Histoire des Roumains et de leur civilisation/03

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CHAPITRE III

Domination des peuples de la steppe


Aurélien avait retiré ses troupes de la Dacie sous la menace des invasions incessantes des Goths qui avaient détruit l’armée de Décius et qu’avait arrêtés à Niche, au fond de la Mésie Supérieure, la seule victoire de Claude. Déjà, sous la pression des Quades et des Marcomans, les Vandales Astinges s’étaient établis dans la Pannonie et sur la lisière de la Dacie, poussant devant eux les tribus daces des Costoboques, des Bures et des Cotins, qui vinrent accroître dans la région des Carpathes l’importance de l’ancien élément thrace, représenté aussi sur le Danube inférieur par l’indépendance, toujours agitée, des Carpes. Les Romains eux-mêmes y établirent, semble-t-il, en qualité de peuples fédérés, des bandes gothes, juthunges, puis de celles des Gépides aussi, des Taïfales et des Vandales ; mais on ne saurait leur attribuer Je rôle qui revint sur le Rhin aux Francs et aux Burgondes. Dans les régions carpatho-danubiennes, il n’y a aucune trace d’une véritable expansion germanique ; c’est un nouveau chapitre, exactement semblable à ceux qui l’avaient précédés, de la domination « scythe » dans l’Europe orientale.

Il se produisit certainement, dès le IIIe siècle, un mouvement dans le sein de ces peuplades touraniennes qui avaient échappé vers le commencement de l’ère chrétienne au régime de l’aristocratie guerrière des Iraniens. Les vassaux germaniques, qui étaient retenus depuis des siècles dans les formations belliqueuses des Scythes et des Sarmates et qui pratiquaient, dans la Mer Noire, une piraterie pareille à celle des Cosaques àl’époque moderne, durent émigrer vers l’Occident, non pour y trouver des terres à cultiver, mais pour y former des camps d’où ils fussent en état d’entreprendre de nouveaux raids, à la manière des contemporains d’Hérodote. On les trouve sur deux points seulement : le Boudschak ou Bessarabie méridionale (angulus pour les Romains, ongl pour les Slaves), et la Pannonie centrale. Les Goths s’établirent sur le Danube inférieur, près des embouchures, alors que le Danube moyen restait le domaine des Vandales, leurs frères. Pour eux, la Dacie évacuée par les Romains et où toute vie urbaine fut bientôt complètement ruinée, n’offrait aucun attrait ; le territoire lui-même, avec les forêts de la Moldavie actuelle et de la Grande Valachie, avec les marécages du Danube, ne leur disait rien, surtout après que les envahisseurs eurent dévasté les régions déjà colonisées de l’Olténie et des vallées transylvaines. Ils ne voyaient que « le chemin », c’est-à-dire surtout les routes qui, à travers les îles du Delta ou les gués du Danube inférieur, conduisaient à Noviodunum-Isaccea, à travers les Portes-de-Fer, dans le Banat, et, à travers les cours d’eau tributaires du Danube moyen, à Sirmium et à Singidunum, en Pannonie. C’est par là qu’ils firent leurs nouvelles irruptions, sous les empereurs Probus et Carus ; c’est là que les Romains vinrent les chercher à l’époque de Constantin-le-Garand, qui restaura les fortifications des frontières, surtout de celles de la Scythie Mineure, de Tomi aux bouches du Danube, et de ses fils, de ses successeurs, jusqu’à Valens qui devait succomber à une invasion d’un caractère nouveau, venue de ces régions septentrionales où les vicissitudes des dominations barbares menaçaient continuellement l’Empire[1].

