévastatrices et transformatrices. Les collines se poursuivent, s’enchevêtrent, mêlant les lignes capricieuses de leurs vieilles forêts aux tapis multicolores des cultures variées. Si le Séreth, le Pruth, le Dniester ont la belle ligne droite des rivières valaques, de toutes les rivières valaques, la Vedea, l’Argess, la Dâmbovita, la Prahova, l’Ialomita, le Buzau, descendant des montages occidentales du pays, ne vont pas directement au Danube ; elles traversent la région haute du pays pour confondre leurs vagues avec celles du Séreth, qui forme une des grandes artères moldaves. Sur la rive gauche, la même rivière ne reçoit que les eaux mal assurées du Bârlad qui, après un circuit disgracieux à travers des vallées tourmentées, paraissent devoir s’engloutir dans leur terre jaune et friable. Le Pruth reçoit seulement les eaux parallèles de la Jijia, sur la rive droite, alors que, seuls, deux cours d’eau plus importants sillonnent la Bessarabie pour se jeter dans le Dniester.

Pour la Transylvanie, le système des eaux, déterminant, quant au caractère d’un pays, est encore plus différent. Malgré la séparation des Carpathes, il est évident que la partie méridionale de,la province, avec son « Pays de l’Olt », son « Pays de la Bârsa », son district de Sibiiu, appartient à la Valachie, où se trouve la source de ses rivières ; les princes valaques ont réussi maintes fois à l’avoir, de même que ceux de la Moldavie ont cherché, par la Bucovine et la Pocutie, à atteindre les sources mêmes du Séreth, du Pruth et du Dniester. Les autres grandes rivières cependant, le Muras, le Somes, les trois branches du Cris, les cours d’eau du Banat de Temesvar, vont, du côté de l’Ouest, se jeter dans ce grand canal collecteur de la Theiss, qui enrichira le Danube de toutes ces eaux confondues.

A travers cette diversité apparente, règne pourtant une large unité. Il serait difficile, même pour le géologue qui fixe les éléments constitutifs d’une chaîne de montagnes, de déterminer, non pas le point où commence la ligne même des Carpathes, mais celui où elle arrive à dominer le paysage, ce qui est essentiel au point de vue de la géographie « humaine », et surtout de la géographie historique. On ne le trouverait certainement pas en Galicie, où les hauteurs se succèdent sans toutefois que le pays tout entier leur appartienne, tant au point de vue de l’aspect de la nature que des conditions humaines dans les domaines économiques, sociaux et politiques de la vie. Le pays et l’homme s’appuient bien à la montagne qui borne à l’Ouest la grande plaine marécageuse de la Pologne, dont le nom signifie « pays de la plaine », mais ce n’est pas la montagne qui crée des limites et qui donne une physionomie à tout ce qui se trouve dans son ombre, protectrice et inspiratrice en même temps.

Il en est autrement dès que les Carpathes atteignent ces régions qui représentent la patrie ancienne, traditionnelle, de la race roumaine, autochtone dans ses rochers aussi bien que dans, les profondes vallées qui se creusent entre les dernières ramifications boisées de la montagne. Observez d’abord leurs noms : la citadelle des Carpathes, qui recouvre toute la région de ses lignes, qui sont comme les circonvolutions fécondes de pensée et d’impulsion, s’appelait jadis pour les Magyars, envahisseurs tardifs et incapables de coloniser à eux seuls la forêt, « la forêt du roi » ; elle correspond en Orient à la grande forêt de la Serbie, allant de Belgrade jusqu’à Niche et qui dévora, par tous les dangers qu’elle recelait, un si grand nombre de croisés, ou bien encore à ces grandes forêts de l’Occident, la Hercynia de César et de Tacite, la forêt des Ardennes du moyen âge, qui recouvrent le plus souvent les replis montagneux. Ce qui se trouvait au delà fut pour la latinité médiévale une « Transylvanie », terme qui se généralisa ensuite, comprenant la province tout entière. De ce « pays au delà des forêts », on descend dans la « Transalpina », la Hava-salföld des Magyares, « le pays au delà des Alpes ». Pour les Roumains de la Moldavie voisine, de création plus récente, c’est la « Muntenia », le « pays de la Montagne », où habitent les « Montagnards », les « Munteni ». Lorsque le patriarche de Byzance créa au XIVe siècle un archevêché pour les Roumains de cette Valachie, le nouveau siège reçut le titre de « Hongrovalachie et des plateaux montagneux » (πλαγηυά, roum : plaiuri). Le Nord, riche en forêts, de cette Moldavie elle-même, la future Bucovine de l’usurpation autrichienne en 1775, apparaît pour la première fois dans la chronique polonaise sous le nom de « Planyany », les « montagnes ».

