Le mercredi d’après le dimanche de la Résurrection, le pape Martin étant mort, Honoré IV, Romain de nation, cent quatre-vingt-quatorzième pape, gouverna l’Église de Rome. Aussitôt après son élection, il continua au comte d’Artois, occupé dans la Pouille, et à quelques autres, que son prédécesseur le pape Martin avait pris à son service, et employés en divers lieux, la solde que leur avait donnée ledit pape Martin, les garda à son service, et les excita à poursuivre avec ardeur l’entreprise commencée. Des gens affligés de diverses souffrances et maladies étant venus vers le tombeau du pontife de Rome Martin, quatre y recouvrèrent la santé, à la vue de tout le monde. Pierre d’Aragon ayant appris que Philippe, roi de France, s’était mis à la tête d’une armée pour envahir le royaume d’Aragon, et craignant de perdre ce royaume, s’y transporta aussitôt. Comme les Messinais avaient transféré dans un certain château Charles, prince de Salerne, Pierre craignit leur infidélité, et le fit conduire de Sicile en Aragon et garder en ce royaume avec les plus grandes précautions. Vers la fête de la Saint-Jean-Baptiste, Philippe roi de France, attaquant les domaines du royaume d’Aragon, assaillit d’abord la ville d’Elna sur les frontières du Roussillon, qui lui était contraire, et l’eut bientôt détruite entièrement. Il traversa les Pyrénées par un chemin impraticable, auprès de la passe d’Ecluse, et conduisit son armée jusqu’à Gironne, ville très-forlifiée. Ce que voyant les Aragonais qui se tenaient en armes au sommet de la passe d’Ecluse, qui était l’entrée de leur pays la plus fortifiée, et ne croyaient pas que le roi des Français passât par un autre endroit, ils furent grandement saisis d’admiration et d’épouvante, et se réfugièrent dans les villes et les châteaux. Le roi de France assiégeant Gironne, livra plusieurs assauts qui affaiblirent beaucoup les habitans mais ceux-ci, faisant une vigoureuse résistance, tinrent pendant environ trois mois. Vers la fin du siège, à savoir le jour de l’Assomption de la Vierge sainte Marie, mère du Seigneur, le roi de France ayant envoyé vers le port de Roses, où était stationnée la flotte royale, pour apporter à l’armée les vivres qu’on y conservait, Pierre, roi d’Aragon, qui en fut informé, s’empara du chemin avec cinq cents cavaliers armés et trois mille hommes de pied, afin de pouvoir, au retour des Français, piller les vivres qu’ils amèneraient. Mais Raoul, seigneur de Nesle, connétable de France, le comte de la Marche, et Jean de Harcourt, maréchal, instruits de ces embûches, prirent sur-le-champ avec eux cent cinquante-six chevaliers armés, et marchèrent promptement à sa rencontre. A la vue des ennemis venant en si petit nombre en comparaison du leur, les Aragonais, qui ne connaissaient pas la bravoure des Français, les attaquèrent aussitôt. Mais les Français, résistant vigoureusement, tuèrent presque tous les Aragonais, et forcèrent leur roi, qui combattait avec eux, caché sous une armure ordinaire, de s’enfuir du champ de bataille. Mortellement blessé, il s’arrêta dans une abbaye, et expira peu de temps après à l’insu des Français. Quoique les plus vaillans et les plus nobles du royaume d’Aragon eussent assisté à ce combat, il y en eut peu cependant, dans un si grand nombre, qui s’en retournassent chez eux. A la suite de cette affaire, les habitans de Gironne, n’ayant plus aucun secours à attendre, rendirent leur ville au roi de France qui y mit une garnison. Le roi de France, ignorant la mort du roi Pierre, et attaqué de maladie, licencia une partie de sa flotte, et se retira vers Narbonne, à cause de l’approche de l’hiver. Les Aragonais ayant appris son départ, tuèrent un grand nombre de Français, et enlevèrent les vaisseaux qui étaient restés dans le port de Roses. Peu de temps après, assiégeant la ville de Gironne, ils forcèrent à se rendre les Français laissés pour la défendre. Le roi de France, qui était parti malade, étant arrivé à Perpignan, mourut en cette ville. Sa chair et ses entrailles furent ensevelis à Narbonne dans la grande église, et ses os, ainsi que son cœur, furent portés à Saint-Denis en France. Mais, avant qu’on ne les eût enterrés dans ce monastère, il s’éleva au sujet du cœur une grande dissension entre les moines dudit lieu et les frères Prêcheurs qui demeuraient à Paris ; car lesdits frères voulaient, malgré les moines, obtenir ce cœur pour l’ensevelir à Paris dans leur église, parce que le jeune roi Philippe, héritier du trône, en avait fait la promesse à un certain frère de l’ordre des Jacobins. Mais enfin, le roi de France, ému par les instances des frères, et regardant comme honteux de se dédire, fit, contre les conseils de beaucoup de gens, ensevelir le cœur à Paris, dans l’église des frères Prêcheurs. Dans la suite, plusieurs docteurs en théologie décidèrent, que le roi ni les moines n’avaient pu faire une telle concession, ni les frères en profiter, sans la permission du souverain pontife. Philippe, succédant au trône de son père, fut, le jour de la fête de l’Epiphanie, couronné roi de France avec sa femme, dans l’église de Rheims. Le feu roi Philippe laissait deux fils, Charles, comte de Valois, et ledit Philippe, roi de France, du lit de sa première femme la reine Isabelle ; et trois autres enfans, à savoir Louis, comte d’Evreux ; Marguerite, reine d’Angleterre et Blanche, duchesse d’Autriche, du lit de Marie de Brabant sa seconde femme.
Alphonse, fils de Pierre roi d’Aragon, succéda au trône de son père ; et Jacques son frère, avec sa mère Constance, s’étant, malgré la défense et les ordres de l’Église romaine, emparé de la Sicile, s’en fit couronner roi. Le pape Honoré confirma par une bulle semblable et avec la même rigueur, contre Alphonse et Jacques, fils de Pierre, roi d’Aragon, et contre Constance, leur mère, la sentence portée contre ledit Pierre roi d’Aragon, par son prédécesseur Martin pontife de Rome. Edouard, roi d’Angleterre, appelé en France, fit hommage au roi de France pour le duché d’Aquitaine et tous les autres domaines qu’il possédait dans le royaume du roi de France. De là, s’étant rendu à Bordeaux, ville métropolitaine du pays de Gascogne, il y tint, le jour de la Nativité du Seigneur, un grand parlement. Ayant en cette ville reçu plusieurs envoyés du royaume d’Aragon, de Sicile et d’Espagne, on craignit qu’il ne méditât quelque entreprise contre le royaume et le roi de France. Cependant il s’efforça auprès d’Alphonse, roi d’Aragon, de faire délivrer le prince de Salerne son parent, pris par les Siciliens, que ledit Alphonse retenait en prison. Au mois de septembre, mourut Matthieu, abbé de Saint-Denis en France, conseiller principal du royaume de France. Il avait fait achever le monastère de sa maison, commencé depuis long-temps, et dont les merveilleux et somptueux travaux avaient été laissés presque à moitié. Il avait fait aussi réparer par de nouveaux murs et de belles constructions et avait enrichi par une grande augmentation dé revenus son abbaye, dont il avait trouvé les affaires et les bâtimens dans le dernier délabrement. Dans la suite, plusieurs moines de ce monastère, imbus de sa doctrine et de sa haute dévotion, furent établis abbés dans différens couvens. Le samedi, veille de Pâques, le pape Honoré étant mort, Nicolas IV, cent quatre-vingt-quinzième pape, gouverna l’Église de Rome.
Le roi de Chypre se fit, au préjudice du roi de Sicile, couronner roi de Jérusalem à Acre, ville de Syrie. Comme les Templiers et les Hospitaliers l’avaient permis, le roi de Sicile s’empara des biens et des possessions qu’ils avaient dans la Pouille et le royaume de Sicile. Alphonse, roi d’Aragon, déclara la guerre à son oncle le roi de Majorque, qui l’avait offensé en embrassant le parti de l’Église, et s’empara de quelques terres qu’il possédait dans son royaume. Les Grecs, se séparant de l’unité de l’Église romaine, se créèrent, dit-on, un pape et des cardinaux. Robert, comte d’Artois, défenseur du royaume de Sicile, se préparant à la guerre contre les Siciliens, envoya le chevalier Gui de Montfort rassembler des vaisseaux à Venise et par toute la Toscane.
Vers la Nativité du Seigneur, des envoyés d’Aragon et de Sicile étant venus à la cour de Rome dans le consistoire, en présence du pape et des cardinaux tinrent beaucoup de discours faux et frivoles, qui furent accueillis par quelques-uns avec une haute faveur. D’abord les Aragonais excusaient leur roi Alphonse sur ce qu’il n’avait pas, après la mort de son père, envoyé des députés à la cour de Rome, en disant que ces députés n’avaient pu s’y rendre à cause des guerres dont le royaume était alors menacé. En second lieu, ils soutenaient l’innocence de leur maître, comme n’ayant participé en rien aux actions de son père. Troisièmement, ils disaient qu’il avait été, longtemps avant la mort de son père, en possession du royaume dont il demandait qu’on le laissât tranquillement continuer de jouir, et sur lequel il desirait que le pape ne permît pas que certaines gens l’inquiétassent injustement. Quatrièmement, il s’offrait à servir l’Église romaine, assurant qu’il s’appliquerait à imiter ceux de ses prédécesseurs qui avaient obéi avec soumission à ladite Église. Le pape dit qu’il ne mettait pas d’importance au premier point. Il répondit ainsi sur le second « Il nous plairait beaucoup que le roi Alphonse fût innocent, mais il nous prouve le contraire en ne cessant d’envoyer des troupes dans notre terre de Sicile, en rébellion contre nous et le roi de Sicile. En outre, il ne veut nullement per- mettre qu’on observe notre interdit dans la terre d’Aragon, et s’est emparé de la terre et des domaines de son oncle le roi de Majorque, défenseur de l’Église. De plus, il retient prisonnier Charles, prince de Salerne, qui est innocent ; tant qu’il Je retiendra, il ne trouvera jamais auprès de nous ni grâce ni faveur. Et quoiqu’il soit en possession du royaume d’Aragon nous déclarons cependant qu’il n’a aucun droit sur ce royaume, qui appartient par le don de l’Église à Charles frère du roi de France. Que si cependant il veut lui-même discuter ses droits en notre présence, nous sommes prêts, s’il vient, à l’entendre et à lui rendre une justice complète. » Ensuite vinrent deux frères Mineurs, envoyés par les Siciliens, qui exposèrent comment ils avaient long-temps été opprimés par les Français, disant que, ne pouvant plus les supporter, ils avaient eu l’intention de les expulser légalement de leur terre, lorsque quelques hommes méchans leur avaient subitement couru sus avec une grande cruauté ce qui avait déplu aux gens de bien. Ils excusaient de sa malice Constance, mère de Jacques, qui s’était emparée de la Sicile, disant qu’elle était venue en Sicile à cause de l’obéissance que doit une femme à son mari ; et demandaient que le pontife romain confirmât l’élection de Jacques, son fils, que les Siciliens avaient choisi pour roi. Ayant entendu ces discours et beaucoup d’autres aussi frivoles, le pape ordonna aux envoyés de se retirer, leur disant de se charger à l’avenir de négociations plus sensées et meilleures.
Un grand nombre de galères étant venues de tous les côtés se rassembler à Naples vers l’Ascension du Seigneur pour faire la guerre aux Siciliens, un certain chevalier, nommé Renauld d’Avellino, se mit en mer avec plusieurs galères armées, par le conseil et l’ordre du comte d’Artois, et s’empara facilement de Catane, ville de Sicile. Il y mit une garnison de ses gens, et fit retourner vides à Naples ses vaisseaux, sur lesquels plusieurs autres chevaliers devaient, selon leur promesse et convention, venir promptement à son secours. Tandis que ceux-ci se préparaient en effet à venir, les Siciliens assiégèrent ledit chevalier, qui, après une longue et vigoureuse résistance, fut enfin forcé de se rendre avec les siens, vie et bagues sauves. Gui de Montfort, comte de Brienne ; Philippe, fils de Gui, comte de Flandre, et plusieurs autres hommes de guerre du royaume de France, venant à son secours, furent vaincus et pris dans un combat naval par Roger de Loria, amiral des Siciliens, et renfermés dans différentes prisons. Presque tous s’étant dans la suite rachetés par argent, Gui de Montfort seul, n’ayant pu se racheter par les prières ou offres qu’on fit en sa faveur, périt dans sa prison, où il demeura, dit-on, par les intrigues d’Edouard roi d’Angleterre.
Jean, duc de Brabant, et le comte de Luxembourg, ayant rassemblé chacun une grande armée près de Liège, se livrèrent bataille au sujet du comté de Luxembourg. On combattit de part et d’autre avec un grand acharnement ; le comte de Luxembourg fut tué avec ses trois fils et l’archevêque de Cologne, ainsi que beaucoup d’autres qui étaient venus à son secours contre le duc, furent pris, et demeurèrent prisonniers du duc, à qui resta la victoire. Vers la Purification de la sainte Vierge, mère du Seigneur, Charles, prince de Salerne, fut délivré de la prison du roi des Aragonais, à condition qu’il lui remettrait une forte somme d’argent, et s’entremettrait, selon son pouvoir, pour faire obtenir aux Aragonais la paix avec l’Église romaine et le roi de France, que s’il ne pouvait y parvenir, il retournerait à sa prison dans l’espace de trois ans, conformément au serment qu’on l’obligea de prêter, et jusqu’à l’accomplissement de toutes ces conditions, il fut forcé de livrer en otage trois de ses fils et quarante nobles. Tripoli, ville du pays d’outre-mer, fut prise par le soudan de Babylone. Beaucoup de milliers de Chrétiens y furent tués, et les autres faits prisonniers. Les habitans d’Acre, effrayés par la prise de Tripoli, demandèrent aussitôt, et obtinrent du soudan une trêve de deux ans.
Quinze cents hommes stipendiés, envoyés à Acre par le pape Nicolas, pour le secours de la Terre-Sainte, sortirent d’Acre armés, malgré la volonté des Templiers et des Hospitaliers, et, rompant la trêve conclue avec le soudan, firent une incursion sur les habitans et les villes des Sarrasins, et tuèrent sans miséricorde et sans distinction de sexe tout ce qu’ils rencontrèrent de Sarrasins, qui se croyaient en sûreté et en paix, a cause de la trêve. Charles, prince de Salerne, délivré de prison, vint à Rome, où il fut le jour de la Pentecôte couronné roi de Sicile par le pape Nicolas et absous du serment qu’il avait fait au roi des Aragonais. Jacques, usurpateur de la Sicile, entra avec une grande armée sur le territoire de la Calabre, et assiégea la ville de Gaëte. Le roi Charles quitta promptement Rome pour venir à sa rencontre, et délivra aussitôt les assiégés ; car comme on se préparait au combat de part et d’autre, survint un chevalier du roi d’Angleterre, qui, par l’intervention de son maître, fit conclure entre eux une trêve de deux ans. Le soudan de Babylone, ayant appris la manière dont les Chrétiens avaient traité les siens aux environs d’Acre, manda aussitôt aux habitans de cette ville que, s’ils ne lui livraient ceux qui avaient fait périr les siens dans le cours de l’année, il exterminerait et ruinerait leur ville, comme il avait fait de Tripoli. Les gens d’Acre, n’ayant pu satisfaire à sa demande, l’irritèrent et offensèrent gravement. Louis, fils aîné de Philippe, roi de France, fut mis au monde par la reine Jeanne, le 4 d’octobre.
Comme le terme où il avait menacé d’attaquer les gens d’Acre approchait, le soudan de Babylone sortit de cette ville, et marcha vers Acre avec une innombrable multitude d’Infidèles. Mais comme il était déjà à moitié chemin il fut attaqué d’une grave maladie, et, couché sur son lit de mort, il n’oublia pas d’envoyer à Acre sept émirs, dont chacun commandait quatre mille cavaliers et vingt mille hommes de pied armés. Ces émirs abordèrent à Acre vers le milieu du mois de mars, et tourmentèrent la ville par différens assauts jusqu’à la moitié du mois suivant mais ils ne firent rien qui soit digne de mémoire. Cependant le soudan, voyant que sa mort était proche, appela ses amis et les émirs de toute l’armée, fit élever en sa place, au gouvernement et à la dignité souveraine de soudan, son fils, présent à ses derniers momens, et peu de temps après il expira. Le nouveau soudan, après les obsèques de son père, se mit en marche vers Acre avec une armée innombrable, et, s’en étant approché, campa à la distance d’un mille de la ville ; et les machines et autres instrumens de guerre ayant été préparés et dressés contre la ville, les Sarrasins assiégèrent les Chrétiens pendant dix jours consécutifs, depuis le 4 dit mois de mai, et, lançant à la main de grosses pierres dans la ville, ils y firent beaucoup de dégât, et ne laissèrent pas aux citoyens un instant de repos ; c’est pourquoi les habitans effrayés firent transporter à Chypre par des vaisseaux les vieillards, les malades, les femmes, les enfans et tous ceux qui ne pouvaient servir à la défense, avec les trésors, les marchandises et les saintes reliques. Beaucoup de chevaliers et d’hommes de pied,voyant que des discordes s’élevaient entre les citoyens, se retirèrent également avec tous leurs biens ; en sorte qu’il ne resta à Acre que douze mille hommes environ, cinq cents chevaliers, et le reste en hommes de pied, tous vaillans hommes de guerre.
Le 15 du mois de mai, les perfides Sarrasins assaillirent si vigoureusement les gardes des remparts, que la garde du roi de Chypre fut sur le point de céder, et que, sans le secours de l’épaisse obscurité de la nuit et de quelques gardes qui vinrent d’un autre côté et arrêtèrent l’impétuosité des ennemis, ceux-ci fussent entrés dans la ville. La nuit suivante, le roi de Chypre, ayant remis à un commandant des troupes allemandes la défense du lieu qu’il était chargé de garder, disant qu’il viendrait la reprendre le lendemain matin, s’enfuit honteusement par mer pendant cette nuit avec tous les siens et près de trois mille autres hommes d’armes. Le lendemain, les Sarrasins étant venus pour combattre, et voyant peu de défenseurs sur les remparts confiés à la garde du roi de Chypre, accoururent de toutes parts vers cet endroit, comblèrent le fossé de morceaux de bois et plusieurs autres choses, et percèrent aussitôt le mur. Se précipitant impétueusement dans l’intérieur, ils repoussèrent vigoureusement les Chrétiens presque jusqu’à la moitié de la ville, non sans un grand carnage de part et d’autre. Vers le soir de ce jour, et le jour suivant, ils furent repoussés de la ville par le maréchal et maître des chevaliers de l’Hôpital. Mais le troisième jour, les Sarrasins, accourant de toutes parts au combat, entrèrent par la porte de Saint-Antoine, en vinrent aux mains avec les Templiers et les Hospitaliers, et les défirent entièrement. Enfin, s’emparant de la ville, ils la détruisirent de fond en comble ; remparts, tours, maisons, églises, tout fut démoli. Le patriarche et le grand maître de l’Hôpital, blessés à mort, furent entraînés par les leurs dans un dromon 20 et périrent sur mer. Ainsi, en punition de nos péchés, Acre, seul asile de la chrétienté dans ce pays, fut détruite par les ennemis de la foi, faute d’un seul roi, parmi les Chrétiens, qui lui portât secours dans sa détresse.
Charles, comte de Valois, frère du roi de France Philippe, cédant aux prières de Charles, roi de Sicile, lui abandonna ses droits sur les royaumes d’Aragon et de Valence, et, le lendemain de la fête de l’Assomption de la sainte Vierge Marie, épousa à Corbeil une de ses filles. Le roi de Sicile avait donné audit Charles les comtés d’Anjou et du Maine pour l’engager à conclure ce mariage et à lui céder ses droits sur lesdits royaumes.
Les gens d’un château appelé Valenciennes, situé dans le pays de Flandre et de Hainaut, se soulevèrent contre Jean, comte de Hainaut, leur
20. Espèce de vaisseau
seigneur, qui les opprimait avec une excessive injustice. S’étant long-temps maintenus contre ledit comte, ils chassèrent honteusement ses gens de leur ville et appelèrent à leur défense, pour être leur comte, Guillaume, fils du comte de Flandre. Rodolphe, roi des Romains, étant mort, Adolphe, comte de Nassau, homme peu riche, mais vaillant à la guerre, fut pacifiquement élu et couronné roi.
Le pape Nicolas ayant appris la ruine d’Acre, ville du pays d’outre-mer, consulta par lettres les prélats du royaume de France, pour qu’ils lui fissent voir ce qu’il y avait de plus utile à faire pour secourir et recouvrer la Terre-Sainte, et les pria humblement d’inviter à lui porter secours le roi de France, les barons, les chevaliers, le clergé et le commun du peuple du royaume. Les prélats, accueillant avec le plus grand zèle ses ordres et ses prières, chaque métropolitain rassembla dans son diocèse les évêques, les abbés et prieurs, et les sages du clergé. Des conciles furent tenus de tous côtés. Les prélats mandèrent au pape ce qu’ils avaient fait, et lui conseillèrent de commencer par ramener à la paix et à la concorde les princes et barons de toute la chrétienté divisés entre eux, et surtout d’apaiser les Grecs, les Siciliens et les Aragonais. Ils promirent qu’après cette pacification, si le souverain pontife y consentait, ou le jugeait nécessaire, la croisade serait par son autorité prêchée par tout l’empire de la chrétienté.
