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Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Pignon

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Pilastre
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PIGNON, s. m. (pingon). Mur terminé en triangle suivant la pente d’un comble à deux égouts et formant clôture devant les fermes de la charpente. Un bâtiment simple se compose de deux murs goutterots et de deux pignons. Suivant que le bâtiment est tourné, il présente sur sa façade, soit un des pignons, soit un des murs goutterots. Le fronton du temple grec est un véritable pignon. Les portails nord et sud du transsept de la cathédrale de Paris sont terminés par deux pignons. Les maisons élevées pendant l’époque romane en France présentaient habituellement un des murs goutterots sur la rue, les murs pignons étaient alors mitoyens ; mais plus tard, vers le milieu du XIIIe siècle, les habitations montraient quelquefois l’un des pignons sur la rue. Cette méthode devint habituelle pendant les XIVe et XVe siècles, et alors ces pignons étaient fréquemment élevés en pans de bois (voy. Maison, Pan de bois).

La forme et la structure qui conviennent aux pignons en maçonnerie, ont fort préoccupé les architectes du moyen âge. En effet, un pignon qui sort des dimensions ordinaires n’acquiert et ne conserve sa stabilité que dans certaines conditions qu’il est bon de ne pas négliger. Si un pignon est mitoyen entre deux bâtiments ; s’il n’est, à proprement parler, qu’un mur de refend maintenu des deux côtés par les charpentes de deux combles égaux, il est clair que pour le rendre stable, il n’est besoin que de l’élever dans un plan vertical, en lui donnant une épaisseur proportionnée à sa hauteur ; mais si ce pignon est isolé d’un côté, chargé de l’autre par des cheminées, poussé ou tiré par une charpente dont la fixité n’est jamais absolue, il est nécessaire, si l’on prétend le maintenir dans un plan vertical, de prendre certaines précautions propres à assurer sa stabilité. Si les pignons isolés sont très-élevés, ils donnent une large prise au vent ; leur extrémité supérieure, n’étant pas chargée, peut s’incliner sous une faible pression, soit en dedans, soit en dehors, et ces grands triangles, oscillant sur leur base, sortent très-facilement du plan vertical pour peu qu’une force les sollicite.

Lorsque, pendant la période romane, les combles avaient une inclinaison qui atteignait bien rarement 45 degrés, la construction des pignons ne demandait pas des précautions particulières ; le pignon n’était guère qu’un mur terminé par deux pentes. Mais quand on en vint à donner aux charpentes de combles une inclinaison de plus de 45 degrés, et que ces charpentes eurent jusqu’à 12 et 15 mètres d’ouverture, il fallut bien adopter des moyens extraordinaires pour maintenir dans un plan vertical ces énormes maçonneries triangulaires, abandonnées, au sommet des édifices, aux coups de vent et aux mouvements inévitables des bois.

Déjà cependant, vers les derniers temps de la période romane, on avait senti la nécessité de faire des pignons autre chose qu’un mur simple terminé à son sommet par un angle obtus. On croyait devoir assurer leur stabilité au moyen d’arcs qui reportaient les charges sur quelques points. Nous trouvons un exemple d’une de ces tentatives sur le mur de face de l’église de Saint-Honorat, dans l’île de Lérins[1].


Le pignon de cette façade, présenté dans la figure 1, et dont la construction remonte au commencement du XIIe siècle, se compose en réalité de quatre larges pieds-droits A avec baie centrale et arcs-boutants ; ainsi la charge de la maçonnerie était répartie sur quatre points, de B en C. Cette construction était la conséquence d’une observation judicieuse. En effet, les maçonneries acquièrent une grande partie de leur stabilité en raison du poids plutôt qu’en raison de la surface qu’elles occupent.