Une autre cause empêcha la création de formes politiques et même ethniques nouvelles de ce côté de l’Orient, et conserva intact aux descendants des Thra-ces romanisés leur ancien caractère. Tandis qu’à l’Occident la religion chrétienne cimenta l’union des barbares avec les gallo-romains, le conquérant passa sur notre territoire sans exercer aucune influence sur la vie de l’État, sur les mœurs, sur la langue — il n’y a pas en roumain un seul terme d’origine gothe — ; au contraire, le descendant des bergers daces et des émigrés paysans de l’Italie resta un « homo romanus ». un Romîn, de même que, dans les Alpes, le Romanche, qui ne fut jamais soumis à une domination barbare, ou que, l’habitant de la Campagna, indissolublement liée à l’idée et à l’autorité de Rome.

Le christianisme avait pénétré en Dacie avec la conquête romaine ; les inscriptions attestent que le pays avait reçu, par les colons originaires de l’Orient, l’empreinte des cultes asiatiques qui précédèrent et préparèrent le christianisme. Leur œuvre fut poursuivie pendant toute la durée de la domination impériale, qui amenait sans cesse des hôtes venus des pays où la grande transformation de l’âme humaine s’était accomplie plus rapidement et d’une manière plus complète. La propagation de l’Evangile par les communautés religieuses qui envoyaient des visiteurs d’un groupe à l’autre ne pouvait pas manquer de porter ses fruits sur le Danube.

Les termes se rapportant à la religion montrent d’une manière très claire les conditions, et par conséquent l’époque où le nouveau culte fut adopté par la population. Sans doute des termes tels que « Dum-nezeu » qui vient du latin Domine deus ; « Sînt »[2], qui signifie saint ; « cruce », qui signifie croix ; « icoa-na », qui représente le gréco-romain icon (ειχων) ; « altar », « tîmpla », « rugaciune », « închinaciune », où l’on retrouve les mots latins altar, templa, rogatio-nem, inclinationem ; « cuménecatura », qui vient de communicare, communion ; « marturisire », de marty-risare, qui signifie confesser ; « blastam », qui vient de blasphémas, et « preot », qui vient de presbyter[3], ne portent aucune marque chronologique, aucun cachet historique ; mais le terme de « biserica » (basilica) s’est entièrement substitué au mot ecclesia (église en français), n’a pu ’s’introduire dans nos régions avant l’époque constantinienne, où le culte chrétien commença d’être pratiqué dans les basiliques, destinées jusqu’alors aux affaires de justice et aux réunions publiques. Il faut tenir compte aussi du fait, très important, que la religion est seulement la loi, « lege », et que pendant longtemps ce terme fut employé presque uniquement dans le sens religieux, étant remplacé en ce qui concerne le droit par obiceiu, coutume, tradition (obiceiul pamîntului, coutume de la terre). Si la liturgie latine a conservé en Occident le « Credo », la langue roumaine seule donne un terme populaire dérivé de ce mot latin : crez.