Jean, duc de Brabant, s’étant réconcilié avec le fils du comte de Luxembourg, dont il avait tué le père dans un combat, lui donna sa fille en mariage, pour confirmer leur amitié. Jeanne, comtesse de Blois, étant morte, ses parens, Hugues, comte de Saint-Paul, et ses frères, et Gautier, seigneur de Châtillon, se partagèrent sa succession. Hugues, abandonnant son comté de Saint-Paul à Gui son frère, devint comte de Blois. Le pape Nicolas étant mort, l’Église romaine fut privée de pontife pendant plus de deux ans.
Edouard, roi d’Angleterre, mettant à exécution les projets d’iniquité qu’il avait conçus, dit-on, depuis long-temps, fit de grands préparatifs, sous le prétexte qu’il allait bientôt partir au secours de la Terre-Sainte. Ayant fait équiper des vaisseaux par ses hommes de Bayonne, ville de Gascogne, et beaucoup d’autres de son royaume, et fait faire d’immenses préparatifs de guerre il fit méchamment attaquer par mer et par terre, dans la Normandie et autres pays, les gens et sujets du roi Philippe. Il en tua, prit et retint un nombre infini, détruisit la plupart de leurs vaisseaux, et emmena en Angleterre le reste, chargé de biens et de marchandises. Les hommes du roi d’Angleterre attaquèrent aussi traîtreusement une ville du roi de France, appelée La Rochelle. Livrant un grand nombre d’assauts, ils tuèrent quelques-uns de ses défenseurs, et lui firent éprouver beaucoup de dommages. Le roi de France en ayant été instruit, manda au roi d’Angleterre et à ses délégués dans la Gascogne qu’ils envoyassent dans sa prison, à Périgueux, un certain nombre desdits malfaiteurs, pour qu’il en fît ce que la raison conseillerait et ce qu’exigerait la justice. Mais ce messager fut rejeté avec mépris et orgueil ; c’est pourquoi le roi de France fit saisir toute la Gascogne par le chevalier Raoul, connétable, seigneur de Nesle, comme lui appartenant en qualité de fief de son royaume, et fit citer à son parlement Edouard, roi d’Angleterre.
Comme Jean, comte de Hainaut, opprimait les gens et sujets du roi de France qui habitaient auprès des limites de sa terre et les églises placées sous la protection dudit roi, et ne voulait point s’amender, malgré les prières ou les injonctions royales, Charles, comte de Valois, frère du roi rassembla coutre lui par l’ordre de Philippe une grande armée près du château de Saint-Quentin, dans le Vermandois. Comme il était sur le point de l’attaquer en propre personne, Jean, comte de Hainaut, redoutant le pouvoir du roi de France, se rendit sans armes auprès de Charles, alla humblement à Paris avec lui vers le roi Philippe, et répara, selon le bon plaisir du roi, les méfaits qu’il commettait depuis long-temps envers lui et ses sujets. Le bas peuple de Rouen se révolta, à cause des exactions appelées maltôte dont il était accablé, contre les maîtres de l’échiquier, serviteurs du roi de France. Les séditieux, détruisant la maison du collecteur, semèrent par les places les deniers du fisc, et assiégèrent dans le château de la ville les maîtres de l’échiquier. Ce soulèvement ayant ensuite été apaisé par le maire et les plus riches hommes de la ville, la plupart des mutins furent pendus, et beaucoup furent renfermés dans des prisons du roi de France. Gilles Cornu, archevêque de Sens, mourut, et eut pour successeur Etienne, doyen de la même église.
Le comte d’Armagnac fut forcé de se battre en duel à Gisors, vers la Pentecôte, en présence du roi de France et de ses barons, contre Raimond Bernard, comte de Foix, qu’il avait appelé traître. Mais, à la prière de Robert, comte d’Artois, le roi prit sur lui leur affaire, et les fit retirer du combat qu’ils avaient déjà commencé. Edouard, roi d’Angleterre, cité plusieurs fois et solennellement à la cour du roi de France, au sujet des outrages et méfaits que ses gens avaient commis envers les sujets du roi de France, en Normandie et autres pays, dédaigna d’y comparaître. Son esprit artificieux conçut, pour combler ses iniquités, un dessein plus perfide ; car il manda, dit-on, au roi de France qu’il lui abandonnait tout ce qu’il tenait en fief de lui, pensant qu’il le reconquerrait avec beaucoup d’autres terres par la force des armes, et le posséderait à l’avenir sans être tenu à aucun hommage envers personne. Au mois de juillet, Noyon, ville de France, fut entièrement consumée par le feu, à l’exception des abbayes de Saint-Gilles et de Saint-Barthélémy.
Guillaume, évêque d’Auxerre, mourut, et eut pour successeur Pierre, évêque d’Orléans, auquel succéda dans l’église de cette ville Ferric, fils du duc de Lorraine, qui avait été élu en opposition avec lui à l’évéché d’Auxerre. Henri d’Espagne, que les rois de Sicile avaient retenu prisonnier pendant l’espace de vingt-six ans, s’échappa de prison, et se retira auprès de son neveu Sanche, roi d’Espagne.
A Bar, château de Lorraine, Jean, duc de Brabant, invité aux noces d’une fille du roi d’Angleterre, fut tué dans un tournoi par un chevalier. Après être restée vacante pendant deux ans, trois mois et deux jours, l’Église romaine fut gouvernée par Célestin V, cent quatre-vingt-seizième pape. Il était né dans la Pouille, et appelé auparavant frère Pierre de Moron ; il avait été moine et père d’un petit couvent par lui fondé, et appelé Saint-Benoît-des-Monts, et avait vécu en ermite à Sulmone dans les Abruzzes. C’était un homme d’une grande humilité, de sainte condition et de glorieuse renommée. Agé, à ce que l’on croit, de plus de soixante-douze ans, il était cependant robuste et bien portant de corps, médiocrement lettré, suffisant en sagesse, et de quelque expérience. Les cardinaux paraissaient ohstinés et affermis dans leur discorde sur l’élection d’un pape. Ils s’étaient rassemblés, mais non pour traiter de ladite élection et n’avaient jamais entendu proposer pour être élu ledit Pierre, lorsqu’un cardinal dit par hasard quelque chose dans le commun consistoire de sa renommée et de sa sainteté. Inspirés, comme l’on croit, de Dieu, ils l’élurent souverain pontife par un choix unanime, et avec une grande effusion de larmes.
Edouard, roi d’Angleterre, déclarant ouvertement et vigoureusement la guerre au roi de France, envoya vers la Gascogne une très-forte flotte munie de ses gens, qui ravagea et consuma en entier par le feu une île appelée l’île de Rhé, du côté de La Rochelle, dans le Poitou, qui tenait pour le roi de France. De là les Anglais faisant voile vers Bordeaux, s’emparèrent du château de Blaye et de trois villages ou villes situés sur les bords de la mer, tuèrent traîtreusement plusieurs Gascons, et chassèrent honteusement les gens de Philippe. Ils s’approchèrent de Bordeaux ; mais n’ayant pu faire aucune tentative contre cette ville à cause de Raoul de Nesle, connétable de France, qui la défendait, ils se dirigèrent promptement vers Bayonne. La trahison des citoyens leur ayant aussitôt livré cette ville, ils assiégèrent long-temps les Français dans le château, et enfin les en chassèrent. Le pape Célestin augmenta de douze le nombre des cardinaux, et confirma une décrétale sur l’élection des souverains pontifes, laissée en suspens par le pape Nicolas son prédécesseur. Le comte d’Acerra, dans la Pouille, à qui Charles, roi de Sicile, avait confié la garde de son comté de Provence, ayant été trouvé et convaincu exécrable sodomite, et traître envers son seigneur, fut, par l’ordre du roi lui-même, traversé d’un dard de fer brûlant, depuis le fondement jusqu’à la bouche, et ensuite livré aux flammes. Il avoua au milieu de ce supplice qu’il avait traîtreusement détourné du siège de Messine, feu Charles, roi de Sicile, et que se laissant prendre ensuite avec Charles, prince de Salerne, fils dudit roi, il avait fait échouer les projets des Siciliens qui voulaient revêtir de la dignité royale le prince prisonnier et expulser les Aragonnais de leur terre.
Vers la fête de l’Avent du Seigneur, le pape Célestin, conduit par je ne sais quel motif, déposa en plein consistoire, en présence de tous, l’anneau, la mitre et les sandales, et résigna entièrement tout office et bénéfice papal. Après lui, Boniface VIII, né dans la Campanie, cent quatre-vingt-dix-septième pape, gouverna l’Église de Rome. II ne laissa pas Célestin, pape naguère, s’en retourner vers le lieu d’où il avait été tiré, mais il le fit garder avec honneur dans un lieu très-sûr par une garde attentive. Raoul de Grandville, frère de l’ordre des Prêcheurs, qui par l’ordre du pape Célestin avait été consacré à Paris patriarche de Jérusalem, vint à Rome, et fut dégradé par le pape Boniface.
Adolphe, roi des Romains, s’étant, à prix d’argent, ligué avec Edouard, roi d’Angleterre, contre le roi de France, fit déclarer la guerre de sa part audit roi de France, après l’octave de la Nativité du Seigneur ; mais ses alliés l’ayant abandonné, il ne put accomplir ce qu’il desirait. Gui, comte de Flandre, s’étant secrètement allié au roi d’Angleterre contre son seigneur le roi de France, comme il était venu à Paris avec une de ses filles qu’il voulait envoyer en Angleterre pour épouser le roi de ce pays, fut, par l’ordre du roi de France, retenu et gardé avec elle ; mais ensuite le comte fut, peu de temps après, remis en liberté, et sa fille resta pour être élevée avec les enfans du roi. Charles, comte de Valois, frère de Philippe roi de France, envoyé avec une grande armée à La Réole, château très-fortifîé dont les Anglais avaient été mis en possession par la trahison des Gascons, en forma le siège. Dans ce château étaient renfermés Jean de Saint-Jean, Jean de Bretagne, et d’autres vaillans hommes de guerre du parti d’Edouard roi d’Angleterre.
Raoul, seigneur de Nesle, connétable de France, qui venait de Bordeaux vers La Réole au secours de Charles, frère du roi de France, reçut à composition, le jour de la Résurrection du Seigneur, une certaine forteresse appelée Pondency, située sur son chemin et qu’il avait assiégée huit jours, laissant la vie sauve aux Anglais qui la défendaient avec les Gascons. Ayant renvoyé les Anglais, il amena vers Charles à La Réole soixante Gascons qu’il fit, le jeudi de Pâques, attacher à des gibets devant les portes de La Réole. A la vue de ce spectacle, et à la nouvelle que les Anglais avaient trahi ces Gascons à Pondency, les gens du château de La Réole furent saisis d’une terrible indignation contre les gens du roi d’Angleterre qui étaient avec eux ; c’est pourquoi Jean de Saint-Jean et Jean de Bretagne s’enfuirent, pendant la nuit, de la ville avec les autres Anglais vers les rivages de l’Océan, et, montant sur leurs vaisseaux, s’échappèrent à grand’ peine. Un grand nombre d’entre eux, poursuivis par les Gascons, furent tués avant d’avoir atteint les vaisseaux. Le matin du vendredi suivant les Français, s’apercevant que pendant cette nuit la discorde avait régné dans la ville, livrèrent l’assaut, et, n’ayant éprouvé de résistance que de la part d’un petit nombre, pénétrèrent aussitôt dans le château, prirent et tuèrent beaucoup de Gascons, et soumirent la ville et le château à la domination du roi de France. Simon évêque de Préneste, et Bérard, évêque d’Albano, cardinaux de l’Église romaine, envoyés en France par le pape Boniface pour rétablir la paix entre le roi de France et le roi d’Angleterre, arrivèrent au mois de mai à Paris. Après la prise du château de La Réole, Charles, comte de Valois, assiégea la ville de Saint-Sever, et après l’avoir fatiguée d’assauts durant tout l’été, la força enfin de se rendre ; mais ensuite, lorsqu’il fut retourné en France, ces perfides habitans reprenant l’esprit de rébellion, manquèrent à la foi qu’ils avaient promise au roi de France. Sanche, roi de Castille, mourut, et Henri, son oncle, dont nous avons rapporté ci-dessus l’évasion de la prison du roi de Sicile, garda sous sa tutelle et protection deux enfans en bas âge, qu’il avait eus d’une nonne liée à lui par le mariage. Après la nomination de Simon de Beaulieu à l’évêché de Préneste, frère Gilles Augustin fut créé par le pape Boniface archevêque de Bourges. De l’ordre des ermites de Saint-Augustin il fut élevé au pontificat, et composa beaucoup de livres sur le sujet des saintes Ecritures et de la philosophie.
Une grande flotte du roi de France étant débarquée à Douvres, port d’Angleterre, enleva et brûla tout ce qu’elle trouva hors des murs ; et tandis qu’une si grande armée aurait pu facilement s’emparer de toute l’Angleterre, empêchée par l’autorité de Matthieu de Montmorency et de Jean de Harcourt, elle fut forcée de s’en revenir sans avoir rien fait. Marguerite, reine de France, femme du très-saint roi de France Louis, mourut à Paris, et fut ensevelie avec honneur auprès du très-saint roi Louis son mari, dans l’église de Saint-Denis en France. Avant sa mort elle avait établi et fondé à Paris, près de Saint-Marceau, un monastère de sœurs Mineures, où elle avait long-temps vécu en grande pureté. Alphonse, roi d’Aragon, étant mort, Jacques son frère, usurpateur du royaume de Sicile, se transporta en Aragon et fut élevé à la dignité royale. Ayant fait la paix avec Charles, roi de Sicile, il lui donna en mariage une de ses filles, et mit en liberté les otages que feu le roi Alphonse, son frère, avait reçus dudit roi de Sicile ; l’autre frère d’Alphonse, Frédéric, posséda après lui la Sicile.
Le pape, Céléstin, déposé, termina son dernier jour. Les Ecossais ayant fait alliance avec le roi de France, entrèrent dans le royaume d’Angleterre, qu’ils ravagèrent mais comme ils revenaient de cette expédition, Jean, leur roi, trahi par quelques-uns, fut pris et envoyé au roi d’Angleterre ; Pierre et Jacques de Colonne, cardinaux de l’Église romaine, qui affirmaient que la déposition du pape Célestin avait été injuste, ainsi que l’élévation de Boniface, s’efforçant par là de troubler l’Église romaine par un schisme, furent déclarés par le pape Boniface déchus de leur dignité de cardinaux et privés de tous leurs biens et bénéfices ecclésiastiques.
Alphonse et Fernand, fils de Blanche, fille de saint Louis roi de France, et de feu Fernand, fils aîné du roi de Castille, qui avaient été dépouillés totalement par Alphonse, leur aïeul, de leurs droits légitimes sur la souveraineté et dignité royale et vivaient en exil dans le royaume de France, ayant appris la mort du roi Sanche leur oncle, marchèrent à grandes journées vers l’Espagne, et, concluant un traité avec Jacques, roi d’Aragon, soutenu par le secours de son frère et de son fils Jean Nunez, baron d’Espagne, soumirent totalement à leur pouvoir le royaume de Léon.
Alphonse, l’aîné des frères, conféra et donna aussitôt ce royaume, pour être tenu de lui en fief, à Jean, son oncle, qui était venu à leur secours, et par là attira admirablement à lui les cœurs de sa nation.
Une exaction extraordinaire, appelée maltôte, fut, à cause de la guerre qui régnait entre les rois de France et d’Angleterre, levée dans le royaume de France ; elle ne fut d’abord imposée que sur les marchands ; mais ensuite on exigea la centième, puis la cinquantième partie des biens de tous, tant clercs que laïcs c’est pourquoi le pape Boniface rendit un décret portant que si les rois ou princes, ou barons de toute la chrëtientë, exerçaient à l’avenir de telles exactions sur les prélats, les abbés et le clergé sans consulter l’Église de Rome, ou si les évêques, les abbés et le clergé consentaient à les recevoir, ils encourraient par ce fait une sentence d’excommunication dont ils ne pourraient être absous par personne, si ce n’est à l’article de la mort, excepté par le pontife romain, ou par un ordre spécial de lui. La ville de Pamiers fut dans ce temps déclarée indépendante de l’évêché de Toulouse, et obtint du pape Boniface un évêque particulier ; mais aussitôt Louis, fils du roi de Sicile, frère Mineur, obtint entièrement du pape Boniface les deux évêchés.
Edmond, frère du roi d’Angleterre, envoyé en Gascogne contre les gens du roi de France, mourut à Bayonne. Après sa mort, comme les gens du roi d’Angleterre se préparaient à munir de vivres les villes et châteaux qui tenaient pour leur parti, Robert, comte d’Artois, vaillant chevalier arrivé peu de temps auparavant dans ce pays, fut instruit de ce projet par ses espions, et le prévint aussitôt, car il défit tellement leur armée, composée de sept cents chevaliers et de cinq mille hommes de pied, et mit si bien en fuite les Gascons et les seigneurs anglais, qu’il en tua cinq cents, et en fit prisonniers à peu près cent. Dans ce combat furent pris, avec d’autres nobles anglais, et envoyés en France, Jean de Saint-Jean et le jeune Guillaume de Mortemar ; le comte de Lincoln et Jean de Bretagne, fuyant du champ de bataille, perdirent entièrement la troupe qu’ils conduisaient avec toutes ses machines de guerre et sans la nuit, qui mit fin au combat, et le voisinage des bois, il ne se serait échappé personne d’une si grande multitude. Les ennemis du roi de France ayant été battus en Gascogne, il n’y eut plus personne ensuite qui osât faire la guerre au comte d’Artois ou aux Français. Florent comte de Hollande, et peu de temps après son fils unique, furent tués en trahison par un certain chevalier. Jean, comte de Hainaut, vengea leur mort, et obtint par droit de parenté la Frise et la Hollande.
Gui, comte de Flandre, trompé, dit-on, par son fils Robert, se prépara à se soulever ouvertement contre son seigneur Philippe, roi de France, et lui manda par lettres à Paris qu’il ne reconnaissait tenir rien de lui en fief ni d’aucune autre manière. Au mois de décembre à Paris, la veille de saint Thomas l’apôtre, le fleuve de la Seine s’accrut tellement qu’on ne se souvient pas, et qu’on ne trouve écrit nulle part, qu’il y eût jamais eu à Paris une si forte inondation, car toute la ville fut remplie et entourée d’eau en sorte qu’on ne pouvait y entrer d’aucun côté, ni passer dans presque aucune rue sans le secours d’un bateau. La masse des eaux et la rapidité du fleuve firent crouler entièrement deux ponts de pierre, des moulins et les maisons bâties dessus, et le Châtelet du Petit-Pont. Il fallut pendant près de huit jours fournir les habitans de vivres apportés du dehors au moyen de barques et de bateaux.
Alphonse et Fernand. combattant vaillamment en Espagne, imprimèrent à tous la terreur de leur nom et de leur approche. Don Juan, leur oncle, s’étant rendu vers eux, augmenta beaucoup leurs forces, car il leur fit rendre un grand nombre de châteaux et de villes. Don Juan s’étant précipité témérairement sur les ennemis, et ayant été pris, l’illustre Alphonse, son neveu, ne put le ravoir autrement qu’en rendant toutes ses conquêtes ; c’est pourquoi, entraîné par l’extrême générosité de son cœur, il rendit tout pour lui, s’estimant plus riche de la possession de ses amis que de celle d’une opulence périssable. Se montrant bientôt ingrat pour un si grand bienfait, son oncle se joignit aux ennemis, auxquels il rendit le royaume de Léon, qu’il avait reçu du don de son neveu. Ayant donc tout perdu, Alphonse, au dessus de l’adversité par la magnanimité de son ame, se rappela sa haute origine, car il descendait des rois de France, et ne sachant où se diriger, malgré l’avis des siens qui lui conseillaient de retourner en France ou en Aragon, il alla camper devant une certaine ville, aimant mieux mourir pour la défense de ses droits et la cause de la justice, que de revenir sans gloire et sans honneur. Le seigneur de ce château, témoin de son habileté et ému d’affection, l’introduisit avec ses gens dans la ville et dans la suite, par son secours, Alphonse causa beaucoup de dommages à ses ennemis. Pendant ce temps, Fernand, son frère, allant demander du secours en France, livra combat aux ennemis, et ensuite se rendit de France à la cour de Rome ; mais il rapporta peu d’avantages de ces deux voyages.
Henri, comte de Bar, qui avait pris en mariage la fille d’Edouard roi d’Angleterre, entra en ennemi, avec une grande multitude d’hommes d’armes, dans le comté de Champagne, qui appartenait par droit de succession à Jeanne, reine des Français, tua un grand nombre d’hommes, et une ville toute entière. Gautier de Crécy, seigneur de Châtillon, envoyé par le roi de France pour réprimer ses téméraires entreprises, et accompagné des Champenois, dévasta par le fer et le feu la terre du comte de Bar, et le força ainsi de venir la défendre. Les cardinaux de Colonne, déposés, se rendirent à Nepi, ville de Toscane. Le pape, les condamnant comme schismatiques, et les déclarant excommuniés, envoya contre eux des croisés d’Italie avec une grande armée.