Si (fig. 2) nous élevons un pignon A plein, de 4 mètres de hauteur sur 8 mètres de base, et 0m,50 d’épaisseur, nous aurons, en élévation, une surface bâtie de 16 mètres et un cube de 8 mètres. Mettant le poids du cube de pierre de taille à 2 000 kilogrammes, la charge sera de 16 000 kilogr., et la surface chargée (section horizontale D, du pignon à la base) aura 4 mètres. Or, la charge sera ainsi répartie sur cette surface de 4 mètres : 1 mètre de surface horizontale ab recevra 7 000 kilogr. ; 1 mètre ac, bd, 5 000 kilogr. ; 1 mètre ce, df, 3 000 kilogr. ; 1 mètre eg, fh, 1 000 kilogr. : total égal, 16 000 kilogrammes. Mais si, sans rien changer ni aux dimensions, ni à l’épaisseur, ni par conséquent au poids du pignon, nous le construisons avec arcs de décharge noyés dans la maçonnerie, comme il est indiqué en B, nous aurons 1 mètre de surface horizontale ab chargé de 3 800 kilogrammes ; 1 mètre ac, bd, chargé de 8 200 kilogr. ; 1 mètre ce, df, chargé de 1 900 kilogr., et 1 mètre eg, fh, chargé de 2 100 kilogr. : total égal, 16 000 kilogrammes. Dans le premier cas, A, la partie la plus chargée est la partie ab, qui ne reçoit que 7 000 kilogrammes, tandis que dans le second, B, la partie ac, bd, égale comme surface à ab, reçoit 8 200 kilogram. Dans l’exemple A les surfaces eg, fh, ne reçoivent ensemble que 1 000 kilogrammes, tandis que dans le second ces mêmes surfaces reçoivent 2 100 kilogrammes. Ainsi, dans ce second exemple, les pesanteurs tendent à s’équilibrer ou à se répartir plus également sur l’ensemble de la base ; le poids le plus fort n’est plus au milieu de la base, mais reporté sur deux points. Une force comme le vent, ou une poussée, trouve donc une résistance plus solidement appuyée sur sa base, opposée à son action. Tout le système de la construction des grands pignons de l’époque savante du moyen âge est établi sur cette observation très-simple de la répartition des pesanteurs, non pas conformément à la gradation donnée par la configuration du pignon, mais contrairement à cette gradation, autant que faire se peut. La décoration de ces pignons dérive du système de construction adopté. Lorsque le bâtiment ne contient qu’un vaisseau, les points d’appui sont reportés aux deux extrémités ; le triangle du pignon est terminé par deux épaulements : mais lorsque ce bâtiment est divisé dans sa longueur par un mur ou une épine de piliers, le pignon accuse la construction intérieure, et son milieu est maintenu par un contre-fort qui s’élève jusqu’au sommet du triangle. Si c’est une cheminée qui est adossée à l’intérieur dans l’axe de la salle, son tuyau, apparent à l’extérieur, s’élève jusqu’à la pointe du triangle dans les meilleures conditions de tirage, et sert d’épaulement à la construction.

Ces principes dans la construction des pignons ne furent admis toutefois qu’assez tard, vers le milieu du XIIe siècle, et avant cette époque nous voyons élever des pignons qui ne sont que des murs triangulaires pleins, décorés de membres peu saillants, d’arcatures, d’imbrications, de compartiments qui ne contribuent en rien à la solidité.

L’église latine de Saint-Front, antérieure à l’église actuelle, qui date de la fin du Xe siècle, possédait à l’occident un pignon dont on voit encore quelques traces, et qui était construit d’après ces données élémentaires, apparentes déjà à l’extérieur du monument de Poitiers connu sous le nom de temple de Saint-Jean[2].

Les églises de la Basse-Œuvre à Beauvais et de Montmille présentent leurs pignons occidentaux simplement ornés de croix et de quelques imbrications[3]. Mais un des plus riches parmi ces pignons du Beauvaisis est celui qui ferme le bras de croix septentrional de l’église Saint-Étienne de Beauvais. Ce pignon, dont quelques auteurs font remonter la construction au commencement du XIe siècle, ne peut être antérieur au commencement du XIIe. Il couronne une rose entourée d’une suite de figures représentant une roue de fortunes[4]. La structure du parement extérieur du pignon est entièrement composée de très-petites pierres taillées, formant, par la manière dont elles sont posées, un treillis de bâtons, entre les intervalles desquels sont incrustées des rosaces sculptées sur le parement d’un moellon carré (fig. 3).