Lorsque les Goths arrivèrent sur le Danube, ils étaient païens. C’est seulement sur la rive droite qu’ils adoptèrent la religion de Constantinople au IIIe siècle, l’hérésie arienne ; ces gens d’esprit simple, mus par une logique enfantine, ne pouvaient admettre l’unité divine dans la Trinité. Quant à « l’homme romain », le Romîn, parlant le « roumain (romîneste), il demeura avec ses évêques (episcopi, le terme gréco-latin est resté intact, pour les prélats latins, on emploie la forme : piscup) sur cette « terre » qui était pour lui la patrie, tara, dans ces villages, sate, à l’ancien nom latin (sata, semailles, champs labourés). Il n’entra pas dans une nouvelle formation politique à laquelle il aurait fallu prêter serment — le roumain a conservé jurare, juramentum dans l’ancien sens, non corrompu, de ces termes — et dans l’armée de laquelleile aurait dû servir — car pour lui aussi l’armée, oaste, vient du mot latin qui indique l’ennemi, hostis. Les notions de seigneur, de vassal, de fief, de service, introduites par le régime germanique en Occident, lui sont restées absolument étrangères. Il n’a pas même, pour désigner le Germain, un mot tiré directement de sa langue : c’est le Neamt, d’après le slave Niémetz. Si, pour ses coutumes populaires, pour ses superstitions, pour ses fêtes illégales, défendues par l’Église, pour son habitation et son système de culture, pour ses ustensiles et pour les ornements de sa casa, de sa cabane (car la mansio, dont vient maison, a disparu, pour ne point parler de la domus classique), il a conservé tout l’ancien trésor de la civilisation thrace primitive ; si l’esprit thrace vit dans la syntaxe, à commencer par la juxtaposition de l’article à la suite du nom (omul, correspondant au latin homo ille), — pour tout ce qui concerne la vie politique, Rome seule était restée l’inspiratrice. Il n’y a pas d’autre autorité que la « domnie » (dominio), du « domn » (dominus) qui est l’empereur, appelé aussi Imparat, comme l’albanais ne connaît pas non plus « l’autre souverain que le mbret (imperator). La notion de la royauté est aussi étrangère au Roumain que celle de principal germanique, avec ses ducs et ses comtes ; c’est aux Slaves qu’il empruntera plus tard les termes qui les désignent : craiu (de kral, dérivé du nom même de Charlemagne, Carolus), cneaz, Voévod. Le centre de groupement est la « cité », cetate, nécessairement fortifiée. Le trône de ses maîtres sera le scaun, scamnum (chaise) ; la Capitale est donc dans la « cetate de Scaun ». Le « citoyen », le cetatean, ennemi de tout ce qui est étranger, strain (extraneus) vit encore par la pensée dans l’ordre romain, dont aucune réalité ne peut le détacher. Il attend, sous Dio-clétien, sous Constantin, de même qu’il attendra sous les empereurs byzantins, le retour des drapeaux. Isolé de Rome par le malheur des temps, il lui appartient encore par l’âme.

Les barbares de la steppe purent prendre bientôt la place de leurs vassaux germaniques. Les Huns, chassant, dans les Balcans, les Goths d’Athanaric et de Fridigern, s’établirent en Pannonie ; ils fondèrent l’empire d’Attila qui ne dura pas même un siècle ; la population indigène, augmentée de colons qu’ils transportèrent de force dans les territoires d’outre Danube, leur paya la dîme, envoya des présents à la cour du Khagan, et n’eut plus rien à craindre d’eux. Les Avares, après avoir séjournée dans la Bessarabie méridionale, suivirent les Huns dans cette même Pannonie ; ils ne présentent, au VIe siècle, qu’une autre forme de la domination scythique purement extérieure ; ça et là, on voit apparaître les aborigènes, restés intacts sous la protection de ces maîtres qui n’avaient d’autre intérêt que celui de se maintenir.

Slaves et roumains.— A ce moment, se produisit dans la seule région du Danube, et non dans celle des montagnes, le grand passage des Slaves vers les Balcans et le littoral adriatique.

L’influence considérable qu’on leur a attribuée n’est pas justifiée par l’examen des sources historiques, ou bien par l’étude des mœurs et de la langue. N’est-on pas allé, au gré des intérêts politiques, jusqu’au point de confondre notre peuple, si manifestement latin pour tout ce qui concerne l’essentiel de la pensée, du sentiment, de la vie individuelle et sociale avec la grande masse slave dont il est entouré ? Or, l’anthropologie et l’ethnographie ne constatent pas le type slave chez les Roumains, mais bien le type thrace, brun, court de taille, vif de physionomie et de figure ouverte. Les emprunts faits aux Slaves par le langage n’ont fait que nuancer, souvent même simplement doubler, le fond primitif servant à exprimer les idées et les sentiments (à côté du verbe a iubi, par exemple, aimer, on a l’ancien sens du verbe : a placea ; chez les Roumains balcaniques : a vrea, vouloir). Si les termes concernant l’agriculture sont slaves, les noms des animaux sont tous sans exception d’origine latine : slaves sont les mots désignant, non les opérations fondamentales du labour, mais seulement les opérations dérivées, et surtout les ustensiles ; et l’histoire montre que le commerce danubien, d’abord latin et grec, puis devenu slave au VIe siècle, a fort bien pu fournir, par les achats dans les villes du rivage et dans les foires (nedei, mot slave), ces termes nouveaux. La nomenclature géographique, si elle est manifestement slave en Transylvanie, a une ancienne origine sarmate. Ainsi limitée, on peut dire cependant que cette influence fut la seule réelle et profonde.