Philippe, roi de France, ayant rassemblé une grande armée à Compiègne contre Gui, comte de Flandre, qui avait renoncé à la foi qu’il lui devait, fit chevalier en cette ville, à la fête de la Pentecôte, son frère Louis, comte d’Evreux, un autre Louis, fils aîné de Robert, comte de Clermont, et cent vingt autres. De là il marcha vers la Flandre ; et, pénétrant sur cette terre malgré l’opposition des ennemis, assiégea, la veille de la fête de saint Jean-Baptiste, les habitans de Lille. Ayant détruit une abbaye de religieuses nommée Margate, les Français ravagèrent par le fer et la flamme tous les environs de Lille, jusqu’à la distance de quatre lieues. Gui, comte de, Saint-Paul ; Raoul, seigneur de Nesle, connétable de France ; Gui, son frère, maréchal de l’armée, avec quelques autres, s’étant éloignés de l’armée de quatre lieues, livrèrent combat aux ennemis sur les bords de la rivière de la ville de Comines, en mirent plus de cinq cents en déroute, en tuèrent un grand nombre, et s’emparèrent de leurs tentes. Ils amenèrent prisonniers avec eux vers le roi de France beaucoup de stipendiés du roi d’Allemagne, d’hommes d’armes et des chevaliers de grand renom. Dans le même temps, le pape canonisa à Civita-Vecchia Louis, roi de France. Comme le roi de France était occupé au siège de Lille, Robert, comte d’Artois, abandonnant la défense de la Gascogne à des fidèles du roi des Français, se retira dans sa terre à Saint-Omer, et, appelant vers lui son fils Philippe, attaqua la Flandre de ce côté avec un grand nombre de nobles. Gui, comte de Flandre, envoya contre lui une grande multitude de chevaliers et d’hommes de pied armés, qui livrèrent combat au comte d’Artois, près d’un village appelé Furnes. On combattit âprement de part et d’autre ; mais les Flamands, quoiqu’au nombre de six cents cavaliers et de seize mille hommes de pied, furent tués par les gens du comte, et beaucoup d’hommes d’armes et de chevaliers furent pris avec Guillaume de Juliers et Henri comte d’Aumont. Pendant qu’on les envoyait dans des chariots à Paris et ailleurs, et dans différentes prisons, ayant devant eux la bannière du comte d’Artois, au grand honneur et gloire de cet ancien chevalier, le comte d’Artois reçut la ville de Furnes à composition, et s’empara ensuite de Cassel et de toute cette vallée.
Cependant les gens de Lille, fatigués par les assauts des troupes du roi de France, voyant les machines briser souvent les remparts, comme Robert, fils aîné du comte de Flandre, qui était avec eux dans la ville, n’osait pas faire une sortie contre les Français, se rendirent eux et leur ville au roi de France, à condition qu’on leur laisserait leurs biens et la vie. Robert, sortant de la ville avec un petit nombre de chevaliers, se retira promptement à Bruges où était son père. Edouard, roi d’Angleterre, était venu peu de temps auparavant dans cette ville avec peu de gens, trompé, dit-on, par le comte de Flandre qui lui avait mandé pour certain qu’il ferait prisonniers à Bruges le comte d’Artois, et Charles, frère du roi de France, ou plutôt probablement pour secourir le comte de Flandre contre le roi de France. Le roi de France ayant appris l’arrivée du roi d’Angleterre, mit une garnison à Lille, et se dirigeant vers la ville de Courtrai, qui se rendit aussitôt à lui, se hâta ensuite d’aller assiéger Bruges. Mais pendant ce temps, le roi d’Angleterre et le comte de Flandre, quittant Bruges, se retirèrent promptement avec leurs troupes à Gand, à cause des fortifications de ce lieu. Les gens de Bruges effrayés vinrent faire leurs soumissions et humilités au roi de France, et se remirent eux et leur ville en son pouvoir. Dès que son armée eut pris un peu de repos ; le roi marcha vers Gand, mais ayant reçu dans un certain village des envoyés du roi d’Angleterre qui demandaient une trêve il accorda, quoiqu’à grand’peine, au comte de Flandre une trêve de deux ans, à cause de rapproche de l’hiver, et pour l’amour du roi de Sicile venu en France à ce sujet, et s’en retourna en France vers la fête de Toussaint. L’armée du pape Boniface s’étant emparée de Nepi, ville de Toscane, en chassa les cardinaux Colonne, qui se rendirent à Colonna, où ils furent de nouveau assiégés.
Les prélats du royaume de France s’étant rassemblés à Paris ; le roi leur produisit une lettre dont le contenu était que le pape Boniface lui avait permis, lui et à son prochain héritier, de percevoir la dixième partie des revenus des églises, toutes les fois qu’ils le croiraient nécessaire et le jugeraient à propos, d’après le témoignage de leur conscience ; qu’en outre ledit pape lui avait accordé, pour aider aux dépenses de la guerre, tous les revenus, profits et échéances d’une année des prébendes, prieurés, archidiaconats, doyennés, bénéfices des églises, et autres dignités ecclésiastiques quelconques, devenus vacans pendant la durée de la guerre dans le royaume de France, à l’exception des évêchés, des archevêchés et des monastères et abbayes. Le pape Boniface lut, le 3 mai, en plein consistoire, en présence de tous les assistans, quelques nouveaux statuts, que, dans son zèle et ses soins pour l’état et les avantages de l’Église universelle, il avait fait compléter et rédiger par des hommes habiles dans le droit canon et le droit civil. Après plusieurs lectures, ils furent approuvés avec un grand empressement par les cardinaux, et le souverain pontife régla qu’on les ajouterait à la suite du cinquième livre des décrétales dont ils feraient le sixième livre.
Le privilège de confesser, donné aux frères Prêcheurs et Mineurs, fut annulé par le pape. Boniface, qui décréta que ceux qui se seraient confessés à un frère de l’un des deux ordres, se confesseraient de nouveau au prêtre de leur paroisse. Simon, évêque de Chartres, étant mort, Jean de Gallende, sous-doyen de l’église de Chartres, lui succéda. Albert duc d’Autriche tua dans un combat Adolphe roi des Romains, et fut ensuite après sa mort, fait roi des Romains. L’armée du pape Boniface ayant détruit le château de Colonna et ensuite Sagarolle, les Colonne se réfugièrent à Préneste. Assiégés de nouveau, la détresse où ils se trouvaient leur ouvrit l’esprit, en sorte qu’aux ides d’octobre ils se rendirent à Rieti, auprès du pape, et implorèrent humblement sa miséricorde plutôt que sa justice. Ils en furent reçus avec bienveillance et miséricorde, mais ne furent plus jamais rétablis dans leur ancien état. Louis, évêque de Toulouse, étant mort, Pamiers devint indépendant de Toulouse, et reçut un évêque particulier.
Feu saint Louis, glorieux roi de France, qui, l’année précédente avait été mis au rang des saints, fut, le lendemain de la fête de saint Barthélémy apôtre, vingt-huit ans après qu’il s’était endormi dans le Seigneur, sous les murs de Carthage, dans le royaume de Tunis, levé de terre avec de grands transports de joie, par Philippe roi de France, et les grands et prélats de tout le royaume, rassemblés à Saint-Denis en France. Les miracles opérés auparavant avaient prouvé quels mérites avait auprès de Dieu le glorieux confesseur du Seigneur, le saint roi Louis. Mais ce miracle fut bien plus particulièrement démontré dans les diverses parties du monde, après que son corps eut été levé de terre ; car il augmenta tellement en vertu pour les guérisons, que personne ne lui demandait avec foi et confiance la santé ou son aide, qu’il ne vît aussitôt l’accomplissement de ses desirs. Le fils de Jean Nuñès, illustre baron d’Espagne, qui peu de temps auparavant était venu en France demander du secours pour Alphonse et Fernand, entouré à son retour par ses ennemis, fut blessé et pris dans un combat, et renfermé dans une prison jusqu’à ce qu’il eût juré sur sa foi de ne plus désormais apporter de secours à Alphonse et à Fernand, ni adhérer davantage à leur parti. Philippe, fils unique de Robert comte d’Artois, mourut, et fut enseveli dans la maison des frères Prêcheurs à Paris. Il laissa deux fils et deux filles, qu’il avait eus de sa femme Blanche, fille de Jean, duc de Bretagne. Une de ses filles fut mariée dans la suite à Louis, comte d’Evreux, frère du roi de France, et l’autre à Gaston, fils de Raimond Bernard, comte de Foix. A la fête de saint André apôtre, il y eut à Rieti, ville d’Italie, où résidaient alors le pape et la cour de Rome, un si grand et si terrible tremblement de terre, que les murs et les maisons menaçant ruine, tous s’enfuirent hors de la ville dans les champs. Vers la fin de janvier, une comète apparut pendant plusieurs jours au crépuscule de la nuit. Robert, comte d’Artois, prit pour troisième femme la fille de Jean de Hainaut.
Robert, duc de Calabre, fils du roi de Sicile, aborda en Sicile avec quelques vaisseaux armés, et s’empara de plusieurs châteaux, dans lesquels il mit aussitôt une garnison de ses gens. Son frère, le fameux Philippe, prince de Tarente, apprenant ces heureux succès, le suivit inconsidérément, et fut pris sur mer avec ses gens par les Siciliens. La paix ayant été conclue à certaines conditions entre Philippe, roi de France, et Edouard, roi d’Angleterre, celui-ci épousa à Cantorbéry Marguerite, sœur dudit roi de France, dont il eut un an après un fils, nommé Thomas. Cassaham, roi des Tartares, appelé aussi le Grand Chien, converti, dit-on, miraculeusement à la foi chrétienne avec une nombreuse multitude de ses sujets, par la fille du roi d’Arménie, chrétienne qu’il avait épousée, rassembla contre les Sarrasins une armée innombrable de laquelle il fit maréchal le roi d’Arménie, Chrétien, et leur livrant d’abord bataille à Alep, et ensuite a Camela, remporta la victoire, mais non sans un grand carnage des siens. Ensuite ayant réparé ses forces, il poursuivit les Sarrasins jusqu’à Damas, où le soudan avait rassemblé une grande armée, et leur livra un combat acharné dans lequel plus de cent mille Sarrasins furent tués. Le soudan échappé du combat se sauva à Babylone avec un petit nombre de gens. Ainsi, par la volonté de Dieu, les Sarrasins furent chassés du royaume de Syrie et de Jérusalem ; cette terre fut soumise à la domination des Tartares, et au temps de Pâques suivant, dit-on, les Chrétiens célébrèrent dans Jérusalem l’office divin avec des transports de joie. Les Colonne, qui attendaient la miséricorde du pape Boniface, voyant qu’ils n’en avaient pas à espérer, s’enfuirent secrètement, et beaucoup de gens ignorèrent dans quels lieux ils se tinrent cachés jusqu’à la, mort du pape.
Albert roi des Romains et Philippe roi de France se réunirent à Vaucouleurs vers l’Avent du Seigneur, et confirmèrent mutuellement l’antique et naturelle alliance des deux royaumes. Il fut, dit-on, convenu, du consentement du roi Albert et des barons et prélats du royaume d’Allemagne, que le royaume de France, qui de ce côté ne s’étendait que jusqu’à la Meuse, porterait désormais jusqu’au Rhin les limites de sa domination. Dans cette même conférence, le roi de France accorda à Henri, comte de Bar, une trêve d’un an seulement. Le terme de la trêve conclue entre le roi de France et le comte de Flandre étant expiré, Charles, comte de Valois, fut envoyé par le roi en Flandre, après la Nativité du Seigneur, avec une grande armée. Douay et Béthune se rendirent aussitôt à lui, et se retirant ensuite à Bruges, il livra dans un port de mer, contre Robert fils du comte de Flandre, un combat opiniâtre. Beaucoup de gens ayant été blessés de part et d’autre, les Flamands s’éloignèrent du champ de bataille, et se retirèrent promptement à Gand.
Ferrie, évêque d’Orléans, fut tué par un chevalier, dont il avait, dit-on, corrompu la fille. Il eut pour successeur maître Bertaud de Saint-Denis, archidiacre de Rheims, qui brillait comme le plus fameux des théologiens de son temps.
Charles, comte de Valois, s’étant emparé de Dam, port de Flandre, et se disposant à assiéger Gand, Gui, comte de Flandre, aperçut alors la folie de sa présomption, l’alla trouver humblement avec ses deux fils Robert et Guillaume, et se rendit à Charles, à certaines conditions, lui, ses fils, et le reste de sa terre. Conduits à Paris auprès du roi de France, ils n’obtinrent pas le pardon qu’ils lui demandaient, mais on les fit garder en divers lieux jusqu’au temps où on jugerait à propos de leur pardonner. Le pape Boniface fit un indult, et accorda pour cette année et pour tous les cent ans une indulgence plénière de tous leurs péchés à tous ceux qui, après s’être confessés et avoir fait pénitence, se rendraient, dans un vœu humble et pieux de pèlerinage, aux basiliques des saints apôtres Pierre et Paul à Rome. Rodolphe duc d’Autriche, fils d’Albert roi des Romains, épousa à Paris Blanche, sœur du roi de France. Roger de Loria, qui avait long-temps combattu pour les Siciliens contre le roi de Sicile et ses gens, absous maintenant par le pape et créé amiral de la flotte du roi de Sicile, battit sur mer vingt galères des Siciliens, dont il tua plus de cinq cents. Thibaut, évéque de Beauvais, principal soutien des pauvres, mourut, et eut pour successeur Simon, évêque de Noyon, qui fut remplacé en l’église de cette ville par Pierre, auquel succéda André.
Charles, comte de Valois, après la mort de sa première femme, épousa en secondes noces Catherine, fille de Philippe, fils de Baudouin, empereur de Grèce, qui avait été renversé du trône, et à laquelle revenait de droit l’Empire. Les Sarrasins de Nocera, ville de Pouille, qui, rassemblés tous en cette ville du temps de l’empereur Frédéric, vivaient tributaires des rois de Sicile, et se gouvernaient d’après leurs lois, furent pris par Charles, roi de Sicile, et tous ceux qui ne voulurent point se faire chrétiens furent mis à mort.
Le soudan de Babylone ayant rassemblé de nouvelles forces, vainquit et chassa du royaume de Jérusalem et de Syrie les Tartares et les Chrétiens ou Arméniens, et soumit ces pays à sa domination 21. Désirant, autant qu’il me sera accordé ou permis d’en-haut, continuer d’une manière abrégée l’utile chronique composée, avec une studieuse application et une grande élégance de style, par notre vénérable confrère Guillaume de Nangis, et qui s’étend depuis le commencement du monde jusqu’à l’an 13oo du Seigneur inclusivement, je me suis appliqué à noter et intituler les règnes et le cours des années du Seigneur d’après le plan et la disposition observés dans l’ouvrage dudit frère. Mais comme les jours des hommes sont peu nombreux et bornés dans leur durée ; que notre vie, fragile, mortelle et misérable, remplie et hérissée de peines, paraissant comme une vapeur pour un court moment, s’évanouit promptement ainsi qu’une fumée, et que son tissu est soudainement tranché ou subitement arrêté par le Seigneur, lorsqu’elle paraissait encore à son commencement et à ses premiers pas, je prie, au nom de la charité, nos frères présens et à venir, de corriger charitablement tout ce que j’aurai pu écrire d’inexact ou de défectueux et lorsque, prévenu par la mort ou retenu par quelque légitime empêchement, je serai forcé d’interrompre mon travail, ils y ajouteront, s’il leur plaît, les événemens dignes de mémoire survenus plus tard et de leur temps. Nous croyons que nous obtiendrons ce bienfait d’une fraternelle société, cette consolation mutuelle d’une véritable amitié, d’après cette sentence de Salomon, qui dit que « si l’un paraît sur le point de tomber il sera soutenu par l’autre, et que s’il tombe, il en sera relevé. »
21. Ici finit le travail de Guillaume de Nangis, ce qui suit est l’ouvrage d’un continuateur. Voyez la Notice.
En ce temps-la brillaient en France d’illustres et honorables veuves, à savoir Blanche, fille de feu saint Louis roi de France, qui s’était consacrée à Dieu dans une société de nonnes à Saint-Marceau, près de Paris, et Marguerite, reine de Sicile, seconde femme de Charles ier, roi de Sicile, remplissant par une pieuse compassion pour les pauvres ses devoirs de soumission et d’humilité dans un hôpital des pauvres, fondé par elle à Tonnerre, en Bourgogne. Louis, comte d’Evreux, frère du roi de France, prit en mariage Marguerite, fille de Philippe, fils de Robert comte d’Artois.
Charles, comte de Valois, frère du roi de France, se rendit à Rome accompagné d’une noble suite dans l’intention, si le pape le lui conseillait, d’attaquer l’empire de Constantinople, qui revenait à sa femme par droit de succession. Honorablement reçu du pape et des cardinaux, et établi par eux vicaire et défenseur de l’Église, il soumit en Toscane beaucoup de leurs ennemis. Philippe, roi de France, alla visiter le comté de Flandre et ayant reçu foi et hommage de la part des citadins et des nobles, confia au chevalier Jacques de Saint Paul la garde de tout son pays. Henri, comte de Bar, voyant que Philippe, roi des Français, se préparait à ravager sa terre à main, armée, se rendit humblement auprès de lui, et obtint enfin le pardon de ses méfaits, après l’avoir sollicité avec de grandes supplications. Au mois de septembre, il apparut vers le crépuscule de la nuit une comète qui lançait principalement vers l’orient ses rayons ou sa queue enflammée. Edouard, roi d’Angleterre, marcha contre l’Ecosse mais n’ayant eu que peu ou point de succès, il s’en retourna chez lui. Le soudan de Babylone ayant rassemblé de nouvelles forces, chassa de Jérusalem et de Syrie les Tartares, les Arméniens et les autres Chrétiens, et soumit la Terre-Sainte à sa domination. Au mois de janvier il y eut une éclipse de lune totale, qui fut grandement effrayante à voir.
Le pape Boniface ayant légitimé les fils de feu Sanche, roi d’Espagne, Fernand l’aîné prit possession du royaume de son père ; mais Alphonse et Fernand son frère, petits-fils de saint Louis par sa fille Blanche, revendiquant les droits qu’ils avaient sur ce royaume, s’opposèrent de toutes leurs forces au fils de Sanche. Le premier évêque de Pamiers, ayant, dit-on, proféré dans la cour du roi de France des paroles outrageuses contre la majesté royale, fut, après avoir été détenu quelque temps au nom de l’archevêque de Narbonne, rendu au pape par un ordre du roi, qui lui enjoignit de sortir du royaume aussi promptement qu’il devait et était obligé de le faire. Le roi Philippe, pour plus grande sûreté de son royaume, défendit par un édit royal, sous peine de certaines punitions, de transporter hors du royaume de France ni or, ni argent, ni marchandises quelconques, et fit à cet effet garder avec de grandes précautions toutes les entrées, sorties et routes du royaume.
Charles, comte de Valois, passa par l’ordre du roi de Toscane en Sicile, et se hâta d’assiéger Terme, château de Sicile, qui se rendit à lui vers l’Ascension du Seigneur. Il s’éleva à Bruges, ville de Flandre, une grave dissension à cause des injustes exactions et de l’inique oppression dont le peuple se vit, dit-on, accablé par les gens du roi de France, et surtout par Jacques de Saint-Paul, à qui était confiée, comme nous l’avons dit plus haut, la garde de ce pays. La révolte n’éclata d’abord que parmi le commun peuple, mais ensuite les grands se soulevèrent aussi, et de part et d’autre il fut répandu beaucoup de sang. Comme à la nouvelle de cette sédition le roi avait aussitôt envoyé environ mille hommes d’armes pour la réprimer sans beaucoup de carnage, s’il se pouvait, voilà qu’aussitôt il parvint aux oreilles des gens de Bruges que ledit gouverneur s’était vanté de faire bientôt pendre un grand nombre d’entre eux. À cette nouvelle, transportés d’une farouche fureur, ils se précipitèrent impétueusement et à l’improviste pendant la nuit sur les gens du roi de France, endormis et sans armes, et tuèrent avec la plus grande cruauté tous ceux qu’ils trouvèrent. Ledit chevalier s’échappa à grand’peine par une fuite secrète. Cependant les gens de Bruges s’étant ainsi jetés dans la rébellion ouverte, aidés par Gui de Namur, fils de Gui, comte de Flandre, et par ses gens, s’emparèrent d’un certain port de mer. Favorisés et soutenus aussitôt par beaucoup d’autres, ils se préparèrent à une vigoureuse défense, et cherchèrent partout des auxiliaires. Voilà que l’illustre Robert, comte d’Artois, envoyé par le roi en Flandre avec une nombreuse multitude de chevaliers forts et vaillans et d’hommes de pied, campa entre Bruges et Courtrai pour livrer bataille aux gens de Bruges. Un jour du mois de juillet, comme les deux partis étaient sur le point d’en venir aux mains dans un combat à jour fixé d’avance, les gens de Bruges, dans un esprit d’énergique résistance, se rassemblèrent en bataillons serrés, et vinrent presque tous à pied et en très-bon ordre. Nos chevaliers ayant en leur force une présomptueuse et excessive confiance ; et regardant leurs ennemis comme de méprisables paysans, forcèrent bientôt les hommes de pied qui marchaient à la tôte de l’armée dé reculer de leur rang, de peur qu’on n’attribuât à ces hommes de pied et non aux chevaliers la victoire qu’ils s’imaginaient devoir remporter aussitôt. Remplis d’orgueil, ils se précipitèrent donc sur les ennemis sans observer de précaution ni aucun ordre de guerre mais les gens de Bruges les attaquant vigoureusement avec des lances d’une excellente qualité, et qu’ils appellent vulgairement gethendar, tuèrent tout ce qui s’opposa à leur impétuosité. Le comte d’Artois, illustre et fameux homme de guerre, se hâta d’accourir au secours des siens pendant qu’il fondait sur les ennemis comme un lion rugissant, et combattait avec acharnement, atteint de plus de trente blessures, comme l’assurèrent ceux qui le virent ensuite, il succomba, ô douleur ! par une lamentable mort, par une mort dont gémit tout le royaume, et que nous ne rapportons qu’avec tristesse. Avec lui périt sa noble suite, à savoir Geoffroi de Brabant, son parent ; le seigneur de Vierzon, fils de ce même Geoffroi ; le comte d’Eu, le comte d’Aumale, le fils du comte de Hainaut ; Raoul, seigneur de Nesle, connétable de France ; Gui, son frère, maréchal de France ; Tancarville, chambellan ; Renaud de Trie, fameux chevalier ; Pierre Flote, Jacques de Saint-Paul ; et à peu près deux c.nts autres chevaliers, ainsi qu’un grand nombre d’hommes d’armes renommés par leur vaillance. La très-grande partie du reste de notre armée, tant nobles que gens du commun, tournèrent honteusement le dos et se mirent à fuir d’une course rapide. Environ trois jours après, le gardien des frères Mineurs d’Arras enleva le corps de Robert, et l’enterra dans une chapelle de moines, non encore consacrée, célébrant comme il put l’office des morts. Une comète apparue dans le mois de septembre précédent, et une éclipse de lune arrivée dans le mois de janvier, présageaient avec véracité, selon l’opinion de quelques-uns, l’approche de cette calamité. Gui de Namur, joyeux de cette victoire, s’efforça de diriger vers de plus hautes entreprises l’esprit des siens, enflammés de l’ambition de s’emparer de toute la Flandre ; peu de temps après, attaquant les gens de Lille, tantôt par la ruse, tantôt par les armes, il les força à se rendre, et soumit aussi ou attira dans son parti les gens d’Ypres, de Gand et d’autres villes de la Flandre. Quinze jours après l’Assomption de la sainte Vierge Marie, Philippe, roi de France, rassembla à Arras une si grande armée qu’il n’eût pas eu grand’peine à détruire toute la Flandre et ses habitans ; mais ayant dressé son camp à environ deux lieues de ladite ville, trompé, dit-on, par les mauvais conseils de quelques personnes, il ne permit pas d’attaquer les ennemis campés non loin de lui ni aucune de leurs villes ; il passa dans l’inaction tout le mois de septembre, et licenciant enfin une si puissante armée, il revint en France sans gloire et sans avoir rien fait ; ce que voyant, les ennemis incendièrent aussitôt les villages et les villes situés près du comté d’Arras ; mais les chevaliers et les serviteurs et hommes d’armes laissés en ce pays par le roi avec les préparatifs de guerre, réprimèrent souvent les entreprises et les excursions fréquentes des Flamands sur la terre d’Arras, et en étant venus aux mains avec eux la veille de la Saint-Nicolas auprès d’Aire, ils en tuèrent environ huit cents dans le combat.