Ce treillis est coupé horizontalement par une ligne de bâtons rompus et par une très-petite baie rectangulaire terminée par un cintre pris dans une seule pierre. Les angles latéraux et du sommet de ce triangle ont été restaurés au XIVe siècle, et leurs amortissements primitifs remplacés par trois pinacles. Nous avons essayé de suppléer à cette lacune en nous appuyant sur des vignettes de manuscrits du temps. L’imbrication de petits moellons taillés formant décoration extérieure est appareillée, ainsi que l’indique le détail A, et n’a qu’une faible épaisseur ; ce n’est qu’un revêtement posé devant un mur de maçonnerie ordinaire. Les tablettes de rampant couvraient le tout et formaient filet sur la tuile. Un peu avant la construction de ce pignon, en Auvergne, à Clermont, on élevait l’église de Notre-Dame du Port, dont les pignons étaient richement décorés d’imbrications de billettes et d’incrustations de pierres de deux couleurs (blanches et noires). Nous donnons (fig. 4) un géométral du pignon méridional de cette église.
Ici la construction est plus rationnelle. La corniche des murs goutterots passe à la base du pignon et est adroitement arrêtée par les deux contre-forts A et B. Cette corniche accuse le couronnement de l’édifice, et le triangle du pignon n’est que le masque de la couverture qu’il recouvre au moyen de la tablette saillante formant le rampant suprême. Ces deux exemples et ceux de Saint-Front et de Montmille font voir que les architectes romans cherchaient à donner une certaine richesse relative aux pignons des édifices. Ces tympans triangulaires couronnant les murs, aperçus de loin, à cause de leur hauteur, leur paraissaient comporter une décoration toute spéciale, rappelant la construction de bois des combles qu’ils étaient destinés à masquer. À Notre-Dame du Port, les lignes de billettes incrustées dans la maçonnerie et servant d’encadrements aux mosaïques affectent les dispositions d’une charpente. À Saint-Étienne de Beauvais, c’est un treillis de rondins qui semble posé devant le comble. Mais les amortissements latéraux, composés de deux angles plus ou moins aigus, sans épaulements, sans retours et souvent même sans acrotères, étaient maigres et faisaient naître la crainte d’un glissement des tablettes. Il fallait à ces deux angles un arrêt, un poids, ou tout au moins un retour de profil. La configuration des charpentes et combles que masquaient les pignons nécessitait d’ailleurs un arrangement particulier. En effet, les murs goutterots d’un édifice (fig. 5) étant donnés, ces murs goutterots étaient couronnés d’une tablette de corniche A recevant les coyaux et l’égoût du toit B (les chéneaux n’étant pas en usage au XIIe siècle) ; élevant un pignon devant cette projection, il fallait, ou que la corniche A se retournât à la base du pignon, ou qu’elle s’arrêtât brusquement au nu du mur, ou qu’elle fût masquée par une saillie ab ; il fallait encore que la tablette couronnant le pignon servit de filet recouvrant la toiture, afin d’empêcher les eaux pluviales de passer entre la face postérieure du pignon et la tuile ou l’ardoise. C’est alors (vers le milieu du XIIe siècle) que les architectes cherchèrent diverses combinaisons plus ou moins ingénieuses pour satisfaire à ces conditions. La plus simple de ces combinaisons, adoptée dans beaucoup d’édifices de la Bourgogne et de la haute Champagne vers le milieu du XIIe siècle, est celle que nous présentons (fig. 6).
La corniche des murs goutterots étant prolongée jusqu’au nu du mur pignon, sa saillie recevait les extrémités inférieures du triangle rehaussées en encorbellement de manière à dégager la toiture et à la couvrir au moyen de la saillie a de la tablette. Mais cette tablette, pour ne pas glisser sur la pente du mur triangulaire, devait nécessairement faire corps avec l’assise b, ainsi que l’indique le détail géométral A. Alors le morceau d était assez lourd pour arrêter le glissement des tablettes rampantes e. En faisant tailler cette pierre dans un bloc, les maîtres étaient naturellement obligés de faire tomber le triangle g. Bientôt, au lieu de le jeter bas, ils laissèrent la pierre entière et profitèrent de ce triangle g restant, pour y conserver un petit gable, comme nous l’avons tracé dans le détail B. Cette réserve avait l’avantage de laisser plus de poids à la pierre, d’éviter un évidement, et de donner à l’œil plus de solidité à cette assise d’arrêt. Dans des constructions élevées avec économie même, nous voyons que les architectes apportent une attention toute particulière à couronner les pignons, afin d’éviter le passage des eaux pluviales entre la couverture et la maçonnerie, sans avoir jamais recours à ces solins de mortier ou de plâtre qui se détachent facilement, nécessitent des réparations incessantes et ont un aspect misérable. Quelquefois la tuile vient recouvrir les rampants du pignon, mais au sommet est posée une pierre d’amortissement recouvrant les deux peines de la tuile et les faîtières de terre cuite, ainsi que le fait voir la figure 7[5].