Les bergers, dont l’activité errante à travers les vallons commence l’histoire du peuple roumain, sont le produit de la montagne tout aussi réellement que ses pins et ses mélèzes. Les premières formations politiques ont été créées par les Voévodes à l’ombre des hautes cimes, à proximité des défilés, non point dans le but de pouvoir s’enfuir par cette porte ouverte du côté de l’étranger, mais bien pour arrêter l’envahisseur aux premiers pas qu’il pourrait tenter contre les défenses naturelles de la frontière. Là, s’élevèrent les premières églises en pierre et les premiers châteaux autour desquels se rassemblèrent les habitations des marchands. Même en ce qui concerne l’agriculture, il est prouvé aujourd’hui qu’après l’interruption de l’œuvre civilisatrice des Roumains, elle reprit son activité sur les hauts plateaux à l’abri des invasions.

Cette terre roumaine, la montagne l’entoure, l’embrasse de tous côtés. Trois grands boulevards de rochers la surplombent, et chacun d’entre eux sera le berceau d’un État. Il paraît bien que l’ancien Voévo-dat roumain indépendant, antérieur à l’invasion hongroise de la Transylvanie, avait son centre et son point d’appui dans ce massif du Bihor qui domine la province à l’ouest. Ce fut d’Arges et des montagnes du Jiu que partit la vie politique de la principauté va-laque. Enfin, sans la Bucovine et même sans ce comté montagneux du Maramoros qui en est la continuation occidentale et au défaut duquel il n’y aurait pas eu la dynastie moldave, condition déterminante pour la création du pays lui-même, la Moldavie n’aurait pas formé le second des États roumains, celui qui fut pendant longtemps le plus vigoureux. Jusque dans la Bessarabie, qui n’est que la moitié orientale, détachée en 1812 seulement, de l’ancienne Moldavie unitaire, s’il n’y avait pas ces lignes de collines qui, par la protection de leurs forêts et par la fraîcheur de leurs vallons arrosés de lentes rivières entretiennent la fécondité du sol, tout ce territoire serait resté un simple coin négligé et désert de la grande steppe vide.

La montagne est tellement familière au Roumain qu’elle n’a pas de nom distinctif. Peut-être s’appelait-elle jadis le « Caucase », mais ce nom même ne signifie pas plus que celui des « Alpes », car il vaut autant que le terme commun de « rocher ». C’est dans les livres d’école que les jeunes Roumains apprennent le nom des Carpathes ; pour le peuple, c’est tout simplement : « Muntele ».

Pour avoir le sens complet de l’unité géographique de ces régions, il faut tenir compte d’un autre élément qui est la rivière, le Danube, car c’est de la réunion de cette montagne et de cette rivière que dérive le caractère unitaire d’une région dont les apparences sont si variées.

Il n’y a pas qu’un seul Danube : il y en a plusieurs, au moins trois. Le rapide cours d’eau qui jaillit des profondeurs de la Forêt-Noire garde pendant longtemps le caractère romantique d’une rivière allemande. Même lorsqu’il porte des vaisseaux, de grandes dimensions sur ses ondes accrues par les torrents des montagnes, il n’a pas encore l’aspect imposant d’un fleuve. A Vienne, il ne domine pas encore la grande ville, qui, malgré « ses ondes bleues », n’en tire aucun caractère. Entre l’ancienne Bude historique des rois magyars et des pachas turcs, leurs successeurs, le Pesth moderne, la ville parvenue, aux maisons de pierre dénuées de style, il est déjà souverain ; ses ponts gigantesques sont le principal ornement et la plus grande œuvre technique de la capitale hongroise. Malgré ces dimensions qui font déjà du Danube une des principales artères fluviales de l’Europe, il lui manque encore cette envergure, cette vitalité envahissante à laquelle il doit d’être, non seulement une des grandes voies du commerce européen, mais, en même temps, l’immense canal qui recueille les riches eaux de toute une grande région géographique, l’élément le plus actif de la vie entière d’un pays, la défense et l’appui, la suprême beauté et le plus grand orgueil d’une race qui voit dans ce fleuve majestueux comme une figure légendaire d’ancêtre et comme un symbole d’avenir dans lesquels viennent se fondre tous les souvenirs d’un passé véhément, les apports d’énergie d’un présent agité, pour s’harmoniser, enfin, pour s’apaiser dans le sort même de la nation.