Charles, comte de Valois, ayant appris la mort de ses chers nobles en Flandre, touché des malheurs du roi et du royaume, conclut, par le conseil de ses gens, avec Frédéric et les Siciliens, un traité qui portait que Frédéric épouserait Eléonore, fille du roi de Sicile, et posséderait en paix et tranquillité pendant toute sa vie l’île entière de Sicile, sans porter le nom de roi. Charles et Robert, duc de Calabre, fils du roi de Sicile, qui était présent au traité, devaient faire tous leurs efforts pour engager le roi d’Aragon et le comte de Brienne à céder tranquillement à Frédéric leurs prétentions sur les royaumes de Chypre et de Sardaigne, qu’ils disaient leur appartenir et, avec le consentement du pape, Frédéric devait tâcher de conquérir lesdits royaumes à ses propres frai ; autrement ils devaient sur leurs États lui fournir un équivalent de ceux de Chypre et de Sardaigne. Si la chose ne pouvait se faire sans de grandes difficultés, Charles, roi de Sicile, devait être tenu, après la mort de Frédéric, de donner cent mille onces d’or pour acheter des domaines et des revenus aux enfans qu’il aurait eus d’Eléonore, fille du roi. Frédéric et son frère, roi d’Aragon cédaient alors au roi de Sicile tout ce qu’ils avaient conquis depuis long-temps dans la Pouille ou la Calabre. Toute injure, rancune, offense de part et d’autre, devait être oubliée, et les prisonniers retenus en Sicile ou ailleurs, délivrés sans rançon. La paix ayant été ainsi conclue et le serment prêté sur les saints Évangiles de Dieu, que Frédéric toucha de sa main, comme firent les grands de Sicile et les principaux du peuple, ils confirmèrent leurs promesses. Charles, comte de Valois, fit absoudre les Siciliens par son chapelain à qui le pape avait confié cette mission, et retourna à Rome où, après avoir rapporté au pape et aux cardinaux ce qu’il avait fait en Sicile, il prit congé d’eux vers la Purification de la sainte Vierge, et s’en revint en France.
En ce temps mourut Othelin, comte de Bourgogne, investi récemment par le roi de la seigneurie du comté d’Artois, au titre de sa femme Mathilde, fille du feu comte Robert, sauf les droits cependant que pouvaient avoir et réclamer sur ledit comté les fils de feu Philippe, frère de ladite Mathilde. Les Bordelais, qui jusqu’alors avaient été soumis au pouvoir du roi de France, ayant appris qu’il avait quitté la Flandre sans y avoir rien fait, et craignant, comme l’affirmaient un grand nombre, à moins que les rois de France et d’Angleterre ne fissent la paix, de retomber sous la domination du roi d’Angleterre, et d’en recevoir ensuite un châtiment pareil à celui qu’ils se rappelaient avoir été infligé, il y avait long-temps, à la cité de Londres, expulsèrent les Français de Bordeaux, et usurpèrent pour leur propre compte la souveraineté de la ville. Le jour de la Cène du Seigneur, les troupes du roi de France tuèrent environ quinze mille Flamands à Saint-Omer en Flandre. À la nouvelle de cette défaite, les autres troupes flamandes qui ravageaient la terre de Jean, comte du Hainaut, qu’il tenait en fief du roi de France, et avaient déjà rasé un château très-fortifié appelé Bouchain, conclurent une trêve avec les gens du Hainaut, et revinrent défendre leurs frontières.
A Paris, dans la semaine de Pâques, vinrent vers le roi de France des envoyés des Tartares, qui promirent que, si le roi et les barons envoyaient leurs gens au secours de la Terre-Sainte, leur seigneur le roi des Tartares attaquerait avec toutes ses forces les Sarrasins, et que lui et son peuple embrasseraient très-volontiers la religion chrétienne. A Lille, ville de Flandre, le jeudi d’après l’octave de la Résurrection du Seigneur, deux cents chevaliers et trois cents hommes de pied armés furent pris et tués par les gens de Tournai, sous les ordres de Foucault de Melle, sénéchal du roi de France.
Philippe, roi de France, rendit à Edouard, roi d’Angleterre, la terre de Gascogne qu’il avait prise et longtemps retenue, en sorte que la paix fut rétablie entre eux. Philippe, roi de France, ayant appris par plusieurs hommes de haut rang et dignes de foi, que le pape Boniface était souillé de crimes abominables, et engagé en diverses hérésies, avait jusqu’alors fermé volontiers l’oreille à ces discours ; mais dans un parlement publiquement tenu à Paris, et où assistèrent les prélats, les barons, les chapitrés, les couvens, les colléges, les communautés et les universités des villes de son royaume, ainsi que des maîtres en théologie, des professeurs du droit canon et du droit civil et d’autres sages et importans personnages des divers pays et royaumes, il se vit pressé par les importunes clameurs et lès instances réitérées des dénonciateurs. particulièrement de Louis, comte d’Evreux, de Gui, comte de Saint-Paul, et de Jean, comte de Dreux, qui, prêtant serment sur les saints Évangiles de Dieu, touchés par eux corporellement, affirmaient qu’ils croyaient réelles et pouvaient légitimement prouver lesdites accusations, et priaient instamment le roi, comme principal défenseur de la foi chrétienne, de faire convoquer un concile général pour y délibérer sur lesdites accusations. Alors sa conscience ne lui permettant plus de dissimuler davantage, après une mûre délibération, le roi, appuyé par les barons et prélats, et autres susdits, à l’exception du seul abbé de Cîteaux, fit des appels pour la convocation par le Siège apostolique d’un concile général, supérieur en ce cas au souverain pontife, et fit lire publiquement ses appels le jour de la Nativité de saint Jean-Baptiste, dans le jardin du Palais-Royal à Paris, en présence de tout le clergé et le peuple. Ensuite il le fit savoir au pape Boniface, par des lettres royales que lui porta le chevalier Guillaume de Nogaret, lui demandant la convocation d’un concile, sous la protection duquel il se mettait.
Edouard, roi d’Angleterre, triomphant des Écossais, qui lui faisaient la guerre, soumit à sa domination une grande partie de l’Ecosse. Philippe, fils du comte de Flandre, revint de la Pouille, où il était long-temps resté avec le roi de Sicile, et débarqua en Flandre avec une grande suite de stipendiés. Le peuple de Flandre, joyeux et enorgueilli de son arrivée, commença à faire sur la terre du roi de France de plus violentes incursions. Ayant assiégé le château de Saint-Omer, cette place se trouva si forte qu’ils ne purent l’emporter, et se dirigèrent vers Morin, ville du roi de France, qu’ils assiégèrent au mois de juillet, et finirent par livrer à un désastreux incendie.
Vers le commencement de septembre, Philippe, roi de France, voulant de nouveau prendre les armes contre les Flamands, rassembla un grand nombre de troupes, et fit de grands préparatifs de guerre à Péronne, ville du Vermandois, et dans le voisinage. Mais là, trompé, dit-on, par les malins conseils du comte de Savoie, il conclut avec les ennemis une trêve jusqu’à la fête suivante de Pâques, et quitta de nouveau la Flandre sans y avoir acquis aucune gloire.
Le pape Boniface ayant totalement et expressément refusé ledit appel du roi de France, que lui portait le chevalier Guillaume de Nogaret, envoyé vers lui par le roi pour ce sujet, et la sommation et demande qu’on lui faisait d’un concile général, fit annoncer son refus par des lettres qu’on attacha aux portes des églises. Mais enfin il fut violemment arraché de sa maison à Anagni, où il était né, et retenu prisonnier, avec les communautés et ceux qui le secoururent, par quelques citoyens chevaliers et autres gens de la ville, excités par ledit chevalier, qui, selon l’opinion publique, avait à cet effet armé une multitude de gens. Le chevalier agit ainsi de peur que le pape n’entreprît quelque chose au préjudice du roi et du royaume de France, sans que lesdits appels y pussent mettre d’empêchement. Le pape fut ainsi conduit à Rome ; mais succombant tant au chagrin intérieur de son esprit qu’à une maladie du corps, il termina ses jours. Benoît XI, Italien de nation, de l’ordre des frères Prêcheurs, lui succéda au pontificat. Après la mort de Hugues de la Marche, comte d’Angoulême, son comté fut dévolu à Philippe, roi de France. Ledit Philippe parcourut pendant tout l’hiver les provinces d’Aquitaine, de l’Albigeois et de Toulouse, et attira admirablement à lui et maintint dans son parti par sa bonté et sa munificence les cœurs de tous les nobles et gens de basse naissance, dont quelques-uns, disait-on, excités par de mauvais conseils, voulaient déjà se soulever. Vers le même temps, de très-fortes plaintes furent faites contre quelques frères de l’ordre des frères Prêcheurs envoyés dans le pays de Toulouse par les inquisiteurs de la perversité hérétique, parce que quelquefois, disait-on, poussés plutôt par la cupidité que par le zèle de la foi, ils accusaient et faisaient renfermer dans diverses prisons plusieurs hommes, tant nobles que du commun, et mettaient en liberté, sans leur infliger aucune punition, ceux qui leur donnaient de l’argent ou des présens ; c’est pourquoi il arriva que le vidame de Pecquigni chevalier sage, expérimenté et catholique selon la foi, envoyé dans ce pays en qualité de sénéchal par le roi, aux oreilles duquel étaient déjà parvenues ces plaintes, et qui s’acquittait alors de sa mission, prit, dit-on, de soigneuses informations, et, trouvant dans les prisons quelques gens innocens de la peste hérétique, les délivra malgré les frères. Déclaré ensuite excommunié ouvertement et publiquement à Paris par lesdits inquisiteurs, irrités de ce qu’il avait fait, il en appela aussitôt au Siège apostolique, et, poursuivant enfin son appel, il mourut à Pérouse, où résidait alors la cour de Rome. Vers la Purification de la sainte Vierge, mourut la fille de Gui, comte de Flandre, gardée honorablement à Paris avec les enfans du roi.
Gui, comte de Flandre, et Guillaume son fils, délivrés pour un temps du lieu où ils étaient retenus pour essayer de pacifier le peuple de Flandre, revinrent au lieu où on les gardait sans avoir réussi. Guillaume, fils de Jean comte du Hainaut, et Gui, évêque d’Utrecht, oncle dudit Guillaume, marchant contre les Flamands, qui s’étaient emparés d’une grande partie de la Hollande, furent vaincus dans un combat ; L’évêque fut pris ; mais Guillaume se sauva dans une ville. La veille de la Saint-Grégoire, Renaud, de bonne mémoire, abbé de Saint-Denis, étant mort, Gilles, grand-prieur du cloître, lui succéda.
Guillaume de Hainaut ayant rassemblé de nouvelles forces contre les Flamands, leur livra bataille, les défit plusieurs fois dans la terre de Hollande, et en tua un grand nombre. Une certaine femme, originaire, dit-on, de Metz, feignait la sainteté sous l’habit de béguine…… 22 qu’on appelait pauvreté. On dit que par de fausses et feintes révélations, et par des paroles mensongères, elle trompa le roi de France, la reine et les grands, au moment surtout où le roi se préparait à attaquer les Flamands, chez lesquels elle habitait alors, et qu’elle voulut, d’après les suggestions des Flamands ; faire périr Charles, père du roi, à son retour de Sicile, au moyen de ses maléfices et d’un poison mortel qu’elle lui fit donner par un jeune garçon. Mais prise par l’ordre dudit Charles, on lui brûla la plante des pieds, et on 3a mit à la question en sorte qu’au milieu du supplice, elle avoua ses mensongers maléfices. Renfermée ensuite à Crépy, château de Charles, après être restée quelque temps dans cette prison, elle eut enfin la permission de se retirer en liberté. Jean de Pontoise, abbé de Cîteaux, résigna de lui-même le gouvernement de son couvent et de son ordre : ce fut, dit-on, parce que, n’ayant pas voulu consentir aux appels faits à Paris contre le pape Boniface, il soupçonnait avec assez de vraisemblance que le roi de France ou ses adhérens étaient près de causer alors de grands dommages aux frères de son ordre, s’il ne prenait le parti de se retirer. Henri, abbé de Jouy, lui succéda. Le dimanche de Ja Nativité de saint Jean-Baptiste, on mit des sœurs de l’ordre des frères Prêcheurs à Poissy, monastère du diocèse de Chartres, nouvellement construit par Philippe, roi de France, en l’honneur du glorieux confesseur feu Louis, roi de France.
Une dissension s’étant élevée à Paris entre l’université et le prévôt du roi, parce que celui-ci avait fait saisir et pendre avec précipitation un clerc de l’école, les leçons furent long-temps suspendues dans toutes les facultés jusqu’à ce que, par l’ordre du roi, le prévôt fit réparation à l’université, et se rendît vers le juge apostolique pour obtenir la grâce de son absolution en sorte que vers la fête de la Toussaint, on reprit enfin les leçons. Simon, évêque de Paris, mourut, et eut pour successeur Guillaume d’Aurillac, médecin du roi de France, homme d’une vie louable, et expert dans la médecine. La veille de la fête des apôtres Pierre et Paul, on lut dans l’église cathédrale de Paris, par l’ordre du roi de France, en présence des prélats et du clergé, convoqués à cet effet, une lettre contenant entre autres choses que le pape Benoît, quoiqu’on ne lui eût fait aucune réquisition à ce sujet, déliait entièrement par prudence de l’excommunication et des sentences d’interdiction lancées contre eux par le pape Boniface, le roi, la reine, leurs enfans, leurs grands, leur royaume et tous leurs adhérens, accordait au roi de France, pour l’aider dans sa guerre, les dîmes ecclésiastiques pour deux ans et les annates pour trois ans, et rétablissait le chancelier de Paris dans son pouvoir accoutumé de licencier les docteurs en droit et en théologie, que s’était réservé le pape Boniface. Le pape Benoît mourut à Pérouse, aux nones de juillet. Comme les cardinaux retardaient l’élection d’un pape, renfermés, selon le règlement de Grégoire, ils se procurèrent cependant des vivres par des artifices très-subtils, et différèrent pendant près d’un an l’élection d’un souverain pontife.
Vers la fête de la Madeleine, après la révolte des gens de Bruges, Philippe, roi de France, marcha pour la troisième fois en Flandre avec ses frères Charles et Louis, et beaucoup d’autres grands, à la tête d’une très-forte armée. Ayant enfin rencontré les Flamands à Mons, dit en Puelle, il campa en cet endroit avec son armée. Le mardi après l’Assomption de la sainte Vierge, comme les nôtres, croyant à une prochaine bataille avec les ennemis, s’étaient dès le matin préparés au combat, voyant ensuite cependant que le temps se prolongeait en pourparlers de paix, et qu’on envoyait souvent de part et d’autre des messagers pour tâcher de conclure un accommodement, ils se reposèrent pour se refaire un peu eux et leurs chevaux, afin, lorsque viendrait le moment du combat, de se trouver plus frais et plus forts ; car ils avaient été inutilement accablés du poids de leurs armes pendant tout le jour, et grandement épuisés et abattus par l’ardeur du soleil de midi, et ils croyaient d’ailleurs avec vraisemblance que la paix était faite ou allait bientôt l’être. Ce que voyant, les Flamands, comme le jour baissait déjà, se précipitèrent tout d’un coup hors de leurs tentes, et s’avançant, ils fondirent d’une course rapide sur l’armée du roi, prise alors au dépourvu, sans laisser à aucun chevalier le temps de se faire convenablement armer par les siens. Mais, par le secours de Dieu, qui avait entrepris ce jour-là surtout de défendre l’illustre couronne du royaume de France et de la maintenir sur la tête du roi, le seigneur roi montra un si inébranlable courage que, sautant sur son cheval, il soutint ainsi le choc du combat. Cependant il courut de si grands dangers, qu’il vit tuer devant lui Hugues de Bouillé, chevalier de sa troupe, et deux citoyens de Paris, les frères Pierre et Jacques Genin, qui se tenaient toujours à ses côtés, à cause de leur fidélité et de leur bravoure. Mais alors, par la faveur de Dieu, de toutes parts bientôt ses hommes de guerre accourant à l’envi à son secours, il remporta une glorieuse victoire. Dans ce combat, Guillaume, comte d’Auxerre, et Anselme, seigneur comte de Chevreuse, chevalier fidèle et d’une bravoure éprouvée, qui portait la bannière du roi appelée oriflamme, étouffés, dit-on, par le feu ou par l’excessive chaleur, succombèrent, ainsi qu’un grand nombre des nôtres qui furent tués dans le combat. Mais il périt beaucoup plus de Flamands, et entre autres fut tué Guillaume de Juliers, fils de la fille du comte de Flandre, principal commandant et capitaine de toute l’armée. Après cette victoire, le roi ayant soumis assez promptement à sa domination toute la terre de Flandre aux environs de la Lys, à cause de l’approche de l’hiver, conclut une trêve jusqu’à Pâques avec ceux qui habitent au-delà de cette rivière, et s’en retourna enfin en France avec honneur et gloire. Cependant, afin de ne point montrer d’ingratitude et d’oubli envers Dieu pour la victoire que le Ciel lui avait accordée, il prit soin de donner et assigner de perpétuels et sûrs revenus, avec la munificence qui convient à un roi, à l’église de Sainte-Marie à Paris, et à celle de Saint-Denis en France, patron spécial du royaume, dont protection, comme il l’avouait, l’avait surtout défendu, et auxquels il devait cette victoire. Il usa de la même munificence envers beaucoup d’autres églises de son royaume. Dans le même temps, Gui, fils du comte de Flandre, fut pris dans un combat naval par les gens du roi chargés de la garde des routes et des ports de mer, et par Guillaume, fils du comte de Hainaut. En outre les Flamands furent chassés de la terre de Hollande dont ils s’étaient emparés. Au mois de décembre, les os de feu Robert, comte d’Artois, tué près de Courtrai, furent portés en France, et enterrés dans un couvent de nonnes, appelé vulgairement Maubuisson, près de Pontoise.
Dans un parlement du roi, tenu à Paris après la Nativité du Seigneur, on traita, dit-on, de la paix avec les Flamands ; cependant on ne termina rien à cet égard. Au mois de février mourut Gui, comte de Flandre, retenu prisonnier en France. Par la permission du roi, son corps fut porté en Flandre, et enseveli à Margate avec ses ancêtres. Blanche, duchesse d’Autriche, sœur du roi de France par son père, termina son dernier jour au mois de mars, empoisonnée, dit-on, avec son fils unique, qu’elle avait eu du duc son mari. Dans le même temps, la cherté fut telle, à Paris surtout et aux environs, que le boisseau de froment se vendait alors à Paris cent sous, et à la fin six livres. Le roi ayant fait proclamer publiquement un édit qui défendait de le vendre plus de quarante sous, la cherté n’en diminua pas pour cela ; elle augmenta au contraire, au point qu’à Paris les boulangers, qui ne pouvaient avoir assez de pain à vendre, furent forcés de fermer leurs fenêtres et leurs portes, de peur qu’il ne leur fût enlevé de force par la foule du commun du peuple. Cependant l’édit ayant ensuite été révoqué, les greniers des riches ayant été fouillés, et les propriétaires forcés de vendre au juste prix, cette cherté commença à diminuer, et cessa ensuite tout-à-fait, quoiqu’elle eût été fort augmentée par les calamités des temps qui précédaient.