En A, l’amortissement d’extrémité supérieure du pignon est présenté en profil, et en B en perspective. Ainsi le mur est parfaitement préservé par les tuiles du couvert, et la jonction de celles-ci à la pointe du faîtage est garantie par la pierre d’amortissement formant filet sur les côtés, sur la face et par derrière. Le système de charpente et de couverture adopté au commencement du XIIIe siècle donnant habituellement un triangle équilatéral et même quelquefois plus aigu, les pignons prennent de l’importance ; les édifices étant élevés sur une plus grande échelle que dans les siècles précédents, il devient nécessaire, pour donner une assiette convenable à ces ouvrages de maçonnerie, de les combiner avec plus d’art. Présentant une très-grande surface, il faut en même temps les décorer et les alléger, d’autant que souvent ils s’élèvent sur de grands à-jour, roses, larges fenêtres, éclairant l’intérieur des vaisseaux. Les constructeurs cherchent alors à roidir ces grands murs abandonnés à eux-mêmes par des combinaisons de piles et de vides habilement répartis. On éleva en Bourgogne (province des hardis constructeurs), pendant la première moitié du XIIIe siècle, des pignons singulièrement audacieux comme structure, et d’un effet décoratif tout à fait remarquable. Nous en voyons deux, bâtis en même temps, devant le porche de l’église abbatiale de Vézelay et devant la nef de la petite église de Saint-Père sous Vézelay[6], qui présentent à la fois une construction hardie et une décoration d’une extrême richesse. Le pignon de la face occidentale de l’église de Saint-Père avait été construit en prévision d’une surélévation de la nef qui ne fut pas effectuée, de sorte qu’aujourd’hui ce pignon s’élève beaucoup au-dessus des combles. Il devait être flanqué de deux hauts clochers ; celui du nord seul fut construit (voy. Clocher, fig. 70).
Un grand arc (fig. 8) était destiné à tracer la pénétration de la voûte sur la face. Sous cet arc s’ouvre une rose qui surmonte une baie à meneaux[7]. Toute la décoration au-dessus de l’archivolte devait masquer la charpente, et présente dans une arcature une série de statues de grande dimension. Au sommet est assis le Christ bénissant, couronné par deux anges agenouillés. Sous le Christ est placé, debout sur un piédestal, saint Étienne, puis à la droite du Christ la Vierge, à la gauche sainte Anne. À la droite de la Vierge s’échelonnent les statues de saint Pierre, de saint André et d’un troisième apôtre. À la gauche de sainte Anne, saint Paul, saint Jean et un apôtre. Sous les statues de sainte Anne et de la Vierge on voit deux têtes de démons ; les autres statues sont portées sur des pilettes et des culs-de-lampe. Des deux côtés de la rose sont sculptés le lion et le dragon. L’iconographie de ce pignon est donc complète et n’a subi aucune mutilation grave. Quant à la construction de cet important morceau d’architecture, elle consiste en un mur bâti en assises basses, roidi à l’extérieur par l’arcature composée d’assez grandes assises. Les deux clochers devaient l’épauler à ses deux extrémités ; celui du nord ayant été seul élevé, le pignon avait gauchi du côté sud ; mais il a été facile d’arrêter ce mouvement au moyen d’un contre-fort bâti à l’intérieur sur le mur de la nef, dont la voûte actuelle ne dépasse pas le niveau A. Il n’est pas nécessaire de faire ressortir la valeur de cette composition vraiment magistrale, et il faut dire que la statuaire ainsi que la sculpture d’ornement sont traitées de main de maître. Les figures, un peu longues en géométral, prennent en perspective leur proportion réelle, et forment un ensemble surprenant par sa richesse et la belle entente des lignes. Le pignon de la face occidentale de l’église abbatiale de Vézelay, dû très-probablement au même artiste, présente une disposition différente et plus originale encore. Il sert de tympan aux voûtes du porche qui datent du XIIe siècle ; l’arcature est à jour, éclaire le porche et les figures sont placées au droit des piles. Mais, fait unique peut-être, les rampants de ce pignon, au lieu d’être rectilignes, sont formés par deux courbes donnant une ogive (fig. 9)[8].
