À relire

La Périchole

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Pour les autres utilisations de ce mot ou de ce titre, voir La Périchole (homonymie).



La Périchole
(seconde version, en 3 actes)

OPÉRA BOUFFE EN TROIS ACTES
Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 6 octobre 1868.
Repris sur le même théâtre, le 25 avril 1874.


PERSONNAGES
1868 1874
PIQUILLO MM. Dupuis. MM. Dupuis.
DON ANDRÈS DE RIBEIRA Grenier. Grenier.
Le comte de PANATELLAS Christian. Baron.
DON PEDRO Lecomte. Léonce.
TARAPOTE Blondelet. Blondelet.
UN VIEUX PRISONNIER Daniel Bac.
PREMIER NOTAIRE Bordier. Bordier.
DEUXIÈME NOTAIRE Horton. Monti.
UN GEOLIER Coste.
LA PÉRICHOLE Mmes Schneider. Mmes Schneider.
GUADALENA Legrand. Granville.
BERGINELLA Carlin. Lina Bell.
MASTRILLA C. Renault. Schweska.
MANUELITA Julia H. Martin.
FRASQUINELLA A. Latour. Julia.
BRAMBILLA Gravier. Lavigne
NINETTA Bénard. Valpré.
Péruviens, Péruviennes, Indiens, Courtisans, Dames de la cour, Pages, Domestiques, Gardes, Saltimbanques.

La scène se passe au Pérou, à Lima, en 17…


ACTE PREMIER

Une place où aboutissent plusieurs rues. — À gauche, au premier plan, le cabaret des Trois Cousines. — Ce cabaret a un balcon soutenu par deux piliers, des tables couvertes de pots et de gobelets, des tabourets. — À droite, en face du cabaret, la petite maison du vice-roi. — Au fond, un peu à gauche, la maison du notaire. — Un banc sur le devant, à droite.



Scène PREMIÈRE

GUADALENA, BERGINELLA, MASTRILLA, Péruviens et Péruviennes, quelques Indiens.

Au lever du rideau, grande foule et grand mouvement. — Des Péruviens et Péruviennes boivent, attablés ou debout ; d’autres jouent. — Pendant le chœur, les trois cousines vont et viennent et versent à boire.

CHŒUR.
Du vice-roi c’est aujourd’hui la fête,
Célébrons-là ;
D’autant que nous sommes, à tant par tête,
Payés pour ça.
On nous a dit : « Soyez gais,
Criez !… Si vous criez bien,
Tout le jour vous boirez frais,
Sans qu’il vous en coûte rien ! »
Du vice-roi c’est aujourd’hui la fête, etc.
Les trois cousines descendent sur le devant de la scène.
COUPLETS.
GUADALENA.
I
Promptes à servir la pratique,
Nous sommes trois cousines, qui
Avons ouvert cette boutique,
Pour y vendre du riquiqui…
Qui veut du vin ? Buvez ! buvez !
CHŒUR.
À nous ! à nous ! Versez ! versez !
GUADALENA.
Il n’est pas dans tout le Pérou,
Ni dans les nations voisines,
Il n’est pas de cabaret où
L’on fasse plus gaiement glouglou
Qu’au cabaret des Trois Cousines.
CHŒUR.
Ah ! qu’on y fait gaiement glouglou,
Au cabaret des Trois Cousines !
MASTRILLA, passant au milieu.
II
Adressez-vous à la deuxième,
Si la première n’est pas là ;
En manque-t-il deux ? — la troisième,
La troisième vous servira.
Qui veut du vin ? Buvez ! buvez !
CHŒUR.
À nous, à nous ! Versez, versez !
BERGINELLA, venant au milieu.
III
Quand elles sont jeunes, aimables,
On ne sait pas, en vérité,
De quoi trois femmes sont capables,
Avec un peu d’activité !
Qui veut du vin ? Buvez ! buvez !
CHŒUR.
À nous ! à nous ! Versez ! versez !
Ah ! qu’on y fait gaiement glouglou,
Au cabaret des Trois Cousines !

Scène II

Les Mêmes, DON PEDRO.
DON PEDRO, tenant un panier de légumes.

Un mot, les trois cousines !…

TOUTES LES TROIS.

Comment ?…

DON PEDRO.

Ingrates, vous ne me reconnaissez pas ?

GUADALENA.

Le seigneur Don Pedro de Hinoyosa.