Jeanne, reine de France et de Navarre, comtesse de Brie et de Champagne, mourut au mois d’avril à Vincennes, et fut enterrée dans l’église des frères Minimes où elle repose ; ce qu’elle voulut par admonition, ou parce qu’elle y fut poussée plutôt que de son propre mouvement. Frère Jean de Paris, de l’ordre des frères Prêcheurs, docteur en théologie, homme très-lettré et d’un esprit éminent, s’efforça d’introduire un nouveau mode de foi relativement à la véritable existence du corps du Christ dans le sacrement de l’autel, disant que la chose était possible, non seulement par la commutation de la substance du pain dans le corps du Christ, supposé présent en son corps qui est en lui la portion d’humanité, mais que cela se pouvait faire aussi par l’adoption de la substance du pain ou panification du Christ ; et il ne croyait pas que le premier mode, tel que le tient l’opinion commune des docteurs, fût un article de foi assez nécessaire et déterminé par l’Église, pour que le second ne pût être adopté par les peuples ; peut-être même, disait ce docteur, cette opinion-ci était-elle plus raisonnable et plus conforme à la réalité du sacrement, en ce qu’elle expliquait mieux les apparences conservées dans les espèces sensibles. D’autres docteurs en théologie soutenaient au contraire que le premier mode de croyance avait été décrété par l’Église comme nécessaire, particulièrement dans la décrétale du pape concernant la suprême Trinité et la foi catbolique, et commençant par ces mots : Firmiter credimus, et que par conséquent l’autre devait être réprouvée comme opposée à la vérité de la foi du sacrement. Cette opinion ayant été soumise à l’examen, comme Jean ne voulut pas la rétracter, mais parut au contraire la soutenir avec plus d’opiniâtreté……. il fut suspendu de ses leçons et prédications par Guillaume, évêque de Paris, d’après les conseils de frère Gilles, archevêque de Bourges, parfait théologien de maître Bertrand de Saint-Denis, docteur d’un mérite éminent de Guillaume, évêque d’Amiens, et des docteurs en droit canon, ainsi que des seigneurs appelés à cet effet ; et un silence perpétuel lui fut imposé à ce sujet, sous peine d’excommunication. En ayant appelé au Siège apostolique, il lui fut donné des auditeurs en cour de Rome ; mais il fut enlevé au monde avant d’avoir terminé son affaire.
22. Il y a ici plusieurs lacunes qui rendent la phrase inintelligible.
Philippe, roi de France, pacifia et apaisa, dit-on, vers l’Ascension du Seigneur, une grande dissension élevée entre le duc de Brabant et le comte de Luxembourg, au sujet de la terre de Louvain. Les cardinaux, après avoir différé pendant près d’un an l’élection d’un souverain pontife, élurent enfin, la veille delà Pentecôte, Bertrand, archevêque de Bordeaux, qui fut le deux cent unième pape sous le nom de Clément V. Paix entre le roi de France et les Flamands, il s’éleva à Beauvais, ville de France, entre l’évêque Simon et le peuple de la ville, une si violente dissension, que l’évêque ne pouvait plus entrer en sûreté dans la ville ; c’est pourquoi étant de noble race, il appela à son aide plusieurs nobles et hommes puissans, prit quelques citoyens, et mit le feu au faubourg de la ville. Mais enfin, appelés en présence du roi, les deux partis furent forcés de mettre fin à leurs dissensions, et ne se retirèrent pas impunis, car ils avaient des deux côtés commis de graves excès ; il y eut en France au temps de l’été une très-grande sécheresse. Le jeudi après la fête de saint Matthieu l’apôtre, Louis, fils aîné du roi des Français, prit en mariage, avec une dispense du pape, Marguerite, fille aînée du duc de Bourgogne, son alliée par le sang.
Le dimanche après la Saint-Martin d’hiver, le pape Clément fut consacré à Lyon dans l’église du château royal, appelée l’église de Saint Just, en présence des cardinaux et prélats, et d’une foule de grands, et il revint à sa maison dans la villes portant, selon la coutume, les insignes de son couronnement. Pendant qu’il traversait la cour de ce château, le roi de France le conduisit avec grand honneur, marchant à pied près de lui, par une pieuse humilité, et tenant la bride de son cheval. À la sortie de la cour, Clément fut reçu par Charles et Louis, frères du roi, et par Jean, duc de Bretagne, et conduit de la même manière jusqu’à sa maison. Cependant une si innombrable multitude de peuple étant accourue et s’étant amassée à ce spectacle, un mur, près duquel passaient le pape et sa suite, ébranlé par le poids de la foule qu’il portait, s’écroula avec fracas et si soudainement que le duc de Bretagne en fut atteint, comme sa mort le prouva bientôt, et que Charles, frère du roi, fut grièvement blessé. Le pape eut sa mitre pontificale brisée ainsi que beaucoup d’autres ornemens, et un grand nombre d’autres furent tués ou blessés dangereusement. Ainsi ce jour qui, au premier aspect, n’annonçait que magnificence, joie et transports, amena la confusion de la douleur et des lamentations. Avant que le roi de France ne quittât Lyon, le pape Clément lui donna la permission de faire transporter du monastère de Saint-Denis en sa chapelle à Paris la tête et une des côtes de saint Louis, son aïeul, et à sa prière il rétablit dans leur première dignité les frères Pierre et Jacques Colonne, dégradés depuis longtemps par le pape Boniface du rang de cardinaux. En outre, pour dédommagement des dépenses faites en Flandre, il accorda au roi pour trois ans la dîme des églises et des annates, et investit d’avance ses chapelains et clercs, et ceux de ses frères, des premières prébendes qui viendraient à vaquer dans presque toutes les églises de son royaume. Il engagea, dit-on, le roi à améliorer une petite monnaie qu’il avait faite, et à payer promptement ses dettes. Le pape Clément créa dix-huit cardinaux de plus, et en envoya deux à Rome pour lui conserver la dignité de sénateur. Il nomma deux évêques, un à Arras, et un autre à Poitiers. Il accorda à l’évêque de Durham le patriarcat de Jérusalem, fit beaucoup de dons aux pauvres clercs, et les pourvut de bénéfices selon leurs besoins et leurs mérites personnels.
Après la Nativité du Seigneur, le roi Philippe revint de Lyon en France. Vers la Purification de la sainte Vierge, le pape Clément, quittant Lyon, se retira à Bordeaux, et, dans son passage par Mâcon, Brioude, Bourges et Limoges, ravagea lui-même ou par ses satellites les églises et les monastères des religieux ou séculiers, et leur causa de nombreux et graves dommages, car il arriva que frère Gilles, archevêque de Bourges, fut réduit par ces pillages à une telle indigence qu’il fut forcé, comme un de ses simples chanoines, de fréquenter les heures ecclésiastiques pour recevoir les distributions quotidiennes des choses nécessaires à la vie. Le duc de Bourgogne Robert, d’heureuse mémoire, mourut au mois de mars ; son corps fut porté en Bourgogne, comme il l’avait ordonne de son vivant, et enterré dans le monastère de Cîteaux.
Edouard, fils d’Edouard roi d’Angleterre, ayant marché avec un grand nombre d’hommes d’armes contre les Ecossais, qui avaient mis à leur tête Robert Bruce, fut défait ; beaucoup des siens périrent dans le combat, et lui-même, blessé, ne dut son salut qu’à la fuite. Le mardi après l’Ascension du Seigneur, Philippe, roi de France, fit porter à Paris, au milieu des vifs transports de joie du peuple et du clergé, la tête de saint Louis, moins le menton et la mâchoire inférieure, et une de ses côtes. Il laissa ladite côte à l’église cathédrale de Sainte-Marie, et fit placer avec honneur et dévotion la glorieuse tête dans la chapelle du palais royal, que le très-saint roi avait lui-même fait construire. Il ordonna et établit que ce jour serait à jamais fêté tous les ans dans le diocèse de Paris. Il y eut au printemps et en été une excessive sécheresse. Le jour de la sainte Trinité, mourut Pierre de Mornay, évêque d’Auxerre, auquel succéda maître Pierre de Belleperche, très-fameux en droit. Le roi Philippe voulut tout-à-coup rendre plus forte une faible monnaie qu’il avait fait frapper, et qui avait cours dans le royaume depuis environ onze ans, surtout parce qu’elle avait peu à peu tellement diminué qu’au contraire…….23 le petit florin de Florence valait trente-six sous parisis de cette monnaie courante. Vers la fête de saint Jean-Baptiste, il fit proclamer publiquement par le royaume un édit du palais, pour qu’à compter de la fête suivante de la sainte Vierge toutes les recettes de revenus et remboursemens de dettes se fissent désormais au prix de la monnaie forte qui avait cours du temps de saint Louis, ce qui jeta un grand trouble parmi le peuple.
Vers le même temps, le roi de France accueillit favorablement la requête des archevêques de Rheims, de Sens, de Rouen et de Tours, qui avaient éprouvé et souffraient encore, ainsi que leurs suffragans et les peuples soumis à leur autorité, un grand nombre de maux de la part du pape, de quelques-uns de ses cardinaux, ou de leurs satellites et gens, et il s’appliqua à les secourir en partie, s’il ne le put faire tout-à-fait, Au mois d’août, le roi Philippe fit chasser entièrerement du royaume de France tous les Juifs, et leur ordonna sous peine de mort d’en sortir à un jour fixé. Il y eut au temps d’hiver une grande inondation des eaux des rivières ; et les eaux, avant de décroître, gelèrent si fortement, qu’elles ocasionnèrent ensuite beaucoup de dommages dans plusieurs endroits ; le choc et l’entraînement rapide des glaçons après leur débâcle renversèrent des maisons, des ponts et beaucoup de moulins. A Paris, sur le port de la Grève, un grand nombre de barques chargées de diverses marchandises furent brisées et détruites avec tous ceux qui étaient dedans.
A l’occasion du changement de l’élévation du cours de la monnaie, et surtout à cause des loyers des maisons, il s’éleva à Paris une funeste sédition. Les habitans de cette ville s’efforçaient de louer leurs maisons et de recevoir le prix de leur location en forte monnaie, selon l’ordonnance royale la multitude du commun peuple trouvait très-onéreux qu’on eût triplé par là le prix accoutumé. Enfin quelques hommes du peuple s’étant réunis avec beaucoup d’autres contre le roi et contre les bourgeois, marchèrent en grande hâte vers la maison du Temple à Paris, où ils savaient qu’était le roi ; mais n’ayant pu arriver jusqu’à lui, ils s’emparèrent aussitôt, autant qu’ils le purent, des entrées et issues de la maison du Temple pour qu’on n’apportât pas de nourriture au roi. Ayant appris ensuite qu’Etienne Barbette, riche et puissant citoyen de Paris, directeur de la monnaie et des chemins de la ville, avait été le principal conseiller de l’ordonnance, au sujet du loyer des maisons et……. transportés contre lui d’une rage cruelle, ils coururent d’abord avec une fureur unanime dévaster une maison remplie de richesses qu’il avait hors des portes de la ville, dans le faubourg, près de Saint-Martin-des-Champs. Le roi, l’ayant appris, ne put souffrir davantage que de tels outrages commis envers lui et ledit citoyen demeurassent impunis, et ordonna de livrer sur-le-champ à la mort tous ceux qu’on trouverait les auteurs ou excitateurs de ces crimes. Plusieurs des plus coupables furent par son ordre pendus hors les portes de la ville, aux arbres les plus voisins ou, à des gibets nouvellement construits à cet effet, et surtout aux portes les plus grandes et les plus remarquables, afin que leur supplice effrayât les autres et réprimât leur révolte. Philippe, second fils de Philippe roi de France, épousa à Corbeil, au mois de janvier, Jeanne, fille aînée. de feu Eudes comte de Bourgogne, et de la fille de Robert comte d’Artois, Vers le mois de mars, le pape Clément, et les cardinaux allèrent……. où ils résidèrent environ six mois.
Alors parut un certain imposteur, nomme Dulcin, qui prétendait par des formes débonnaires se donner une apparence de sainteté, et n’en était pas moins un détestable hérétique. Cet hérétique frère Diulcin fut pris sur une montagne à Verceil où il croyait avoir trouvé un refuge assuré, par l’évêque de la ville et d’autres fidèles, et renfermé pour être puni par le jugement du pape. Environ deux cents de ses complices furent tués en cette occasion. Il soutenait entre autres erreurs hérétiques que, de même qu’au temps de la loi de nature ou loi mosaïque la religion et la justice régnaient par le Père, dont elles sont l’essence 24, et que le Fils avait régné par la sapience depuis le temps de l’arrivée du Christ jusqu’à l’arrivée du Saint-Esprit le jour de la Pentecôte, de même, depuis son arrivée jusqu’à la fin du monde, le Saint-Esprit qui est amour, devait régner par la clémence. Ainsi la première loi avait été une loi de religion et de justice, la seconde une loi de sapience, et la troisième, qui est la loi actuelle, devait être une loi d’amour, de clémence et de charité ; en sorte que tout ce qui était demandé au nom de la charité, même l’acte de la fornication charnelle, pouvait être accordé sans péché, et que, bien plus, il n’était pas permis de le refuser sans pécher ce qui parait une abominable hérésie à tout catholique ou fidèle. Ces erreurs furent dans le temps de Philippe, en 1312, renouvelées par Amaury de Lèves, près de Montfort, mentionné dans la décrétale Damnamus. Edouard, roi d’Angleterre, prince habile et rusé, et heureux dans les combats, mourut dans un âge avancé, la trente-cinquième année de son règne. Il eut pour successeur au trône d’Angleterre et à la domination de l’Irlande Edouard son fils, qu’il avait eu de la comtesse de Ponthieu. Il laissait trois autres fils, dont l’aîné, Thibaut, eut en possession le comté de Cornouailles. Il les avait eus de Marguerite, sa femme, sœur du roi de France, qui survécut à Edouard.
23. II y a ici une lacune
24. II a été nécessaire ici de suppléer la phrase du texte, que des mots évidemment omis rendaient inintelligible.
Vers la Pentecôte, le roi de France Philippe se rendit à Poitiers pour avoir une entrevue avec le pape. Il y fut, dit-on, délibéré et statué par lui et les cardinaux sur plusieurs affaires importantes, et notamment sur l’emprisonnement des Templiers, comme le fera voir l’événement qui suivit. Alors le pape manda expressément aux grands-maîtres de l’Hôpital et du Temple, qui étaient dans le pays d’outre-mer, de laisser tout pour venir à Poitiers, dans un espace de temps fixé comparaître en personne devant lui. Le grand-maître du Temple obéit sans délai à cet ordre ; mais le grand-maître de l’Hôpital, arrêté dans son chemin à Rhodes par les Sarrasins qui s’étaient emparés de cette île, ne put venir à l’époque fixée, et s’excusa légitimement par des envoyés. Enfin, au bout de quelques mois, ayant recouvré et reconquis cette île à main armée, il se hâta de se rendre auprès du pape à Poitiers. Bernard de Saint- Denis, fameux docteur en théologie, évêque d’Orléans, mourut, et eut pour successeur maître Raoul, doyen de l’église de ladite ville, et savant en droit. Louis, roi de Navarre, fils aîné du roi de France, ayant appris qu’un certain chevalier, nommé Fortune, à qui il avait confié la garde et le gouvernement de son royaume, s’efforçait par d’astucieux artifices de s’en emparer, et avait beaucoup de complices et adhérens nobles et puissans, notamment le comte de Boulogne, et Gautier de Châtillon, connétable de France, puissant par le nombre de gens qu’il avait à sa suite, partit au mois de juillet pour la Navarre, et, soumettant à main armée ledit Fortune et ses complices, parcourut et pacifia son royaume, et se fit couronner roi dans la ville de Pampelune.
Pierre de Belleperche, évêque d’Auxerre, mourut et eut pour successeur Pierre de Gressey, chantre de Paris et chancelier du roi de Navarre. Le jeudi après la fête de saint Denis martyr, Catherine, héritière de l’empire de Constantinople, seconde femme de Charles frère du roi, qui était morte le lundi précédent, dans le village de Saint-Ouen, reçut la sépulture ecclésiastique chez les frères Prêcheurs de Paris, en présence du roi, des grands, des prélats de France, et du grand-maître du Temple, venu d’outre-mer, qui porta son corps avec d’autres vers le lieu de la sépulture.
Le vendredi après la fête de saint Denis, le 13 octobre, vers le point du jour, tous les Templiers qu’on trouva dans le royaume de France furent tout-à-coup, et en un seul moment, saisis et renfermés dans différentes prisons, d’après un ordre et décret du roi. Parmi eux fut pris, dans la maison du Temple à Paris, et retenu prisonnier le grand-maître de l’ordre. Depuis long-temps déjà le bruit était parvenu aux oreilles du roi, par le témoignage et le rapport de plusieurs, dont quelques-uns avaient auparavant professé l’ordre des Templiers, que cet ordre et ceux qui le professaient étaient souillés et infectés d’abominables crimes, ce qui pouvait être légitimement prouvé, même quand ils l’eussent nié. D’abord, chose abominable à raconter, dans leur profession, qu’ils faisaient par précaution dans le silence de la nuit, sur l’ordre du maître (chose infâme à nommer), ils le baisaient aux parties postérieures. En outre, ils crachaient sur l’image du crucifix, la foulaient aux pieds, et, comme des idolâtres, adoraient en secret une tête avec la plus grande vénération. Leurs prêtres, lorsqu’ils devaient célébrer la messe, ne proféraient aucunement les paroles de consécration, et quoiqu’ils fissent voeu de s’abstenir de femmes, il leur était permis cependant d’avoir commerce entre eux à la manière des sodomites. Le roi de France, le dimanche suivant, dans…….25 du palais royal, fit proclamer ouvertement et publiquement, en présence du clergé et du peuple, tous ces crimes dont on les soupçonnait violemment. Ces crimes, qui paraissent incroyables, à cause de l’horreur qu’ils impriment dans le coeur des fidèles, cependant le grand-maître de l’ordre, conduit au Temple en présence des docteurs de l’Université, les avoua, dit-on, expressément dans la semaine suivante, si ce n’est qu’il assura ne s’être aucunement souillé de la dépravation sodomique, et n’avait pas, dans sa profession de foi, craché sur l’image du crucifix, mais par terre, à côté. On assure qu’il fit savoir à tous ses frères, par un écrit de sa main, que le repentir l’avait conduit à cette confession, et qu’il les exhortait à en faire autant. Il arriva que quelques-uns avouèrent d’eux-mêmes en pleurant une grande partie ou la totalité de ces crimes. Les uns conduits, à ce qu’il parut, par le repentir, les autres mis a la question par différens supplices, ou effrayés par les menaces ou l’aspect des tourmens, d’autres entraînés ou attirés par des promesses engageantes, d’autres enfin tourmentés et forcés par la disette qui les pressait dans leur prison, ou contraints de beaucoup d’autres manières, avouèrent la vérité des accusations. Mais un grand nombre nièrent absolument tout, et plusieurs, qui avaient d’abord avoué, nièrent ensuite, et persistèrent jusqu’à la fin dans leurs dénégations ; quelques-uns d’entre eux périrent au milieu des tortures.
Le roi fit renfermer à Corbeil le grand-maître de l’ordre, et fit retenir les autres à Paris et dans diffé- rentes prisons, jusqu’à ce qu’il eût délibéré, avec le Siège apostolique et les prélats, de quelle manière il devait agir en cette affaire contre l’ordre et les personnes des Templiers, pour procéder selon Dieu et la justice. Il fit saisir partout leurs biens, et les fit retenir en son pouvoir par des gens sûrs, qu’il envoya pour en prendre possession et les garder.
Un certain Juif nommé Prote, converti à la foi catholique, déclara devant l’inquisiteur de la perversité hérétique, que, par les exhortations de son frère nommé Monsset, il était revenu au judaïsme, que d’abord on l’avait baigné dans de l’eau chaude, et ensuite circoncis selon la coutume des Juifs dans ces circonstances. Quelque temps après, examiné et interrogé définitivement sur cette déclaration, il dit qu’il avaitt menti surtout, et qu’il n’avait fait ce mensonge qu’en haine de son frère qui ne voulait point lui payer ce qu’il lui devait. Comme on ne savait à quel parti s’arrêter, d’après le conseil des doctes et par le consentement de l’évêque, il fut réglé qu’on s’en tiendrait à la première confession plutôt qu’à la seconde, et qu’il devait être puni comme relaps par un emprisonnement perpétuel ; ce qui fut exécuté. Mais ensuite il reconnut, devant ledit inquisiteur, qu’il avait dit dans la prison qu’il n’était pas chrétien, mais juif et appelé Samuel, et que les Chrétiens mangent leur Dieu, priant avec instance que, s’il venait à mourir, on fit de lui comme d’un Juif. C’est pourquoi, par le commun conseil des doctes, il fut jugé qu’il serait aussitôt, sans autre forme de procès, livré au bras séculier.
Vers le même temps un autre homme nommé Jean, converti à la foi catholique, avoua devant le susdit inquisiteur qu’il avait dit ouvertement et publiquement devant le Châtelet, à Paris, qu’il n’était pas chrétien, mais juif, nommé Mulot, et qu’il voulait purger par le feu le péché qu’il avait commis par l’eau en recevant le baptême. Ensuite cependant, comme il montra un vif repentir pour ce qu’il avait fait, et supplia qu’on le traitât à ce sujet avec une miséricordieuse indulgence, disant que c’était une mélancolie et une légèreté de tête qui l’avaient poussé à de telles choses, par le conseil des doctes, on lui imposa une salutaire pénitence.