Les statues qui décorent ce pignon présentent, comme à l’église de Saint-Père, au sommet, le Christ assis, tenant le livre des Évangiles et bénissant ; deux anges portent une large couronne au-dessus de sa tête. À la droite du Christ est la Vierge, à sa gauche sainte Anne. Deux anges thuriféraires terminent la série. Au-dessous on voit, au droit des piliers : saint Jean-Baptiste, saint Pierre, saint Paul et saint Jean, un évêque et un saint que nous n’avons pu désigner. La section des piles formant claire-voie est donnée par le détail A. Les vitraux étant placés en B, il existe un passage entre l’arcature vitrée et l’arcature intérieure un peu moins élevée (fig. 10).


La construction de ce pignon est à étudier et s’explique par le géométral intérieur. La courbe A est celle donnée par le formeret fait au XIIIe siècle sous la voûte B du XIIe. Un arc de décharge C renforce le formeret et passe au-dessus de la galerie (voy. la coupe D, en C′). Un second arc de décharge EE′ supporte le poids de l’extrémité supérieure du pignon, la trace du comble est en ab. Des piles F, F′, maintiennent le placage GG′ formant le fond de la décoration extérieure. Les colonnettes H, isolées et qui sont indiquées dans la section horizontale de l’une des piles de la figure 9, sont donc déchargées par le formeret, par l’arc C′ et par celui E′. De plus, à partir du niveau I, elles sont reliées à la portion des piles donnant à l’extérieur par des languettes K, s’élevant jusque sous l’arc de décharge C′. Le passage L communique par quelques marches aux salles du premier étage des deux tours qui flanquent la façade. De l’intérieur comme de l’extérieur cette grande claire-voie produit beaucoup d’effet, et sa double arcature est disposée d’après une donnée perspective très bien entendue : la balustrade M n’étant pas assez élevée pour masquer l’appui N des baies vitrées ; les arcatures O laissant voir dans tout leur développement les découpures de celle P, et le peu de diamètre des colonnettes H intérieures démasquant les vitraux. Tout cela est bâti en beaux matériaux, la sculpture est traitée de main de maître et date du milieu du XIIIe siècle. La statuaire est empreinte d’un grand caractère, et appartient franchement à la belle école bourguignonne (voy. Statuaire ).

A la même époque, dans l’Île-de-France, on élevait des pignons conçus peut-être avec moins de hardiesse, d’une disposition moins originale, mais dans la composition desquels on observe un goût plus châtié, plus de délicatesse et une meilleure entente de la destination. On remarquera que le pignon de Vézelay est un masque du comble, mais ne se combine guère avec sa forme. Dans nos bons édifices gothiques du XIIe siècle, ceux de l’Île-de-France, ceux auxquels il faut toujours recourir comme étant la véritable expression classique de cet art, les pignons sont bien faits pour fermer le comble, ils l’éclairent franchement et le recouvrent. Nous ne saurions trouver un meilleur exemple que celui fourni par l’un des pignons du transsept de Notre-Dame de Paris (1257). Ce pignon s’élève sur une rose de 13 mètres de diamètre, et est percé lui-même d’un œil en partie aveugle, qui éclaire le comble.