Mais la steppe continuait à envoyer ses peuplades vers ce grand chemin du Danube qui menait aux splendeurs de Byzance. Les nouveaux envahisseurs n’avaient plus cependant la force dont avaient disposé tour à tour les confédérations barbares des Scythes, des Sarmates, des Huns et des Avares. Ils ne formaient plus que de petites bandes qui avaient séjourné long-temps à proximité du territoire de la Rome orientale et s’étaient déjà mêlés, peut-être, à des éléments ethniques étrangers, surtout slaves. Abandonnant la steppe primitive, les Bulgares, dont le nom paraît signifier les « nobles », les « élus »[4], vinrent, sous Asparouk, occuper le Boudschak, sans oser se risquer au delà du cercle montagneux des Carpathes. A la première occasion favorable (vers 670), ils franchirent le Danube et envahirent la Scythie Mineure, laissant de côté les marécages des fleuves et les vallées habitées par les sept tribus des Slaves agriculteurs ; ces raids les menèrent, sous le règne de Khagan Croum, par des voies sanglantes, sous les murs même de la Capitale romaine de l’Orient. Leurs nouveaux sujets étaient Slaves ; ils leur imposèrent leur langue et ainsi ils abandonnèrent peu à peu leurs anciennes coutumes ; la religion seule resta, jusque sous le règne de Boris-Michel, au IXe siècle, plutôt comme un reste de l’ancien cérémonial de la Cour et de l’ancienne légitimation de la dynastie. Puis vinrent d’autres barbares, soudoyés par les Impériaux : les Magyars, mâtinés de sang finnois, quittèrent la Bessarabie méridionale pour descendre dans la Pannonie, désertant pour toujours leurs anciens quartiers, qui avaient été ravagés par un nouveau concurrent turc, les Petschénègues, venus de Sarkel dans la steppe. Dans cette Pannonie, qu’ils arrachèrent aux Moraves, héritiers des ducs francs, ils purent garder leur langue, mais non la pureté de leur race, leurs coutumes et leur religion.

Au lieu de l’ancienne unité scythique formée par les grandis rois de la haute antiquité et de l’empire hun d’Attila ou de ses successeurs avares, il y eut donc trois fondations scythiques : celle des Bulgares, appuyée au commencement sur la Scythie Mineure, celle des Magyares, sur le Danube moyen, et celle des Petschénègues. Ces derniers seuls restèrent complètement isolés dans leurs camps au milieu du désert et de la steppe ; ce fut aussi le sort des Coumans de même sang, qui leur succédèrent au XIe siècle, lorsque Byzance eut écrasé les bandes qui avaient pénétré profondément sur son territoire. Deux cents ans plus tard vint le tour des Tatars.

Il résulta de tout cela que les Slaves de la Mésie, tout en gardant leur langue, perdirent pour toujours leur indépendance politique, que leurs frères pannoniens disparurent sous l’afflux violent des Magyars, mais que les Roumains, n’ayant pas de maîtres chez eux, échappèrent à ce sort, à l’exception des éléments latins qui, ayant donné même des rois à la Bulgarie naissante, un Sabinus et un Paganus, finirent par se confondre dans le milieu slave dominé par la classe militaire des Bulgares. La grande masse de la nation, se trouvant sur la rive gauche, retenue dans l’unité naturelle de la région qui l’encadrait, qui l’appuyait et lui fournissait tous les moyens d’une circulation intérieure, particulièrement intense, n’eut, avec les nouveaux khagans comme avec les anciens, que les relations d’hommage, de tribut, de dîme, de douanes qu’avaient eues jadis les Géto-Daces ou les Agathyrses avec leurs maîtres scytho-sarmates.