Au mois de janvier Edouard, roi d’Angleterre, prit en mariage à Boulogne-sur-Mer, en présence du roi de France, de ses fils et des grands de son royaume, la fille unique dudit roi de France Philippe, nommée Isabelle, âgée d’environ douze ans. Accompagnée en Angleterre par les grands du royaume, elle y fut couronnée reine avec tous les honneurs convenables. Edouard, fils du comte de Savoie, prit en mariage la sœur de la reine de Navarre, seconde femme du duc de Bourgogne.
Charles, troisième fils du roi de France, prit en mariage Blanche, seconde fille de feu Othelin, duc de Bourgogne. L’illustre et honorable dame et honnête princesse Marguerite, reine de Sicile, veuve de Charles Ier roi de Sicile et frère de suint Louis, passa, ainsi qu’on le croit, pieusement vers le Christ. Jean de Namur, fils de Gui comte de Flandre, prit en mariage la fille de Robert, comte de Clermont.
Le roi de France Philippe, sur le point de se rendre, pour l’affaire des Templiers, principalement, à Poitiers, où résidait encore le pape et la cour ecclésiastique, convoqua à cet effet à Pâques, dans la ville de Tours, un grand nombre de gens de presque toutes les villes ou châteaux du royaume, et mena avec lui à Poitiers une nombreuse troupe de nobles et d’hommes du commun. Après que le roi et le pape eurent traité de différentes affaires, par l’ordre du pape on amena le grand-maître de l’ordre des Templiers avec quelques-uns qu’il avait faits les premiers de son ordre à cause de la supériorité de leur rang et de leur mérite. Il fut délibéré en leur présence et réglé d’un commun accord que le roi, à compter de ce moment et désormais, garderait au nom de l’Église et en la main du Siège apostolique tous les frères de cet ordre, dans quelques prisons qu’ils eussent été renfermés, et ne procéderait pas à leur procès, jugement ou punition, sans un ordre et commandement du Siège apostolique, et que le roi leur fournirait de la manière convenable les choses nécessaires à la vie sur leurs biens, dont l’administration ou la garde lui serait laissée, sous la charge de les administrer fidèlement jusqu’au concile général qui devait être célébré bientôt après.
Le pape Clément étant à Poitiers ordonna le Ier octobre, par le conseil des cardinaux, qu’un concile général serait tenu à Vienne, deux ans après, le Ier du même mois d’octobre, pour procurer des secours à la Terre-Sainte, pour la réformation de l’état de l’Église universelle, et surtout pour l’affaire qui s’était élevée au sujet de l’ordre et des frères du Temple, dont le pape déclara, en présence du roi et des cardinaux, que soixante environ avaient reconnu la vérité des accusations dont on les chargeait. Le pape manda donc partout par ses lettres aux archevêques et évêques, et surtout à ceux du royaume de France, et ordonna aux inquisiteurs de la perversité hérétique qu’Ils s’appliquassent soigneusement à l’affaire des Templiers, et qu’autant qu’ils en pourraient prendre ils se hâtassent de les juger d’après leurs mérites, et de conduire par le conseil des doctes leur affaire à bonne fin. Le grand-maître et un petit nombre d’autres des principaux de cet ordre furent pour un temps et par une sentence positive du Siège apostolique, réservés à l’excommunication ou au supplice.
Vers le même temps vinrent en France quelques hommes de Flandre, d’un extérieur simple, mais imposteurs, comme l’événement le prouva. Par l’effet de leurs astucieux artifices, il se répandit aussitôt parmi le peuplé le bruit frivole, mais général,que le seigneur Geoffroi de Brabant, comte d’Eu, Jean de Brabant, son fils, le seigneur de Vierzon, et un grand nombre d’autres tués depuis long-temps à la bataille de Courtrai avec Robert, comte d’Artois, s’étaient comme par miracle échappés vivans, et, à cause du bienfait de leur délivrance, avaient entrepris et juré entre eux de mendier par le royaume de France sous l’humble habit de pauvreté, et de se tenir cachés au milieu des leurs pendant sept ans, et qu’au bout de ce terme ils devaient paraître ensemble le même jour en un certain lieu, à savoir à Boulogne-sur-Mer, et révéler publiquement qui ils étaient. Il arriva qu’à quelques légers signes observés sur les Flamands, plusieurs gens des deux sexes les accueillirent avec empressement et s’infatuèrent d’eux, en sorte que les prenant pour lesdit seigneurs, ils les reçurent avec honneur, tandis que les imposteurs, parlant à peine et rarement, affirmaient, par un artifice sûr de son effet, qu’ils n’étaient pas ceux dont on rapportait communément ces bruits frivoles. Quelques nobles matrones admirent plusieurs d’entre eux en qualité d’époux à la couche conjugale, ce qui leur attira ensuite des moqueries de la part des autres, surtout à la principale d’entre elles.
Charles, comte de Valois, prit en troisièmes noces la fille de Gui comte de Saint-Paul. Robert, fils de Philippe d’Artois, prit pour femme Blanche, une des filles du feu duc de Bourgogne. La même année Gui, fils aîné du feu comte de Blois, prit en mariage la fille de Charles de Valois et de sa femme Catherine, d’un âge encore tendre. Le samedi après l’Ascension du Seigneur, vers le soir, il y eut dans le diocèse de Paris un terrible orage dans lequel il tomba une neige abondante et très-dangereuse, dont la violence était augmentée tant par de grandes et grosses pierres qui tombèrent en même temps, que par le souffle du vent. Les moissons périrent avec les grains, et les vignes avec les grappes ; plusieurs arbres furent arrachés de leurs racines, et la force du vent fit tomber ce jour-là une cloche de l’église paroissiale de Chevreuse. Après les chaleurs de l’été, le pape et tous les cardinaux, rompant les réunions de la cour ecclésiastique, quittèrent pour un temps la ville de Poitiers. Le pape se rendit, vers sa terre natale, ne gardant avec lui qu’un petit nombre de cardinaux, et y résida ensuite, dit-on, après avoir donné congé pour un temps aux autres cardinaux, et les avoir laissés aller chacun de son côté : Guichard, évêque de Troyes, était grandement soupçonné d’avoir fait périr, par sortiléges ou poisons, feu Jeanne, reine de France et de Navarre ; c’est pourquoi, après la déposition sur ce sujet de quelques faux témoins, comme il fut prouvé dans la suite, quoique long-temps après, il fut pris et renfermé sous une étroite garde, le souverain pontife y ayant consenti, surtout lorsque la déposition des témoins fut parvenue à sa connaissance. Une dissension s’étant élevée entre les nobles et puissans jeunes hommes Everard de Saint-Veran et Oudard de Montaigu, bourguignon de nation, beaucoup de nobles des deux partis se rassemblèrent le jour de la fête de saint Denis, dans le comté de Nevers, pour combattre comme on était convenu mutuellement, à savoir du parti dudit Everard, Dreux de Meulant, comte de Sancerre ; le seigneur Milon de Noiries, et beaucoup d’autres : du parti dudit Oudard, Dauphin, seigneur, d’Auvergne ; Beraud de Marcueil, fils du comte de Boulogne ; trois frères appellés communément de Vienne, et beaucoup d’autres. Il se livra, bientôt entre eux un combat fort animé. Everard remporta une victoire éclatante ; Beraud de Marcueil et beaucoup d’autres du parti d’Oudard furent pris. C’est pourquoi Oudard se rendit au comte de Sancerre ; ensuite cependant le roi de France fit prendre et renfermer dans différentes prisons ledit Everard et plusieurs autres. Albert, roi des Romains, fut tué, dit-on, par le fils de sa soeur. Henri, comte de Luxembourg, chevalier valeureux, sage et fidèle, lui succéda au trône.
Vers la Purification de la sainte Vierge, mourut et fut ensevelie à Paris, la fille de Robert comte de Clermont, femme de Jean de Namur. Un an après, Jean épousa la fille de la dame Blanche de Bretagne. On publia dans le royaume de France une indulgence plénière accordée l’année précédente par le pape Clément, pendant son séjour à Poitiers, à ceux qui s’embarqueraient ou fourniraient de l’argent pour secourir la Terre -Sainte, et dont il avait confié la recette et l’emploi au grand-maître de l’Hôpital. II arriva que dans l’église de Sainte-Marie à Paris et dans presque toutes les autres églises du royaume, on établit des trésors pour mettre l’argent que la dévotion du peuple y porta tant que dura l’indulgence, c’est-à-dire pendant cinq ans. Au commencement de la publication surtout, on dit qu’un grand nombre y mirent beaucoup d’argent.
Un nommé Etienne de Verberie, du diocèse de Soissons, accusé devant l’inquisiteur de la perversité hérétique d’avoir proféré des paroles blasphématoires, surtout au sujet du corps de Jésus-Christ, avoua qu’il les avait dites, mais qu’alors il ne jouissait pas de sa raison parce qu’il avait trop bu dans une taverne, et qu’il ne les avait pas proférées pour outrager ni mépriser le Créateur, mais sans songer à ce qu’il faisait. Il assura qu’il se repentait, et demanda qu’on le traitât avec une miséricordieuse indulgence, ce que l’on fit aussi, d’après le conseil dès doctes, lui ordonnant cependant auparavant une salutaire pénitence.
Vers la fête de la Pentecôte, le fils du roi des Aragonais, ayant livré bataille au roi sarrasin de Grenade, tua un grand nombre de Sarrasins, et remporta une glorieuse victoire. Au mois de juin, Henri, récemment élu sans contestation roi des Romains, envoya à Avignon une députation et ambassade solennelle, avec le décret de son élection, pour recevoir du souverain pontife la bénédiction, la consécration et la couronne impériale, et les faveurs et grâces accoutumées de l’Église romaine. Le pape satisfit pleinement à tous ses vœux et demandes, et, après avoir tenu conseil à ce sujet, approuva solennellement, vers la fin du mois de juillet, son élection à la dignité impériale. Il lui permit de se faire consacrer et de recevoir la couronne de l’Empire dans la basilique des princes apôtres de la ville. Il lui permit de proroger le terme du concile général qui devait avoir lieu, jusqu’à la fête de la Purification de la sainte Vierge à deux ans de là, à compter du jour de la Purification prochaine, sauf ce que ledit souverain pontife pourrait, sans accusation d’inconstance, décider autrement sur le moment et la manière de la convocation dudit concile, selon qu’il le jugerait avantageux à la circonstance.
Le pape Clément fit publier dans son palais d’Avignon une annonce portant que tous et chacun de ceux qui, suffisamment instruits d’une manière quelconque de quelques faits relatifs à l’affaire de la dénonciation, accusation, et de l’appel contre le pape
25. Il y a ici une lacune.
été retenus par la bonté du roi de France et de sa fille, reine d’Angleterre, qui s’était montrée gracieuse et aimable envers les barons. Les frères Hospitaliers passèrent, dit-on, avec une grande multitude de peuple chrétien, dans l’île de Rhodes, d’où les fidèles avaient été chassés par les Sarrasins, et s’y conduisirent d’une manière digne d’éloges. Boniface, voudraient témoigner pour ou contre lui, eussent à se présenter devant le pape, s’ils croyaient leur déposition utile, dans l’espace du dimanche où se chante Oculi ; qu’autrement ils ne seraient plus aucunement admis pour cette affaire, et que même après ce terme on n’écouterait aucun rapport, et on imposerait un éternel silence à ce sujet. Parmi ceux que regardait cette annonce, était particulièrement et expressément rangé le chevalier Guillaume de Nogaret, qui, dit-on, fut assigné et appelé à comparaître personnellement au jour marqué. Au dimanche fixé, il se présenta à Avignon, accompagné et soutenu par Guillaume du Plessis, chevalier rusé et prudent. Il renouvela l’appel contre le pape Boniface, s’offrit de prouver légitimement les accusations dirigées contre lui, demanda avec instance qu’on exhumât ses ossemens comme ceux d’un hérétique, et qu’on les livrât aux flammes. Néanmoins la partie adverse, à savoir quelques cardinaux et beaucoup d’autres qui défendaient la cause du pape Boniface, soutint fermement le contraire, et tourna l’accusation contre saint Sébastien 26 et ledit Guillaume, auxquels lesdits cardinaux imputèrent beaucoup de crimes et d’atrocités. C’est pourquoi cette affaire fut suspendue jusqu’à plus ample délibération.
Le trentième jour d’octobre, il souffla pendant plus d’une heure, du couchant d’hiver, un vent si violent, que son impétuosité renversa un grand nombre d’arbres et d’édifices, ainsi que le pinacle de l’église de Saint-Machut de Pontoise. Quoique ce terrible ouragan n’ait pas fait écrouler les grands arcs de pierre du côté oriental de l’église de Saint-Denis en France, cependant, d’après le témoignage de ceux qui le virent, ils chancelèrent et furent ébranlés en sorte qu’on les croyait près de tomber à terre. Le dernier jour du mois de janvier, à une heure vingt-quatre minutes après midi, on vit une éclipse de soleil occupant le milieu de cet astre de telle sorte que le centre de la lune correspondait à celui du soleil, et qu’il y eut alors conjonction de soleil et de lune au vingtième degré du Verseau. Cette éclipse dura en tout plus de deux heures, pendant lesquelles l’air parut de couleur rouge ou de safran. Les astronomes expliquaient la chose en disant qu’au moment de l’éclipse…….. 27 colora l’air d’une lueur de safran ou d’or.
Il s’éleva une grave et âpre dissension entre le roi d’Angleterre et ses barons, à l’occasion d’un certain chevalier nommé Pierre de Gravaeston 28, Gascon de nation, banni depuis long-temps, disait-on du royaume d’Angleterre, mais que le roi avait admis à une si grande intimité, qu’il lui avait accordé, pour être possédé par ses héritiers, le comté de Lincoln, et avait par ses conseils établi beaucoup de nouveaux réglements contraires à la volonté de tous et aux coutumes du pays, et préjudiciables au royaume et à ses statuts. Les grands, tant à cette occasion que par conviction de la simplicité d’esprit et du peu de sens du roi, animés de haine contre lui, lui eussent, non seulement suscité quelques troubles, mais même, comme l’affirmait l’opinion générale, l’eussent privé de toute l’administration du royaume, s’ils n’eussent
Le pape Clément résolut de proroger jusqu’aux calendes du mois d’octobre de l’année suivante le concile général qu’il avait indiqué pour les calendes du prochain mois d’octobre. Le concile de la province de Sens fut tenu à Paris depuis le onzième jour jusqu’au vingt sixième pour l’affaire des Templiers, avec la permission de son président Philippe, alors archevêque de Paris. Après qu’on eut soigneusement examiné les actions de chaque Templier et tout ce qui s’y rapportait, et pesé avec beaucoup de vérité la nature et les circonstances de leurs crimes, afin que le degré de punition fût proportionné aux délits, d’après le conseil des doctes en droit divin et en droit canon, et de l’approbation du saint concile, il fut ordonné définitivement que quelques uns des Templiers seraient simplement déliés des vœux de l’ordre, d’autres renvoyés libres, sains et saufs après l’accomplissement d’une pénitence qui leur serait ordonnée, d’autres renfermés étroitement, un grand nombre emprisonnés à perpétuité, et quelques-uns enfin, comme relaps, livrés au bras séculier, ainsi que l’ordonnent les lois canoniques au sujet de semblables relaps, soit qu’ils fassent partie d’un ordre religieux militaire, ou qu’ils aient été admis dans les ordres sacrés ; ce qui fut fait après que, selon les décrets, ils eurent été dégradés par l’évêque ; C’est pourquoi alors cinquante-neuf Templiers furent brûlés hors de Paris dans un champ peu éloigné d’une abbaye de nonnes appelée Saint-Antoine. Tous cependant, sans en excepter un seul, refusèrent d’avouer enfin les crimes dont on les accusait, et persistèrent avec constance et fermeté dans une dénégation générale, ne cessant de déclarer que c’était sans motif et injustement qu’ils étaient livrés à la mort ; ce qu’un grand nombre de gens ne purent voir sans un grand étonnement et une excessive stupeur. Vers le même temps on convoqua à Senlis, dans la province de Rheims, un concile, et en cette occasion, comme au concile de la province de Sens, tenu à Paris pour l’affaire des Templiers, on fit le procès à neuf d’entre eux, qui furent ensuite brûlés.
Louis, fils de Robert de Clermont, épousa la soeur du comte de Hainaut, et son frère, nommé Jean, prit en mariage la comtesse. Le pape Clément fit, dit-on, en plein consistoire annuler comme fausse une bulle présentée par le cardinal Jacques Gaëtan et d’autres partisans du pape Boniface, en opposition à la partie adverse, et qui contenait surtout et expressément que le pape, par le conseil et l’assentiment unanime des frères, jugeant vains et frivoles tout appel et procès intenté au pape Boniface, et protégeant infiniment son parti, le regardait comme innocent et non coupable des crimes dont il était accusé.
Vers la fête dela Pentecôte, il arriva à Paris qu’une certaine Marguerite de Hainaut, dite Porrette, femme pleine d’impostures, avait publié un livre dans lequel, au jugement de tous les théologiens qui l’avaient examiné avec soin, étaient contenues beaucoup d’erreurs et d’hérésies, entre autres celle-ci que l’ame anéantie dans l’amour du Créateur peut et doit accorder à la nature tout ce qu’elle desire et demande, sans reproche ni remords de conscience, ce qui sent évidemment l’hérésie. Elle ne voulut pas abjurer ce livre ni les erreurs qu’il contenait, et méprisa même la sentence d’excommunication portée contre elle par l’inquisiteur de la perversité hérétique. N’ayant pas voulu, après les sommations nécessaires, comparaître devant l’évêque, et ayant persisté pendant plus d’un an avec un opiniâtre endurcisssement et jusqu’à la fin dans sa perversité, elle fut, en présence du clergé et du peuple rassemblés à ce sujet, exposée sur la place publique de Grève, et livrée au bras séculier. Le prévôt de Paris, s’en étant aussitôt emparé, la fit brûler le lendemain sur cette même place. Cependant, à ses derniers momens, d’après le témoignage de ceux qui la virent, elle donna beaucoup de nobles et religieuses marques de pénitence, qui touchèrent d’une pieuse compassion le cœur de beaucoup d’assistans, et leur firent répandre des larmes. Le même jour, un homme converti depuis long-temps du judaïsme à la foi catholique, qui était retourné comme un chien à son vomissement, et s’était efforcé de cracher sur les images de la sainte Vierge, par mépris pour elle, fut livré aux flammes sur cette place, et passa ainsi du feu temporel aux feux éternels. Alors aussi un imposteur nommé Guiard de Cressonessart, se prétendant un ange envoyé immédiatement de Dieu à Philadelphie pour ranimer les partisans du Christ, dit qu’il n’était pas obligé de se dépouiller, aux ordres du pape, de la ceinture de peau dont il était entouré, ni de ses vêtemens, et que même c’était un péché pour le pape que de le lui ordonner. Mais enfin, pressé par la crainte du bûcher, il déposa sa ceinture, et, reconnaissant son erreur, fut condamné a une perpétuelle réclusion.
Les habitans de Lyon, enflammés de l’esprit de rébellion contre Philippe, roi de France, saccagèrent violemment un château de son royaume, appelé Saint-Just, et s’empressèrent de se fortifier, eux et leur ville, par de grands retranchemens. Le roi de France résolut d’envoyer, vers la fête de saint Jean- Baptiste, pour dompter ces rebelles, son fils aîné, roi de Navarre, avec ses deux frères et leurs oncles, et une nombreuse armée.
Le roi de Navarre, non encore chevalier, mit tant de soin et d’application à faire ses premières armes avec gloire et succès, qu’il se rendit aimable partout par sa bravoure et son habileté, et s’attacha d’une merveilleuse affection tous les cœurs des siens. Les ennemis se voyant sur le point d’être attaqués par les nôtres, frappés d’une terreur subite, se soumirent eux et leur ville au pouvoir du roi. L’archevêque de la ville, Pierre de Savoie, d’une haute et puissante noblesse, qui paraissait le principal chef et l’auteur de cette rébellion, fut livré et amené en France parr le comte de Savoie, vers le roi Philippe, dont il implora et obtint enfin, par l’intervention des grands, le pardon de ses méfaits.
Les os d’un Templier mort depuis long-temps, Jean de Thure, trésorier du Temple, à Paris, furent exhumés et brûlés comme ceux d’un hérétique, et parce que de plus on avait découvert qu’il était impliqué dans le procès déjà fait à l’ordre des Templiers,
Henri, empereur des Romains, avec le duc d’Autriche, évêque de Liège, beaucoup d’autres grands et une nombreuse armée, entra en Italie par le comté de Savoie. Reçu d’abord avec honneur dans la ville d’Asti, et ensuite la veille de la Nativité du Seigneur, dans la ville de Milan, en cet endroit, il reçut honorablement, ainsi que sa femme, la couronne de fer, de la main de l’évêque de Milan, le jour de la fête de l’Epiphanie du Seigneur, dans l’église de Saint-Ambroise, en présence d’un grand nombre de prélats. Après quoi il livra un combat, dans cette ville même, au parti qui s’opposait à lui, et le soumit promptement par les armes, afin de frapper ses ennemis d’une juste terreur et épouvante. Cette même année, l’archevêque de Narbonne et l’archevêque de Rouen échangèrent mutuellement leurs sièges. L’archevêque de Rouen, nommé Bernard, neveu du pape Clément, ne pouvait rester en bon accord avec les nobles de la Normandie, que choquaient sa jeunesse et son insolence ; c’est pourquoi le pape le transféra à l’archevêché de Narbonne, et éleva à là dignité d’archevêque de Rouen Gilles, alors archevêque de Narbonne, conseiller spécial du roi, homme prudent dans les affaires, et également savant sur le droit canon et sur le droit civil.