BERGINELLA.

Le gouverneur de Lima !

MASTRILLA.

Sous ce costume ?…

Berginella prend le panier et le pose sur une table.
DON PEDRO, passant près de Berginella.

Lui-même… Mais dites-moi, s’amuse-t-on ici ? fait-on du bruit comme il faut ?

GUADALENA.

Mais pas mal, pas mal…

DON PEDRO.

C’est aujourd’hui la fête du vice-roi : il faut que la ville de Lima soit gaie. Si la ville de Lima n’est pas gaie, on pensera qu’elle est mal gouvernée, et moi qui la gouverne, la ville de Lima, je perdrai ma place.

MASTRILLA.

La ville de Lima est gaie.

DON PEDRO.

L’est-elle vraiment ?

BERGINELLA, montrant la foule.

Elle l’est… on rit.

MASTRILLA, de même.

On boit.

GUADALENA, de même.

On chante.

DON PEDRO.

J’ai fait donner à tous les jongleurs, escamoteurs et chanteurs ambulants la permission de jongler, escamoter et chanter dans tous les carrefours… En vient-il ici ?…

BERGINELLA.

Toutes les cinq minutes, il en vient.

DON PEDRO.

C’est bien, alors, c’est très bien… Mais ne nous figeons pas… renouvelons, les trois cousines, renouvelons !… du vin dans tous les verres… et chantons afin de donner aux autres l’idée de chanter !

CHŒUR.
Ah ! qu’on y fait gaiement glouglou,
Au cabaret des Trois cousines !
Pendant la reprise du chœur, les trois cousines versent du vin à tout le monde. Puis elles rentrent dans leur cabaret. — À ce moment, entre par la droite le comte de Panatellas, déguisé en marchand de pains au beurre.

Scène III

Les Mêmes, moins les trois cousines, LE COMTE DE PANATELLAS.
PANATELLAS, portant une manne.

Pains au beurre !… qui en veut ?… qui veut des petits pains au beurre ?…

DON PEDRO.

Moi, Excellence…

PANATELLAS.

Vous m’avez reconnu ?

DON PEDRO, le débarrassant de sa manne.

Ne pas reconnaître le seigneur comte de Panatellas, premier gentilhomme de la chambre !… Je serais un pauvre gouverneur, si je ne savais pas mieux ce qui se passe.

PANATELLAS, passant à gauche.

Vous voilà bien fier, monsieur le gouverneur !… Je parie cepandant que vous ne savez pas ce qui s’est passé, il y a une demi-heure, dans le palais du vice-roi.

DON PEDRO.

Pardonnez-moi, Excellence : il y a une demi-heure, un homme est sorti furtivement du palais par la petite porte des cuisines…

PANATELLAS.

Après ?…

DON PEDRO.

Cet homme, vêtu d’un costume de docteur…

PANATELLAS.
Bien !
DON PEDRO.

N’est autre que Don Andrès de Ribeira, vice-roi du Pérou et notre gracieux maître.

PANATELLAS.

Très bien !

DON PEDRO.

Vous êtes content, Excellence ?

PANATELLAS.

Si content que je vous permets une demi-familiarité… Appelez-moi tout simplement monseigneur, et causons comme une paire d’amis… dans quel dessein pensez-vous que Son Altesse se soit avisée de courir aujourd’hui les rues de Lima ?…

DON PEDRO, riant.

Eh ! eh ! eh !…

PANATELLAS.

Mais encore ?…

DON PEDRO.

Il est toujours gaillard, ce cher vice-roi !… (Montrant la maison de droite.) La petite maison, qui est là, lui appartient. Avant de sortir, il a eu grain soin d’en mettre la clef dans sa poche, et je pense que, ce soir, après le feu d’artifice, il ne serait pas fâché d’y conduire quelque sémillante manola…

PANATELLAS.

Bon… mais croyez-vous que ce soit pour cela seulement ?…

DON PEDRO.
Je crois aussi que le vice-roi, se flattant de ne pas être reconnu, profitera de l’occasion pour adresser aux gens quelques questions… comme ça, sans avoir l’air… afin de savoir un peu, par lui-même, ce que l’on pense de son administration.
PANATELLAS.

Et cela ne vous inquiète pas ?

DON PEDRO.

J’ai pris mes précautions.

Bruit de castagnettes dans le lointain, à droite.

PANATELLAS.

