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Biographie universelle ancienne et moderne/2e éd., 1843/SAVARY (Claude-Etienne)

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Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843
Tome 38 page 108 à 109

SAVARY (Claude-Etienne)


SAVARY (Claude-Étienne), voyageur, né en 1750 à Vitré, en Bretagne, fit avec distinction ses études au collège de Rennes. Son imagination vive et ardente, son esprit inquiet et avide de connaissances lui inspirèrent de bonne heure le goût des voyages. Après avoir séjourné quelque temps à Paris, où il se lia avec Lemonnier, médecin du comte de Provence (depuis Louis XVIII), il partit pour l’Égypte en 1776 et passa trois ans, occupé à étudier la langue, à observer les mœurs, à rechercher et à examiner les monuments. Comme la relation qu’il en a publiée n’est pas en forme de journal, qu’elle a été rédigée depuis son retour, que ses lettres même sont la plupart sans dates et que la première ne porte que celle du 24 juillet 1777, il est impossible de le suivre dans son itinéraire et d’en calculer la durée[1]. On voit seulement qu’après quelque séjour à Alexandrie et à Rosette, il résida longtemps au Caire, d’où il fit quelques excursions à Damiette et dans les environs de la capitale ; mais il ne visita point la haute Égypte, quoiqu’il en ait donné la description. Il revint passer quatre mois à Alexandrie, s’y embarqua en septembre 1779, parcourut pendant près de deux ans plusieurs îles de la Grèce et de l’Archipel, entre autres celle de Crète, qu’il habita quinze mois et sur laquelle il donna des détails précis et circonstanciés. De retour en France, probablement vers le milieu de 1781, il s’occupa de publier le fruit de ses recherches et fit imprimer : 1o le Coran, traduit de l’arabe, accompagné de notes et précédé d’un Abrégé de la vie de Mahomet. Paris, 1783, 2 vol. in-8o ; réimprimés en 1798. Cette traduction, faite pour la plus grande partie en Égypte, est la seule qui rende le génie, le style et le ton prophétique de l’original. Deguignes en fit l’éloge dans le Journal des Savants. On a reproché à Savary d’avoir profité de la froide et ennuyeuse traduction que du Ryer avait donnée longtemps auparavant et de la version farine que Marracci avait publiée dans le but de réfuter le code religieux des Arabes. On doit au contraire lui en savoir gré, puisqu’il a surpasse ses devanciers. La vie de Mahomet, mise en tête de la nouvelle traduction, forme 248 pages. Elle est tirée principalement d’Abou’l Feda et de la Sunnah, recueil de traditions réputées authentiques par les Arabes, et présente par conséquent une idée assez exacte du prophète des musulmans. Savary nie l’épilepsie de Mahomet, supposée par Marracci. Ses notes sont curieuses, instructives et tendent à éclaircir les endroits difficiles. 2o Morale de Mahomet, ou Recueil des plus pures maxime du Coran, Paris, 1784, in-12 et in-18. C’est un extrait de l’ouvrage précédent. L’auteur en a banni tout ce qui respire l’erreur et le fanatisme. 3o Lettres sur l’Égypte, etc., 3 vol. in-8o. Le premier volume, publié en 1788, fut réimprimé l’année suivante avec les deux autres, et l’ouvrage entier le fut encore en l’an 7 (1798) ; traduit en allemand par J.-G. Schneider, Berlin, 1786 ; d’allemand en hollandais, Amsterdam, 1788, in-8o, et en suédois, Stockholm, 1790, in-8o. Ces lettres, adressées par l’auteur à son ami Lemonnier, eurent d’abord une vogue prodigieuse, et tous les journaux en tirent le plus grand éloge. En effet, le style pittoresque de Savary, la brillante imagination qui anime ses vives descriptions transportent le lecteur au milieu des merveilles de la terre des pharaons. On loua son érudition, l’apologie qu’il faisait de l’exactitude des anciens, surtout d’Hérodote et d’Homère, et on ne releva qu’un très-petit nombre d’incorrections, entre autres celle d’employer fréquemment au neutre le verbe promener, sans pronom personnel. Mais Deguignes, dans le Journal des Savants, en convenant que Savary a souvent réfuté Pauw avec succès, qu’il avait reconnu l’emplacement de l’ancienne Babylone d’Égypte, bâtie par les Perses, et que ses lettres sont aussi intéressantes par les détails que par le style, lui reprocha d’avoir en quelque sorte écrit plutôt un roman qu’une relation, de joindre et de mêler trop souvent à ses observations ce que les anciens nous ont appris de l’Égypte ; d’avoir