Après des procédures contradictoires sur le sujet du pape Boniface, le pape Clément, suffisamment éclairé par les dépositions et affirmations du chevalier Guillaume de Nogaret, qu’on accusait de ce qui avait été fait contre le pape Boniface et aussi par des recherches soigneuses faites par lui à ce sujet, sur l’innocence du roi de France dans l’affaire de l’attaque et de la prise dudit pape Boniface à Anagni, du pillage et de la ruine du trésor, et tous les faits qui avaient accompagné cette attaque, prononça, d’après l’avis des cardinaux, par l’autorité apostolique, et déclara et décréta que le roi n’avait été aucunement coupable dans tout ce qui avait été commis, et que ceux qui avaient dénoncé, déposé ou soutenu les dénonciations contre la personne du pape Boniface, n’avaient porté leurs dénonciations ou accusations par aucune haine ni aucun autre motif, mais par un zèle juste et sincère pour la foi catholique. Enfin, comme d’une part ceux qui défendaient la mémoire de Boniface, de l’autre le roi, tant pour lui-même que pour ses sujets, et ceux qui avaient dénoncé et déposé contre ledit pape, après avoir osé porter leurs mains sur lui, voyant que la poursuite de cette affaire était pleine de difficultés et de périls, d’après de louables conseils et d’instantes prières, en avaient abandonné l’entière décision au pouvoir et aux ordres du Siège apostolique. Le pape Clément, par la plénitude du pouvoir apostolique, déclara absous le roi, tous ses adhérens dans cette affaire, et le royaume, et tous ses habitans, de toute faute, offense ou injure faite au pape Boniface, des sentences portées et des peines infligées par lui pour ce sujet, de droit ou de sa propre autorité, publiquement ou secrètement, contre le roi ou son successeur, ses sujets ou l’un de ses sujets, et les délivra entièrement des imputations et punitions ou procès quelconques, qu’ils auraient pu ou pourraient subir à l’occasion de ce qui avait été commis contre le pape Boniface, ou de quelque fait relatif à cette affaire, quand même on supposerait et prétendrait que ladite attaque et quelque autre des violences commises contre ledit pape avaient été faites au nom dudit roi, ou de sesdits partisans ou adhérens. Il fit effacer et biffer entièrement du registre les sentences, excommunications et interdits, et toutes susdites procédures, défendant expressément que personne osât, d’une manière quelconque, garder en son pouvoir, cacher ou communiquer à d’autres lesdites sentences, excommunications, interdits ou procédures, en clause publique ou privée, et ordonnant de détruire et d’anéantir entièrement les lettres, cédules, parchemins et autres actes publics ou privés où il était fait mention desdites sentences et procédures. Il déclara que ceux qui, dans l’espace de trois mois après que cet ordre serait venu à leur connaissance, ne l’auraient pas accompli, ayant pu le faire, encourraient une sentence d’excommunication, dont ils ne pourraient être absous par le pontife romain qu’à l’article de la mort. Quoiqu’il eût, de science certaine, nommément excepté de cette absolution les chevaliers Guillaume de Nogaret et Renaud de Lupin, et environ dix citoyens d’Anagni, qu’on assurait avoir été les chefs de ladite attaque et du pillage du trésor, dans l’intention de les obliger à lui faire, par une autre voie, une juste réparation, cependant, par considération pour le roi et par égard pour ses prières, il délia Guillaume de Nogaret de toutes les sentences, lui enjoignant pour pénitence l’obligation de s’embarquer en propre personne avec ses armes et ses chevaux pour secourir la Terre-Sainte dans la première expédition générale qui s’y ferait, et d’y rester à perpétuité, à moins d’obtenir dans la suite, de la grâce du pape ou de ses successeurs, que cet exil fût abrégé. On lui enjoignit aussi d’accomplir pieusement certains pèlerinages qu’il s’était imposés. Ainsi le pape le déclara absous de toutes les violences faites au pape Boniface, à condition qu’il accomplît dévotement ces pénitences, tant qu’il vivrait, et, qu’à sa mort, il fît le pape son héritier.
26. C’est ainsi probablement que se nommait l’un des accusateurs.
Henri, roi des Romains, passant par Crémone, ville d’Italie, n’éprouva aucune opposition, parce que les Guelfes, qui étaient les plus forts et les plus puissans dans le territoire de la ville de Crémone, saisis de crainte à l’approche de l’empereur, abandonnant les palais au petit nombre des Gibelins, s’étaient tous réfugiés avec leurs femmes et leurs enfans, et les biens qu’ils avaient pu commodément emporter avec eux, dans la ville de Brescia qui tenait pour leur parti, et qui leur paraissait une plus sûre retraite, à cause des montagnes escarpées qui dominaient la ville. Les Gibelins, apprenant que l’armée de l’empereur n’était plus éloignée d’eux que de deux milles, prirent les clefs de la ville, les offrirent à l’empereur en signe de paix, et, accueillis par lui avec bonté, lui livrèrent tranquillement l’entrée de la ville. Après son entrée, il détruisit entièrement toutes les maisons fortifiées et les tours de ceux qui s’étaient réfugiés à Brescia, renversa les superbes portes et les murs de la ville, et fit combler avec les démolitions les très-larges fossés qui l’entouraient, en sorte que les murs et les fossés furent à ras de terre. Ensuite, ayant reçu de ceux qui étaient restés dans la ville une rançon de beaucoup de milliers de florins, il marcha vers Brescia, et assiégea vigoureusement cette ville rebelle, depuis l’Ascension du Seigneur jusqu’à la Nativité de la sainte Vierge. Un combat ayant été livré, le commandant de la ville, nommé Thibaut Brisath, fut pris vivant et amené en la présence de l’empereur. Voyant qu’il ne pouvait se soustraire à la mort, il avoua publiquement que beaucoup de conspirations avaient été traîtreusement ourdies pour la ruine de l’empereur et des siens, et accusa de complicité les grands de la ville de Milan. Après l’avoir entendu, l’empereur le fit traîner au milieu de l’armée, et ensuite suspendre à un gibet pendant deux heures ; après quoi, par son ordre on le retira du gibet et on lui trancha la tête, qui fut attachée au bout d’une lance, et exposée dans le lieu le plus haut de l’armée. Le tronc de son corps, coupé en quatre morceaux, fut porté dans quatre endroits différens de l’armée. L’empereur lui fit subir un supplice si cruel afin que l’atrocité de sa mort fût désormais pour les traîtres et les conspirateurs un miroir et un exemple, et qu’ainsi au moins la rigueur des maux que souffraient les méchans réprimât ceux qu’une inclination naturelle ne poussait pas au bien. L’empereur soumit ladite ville, et détruisit les habitans et les murs auxquels ils se fiaient pour leur défense. À ce siège mourut son frère Galeran, ce qui fut pour le prince un bien juste sujet de douleur et d’affliction. Dans le temps de ce siège, toutes les villes de la partie de l’Italie appelée proprement Lombardie, offrirent à l’empereur la soumission et fidélité qu’elles lui devaient comme à leur seigneur. Vers la même époque, trois cardinaux, à savoir l’évêque d’Ostie, et deux autres envoyés par le seigneur pape pour son couronnement, se rendirent vers lui, et l’accompagnèrent par toute l’Italie jusqu’à Rome. Après la prise de Brescia, Henri, roi des Romains, passa pacifiquement par Tortone et par Gênes, où il fut reçu avec les plus grands, honneurs. Pendant la courte résidence qu’il fit dans cette ville, sa femme, reine des Romains, entra dans la voie de toute chair.
Vers le même temps se réveillèrent parmi le peuple de Flandre une révolte et une guerre quelque temps assoupies. Le comte de Flandre, fortement soupçonné à ce sujet, fut appelé par le roi de France à se justifier ; ayant comparu……..29 Son fils le comte Louis, qu’on reconnut coupable du crime de ce soulèvement, fut renfermé d’abord à Moret, et ensuite à Paris. Bientôt après il se sauva de cette prison, soit qu’il se connût coupable ou seulement par crainte. C’est pourquoi ensuite, d’après le conseil des grands du royaume, il fut à juste titre dépouillé de son comté par un arrêt proclamé en plein palais. Philippe, roi de France, fit faire, une monnaie de simples et doubles deniers dits Bourgeois,qui devaient avoir la même valeur que les simples et doubles deniers parisis. Cette monnaie ne put avoir cours à cause de l’infériorité de sa valeur, de son poids et de sa nouveauté, et aussi parce que tous les gens sages disaient avec raison que c’était une exaction injuste et préjudiciable à l’État ; ce que quelques nobles et grands à qui déplaisait cette monnaie représentèrent clairement au roi avec de graves plaintes.
Le pape Clément accorda et envoya aux clercs étudians d’Orléans le privilège de fonder une université, sous la condition cependant du consentement et du libre et volontaire assentiment du roi à ce sujet. Le roi n’y ayant pas consenti, les clercs, liés par de mutuels sermens, s’éloignèrent de la ville et interrompirent les études. Cependant un an après, conduits par le repentir, et équitablement apaisés par le roi, ils retournèrent à leur ancienne demeure, et ainsi les études, interrompues pendant quelque temps, reprirent leur cours. Cent quatorze prélats mitrés, sans compter les prélats non mitrés et les procureurs des absens, se rassemblèrent le premier jour d’octobre à Vienne, ville de la Provence, au concile général que le pape Clément avait fait annoncer. Il y eut deux sessions, les patriarches d’Antioche et d’Alexandrie, siégeant dans le concile ; avant qu’il fût ouvert, le pape ordonna aux prélats et aux autres qui étaient venus pour y assister, de célébrer des messes, et des jeûnes pendant trois jours. Dans la première séance qui se tint le samedi dans l’octave de saint Denis, dans l’église cathédrale, le pape, après l’invocation du Saint-Esprit qu’on a coutume de faire dans ces circonstances, prit pour texte « Seigneur, je vous louerai de tout mon cœur dans la société des justes et dans l’assemblée des peuples : les oeuvres du Seigneur sont grandes et proportionnées à toutes ses volontés 30 ; » après quoi il prêcha et exposa le triple sujet de la convocation d’un concile général, à savoir les crimes énormes des Templiers, les secours à porter à la Terre-Sainte, et l’utile réformation de l’état de l’Église : cela fait, il donna sa bénédiction au peuple, et chacun s’en retourna chez soi. Ensuite, après beaucoup d’assemblées et diverses négociations, il y eut entre le seigneur pape et ceux qu’il avait appelés, hommes d’une grande circonspection et sagesse, cardinaux, prélats, procureurs ou autres hommes importans, un grand nombre de délibérations sur lesdites causes de la convocation du concile jusqu’à l’arrivée du roi de France, qui, disait-on, par zèle pour la foi, avait été depuis le commencement le principal et le plus ardent promoteur des procès intentés à l’ordre et aux personnes des Templiers. Les affaires traitées dans ce concile étaient sujettes à des difficultés, en sorte qu’elles paraissaient être en doute et en suspens, et traîner en paroles.
Le jour de la lune après la Quasimodo, on tint à Vienne, dans la grande église, la seconde session du concile général. Philippe, roi de France, arrivé vers le carême avec ses fils et ses frères, et accompagné d’une suite nombreuse, puissante et convenable, de prélats, de nobles et de grands, siégea à la droite du souverain pontife, qui dominait tous les autres, sur un siège un peu moins élevé, avec les cardinaux, les prélats, et d’autres appelés par le pape. Après quelques préliminaires observés ordinairement dans ces circonstances, le pape prit pour texte « Les impies ne ressusciteront point dans le jugement des justes, ni les pécheurs dans l’assemblée des mêmes justes 31 » L’Ordre du temple ayant été appelé de la manière usitée pour les Templiers, comme l’Ordre n’était pas encore convaincu en qualité d’Ordre, mais que cependant leur mode de réception, soupçonné depuis long-temps et que jusqu’alors ils n’avaient pas voulu avouer, avait été révélé par un nombre infini de frères, et des plus considérables, l’autorité apostolique, avec l’approbalion du saint concile, abolit et anéantit, non définitivement mais provisoirement et par mesure de règle, tant le nom que l’habit de cet Ordre, puisqu’aucun homme de bien ne voulait désormais y entrer, et on agit ainsi pour éloigner et éviter d’autres maux et scandales. Aussitôt le pape fit lire le statut porté a ce sujet contre ceux qui à l’avenir garderaient l’habit de l’Ordre ou le prendraient de nouveau, ou recevraient la profession de quelques nouveaux frères, lançant une sentence d’excommunication aussi bien contre ceux qui recevraient que contre ceux qui seraient reçus. Quant aux personnes et aux biens de ceux qui restaient, il en réserva la disposition au Siège apostolique, pour y être par lui pourvu avant la dissolution dudit concile.
Cependant, comme le second but principal du concile général était le secours à porter à la Terre-Sainte, le pape prit pour texte « Les justes obtiendront ce qu’ils désirent 32 » et après des paroles d’amertume commença des paroles de douceur, et exposa à tout le concile comment les vœux formés par les justes pour le recouvrement de la Terre-Sainte, si désirable pour lui surtout, et eu général pour tout fidèle catholique, et cependant si long-temps retardés, au grand chagrin du pape et de tout catholique, allaient bientôt être accomplis, puisque le roi de France Philippe, présent au concile, lui avait sincèrement promis par une lettre (qui fut lue sur-le-champ en plein concile) de prendre la croix dans l’espace d’un an avec ses encans, ses frères, et nh grand nombre de seigneurs de ses États et d’autres royaumes et de se mettre en route aux calendes du mois de mai prochain pour aller au secours de la Terre-Sainte, où il resterait six ans. En cas que la mort ou quelqu’autre légitime obstacle empêchât le roi de faire ce voyage, son fils aîné s’obligeait à l’accomplir fidèlement ; mais il n’en fit rien c’est pourquoi les prélats, par une pieuse affection, accordérent au roi les dîmes pour six ans. Le souverain pontife et le saint concile approuvèrent la dévotion du roi et la concession dé la dîme, et ainsi se termina cette session.
Avant la dissolution du concile, après diverses délibérations sur les biens des Templiers pour savoir l’usage qu’on en devait faire, les uns conseillant de fonder un nouvel ordre à qui on les donnerait, les autres émettant un avis différent, le Siège apostolique régla enfin, du consentement des rois et des prélats, que ces biens seraient dévolus entièrement aux frères de l’Hôpital, afin de leur donner plus de forces pour recouvrer ou secourir la Terre-Sainte ; mais au conitraire, comme il apparut dans la suite, ces biens les rendirent pires qu’auparavant. Quant aux personnes des Templiers encore vivans, on ne conclût rien à cet égard. On s’occupa quelque peu de plusieurs choses concernant l’état ou la réformation de l’Église universelle, troisième motif de la convocation du concile ; mais quoique le pape eût demandé plusieurs fois avec instance, aux prélats et autres hommes importans, qu’on statuât, décidât et pourvût à ce sujet avant la dissolution du concile, et quoiqu’il eût lui-même, dit-on, publié quelques décrétales, réglemens et statuts concernant cette affaire, cependant on n’en promulgua rien publiquement dans ce concile, et tout fut entièrement et pleinement remis et abandonné à la libre décision du Siège apostolique.
Henri, roi des Romains, ayant paisiblement traversé, sans aucune opposition, Pise, Piombino, Viterbe et beaucoup d’autres villes d’Italie, marcha vers Rome à la fête de l’Ascension du Seigneur, pour y recevoir les insignes de son couronnement, et après avoir livré à l’entrée de la ville un violent combat aux gens du frère de Robert, roi de Sicile, et de la maison des Ursins, il entra par la porte de Sainte-Marie-du-Peuple, et fut reçu de tous avec honneur à Saint-Jean-de-Latran. Quoiqu’il eût eu en cette ville à soutenir, de la part de sesdits ennemis, de si terribles combats et assauts que l’évêque de Liège, l’évêque d’Albano, un de ses gens nommé Dietrich, le comte de Savoie et plusieurs autres des siens, y périrent, cependant, à la fête de saint Pierre et de saint Paul, dans ladite église, il fut, par un ordre du souverain pontife, dont lecture fut faite devant tout le peuple et le clergé, couronné du diadême impérial par lesdits cardinaux, monseigneur d’Ostie célébrant la messe, et en présence d’autres cardinaux, évêques, abbés, et de beaucoup d’autres placés sur deux rangs, ce qui fut un grand sujet de joie pour les siens, et de tristesse pour ses ennemis.
Après avoir reçu la couronne impériale, desirant, comme Auguste, étendre davantage la gloire de son nom, il se hâta d’assiéger avec courage et de soumettre par la force de ses armes les villes d’Italie rebelles à sa domination. Quittant la ville de Rome, il se rendit le 15 du mois de juillet à Todi, où il fut reçu avec honneur, et de là marcha vers Pérouse. Les Pérousiens n’ayant pas voulu le recevoir, il livra au fer et aux flammes un grand nombre de métairies et maisons du comté, arracha les fruits et les vignes, et força quelques châteaux. Il vint ainsi a Arezzo, à la distance de près de cent milles de la ville de Pérouse, et y fut reçu avec joie et honneur le vingtième jour du mois d’août. Ensuite, s’emparant de Mont-Garche et du château de Saint-Jean, dans le comté des Florentins, il prit encore un château appelé Ancise, après avoir livré un combat avec le podestat et cinq cents hommes d’armes. Enfin, au mois de septembre, abordant à Florence, il assiégea cette ville depuis Sainte-Croix jusqu’à l’hôpital Saint-Gal, et en détruisit et brûla toute une partie. Il livra un combat à la porte de Sainte-Candide, et, après avoir triomphé par sa valeur, passant l’Arno, il vint à une vallée appelée Héma, près Sainte-Marguerite. Quelques chevaliers de Lucques et de Sienne ayant attaqué ses gens, ils furent repoussés par un seigneur de Flandre, maréchal de son armée, jusqu’à la porte de Saint-Pierre, et dans cette affaire ils perdirent un grand nombre des leurs. Ensuite, lorsqu’après avoir campé à Saint-Cassien, il eut pris possession de tout le duché, à l’exception de Livari, et après de Poggibonzi et de Casoli, il y mit une garnison de ses gens, et s’en retourna au mois de mars……….. Il appela publiquement Robert, roi de Sicile, qui l’avait attaqué et s’était révolté contre lui dans la place de Sainte-Catherine, à comparaître en sa présence à Arezzo dans l’espace de trois mois, sous peine de perdre sa couronne et son royaume.
Pierre de Gaveston, Gascon de nation, à qui le roi Edouard avait accordé le comté de Cornouailles, s’était, comme nous l’avons dit plus haut, rendu excessivement odieux aux barons d’Angleterre ; ensuite, ayant été trouvé dans le château de Scarborough, il fut pris et retenu par le comte de Lancaster, et beaucoup d’autres de ses adhérens qui aidaient ce comte de leurs conseils, de leurs richesses et de leur crédit ; et bientôt quelques Gallois, envoyés, dit-on, par lesdits grands pour le tuer, lui tranchèrent la tête et le privèrent honteusement de la vie. Quoiqu’au commencement le roi d’Angleterre, excessivement affligé de ce meurtre, eût été animé d’une grande colère contre ses auteurs, cependant à la fin, par l’entremise de deux cardinaux, le cardinal d’Albano, camérier du pape, et un autre cardinal, envoyés à cet effet, la paix et la concorde furent rétablies entre lui et les grands. Vers la Nativité du Seigneur, il naquit à Edouard roi d’Angleterre, de sa femme Isabelle, un fils nommé Edouard. Simon, d’abord évêque de Noyon, et ensuite évêque de Beauvais, entra dans la voie de toute chair ; Jean de Marigny, frère d’Enguerrand, chantre de l’église de Paris, lui succéda dans l’épiscopat.
29. Il y a ici une lacune dans le texte.
30. Ps. 110,v. 1 et 2.
31. Ps. 1, v. 6
32. Prov., ch. 10, v. 24
Le jour de la Pentecôte, Philippe, roi de France, créa chevalier, c’est-à-dire ceignit de l’écharpe de chevallier, Louis, son fils aîné, roi de Navarre, comte de Champagne et de Brie et ses frères Philippe et Charles, ainsi que Hugues duc de Bourgogne, Gui comte de Blois, et beaucoup d’autres nobles du royaume, en présence d’Edouard roi d’Angleterre, et de la reine Isabelle, fille du roi de France, venue en France avec une noble suite d’Anglais pour honorer leur entrée dans la chevalerie. Vers le même temps, le mercredi après la Pentecôte, Philippe roi de France, ses trois fils déjà faits chevaliers, Edouard roi d’Angleterre, et les grands du royaume d’Angleterre, reçurent la croix des mains du cardinal Nicolas, envoyé à cet effet par le souverain pontife, pour passer au secours de la Terre-Sainte. Une foule nombreuse de commun peuple ayant entendu les prédications à ce sujet, entreprit bientôt dévotement ce voyage. Vers la fête de la Madeleine, le prince de Tarente prit en mariage la fille du comte de Valois et de Catherine sa femme, héritière de l’empire de Constantinople, et emmena avec lui la sœur de cette princesse, quoique jeune, pour la marier à son fils. Le mardi après la fête de la Madeleine, les barons et prélats de France s’étant, par ordre du roi, rassemblés à Courtrai, il fut conclu entre le roi et les Flamands un traité qui portait que les Flamands paieraient complètement au roi la somme convenue, et feraient démolir leurs forteresses dans un espace de temps fixé, commençant dès ce moment à détruire Bruges et Gand, et continuant jusqu’à l’entière démolition des autres forteresses. Les travaux devaient se faire partout à leurs propres frais et dépens, et sous la direction de gens établis à cet effet par le roi, et experts dans cette partie. Le seigneur Robert, fils du comte de Flandre, et tous les châteaux de Courtrai, avec leurs appartenances, devaient, pour plus grande sûreté et garantie de l’exécution de ces conditions, être remis en otage.