Dans la péninsule même des Balcans, si les Slaves avaient complètement colonisé les deux Mésies, s’arrêtant seulement sur le rivage, au point où commençait la lisière grecque que rien n’avait pu entamer ; si la Dalmatie riveraine leur appartenait, avec ses anciennes cités romaines complètement dénationalisées, l’envahissement n’avait pas gagné la montagne, toute cette montagne qui, des Portes-de-Fer, en passant par le nœud qui la relie aux Balcans, s’avance sous le nom de Pinde jusqu’à l’isthme de Corinthe et au plein milieu de la Grèce. Le berger roumain était le maître incontestable de toutes ces hauteurs et les vallées riantes recelaient les abris d’hiver de leurs familles et de leurs troupeaux. Les sources byzantines de montrent dès le VIe siècle dans cette région de la Mésie Supérieure où apparaissent des villages roumains, d’un caractère manifestement pastoral, pareil à celui des localités macédoniennes d’aujourd’hui : « Gémello-munte », « la montagne jumelle » ; « Trédétitilious », « les trente tilleuls » ; « Skeptékasas », « les sept maisons », etc. Dans la montagne du Pinde, du côté de la Dalmatie, on trouve au IXe siècle déjà, des bergers qui s’appellent Neagul, Dracul. Ces Roumains allaient vendre leurs fromages aux citoyens de Raguse, et leurs noms caractéristiques se conservèrent dans les documents de cette République adriatique jusque bien tard dans le moyen âge. Des éléments avancés menaient leurs troupeaux dans les vallées de l’Herzégovine et de la Bosnie, centre d’où partirent, à une époque qui n’est pas très reculée, les Roumains de Croatie, qui, sous le nom de Frincul, « le Franc », sont mentionnés encore au XVIe siècle, lorsqu’ils s’étaient déjà slavisés. Des Morlaques[5], formaient la transition entre les clients valaques des riches Ragusains et ces éléments qui vinrent s’établir en Istrie, du côté de Castel-Nuovo et d’Albona, et qui conservent dans leurs derniers refuges tous les éléments fondamentaux de leur ancien langage, de plus en plus accablé et dénaturé par l’invasion des termes slaves.