Qu’est ce que c’est que ça ?

DON PEDRO.

On m’annonce que le vice-roi est à cent pas d’ici.

PANATELLAS.

C’est renversant !

DON PEDRO.

Monseigneur est content ?

PANATELLAS.

Tellement content que je te permets une familiarité complète… Appelle-moi Miguel, et tape-moi… (Don Pedro fait le geste de lui taper sur le ventre.) Hein ?… dans la main…

DON PEDRO, montrant le ventre de Panatellas.

Et là… jamais ?…

PANATELLAS.

Sois fidèle… et nous verrons. (Nouveau bruit de castagnettes, plus rapproché.) Et ça… qu’est-ce que ?…

DON PEDRO.

C’est le vice-roi… Asseyez-vous là, et rabattez votre chapeau sur vos yeux.

Panatellas va s’asseoir à une table à gauche, devant le cabaret ; Don Pedro va s’asseoir à droite sur un banc. Entre alors par le fond, à droite, Don Andrès de Ribeira, en costume de docteur. Il traverse les groupes qui, tout en riant sous cape, affectent de ne pas faire attention à lui. Les trois cousines sont sorties de leur cabaret et observent malicieusement Don Andrès.

Scène IV

MASTRILLA, GUADALENA, BERGINELLA, DON ANDRÈS DE RIBEIRA, PÉRUVIENS ; puis PANATELLAS.
CHŒUR, à demi-voix.
C’est lui, c’est notre vice-roi !
Ne bougeons pas, tenons-nous coi…
Nous le reconnaissons très bien ;
Mais il faut qu’il n’en sache rien,
Rien, rien, rien, absolument rien !
DON ANDRÈS, arrivé sur le devant de la scène.
I
Sans en souffler mot à personne,
Par une porte du jardin,
Laissant là-bas sceptre et couronne,
Je me suis sauvé ce matin ;
Maintenant je vais par la ville,
Le nez caché dans mon manteau,
Je vais, je viens, je me faufile
Incognito.
CHŒUR, piano.
Ah ! ah ! le bel incognito !
DON ANDRÈS.
Ah ! qu’un monarque s’ennuierait,
Si, pour se distraire, il n’avait
L’incognito !
CHŒUR, piano.
Respectons son incognito !
DON ANDRÈS
II
Je puis me le dire à moi-même,
Aussitôt que je suis lâché,
Ce que j’aime, là, ce que j’aime…
Mon Dieu !… ce n’est pas un péché…
C’est de prendre la taille aux dames,
Et, fringant comme un diabloteau,
D’aller chez les petites femmes
Incognito.
CHŒUR, piano.
Ah ! ah ! le bel incognito !
DON ANDRÈS.
Ah ! qu’un monarque s’ennuierait,
Si, pour se distraire, il n’avait
L’incognito !
CHŒUR, piano.
Respectons son incognito !

Mastrilla rentre dans le cabaret.

DON ANDRÈS.

Un verre de chicha par là-dessus… (À Guadalena.) Hé ! la belle enfant, allez me chercher un verre de chicha…

GUADALENA, en riant.

Oui, monsieur le docteur…

Elle rentre dans le cabaret.

DON ANDRÈS.

Elle est gaie… (A Berginella, qui veut s’en aller avec sa cousine.) Restez un peu, vous… vous n’avez pas besoin de vous mettre deux pour aller me chercher… restez un peu et causons, voulez-vous ?…

BERGINELLA, en riant.

Je veux bien, monsieur le docteur…

DON ANDRÈS, étonné de la voir rire.

Elle aussi !… eh bien, dites-moi… c’est vous qui tenez ce cabaret ?

BERGINELLA, en riant.

Ce cabaret ?

DON ANDRÈS.
Eh ! oui !
BERGINELLA, en riant.

Oui, c’est moi qui tiens… avec mes deux cousines…

DON ANDRÈS.

Ah ! c’est très bien… Et la consommation ?

BERGINELLA, en riant.

La consommation ?

DON ANDRÈS.

Oui, cela va-t-il un peu, la consommation ?

BERGINELLA, en riant.

Si cela va, monsieur le docteur ?…

DON ANDRÈS.

Ah ça ! mais…

Mastrilla sort du cabaret, elle apporte le chicha et pose le pot sur la première table à gauche, à laquelle est déjà installé le premier buveur.

BERGINELLA, en riant et montrant Mastrilla.