rapporté peu de faits nouveaux, copié Maillet pour ce qu’il dit des pyramides et Joinville pour l’expédition de St-Louis, en y ajoutant quelques notions prises des auteurs arabes[2] ; de n’avoir parlé du Saïd ou haute Égypte que d’après le P. Sicard et des oasis que d’après Quinte-Curce, Salluste, ete. Enfin il trouve ses réflexions un peu exagérées. Tous ces reproches ne sont pas également justes, et celui d’avoir dit qu’on fait du vin blanc en Égypte, quoique le P. Sicard ait assuré qu’il n’y a point de vignes, porte à faux, puisque Volney, Sonnini et Olivier conviennent que la vigne y est cultivée. Le savant Michaëlis, dans son Journal de littérature arabe, année 1786, en insistant sur quelques-uns des reproches faits par Deguignes, inculpe Savary de n’avoir cité Abou’l Feda que d’après l’édition et la traduction latine, données par lui (Michaëlis) et d’avoir même mal entendu latin[3] ; de n’avoir pas connu la prononciation de l’arabe vulgaire, d’avoir trop prodigué l’érudition (reproche singulier de la part d’un Allemand), d’avoir composé une compilation plutôt qu’une relation de ce qu’il avait vu. Il lui attribue enfin des erreurs habituelles de dates dans le calcul des années de l’hégire et dans la manière de compter les siècles. Cette critique affecta vivement Savary, qui joignait à une extrême sensibilité une santé délicate, que les voyages et les veilles avaient altérée. La publication du voyage de Volney, qui sembla prendre à tâche de contredire Savary à tort et à travers, acheva d’accabler ce dernier. Les chagrins rendirent très-malheureux les derniers moments de sa vie : il quitta sa famille et revint à Paris, où il mourut le 4 février 1788. 4° Les Lettres sur la Grèce, dont l’impression était commencée pendant la maladie de Savary, devaient compléter la relation de ses voyages. Il en parut, peu de mois après sa mort, un volume réimprimé depuis en 1798 ; traduit en allemand, Leipsick, 1788, et deux fois en anglais, 1788 ; mais la suite n’a jamais été publiée : l’auteur n’avait pas eu le temps d’y mettre la dernière main. Ces lettres, adressées à madame Lemonnier, se font lire avec intérêt, quoiqu’elles aient eu moins de succès que les lettres sur l’Égypte. 5° Les Amours d’Anas Eloujoud (l’homme accompli) et de Ouardi, conte traduit de l’arabe, Maestricht (Paris), 1789, in-18 ; traduit en allemand, Eisenach, 1790, in-8o. Garat, dans le Mercure du 1 août, dit de cet ouvrage qu’il « est très-intéressant, agréablement et élégamment écrit ». On doit regretter qu’une mort prématurée ait empêché Savary de publier en français un recueil de tous les romans arabes dont il s’était procuré les originaux pendant ses voyages. 6° Grammaire de la langue arabe vulgaire et littérale, Paris, 1813, in-4o. Cet ouvrage, composé en Égypte, fut présenté en 1784 au gouvernement français, qui en ordonna l’impression. Le manuscrit, étant resté jusqu’à la révolution à l’imprimerie royale, qui ne possédait pas alors de typographie arabe, fut réclamé par le docteur Lemonnier, qui le remit au frère de l’auteur. Celui-ci en ayant fait hommage au corps législatif, où il siégeait, le ministre Benezech en ordonna de nouveau l’impression en 1796. Langlès, invité à se charger de la correction des épreuves, en fut longtemps empêché par ses fonctions et ses travaux, et laissa perdre la grammaire de Savary l’avantage de l’antériorité à l’égard de la grammaire d’Herbin et de celle de Silvestre de Sacy, avec laquelle on ne saurait la comparer. Écrite en français et en latin, elle est plus utile pour l’arabe vulgaire que pour le littéral. La brièveté de la syntaxe y est compensée par de nombreux dialogues familiers, qui forment une des principales parties de l’ouvrage, auquel l’éditeur a ajouté es contes et des chansons arabes, traduits en français par des jeunes de langue. Savary s’était occupé aussi d’un dictionnaire arabe, qui n’a jamais vu le jour. A—T.


  1. Au commencement de cette lettre il se justifie du silence qu’il garde depuis trois ans, ce qui ferait croire qu’il s’était rendu en Égypte en 1774, et qu’il y passa cinq ans.
  2. Ces extraits paraissent être ceux que Cardonne a insérés dans la Collection de mémoires relatifs à l’Histoire de France.
  3. Il lui reproche, par exemple, d’avoir confondu les mots latins olus, légume, et oleum, huile, en traduisant olitores, vendentes olus viride (marchands d’herbages) par marchands d’huile fraîche.