Ce caractère, le Danube ne l’a pas même au moment où, à travers la puszta hongroise, il risque hardiment sa grande cascade vers le Sud. Sur les deux rives, ce n’est pas la plaine qui est déterminée par le fleuve, mais bien le fleuve lui-même qui se perd, malgré ses larges proportions et la riche constance de son cours, dans l’immensité d’une région que rien ne vient définir. Pour être le Danube célébré avec enthousiasme par les poètes et profondément aimé par l’héroïsme des peuples naissants, il lui faut le voisinage de la montagne qui, aussitôt après l’embouchure de la Theiss, doit l’étreindre dans les défilés sombres des Portes-de-Fer.

A ce point là, une relation ininterrompue s’établit entre le grand fleuve et la montagne dans la profondeur de laquelle jaillissent les rivières qui viennent s’y jeter. De leur jonction, sur toute l’étendue du territoire habité par la race roumaine, résulte l’unité même, qu’il ne faut pas chercher ailleurs, de ce territoire. Par ces rivières aussi, les Carpathes se mettent en contact continuel avec le Danube, et le Danube souligne de son cours les dernières lignes des collines qu’ils projettent vers le Sud. Jadis le fleuve suivait, pour se jeter à la mer, cette dépression de terrain que marque aujourd’hui la voie ferrée de Cernavoda à Constanza. La Dobrogea entière était comprise dans la même formation géographique que la Valachie et la Moldavie aussi, avec laquelle elle tend à se réunir encore par les haulcurs des environs de Galatz. Aujourd’hui, le nouveau cours évite les anciens plateaux, d’un caractère tout particulier, de cette Dobrogea pour suivre la dépression de la plaine, les bords de la steppe et les dernières prolongations des champs fertiles qui s’étendent aux pieds des ramifications de la montagne.

Si la rive droite du Danube panonnien, celle qui appartient, regardant la steppe, à la race magyare, manque presque complètement d’affluents, comme si l’empire du fleuve ne devait pas s’étendre dans cette région de vastes plaines la rive droite, balcanique, ne reçoit que quelques rivières d’une importance secondaire, qui ne peuvent être comparées à la Theiss, avec tout ce qu’elle charrie, ni à l’apport, tout à fait exceptionnel, de la Valachie et de la Moldavie. Plus rapprochés du fleuve, en ce qui concerne leurs cimes et leurs collines, les Balcans ne présentent pas cette étroite communion qui distingue les relations entre les Carpathes et le fleuve, la lisière de la plaine qui s’intercale entre la ligne danubienne et les hauteurs est de beaucoup moins étendue et incomparablement moins fertile. Si le Danube joue un rôle important dans la poésie épique des Serbes, il n’est pas pour les Bulgares le grand fleuve tutélaire ; leur folklore le mentionne plus rarement et d’une manière plus fugitive que celui des Russes eux-mêmes. Les États roumains, partant de la montagne, se sont empressés d’atteindre ces rives et, par des efforts rapides et heureux, ils sont arrivés à s’en saisir au bout de quelques dizaines d’années seulement ; la Bulgarie politique au contraire, partie de la steppe russe pour arriver au delta danubien, n’a pas tardé à quitter ces régions désertes, incapables de fournir aux guerriers leur proie journalière, pour chercher à travers la péninsule la voie de l’impériale Byzance. Le Balcan lui-même reste seulement un réduit inaccessible pour abriter les bandes en quête de pillage ; quant au fleuve, il ne signifiait pour l’ambition des khagans bulgares et de leurs successeurs, les Tzars de langue slave et de religion orthodoxe, qu’un point de départ bientôt négligé et oublié même par ceux qui ne rêvaient que de la conquête du Bosphore.

Ce fleuve, les Grecs l’appelaient Istros, d’où le nom de la ville d’Istria près des embouchures ; les Roumans « Dunâre » nom qu’ils ont emprunté à leurs plus lointains ancêtres, autochtones de ses rives. Parmi les rivières que célèbrent les chants populaires, il n’y en a pas une qui puisse lui être comparée dans la vénération profonde dont l’entoure la race. Sans le Danube, on ne pourrait pas s’imaginer les destinées du peuple roumain, pas plus que sans les Carpathes eux-mêmes. Si la montagne a abrité les générations menacées par de continuelles invasions, le Danube a rassemblé les éléments ethniques qui devaient produire par leur mélange la nationalité roumaine. Sans ce qu’a fourni le fleuve, les Carpathes auraient, comme les Alpes en Suisse, offert seulement l’abri assuré de leurs vallées aux groupes de races différentes qui auraient cohabité sans se confondre, alors que, sans les Carpathes, il y aurait bien eu un mélange, comme dans les Pays-Bas aux bouches du Rhin, mais sans que la nouvelle formation nationale eût pu trouver dès le début les contours fermes et permanents d’une fondation politique.