Leurs centres plus importants se trouvaient cependant plus bas dans la péninsule balcanique. Entre Vallona et Durazzo et en face de Corfou, ils occupent le rivage, qui est abrupt et inapte à l’agriculture, qu’ils connaissaient bien cependant par une ancienne tradition, sans la pratiquer de préférence. A l’intérieur, on les retrouve en Epire, sur le cours supérieur de la Voïoussa. Mais la chaîne du Pinde est encore en grande partie aussi nettement valaque que les Car-pathes. Des milliers de pâtres menaient à l’automne leurs brebis vers le large cirque montagneux de la Thessalie ; ils y possédaient, au Xe siècle, ces riches villages dominés par des chefs, des « primats » (εχχριτχι), des celnici (du slave ceata, bande), que décrit le biographe anonyme d’un des plus puissants et des plus influents parmi eux, le « Vlaque » Nicolita. L’empire byzantin leur créa une situation spéciale, qu’il n’osa jamais détruire et quand il essaya de l’ébranler dans le détail, ils se révoltèrent. Dans un conflit avec leurs caravanes, périt aux « Beaux Arbres » (χαλάι όρύς), vers l’an 1000, David, un des chefs du mouvement qui, appuyé cependant sur les Albanais et les Vlaques, essaya de reconstituer, « l’Empire » des Bulgares, que les Byzantins de Jean Tzimiscès avaient renversé peu auparavant sur les rivages de la Mer Noire, à Preslav. Mécontents de l’anarchie « romaine », qui les pressurait contre la coutume, ils soutinrent toute cette épopée du « Tzar » Samuel et de ses héritiers du XIe siècle, à commencer par le fils même de Samuel, Gabriel-Romain, dont la mère, une Thessa-lienne, était probablement d’origine valaque. Plus tard, vers 1200, quand l’Empire d’Isaac l’Auge, menacé d’un côté par les Turcs d’Asie Mineure et, de l’autre, par les croisés accourus d’Occident pour les combattre rassemblait ses derniers moyens de défense en hommes et en argent, les celnics Pierre et Asen se soulevèrent, probablement dans le Pinde, avec leurs Vlaques, au nom des anciens droits que les administrateurs du « basi-leus » avaient brutalement violés. Maintenant, ce fut sous des chefs de leur nation que Iles bergers roumains, d’une agilité sans exemple et d’un rare esprit de ressources, reprirent la tradition de leurs coups de main. Il n’y eut pas un coin des Balcans où leurs bandes ne fissent leur apparition dévastatrice contre les Grecs méprisés et contre les Latins du nouvel Empire de Constantinople qu’ils avaient en horreur. Joannice, le frère du fondateur de cet « État », fut le grand Rhoméoktone, « tueur de Rhomées » ; l’empereur féodal Baudoin de Flandre, vaincu, périt dans ses cachots. Mais celui auquel le Pape parlait de ses origines romaines, sans connaître probablement la langue qu’il parlait, et auquel il donnait le nom de « roi des Bla-ques et des Bulgares », n’était, par la fatalité des choses, qu’un continuateur des Tzars d’autrefois, prétendants de nuance bulgare à l’héritage de Constantinople. Déjà le grand règne de son neveu Jean Asan, venu cependant de la rive gauche du Danube, où il s’était abrité au milieu des gens de sa race, n’a plus rien de commun avec les Vlaques, ses parents et ancêtres.

Cette romanité méridionale, malgré des migrations qui n’étaient qu’une transhumance strictement définie, n’entretenait pas de relations continuelles avec les frères de la rive gauche et devait, par conséquent, sur un autre territoire, dans d’autres conditions et avec une occupation généralement différente, avoir un autre sort. C’est uniquement sur le territoire carpatho-danubien que les besoins nouveaux d’une activité économique plus large et plus active pouvaient créer la vie politique de la nation. Quant aux autres Roumains, le manque de base territoriale propre amena, non seulement leur morcellement, mais aussi d’isolement dans un dialecte spécial, resté pauvre et bigarré de termes slaves non assimilés et de bizarres termes grecs.

  1. On a attribué sans aucune preuve à Constantin l’établissement d’un nouveau pont sur le Danube, à Celeiu. Anciennement déjà, il y avait eu, à ce qu’il paraît, un autre pont à Hârsova.
  2. Ce nom se conserve dans les formes composées: Sint-Ilie, Saint-Elie, Sin-Nicoara, Saint-Nicolas, Sin-Toader, Saint-Théodore, Sin-Vâsile, Saint-Basile, Sinziene, St-Jean, Sinpie-tru, St-Pierre, Sintà-Maria, Ste-Marie. Pour ne pas confondre ce mot avec celui qui sort du latin, lat. sum, je suis, on emprunta pour la forme simple un vocable influencé par le svêti de la liturgie slave : « sfînt ».
  3. Les Pâques s’appellent « Pasti », et, si pour Noël on a le tout de même latin de Crăciun, il y a aussi le synonyme Născut.
  4. De même que le terme de boiars (en grec : bolades ; ar est le suffixe du pluriel dans les langues ouralo-altaïques).
  5. Ce nom signifie, selon les uns, « Valaques noirs » (Maurovlaques) ; suivant les autres, et leur opinion est la plus probable, « Valaques de la Mer » (Morevlacchi) ; cf. la Morée, ou « territoire maritime pour les Slaves entrés dans l’ancien Péloponèse ». (Voy. V. Ginffrida-Ruggeri, I Valachi dell’ Adriatico, dans la « Rivista italiana di sociologia », tome XX, p. 286.