Robert, roi de Sicile, ayant méprisé de comparaître au temps fixé à Arezzo en présence de l’empereur Henri, il le déclara publiquement et ouvertement déchu de son royaume et de sa couronne. Le pape Clément, dans ses statuts, proclama tout-à-fait nulle cette déclaration, parce que la citation contre ledit Robert n’avait pas été faite selon les règles et la justice, Robert n’ayant pas été appelé dans un lieu sûr. Le pape allégua aussi plusieurs autres raisons étrangères au sujet de cet ouvrage. Au mois de juillet, l’empereur ayant levé une armée contre Robert, se fraya un passage à travers le comté des Siennois, soulevés contre lui, jusqu’à un lieu appelé Isola, et causa aux Siennois beaucoup de dommages. Enfin, s’étant approché de Bénévent après beaucoup de glorieuses victoires, attaqué de maladie et de fièvre, ou, comme quelques-uns le disaient, empoisonné dans l’eucharistie qu’il reçut de la main d’un prêtre de l’ordre des frères Prêcheurs, son propre confesseur, lequel avait été séduit par l’argent de Robert, ou, comme on le croit plus vraisemblablement, des Florentins ennemis de l’empereur, il termina le dernier jour de sa vie. Son corps fut porté à Pise et honorablement enterré dans l’église cathédrale.
Vers la fête de la sainte Vierge, Philippe roi de France, voulant ramener à l’ancienne et complète valeur de la monnaie de Paris les petites pièces dites Bourgeois qu’il avait fait fabriquer, et qui avaient eu cours à Paris pendant deux ans, ce qui avait semblé inoui dans le royaume de France, surtout lorsqu’elles équivalaient à peine aux autres monnaies en poids et en valeur…………….33 fit fabriquer des sous parisis et tournois, de la même valeur et du même poids qu’ils avaient été dans le temps de saint Louis, et régla en outre que les florins à l’agnel, qui avaient cours pour vingt-deux sous de ces petits Bourgeois, ne vaudraient plus, jusqu’à une autre disposition à ce sujet, que quinze sous tournois. De plus, le roi Philippe fit défendre expressément, par un édit proclamé publiquement, que personne fît usage secrètement ni publiquement d’une autre monnaie quelconque d’or ou d’argent, ou estimée d’une autre valeur, sous peine de perdre la totalité de ses biens. Ces changemens firent bientôt murmurer hautement les citoyens, parce qu’ils furent pour eux la source de beaucoup de pertes et dommages, surtout pour les marchands, qui furent trompés sur ces monnaies dans plusieurs lieux, et surtout près de Paris, par la ruse des serviteurs chargés de faire exécuter l’ordonnance.
Vers le même temps fut consacrée l’église de Sainte- Marie-d’Escoys, fondée récemment par Enguerrand de Marigny, qui y avait établi des chanoines. Le cardinal Nicolas défendit rigoureusement par l’autorité apostolique, sous peine d’excommunication, de déférer dans les jugemens ou dans les écoles, aux nouveaux statuts, émanés, selon quelques-uns, de la cour apostolique après le concile général, et dont ils disaient avoir copie, lesdits statuts n’étant point émanés de la conscience du souverain pontife, lequel était dans l’intention de pourvoir autrement aux objets en question. Vers la fête de Saint-Denis, il proscrivit généralement et expressément tous les tournois, prononçant une sentence d’excommunication contre ceux qui s’y exerceraient et ceux qui les favoriseraient, et aussi contre les princes qui les permettraient, et soumettant leurs terres à l’interdit ecclésiastique. Ensuite cependant le pape, à la requête des fils du roi et des autres nobles nouvellement armés chevaliers avec eux, accorda cette restriction que, nonobstant la publication de cette défense, il serait permis cette fois de s’exercer dans ces sortes de jeux pendant trois jours qui précéderaient le carême suivant.
Guichard, évêque de Troyes, accusé, comme nous l’avons dit, de la mort de la feue reine Jeanne, fut reconnu innocent, d’après la confession d’un certain Lombard surnommé Nofle, qui fut condamné à mort et pendu à Paris pour ce crime.
Il s’éleva entre le duc de Lorraine et l’évêque de Metz une dissension très-grave, quoique occasionnée par un sujet peu important. Elle eût pu facilement être apaisée dans le principe. Enfin, les armées des deux partis s’étant rassemblées, le jeudi avant la Saint-Martin d’hiver, devant un château appelé Flève, il se livra entre elles un combat très-animé, et quoique l’armée de l’évêque fut supérieure en nombre, en courage et en force à celle du duc, elle fut cependant vaincue par l’adresse et les ruses habiles de ses ennemis. En effet, l’armée de l’évêque marchant par les métairies, les plaines et les défilés, les gens du duc qui dominaient déjà au-dessus de la tête de leurs ennemis, gravirent une montagne, et, descendant aussitôt de cheval, se précipitèrent sur eux avec une telle force et impétuosité, leur lançant des pierres et des cailloux qui abondaient dans cet endroit, et toutes sortes de choses dont se servent les gens de pied, qu’ils en tuèrent environ deux cents ; le reste fut forcé de s’enfuir, et quelques-uns en fuyant se noyèrent dans une rivière qui coulait près de là. Dans ce combat furent pris le comte de Bar, neveu de l’évêque de Metz, le comte de Salm son fils, et d’autres nobles du parti dudit évêqne, qui cependant se rachetèrent plus tard au prix de beaucoup d’argent, seul moyen qu’ils eussent de se délivrer de la longue captivité où les retenait le duc. Gui, évêque de Soissons, et………. évêque de Châlons, étant morts, Gérard de Malmont et Pierre de Latilly, chancelier du roi, furent consacrés, à Pontoise dans une église de nonnes, le premier dimanche de l’Avent, par l’archevêque de Rouen et les évêques diocésains, le premier, évêque de Soissons, et le second, évêque de Châlons. Gui, évêque de Senlis, étant mort, ……………… lui succéda dans l’épiscopat.
Le grand-maître de l’Ordre des Templiers et trois autres Templiers, à savoir le visiteur de l’Ordre en France, et les maîtres d’Aquitaine et de Normandie, sur lesquels le pape s’était réservé de prononcer définitivement, avouèrent tous quatre ouvertement et publiquement les crimes dont on les accusait, en présence de l’archevêque de Sens et de quelques autres prélats et hommes savans en droit canon et en droit divin, assemblés spécialement pour ce sujet, d’après l’ordre du pape, par l’évêque d’Albano et deux autres cardinaux légats, et auxquels fut donné communication de l’avis du conseil des accusés. Comme ils persévérèrent dans leurs aveux, et paraissaient vouloir y persister jusqu’à la fin, après une mûre délibération, sur l’avis dudit conseil, ladite assemblée les condamna, le lundi après la fête de Saint-Grégoire, sur la place publique du parvis de l’église de Paris, à une réclusion perpétuelle. Mais voilà que, comme les cardinaux croyaient avoir définitivement conclu cette affaire, tout-à-coup deux des Templiers, à savoir le grand-maître d’outre-mer et le grand-maître de Normandie, se défendirent opiniâtrement contre un cardinal qui portait alors la parole, et contre l’archevêque de Sens, et sans aucun respect recommencèrent à nier tout ce qu’ils avaient avoué, ce qui causa une grande surprise à beaucoup de gens. Les cardinaux les ayant remis entre les mains du prévôt de Paris alors présent, seulement pour qu’il les gardât jusqu’à ce que le jour suivant ils délibérassent plus amplement à leur égard, aussitôt que le bruit de ces choses parvint aux oreilles du roi qui était alors dans le palais royal, il consulta avec les siens, et, sans en parler aux clercs, par une prudente décision, fit livrer aux flammes les deux Templiers, vers le soir de ce même jour, dans une petite île de la Seine, située entre le jardin royal et l’église des frères Ermites. Ils parurent supporter ce supplice avec tant d’indifférence et de calme, que leur fermeté et leurs dernières dénégations furent pour tous les témoins un sujet d’admiration et de stupeur. Les deux autres Templiers furent renfermés dans un cachot, selon que le portait leur arrêt.
33. Il y a ici une lacune qui rend la phrase inintelligible ; l’ordonnance de Philippe le Bel se trouve dans le Recueil des Ordonnances, tom. 1, page 518.
La jeune Marguerite, reine de Navarre, et Blanche, femme du frère puîné de Charles, roi de Navarre, furent, comme le méritaient leurs fautes, répudiées par leurs maris pour avoir commis de honteux adultères avec les deux frères les chevaliers Philippe et Gautier d’Aunay, la première avec Philippe, l’autre avec Gautier. Justement dépouillées de tous honneurs temporels, elles furent renfermées dans une prison, afin que, dans une étroite réclusion, privées de toute consolation humaine, elles terminassent leur vie dans l’infortune et la misère. Quant aux deux chevaliers, non seulement ils avaient avec infamie souillé le lit de leurs seigneurs, qui avaient en eux une confiance toute particulière, comme en de très-familiers domestiques ; mais c’étaient d’odieux traîtres ainsi que le prouvait certainement la livrée qu’ils portaient, et celle des gens de leur suite d’autant plus coupables en cette action, qu’ils avaient séduit par des douceurs et caresses ces femmes toutes jeunes et d’un sexe faible. Le vendredi après la Quasimodo, à Pontoise, ils confessèrent avoir commis ce crime pendant trois ans, et dans plusieurs lieux et temps sacrés. C’est pourquoi, expiant par un genre de mort et un supplice ignominieux un si infâme forfait, ils furent à la vue de tous écorchés tout vivans sur la place publique. On leur coupa les parties viriles et génitales, et leur tranchant la tête, on les traîna au gibet public où, dépouillés de toute leur peau, ils furent pendus par les épaules et les jointures des bras. Ensuite, après eux un huissier qui paraissait, à bon titre, fauteur et complice dudit crime, et un grand nombre, tant nobles que gens du commun de l’un et l’autre sexe, soupçonnés de complicité ou connaissance dudit crime, furent la plupart mis à la torture, quelques-uns furent noyés, un grand nombre furent mis à mort secrètement. Plusieurs trouvés innocens furent entièrement acquittés. Parmi ceux-ci on remarquait un frère Prêcheur, dit évêque de Saint-George, qu’on prétendait avoir coopéré ou participé audit crime par des……….. du des sortilèges qui provoquaient les hommes au mal. Les uns disent qu’il fut retenu en prison chez les frères Prêcheurs, d’autres qu’il fut envoyé vers les cardinaux, le Siège apostolique étant vacant, et acquitté par leur jugement. Quoique Jeanne, soeur de ladite Blanche, et épouse de Philippe, çomte du Poitou, eût été dans le commencement violemment soupçonnée, séparée quelque temps de son mari, et gardée dans une prison au château de Dourdan, cependant, après une enquête faite à ce sujet, elle fut lavée désdits soupçons, déclarée tout-à-fait innocente dans un parlement tenu à Paris, et auquel assistaient le comte de Valois, le comte d’Evreux et beaucoup d’autres nobles ; et ainsi, avant la fin de l’année, elle mérita d’être réconciliée avec son époux.
Au temps de Pâques, et dans la ville d’Avignon, le pape Clément entra dans la voie de toute chair, et par suite des discordes et violentes divisions élevées entre les cardinaux, le siège apostolique demeura long-temps vacant, à l’occasion surtout de l’incendie du palais de Carpentras, où ils s’étaient réunis pour l’élection d’un pape, et auquel le feu avait été mis par le marquis de Vienne, neveu de feu le pape Clément, qui voulait favoriser le cardinal de Gascogne, porté à l’élection en opposition aux cardinaux d’Italie et de France. On disait aussi certainement que ces discordes venaient des grands et nombreux dommages qu’avaient éprouvés en leurs maisons et biens plusieurs cardinaux et autres, particulièrement des marchands. On les vit aussi contraires et opposés pour le choix d’un lieu convenable à l’élection, que pour le principal sujet de l’élection elle-même, les Italiens disant qu’il fallait se rendre à Rome, d’autres désignant d’autres villes. C’est pourquoi les cardinaux se dispersèrent comme des perdrix effrayées, les uns à Orange, les autres à Avignon où ailleurs, selon l’idée de chacun d’eux.
Edouard, roi d’Angleterre, affligé de ce que les Écossais, sous la conduite de Robert Bruce, leur commandant en chef, s’étaient comme il disait, emparés de sa terre, avec autant d’injustice que de violence et de fourberie, s’efforça de tout son pouvoir, pour la recouvrer, d’attaquer vigoureusement leur royaume. Vers la fête de la Décollation de saint Jean, ayant rassemblé une armée nombreuse des siens, il leur livra bataille en plaine, sans précaution et avec orgueil, présumant, d’après leur petit nombre, qu’il remporterait bientôt sur eux le triomphe qu’il desirait. Mais aussitôt les bataillons anglais furent écrasés par les armes puissantes des ennemis. Le roi Edouard lui-même, quittant le champ de bataille, accompagné d’un petit nombre de gens, trouva à grand’peine son salut dans la fuite ; ce qui couvrit à jamais les Anglais d’un opprobre éternel. Ledit Robert Bruce, chef des Ecossais était placé au milieu des siens comme le cœur au milieu des membres ; et bien que, selon le dire de plusieurs, ils fussent protégés par le cilice encore plus que par les armes, et fortifiés d’une confiance toute particulière dans le Seigneur, qui accorde la victoire aux plus dignes, cependant, comme Bruce s’élevait au milieu de tous non seulement par ses vertus et son courage, mais encore par l’humilité de sa dévotion, ce fut lui qui attira sur eux le secours divin. Décidés, s’il le fallait, à s’exposer à la mort avec un audacieux courage pour leur liberté et celle de leur patrie, non seulement ils soutinrent ce combat, mais remportèrent sur les Anglais une glorieuse victoire. Le comte de Glocester et beaucoup d’autres furent tués, beaucoup de grands et de nobles furent pris vivans, et se rachetèrent ensuite au prix de beaucoup d’argent. Les Ecossais partagèrent le butin provenant des rançons des prisonniers et des dépouilles des fuyards, et par là s’enrichirent, s’agrandirent et accrurent leurs forces. Cependant, quoique après cette victoire ils eussent pu facilement forcer à se rendre la reine d’Angleterre Isabelle, qu’ils tenaient assiégée dans un château voisin, par crainte ou par égard pour le roi de France son père, ils la laissèrent se retirer librement et paisiblement. Au temps d’une fête solennelle, les Flamands, ayant de nouveau chassé de Courtrai le bailli du roi, s’enflammèrent de l’esprit de rébellion contre le roi de France ; c’est pourquoi il fut porté une sentence d’excommunication contre tous les perturbateurs de la paix, et les complices des dissensions et révoltes ; elle fut proclamée d’abord à Paris, sur la place du Parvis, et ensuite à Tournai, Saint-Orner, Noyon, Arras et Douai, par l’archevêque de Rheims et l’abbé de Saint-Denis en France, à qui l’autorité apostolique en avait confié l’exécution, et qui coururent quelques dangers dans l’accomplissement de leur mission. On rapporte que les Flamands appelèrent de leur sentence au Siège apostolique. Philippe, roi de France, envoya de tous côtés, pour dompter les rebelles, différentes armées, à savoir Louis son fils aîné, roi de Navarre, à Douai Philippe, comte de Poitou, à Saint-Omer Charles, le troisième et le plus jeune de ses fils, avec Charles, comte de Valois, à Tournai ; et Louis, comte d’Evreux, à Lille ; assignant à chacun un certain nombre d’hommes. Enfin cependant, dans l’espoir de faire conclure la paix à certaines conditions, le comte de Saint-Paul et Enguerrand, comte d’Evreux, se portèrent médiateurs et entremetteurs entre les deux partis. Le comte de Flandre et les Flamands furent tenus de se rendre vers le roi de France dans un espace de temps fixé pour ratifier définitivement la paix. On commença par mettre en liberté Robert et les autres otages. Toute l’armée du roi de France s’en revint donc dans son pays sans avoir rien fait cette fois, s’étant laissé honteusement tromper et jouer avec trop de promptitude et de facilité par les ennemis auxquels elle avait prêté trop de foi.
Vers le même temps, les électeurs s’étant rassemblés à Francfort pour élire un roi des Romains ne purent s’accorder, les uns donnant légitimement leur suffrage à Louis, duc de Bavière, et d’autres a Frédéric, duc d’Autriche. Ledit Louis l’emportant sur l’autre par les efforts de sa prudence et par la puissance des armes et le courage de ses partisans, sans rien obtenir sur l’esprit de ses adversaires, fut à Aix-la-Chapelle, vers la fête de la Nativité, couronné du diadème royal des Romains. Plus tard, le duc d’Autriche fut couronné vers la fête de la Pentecôte par l’archevêque de Cologne qui favorisait sa cause ; mais ce ne fut pas à Aix-la-Chapelle.
Une extorsion injuste, une exaction inique et d’un nouveau genre, inaccoutumée dans le royaume de France, commença d’abord à Paris, et se répandit de là par tout le royaume, où on exerça des exactions, sous le prétexte des dépenses faites dans la guerre de Flandre ; c’est à savoir que tout acheteur et tout vendeur furent forcés de payer au roi, dans les mains de ses conseillers, satellites et agens, dix deniers par livre parisis de chaque chose vendue et achetée. Plusieurs nobles et gens du commun, les Picards et les Champenois 34, liés ensemble par un serment pour la défense de leur liberté et de celle de leur pays, ne pouvant aucunement souffrir cette exaction, s’y opposèrent vigoureusement, et obtinrent enfin la liberté qu’ils souhaitaient, l’extorsion cessant entièrement et complètement par l’ordre du roi, non seulement dans leurs terres, mais par tout le royaume de France. Quelques gens ont dit que ces exactions n’étaient pas venues de lui-même, mais lui avaient été suggérées par le conseil des méchans.
Philippe, roi de France, fut retenu par une longue maladie, dont la cause inconnue aux médecins fut pour eux et pour beaucoup d’autres le sujet d’une grande surprise et stupeur ; d’autant plus que son pouls ni son urine n’annonçaient qu’il fût malade ou en danger de mourir. Enfin il se fit transporter par les siens à Fontainebleau, lieu de sa naissance. Là, peu de jours après, voyant approcher le moment de sa mort, pourvoyant avec soin et sagesse à sa maison et à ses affaires domestiques, il investit du comté de la Manche et du territoire environnant, le seigneur Charles son plus jeune fils, à qui il n’avait encore assigné aucun héritage. S’appliquant avec encore plus de zèle au salut de son ame, il fit cesser entièrement et complètement les exactions de la maltôte dont il avait entendu parler, et qui lui déplaisaient infiniment. Enfin, après avoir relu son testament avec une grande attention et l’avoir disposé sagement autant qu’il fut en son pouvoir, il donna à son fils aîné, déjà roi de Navarre des conseils salutaires et pleins de sagesse, lui ordonnant de les suivre, et le menaçant, en cas du contraire, de la malédiction paternelle et divine ; il lui recommanda spécialement et particulièrement, parmi les saintes églises catholiques, celle de saint Denis, patron spécial du royaume de France. Enfin après avoir, en présence et à la vue d’un grand nombre de gens, reçu le sacrement avec une ferveur et une dévotion admirable, il rendit heureusement son ame au Créateur, dans la confession de la foi véritable et catholique, la trentième année de son règne, le vendredi, veille de la fête de l’apôtre saint André. Son corps fut porté, le plus convenablement et honorablement qu’il fut possible, en la sépulture de ses pères, l’église de Saint-Denis, où il fut déposé tout entier, à l’exception de son cœur, dans un endroit séparé qu’il avait lui-même désigné de son vivant, avec les honneurs qui conviennent à la majesté royale, le vingt-cinquième jour de la lune, en présence des prélats, savoir : d’un archevêque, qui célébra la messe, de dix évêques et de quatorze abbés. Son cœur, qu’il avait destiné à être enseveli à Poissy, dans une église du nom de Saint-Dominique, qu’il y avait fondée, y fut porté et enterré avec les honneurs convenables le lendemain du jour où son corps fut enseveli.
Louis, roi de France et de Navarre, destitua de sa dignité de chancelier l’évêque de Châlons, et mit à sa place Etienne de Maruges, expert dans le droit civil et chambellan de Charles son oncle. Vers la Nativité du Seigneur, il fit passer dans le pays de Sicile le chevalier Hugues de Boville, son chambellan et secrétaire, avec d’autres envoyés fidèles, pour lui amener Clémence, fille du roi de Hongrie, qu’il voulait prendre en mariage. Le roi de France envoya aussi vers la cour de Rome une ambassade ou députation solennelle, composée de Girard, évêque de Soissons, du comte de Boulogne, du chevalier Pierre de Blève, homme savant en droit, pour exciter les cardinaux à dire un souverain pontife ; mais cette démarche eut peu ou point de succès.
34. Il y a ici une lacune dans le texte.