Ah ! ma foi, demandez cela à ma cousine Mastrilla… Quant à moi, je ne peux plus…

Elle rentre dans le cabaret en riant toujours.
DON ANDRÈS, regardant Mastrilla.

Tiens, c’est la troisième cousine !…

MASTRILLA, en riant.

Oui, Guadalena n’a pas osé venir… parce que…

Elle rit de plus belle.
DON ANDRÈS.

C’est de famille !…

Il va s’asseoir à la table.

MASTRILLA, riant.

Parce qu’elle avait peur de rire au nez de…

DON ANDRÈS.

Au nez de ?…

MASTRILLA, riant toujours.
Au nez de monsieur de docteur…
DON ANDRÈS, lui donnant une pièce de monnaie.

Tenez, et laissez-moi tranquille toutes les trois.

MASTRILLA, qui a passé à gauche.

Mais, monsieur le docteur…

Elle rentre dans le cabaret en riant aux éclats.
DON ANDRÈS.

Il n’y a pas moyen de parler sérieusement avec ces péronnelles… Mon Dieu ! qu’on a de peine à savoir la vérité !… (Il commence à boire et examine ses voisins. — Ceux-ci le regardent en souriant.) Après cela, si elles sont gaies… (Murmure général de satisfaction.) si tout le monde est gai, c’est que tout va bien… (À Panatellas qui est à sa table.) N’est-ce pas monsieur ?… c’est que l’on a pas trop à se plaindre…

PANATELLAS, sans bouger.

Vive le vice-roi !

DON ANDRÈS.

Vraiment, monsieur ?

DON PEDRO, même jeu.

Vive le vice-roi !

DON ANDRÈS, avec satisfaction.

Ah ! vive le vice-roi !… c’est très bien… mais, enfin, il n’y a rien de parfait en ce monde, et l’on pourrait sans doute trouver bien des choses à redire…

PANATELLAS, se levant.

Vive le vice-roi !… je ne connais que ça, moi… (Menaçant) Est-ce que vous ne seriez pas de mon avis ?

DON ANDRÈS.

Si fait ! si fait !

PANATELLAS.
C’est que, si vous n’étiez pas de mon avis…
DON ANDRÈS, effrayé.

Eh ! eh !

DON PEDRO, s’approchant de Don Andrès.

Criez alors, criez avec nous : (Criant à tue-tête.) Vive le vice-roi !

DON ANDRÈS.

Vive le vice-roi !

PANATELLAS et DON PEDRO.

A la bonne heure !…

DON ANDRÈS.

À la bonne heure !… Ça va très bien dans ce quartier-ci.

DON PEDRO.

Et dans les autres quartiers, ça va encore mieux.

DON ANDRÈS.

Vous croyez ?…

PANATELLAS.

Voulez-vous aller voir ?

DON ANDRÈS.

Je veux bien.

PANATELLAS.

Allons-y, alors !

DON ANDRÈS

Allons-y !

Tous les trois sortent en criant : « Vive le vice-roi ! ». La foule, tout en éclatant de rire, crie : « Vive le vice-roi !… ». Quand Don Andrès, Don Pedro et Panatellas sont hors de vue, musique à l’orchestre. — Tous les regards de la foule se dirigent alors vers le fond à droite, par où arrivent la Périchole et Piquillo, chanteurs ambulants, pas riches du tout, portant guitares en sautoir. Ils descendent sur le devant de la scène. — Aux premiers accords, les trois cousines sont sorties de leur cabaret.

Scène V

MASTRILLA, BERGINELLA, GUADALENA, PIQUILLO, LA PÉRICHOLE, péruviens puis des saltimbanques.
PIQUILLO, à Guadalena.

Vous permettez, n’est-ce-pas ?

GUADALENA.

Mais très volontiers, mon garçon, très volontiers !

PIQUILLO.

Merci, ma bonne demoiselle… Ma bonne demoiselle, je vous remercie bien… (Ils se préparent et mettent un petit tapis devant eux. Sur le tapis ils étalent des cahiers de chansons et placent une soucoupe pour la quête.) Espérons que nous allons faire ici plus que nous n’avons fait jusqu’à présent !

LA PÉRICHOLE.

Dis-moi, Piquillo ?…

PIQUILLO.

Quoi ?

LA PÉRICHOLE.

Décidément, bien décidément, tu tiens à faire la quête toi-même ?