Cette belle composition (fig. 11) est autant décorative que sagement raisonnée. Sur le grand arc qui fait le formeret de la voûte et l’archivolte de la rose est posé un entablement portant balustrade, et qui permet de communiquer des galeries supérieures de l’est à celles de l’ouest. Le pignon proprement dit s’élève en retraite sur l’arc de la rose et porte principalement sur le formeret ; il est de plus supporté par un arc de décharge noyé dans la construction. Ce pignon, qui a 70 centimètres d’épaisseur, est allégé par la rose qui éclaire le comble, dont les parties aveugles ne sont que des dalles portant sculpture, par des rosaces et écoinçons. Deux grands pyramidions le flanquent, forment les têtes des contre-forts contre-butant la rose, et permettent à un escalier postérieur de se développer et de passer au-dessus du comble qu’il recouvre, et sur la jonction duquel il forme un large solin, ainsi que le font voir le profil A et la portion du pignon postérieur B, la section A étant faite sur ab. Trois statues décorent le sommet et les deux angles inférieurs du pignon. Celle du sommet représente le Christ apparaissant en songe à saint Martin, revêtu de la moitié du manteau donné au pauvre[9] ; les deux autres figurent le même saint Martin et saint Étienne[10]. Éclairé par le soleil, ce pignon produit un merveilleux effet. D’ailleurs il accuse parfaitement le comble qu’il est destiné à fermer ; la sculpture en est large, sobre, bien à l’échelle et admirablement traitée. L’œil du comble est d’une proportion parfaitement en rapport avec la grande rose qui s’ouvre sur le transsept. Cette composition ne fut pas surpassée. Le pignon méridional de la cathédrale d’Amiens, élevé vers le milieu du XIVe siècle, présente cependant une disposition originale qui se rapproche de la composition du pignon de Vézelay. Le grand triangle est divisé verticalement par des piles formant comme une suite de contre-forts ornés de statues et de pinacles, et entre lesquels s’ouvrent des jours qui éclairent le comble. Mais là les détails, trop petits d’échelle, sont confus et n’offrent plus cette simplicité de lignes que nous admirons à Paris et même à Vézelay. Pour ne pas laisser isoler ces grands triangles, on eut quelquefois l’idée, au XIVe et au XVe siècle, de les épauler par des galeries à jour ou aveugles qui réunissent leurs rampants aux pyramidions ou tourelles d’épaulement. Un des pignons les mieux composés en ce genre est celui de la façade principale de l’église Saint-Martin de Laon, qui date de la fin du XIIIe siècle ou du commencement du XIVe. Nous en donnons (fig. 12) une vue perspective.
Voulant donner une grande importance aux deux tourelles flanquantes, l’architecte a senti que le pignon entre ces deux clochetons paraîtrait maigre ; aussi l’a-t-il accompagné d’une galerie aveugle qui termine ainsi, comme masse, carrément le portail, et cependant il n’a pas voulu mentir au principe, et a fait reparaître la trace du comble à travers cette galerie. Un peu avant la construction de Saint-Martin de Laon, le célèbre architecte Libergier, pendant la seconde moitié du XIIIe siècle, avait élevé, sur le portail de l’église de Saint-Nicaise à Reims, un pignon relié aux deux tours de la façade par une galerie à jour, ce qui était bien plus vrai que le parti adopté à Saint-Martin de Laon. Cette galerie mettait d’ailleurs en communication les étages supérieurs des clochers[11]. Le pignon de Saint-Nicaise de Reims était percé de trois œils circulaires éclairant le comble, et son nu était décoré d’une imbrication, dernier vestige de cette tradition romane que nous voyons acceptée franchement dans le pignon de l’église de Saint-Étienne de Beauvais, donné plus haut, et dans des pignons des provinces du Centre et de l’Ouest. Comme à la cathédrale de Reims, le pignon occidental de l’église de Saint-Nicaise était doublé, se répétait au droit des faces postérieures des tours, et ce second pignon était, comme celui antérieur, relié aux tours par une galerie à jour semblable à celle de la face. On conçoit combien cette claire-voie doublée devait produire d’effet en perspective. Nous donnons (fig. 13) un géométral du pignon de Saint-Nicaise[12].
