Gaspard de la nuit (éd. 1920)/L’Alerte

La bibliothèque libre.
Livre V
Gaspard de la nuitMercure de France (p. 160-161).


V

L’ALERTE


Ne se séparant jamais plus de sa carabine que Dona Inès de la bague du bien-aimé !
Chanson espagnole.


La Posada[1], un paon sur son toit, allumait ses vitres à l’incendie lointain du soleil couchant, et le sentier serpentait lumineux dans la montagne.


*


« Chut ! n’avez-vous rien entendu, vous autres ? demanda un des guérillas, collant son oreille à la fente du volet.

— Ma mule, répondit un arriéro, a fait un pet dans l’écurie.

— Gavache ! s’écria le brigand, est-ce pour un pet de ta mule que j’arme cette carabine ? Alerte ! alerte ! Une trompette ! voici les dragons jaunes. »

Et soudain, au chocs des pots, aux grincements de la guitare, au rire des servantes, au brouhaha de la foule, succéda un silence à travers lequel eût bourdonné le vol d’une mouche.

Mais ce n’était que la corne d’un vacher. Les arriéros, avant de brider leurs mules pour gagner le large, achevèrent leur outre à moitié bue ; et les bandits, qu’agaçaient en vain les grasses maritornes de la noire hôtellerie, grimpèrent aux soupentes, en bâillant d’ennui, de fatigue et de sommeil.

  1. Petite hôtellerie espagnole.