PIQUILLO.

Oui, j’y tiens.

LA PÉRICHOLE.

C’est bon, alors !…

PIQUILLO.

Et si j’y tiens, c’est que j’ai mes raisons pour y tenir… J’ai très bien remarqué que, lorsque tu passes entre les tables…

LA PÉRICHOLE.
C’est bon, je te dis !… Mais je sais ce qui nous attend.
PIQUILLO.

Je l’ai très bien remarqué, et ça ne me va pas… Tu y es ?

LA PÉRICHOLE.

J’y suis.

PIQUILLO,
dit le titre de la chanson à la foule qui se rapproche pour écouter.

L’Espagnol et la jeune Indienne.

Puis tous les deux chantent en s’accompagnant sur leurs guitares.

PIQUILLO.
I
Le conquérant dit à la jeune Indienne :
« Tu vois, Fatma, que je suis ton vainqueur
Mais ma vertu doit respecter la tienne,
Et ce respect arrête mon ardeur.
Va dire, enfant, à ta tribu sauvage,
Que l’étranger qui foule ici son sol,
A pour devise : Abstinence et courage !
On sait aimer, quand on est Espagnol ! »
LA PÉRICHOLE et PIQUILLO
On sait aimer quand on est Espagnol !
LA PÉRICHOLE, pendant la ritournelle, parlé.

Deuxième couplet.

II
À ce discours, la jeune Indienne, émue,
Sur son vainqueur soulève ses beaux yeux ;
Elle pâlit et chancelle à sa vue,
Car il lui plaît, ce soldat généreux.
Un an plus tard, gage de leur tendresse,
Un jeune enfant dort sous un parasol…
Et ses parents chantent avec ivresse :
« Il grandira, car il est Espagnol ! »
PIQUILLO et LA PÉRICHOLE.
Il grandira, car il est Espagnol !
Après ce couplet, Piquillo fait le tour de la foule, en commençant par la gauche et en présentant, comme plateau, le dos de sa guitare.
PIQUILLO.

Messieurs, mesdames, je vous en prie, donnez pour les chanteurs… pour la jolie chanteuse… (Personne ne donne. — Piquillo, furieux, redescend près de la Périchole.) Panés, va !

LA PÉRICHOLE.

Qu’est-ce que je t’avais dit ?… (Prenant la soucoupe) À mon tour… je t’en prie !…

PIQUILLO.

Eh bien ! va… mais je ne te perds pas de vue…

LA PÉRICHOLE, passant à droite.

Tu devrais… je t’assure…

PIQUILLO.

Ça ne me serait pas possible.

LA PÉRICHOLE, bas.

Allons, soit !… mais tâche au moins d’être raisonnable et de ne pas tout casser, si tu t’aperçois que l’on me dit des bêtises.

Piquillo commence à gratter sa guitare et la Périchole fait la quête, en commençant par la droite. — Quand un de ceux à qui elle s’adresse fait mine de s’émanciper, Piquillo joue avec fureur ; s’agite et prend des airs menaçants.

LA PÉRICHOLE.

Allons, messieurs, un peu de courage à la poche… mes bons messieurs !…

UN GROS BUVEUR, à droite.

Dis-moi, la belle…

PIQUILLO, sans s’interrompre.

Attends un peu, toi, le gros là-bas !…

LA PÉRICHOLE, continuant sa quête.

Encouragez les petits chanteurs, allons, messieurs !

UN BUVEUR MAIGRE, à gauche.
Mais je ne demande pas mieux, quant à moi…
PIQUILLO, de même que ci-dessus.

Eh ! le petit grêle… qui a la barbe en pointe… attends un peu !…

LA PÉRICHOLE.

Ah ! si c’est comme cela !…

Elle revient à Piquillo.
PIQUILLO.

Eh bien !… tu vois…

LA PÉRICHOLE, jetant la soucoupe sur le tapis.

Ça ne peut pas compter, mon ami… je t’en prie, chantons quelque chose encore, quelque chose de vif… après, laisse-moi faire la quête encore une fois… mais laisse-moi la faire comme je l’entends…

PIQUILLO.

Hum !…

LA PÉRICHOLE.

Et tu verras…

Au moment où, pour la seconde fois, ils vont chanter, des saltimbanques venant de la droite, passent au fond, accompagnés par une musique de foire. Ils traînent un chariot dans lequel sont des chiens savants.

