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J’ai du bon tabac (Lattaignant)

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J’ai du bon tabac (Lattaignant)
Un Million de rimes gauloisesA. Delahays (p. 455-457).

J’AI DU BON TABAC DANS MA TABATIÈRE[1]

CHANSON

J’ai du bon tabac dans ma tabatière,
J’ai du bon tabac, tu n’en auras
Pas,
J’en ai du fin et du râpé,
Ce n’est pas pour ton fichu né.
J’ai du bon tabac dans ma tabatière,
J’ai du bon tabac, tu n’en auras
Pas.

Ce refrain connu que chantait mon père,
A ce seul couplet il était borné ;
Moi, je me suis déterminé
A le grossir comme mon né[2].
J’ai du bon tabac, etc


Un noble héritier de gentilhommière
Recueille, tout seul, un fief blasonné ;
Il dit à son frère puîné :
Sois abbé, je suis ton aîné.
J’ai du bon tabac, etc.

Un vieil usurier expert en affaire,
Auquel, par besoin, l’on est amené,
A l’emprunteur infortuné
Dit, après l’avoir ruiné :
J’ai du bon tabac, etc.

Juges, avocats, entr’ouvrant leur serre,
Au pauvre plaideur, par eux rançonné,
Après avoir pateliné,
Disent, le procès terminé :
J’ai du bon tabac, etc.

D’un gros financier la coquette flaire
Le beau bijou d’or, de diamants orné.
Le grigou, d’un air renfrogné,
Lui dit Malgré ton joli né…
J’ai du bon tabac, etc.

Neuperg[3], se croyant un foudre de guerre,
Est par Frédéric assez malmené,
Le vainqueur qui l’a talonné
Dit à ce Hongrois étonné :
J’ai du bon tabac, etc.


Tel qui veut nier l’esprit de Voltaire
Est pour le sentir trop enchifrené ;
Cet esprit est trop raffiné,
Et lui passe devant le né.
Voltaire a l’esprit dans sa tabatière
Et du bon tabac, tu n’en auras
Pas.

Par ce bon monsieur de Clermont-Tonnerre,
Qui fut mécontent d’être chansonné,
Menacé d’être bâtonné,
On lui dit, le coup détourné[4] :
J’ai du bon tabac, etc.

Voilà dix couplets, cela ne fait guère,
Pour un tel sujet bien assaisonné ;
Mais j’ai peur qu’un priseur mal né
Ne chante en me riant au né :
J’ai du bon tabac dans ma tabatière,
J’ai du bon tabac, tu n’en auras
Pas.

Lattaignant.
  1. Je reproduis d’autant plus volontiers cette chanson, depuis si longtemps populaire, qu’on n’en sait guère aujourd’hui que le premier couplet. On ignore l’auteur de l’air.
  2. L’abbé de Lattaignant avait un fort gros nez.
  3. Le comte de Neuperg, général au service de la reine de Hongrie, fut défait à Molwitz par Frédéric en 1741.
  4. L’abbé de Lattaignant ayant pris à partie le comte de Clermont-Tonnerre dans certain vaudeville, celui-ci chargea des gens de le châtier à coups de bâton ; mais ces gens-là se trompèrent aux dépens d’un autre chanoine de Reims, qui, pour son malheur, ressemblait à Lattaignant. L’abbé depuis lors appela malicieusement l’infortuné prêtre son receveur.