Il faut dire que les colonnettes supportant la galerie étaient jumelles, afin de donner l’épaisseur nécessaire au passage courant sur l’arcature (voy. le détail en coupe A). Il ne faut pas croire que l’architecture religieuse seule élevait des pignons d’une grande importance et richesse. Le pignon de la salle du palais à Poitiers est un des plus riches qu’on puisse imaginer et des plus singuliers comme composition. À sa base, à l’intérieur, est établie une cheminée qui embrasse toute sa largeur ; les tuyaux de cette cheminée traversent hardiment les fenêtres qui s’ouvrent dans le pignon. On peut prendre une idée de cette composition en examinant la figure 10 à l’article Cheminée (XVe siècle). Le pignon de la grand’salle du château de Coucy était aussi très-richement décoré sur le dehors (voy. Salle ), et surmonté d’une statue colossale. Une baie immense s’ouvrait sous son triangle et éclairait largement la salle dans sa longueur. Ce pignon appartenait aux constructions élevées par Louis d’Orléans pendant les premières années du XVe siècle. Parmi les pignons d’architecture civile, plus simplement traités, il faut citer ceux du logis du château de Pierrefonds. Nous en présentons (fig. 14) deux spécimens.
Ils se combinent avec les crénelages du château, ainsi qu’on peut le voir en A. Derrière le crénelage ressautant, suivant le rampant du comble, est posé l’escalier de service pour les couvreurs, et pouvant même au besoin être garni de défenseurs. En B est donnée la coupe de ce pignon, l’emmarchement étant profilé en a et le faîtage du comble en b.

Le pignon C, qui appartient au même château, est muni d’un triple tuyau de cheminée d qui interrompt le degré, lequel alors se continue au moyen de marches de plomb sur le comble. En D, nous donnons l’un de ces pignons de granges du XIIIe siècle, avec son contre-fort d’axe destiné à contre-buter la poussée des arcs portant sur une épine de colonnes et soulageant les portées de la charpente. Les architectes du moyen âge ne se faisaient pas faute de munir les pignons de contre-forts suivant les distributions intérieures, soit pour accuser des murs de refend, soit pour contre-buter des arcs. Ils faisaient preuve, dans cette partie importante de leurs édifices, de la liberté que nous aimons à trouver dans leurs œuvres les plus modestes comme les plus riches. Le pignon accuse la coupe transversale d’un édifice, c’est donc la partie qui indique le plus clairement sa construction et sa destination ; les architectes ont compris ainsi sa fonction, et ils se sont bien gardés de la cacher. À voir un pignon du dehors, on saisit facilement les diverses divisions du bâtiment et sa structure, s’il est voûté ou lambrissé, s’il ne possède qu’un rez-de-chaussée, ou s’il se compose de plusieurs étages. Habituellement, les cheminées sont placées dans l’axe des pignons, afin d’amener facilement leurs tuyaux jusqu’au faîte du comble et d’éviter leur isolement. Ces tuyaux forment alors de véritables contre-forts creux qui roidissent les grands triangles de maçonnerie et leur donnent plus d’assiette. L’établissement des pignons dans les édifices civils avait encore l’avantage d’éviter les croupes en charpente d’une construction et d’un entretien dispendieux, et de fournir de beaux dessous de combles bien fermés, aérés et sains.

  1. L’île de Lérins, qui possédait une belle et ancienne abbaye, est située devant l’île Sainte-Marguerite, en face de la rade de Cannes (Alpes-Maritimes).
  2. Voyez, dans l’Architecture byzantine en France par M. F. de Verneilh, la description du pignon de la vieille basilique de Saint-Front, et la gravure qui s’y trouve jointe, p. 93.
  3. Voyez Les monuments de l’ancien Bauvoisis, par M. Woillez, 1849.
  4. Voyez Rose. Voyez aussi l’album de Villard de Honnecourt, pl. XLI.
  5. D’une chapelle de la petite église de Flavigny (Côte-d’Or), XVe siècle. Nous avons trouvé des amortissements de ce genre sur des pignons bourguignons de maisons du XIIIe siècle.
  6. Saint-Père pour Saint-Pierre.
  7. Aujourd’hui cette rose s’ouvre sous le comble de la nef.
  8. À l’échelle de 0,01 pour mètre.
  9. En bas du portail est représentée, à droite et à gauche, la légende de saint Martin.
  10. La légende de saint Étienne est représentée dans le tympan de la porte.
  11. Voy. Clocher, fig. 75.
  12. Voyez la gravure précieuse de De Son, Rémois (1625). Cette belle et unique église dans son genre a été détruite, sans raison comme sans nécessité, au commencement du siècle.