LES SALTIMBANQUES.
Levez-vous et prenez vos rangs,
Pour venir voir les chiens savants !
LA FOULE.
Levons-nous et prenons nos rangs,
Pour aller voir les chiens savants !
Et la foule sort, courant après les saltimbanques qui s’en vont par le fond à gauche. — Il ne reste en scène que Piquillo et la Périchole.

Scène VI

LA PÉRICHOLE, PIQUILLO
PIQUILLO.

Les voilà bien !…

LA PÉRICHOLE.

Nous quitter pour courir après des chiens savants !… pour aller écouter une musique de saltimbanques !…

Elle prend les quatre coins du tapis et le met sous son bras avec tout ce qu’il contient.
PIQUILLO.

Tandis que nous… qui représentons l’art…

LA PÉRICHOLE.

L’art sérieux…

PIQUILLO.

On nous laisse là… seuls tous les trois…

LA PÉRICHOLE.

Comment, tous les trois ?…

PIQUILLO, comptant sur ses doigts.

Eh bien, oui… toi, moi, et l’art.

LA PÉRICHOLE.

Ah !…

PIQUILLO.

Pauvre art !… après ça, tu sais… de nous trois… c’est encore lui le moins à plaindre des trois… car enfin… l’art… il est immortel… Et alors, n’est-ce pas ?… étant immortel, il n’a pas besoin ni de déjeuner, ni de souper… tandis que nous… qui en avons besoin, nous n’avons pas déjeuné, nous…

LA PÉRICHOLE.
Et quant à souper, nous nous en passerons…
PIQUILLO.

C’est probable.

LA PÉRICHOLE.

Qu’est-ce que tu as, toi ?

PIQUILLO, cherchant dans sa poche.

Moi, je n’ai rien.

LA PÉRICHOLE.

Ce n’est pas assez.

PIQUILLO.

Et toi, qu’est-ce que tu as ?

LA PÉRICHOLE.

Moi, j’ai… je commence à avoir un peu d’appétit…

PIQUILLO.

C’est trop.

LA PÉRICHOLE.

Je le sais bien que c’est trop, mais ce n’est pas ma faute…

PIQUILLO.

Ô mon amante !

LA PÉRICHOLE, se jetant dans ses bras.

Ô mon amant !

PIQUILLO.

Tu m’aimes, au moins ?…

LA PÉRICHOLE.

Oui, je t’aime !…

PIQUILLO.

Puisqu’il ne nous reste plus l’un à l’autre que toi à moi, et moi à toi… dis-le-moi encore une fois, que tu m’aimes…

LA PÉRICHOLE.
Eh ! oui… je t’aime !…
PIQUILLO

Parce que, vois-tu… tout ça, au fond, ça me serait encore bien égal, si je n’avais pas là un idée qui me tracasse…

LA PÉRICHOLE.

Quelle idée ? voyons…

PIQUILLO, avec conviction.

J’ai peur que ça ne t’ennuie de ne jamais rien avoir à manger…

LA PÉRICHOLE.

Moi !… par exemple !…

PIQUILLO.

Oui… j’ai peur qu’à la longue…

LA PÉRICHOLE.

Il n’y a pas de danger…

PIQUILLO.

Vrai ?… ça ne t’ennuie pas ?

LA PÉRICHOLE.

Au contraire, mon ami, au contraire…

PIQUILLO.

À la bonne heure !… et cette parole me donne du courage !… En avant, la Périchole, en avant !

Il remonte.
LA PÉRICHOLE.

Et où ?…

PIQUILLO.

Eh bien, mais… nous sommes chanteurs… alors… allons chanter autre part, puisque ici on ne nous a rien donné.

LA PÉRICHOLE.
Va chanter, si tu veux… quant à moi, je n’ai plus la force de bouger.
PIQUILLO, redescendant.

Que vas-tu faire alors ?

LA PÉRICHOLE, passant à droite.

Voici le soir qui vient… je vais m’étendre là… et tâcher de dormir un peu… Qui dort dîne… on le dit, du moins…

Elle étale son tapis à terre, le long du banc.
PIQUILLO.

Et tu vas essayer de cette cuisine-là ?

LA PÉRICHOLE.

Il est évident que j’en aimerais mieux une autre… mais, puisque…

Elle pose sa guitare sur le banc.
PIQUILLO.

O mon amante !

LA PÉRICHOLE, courant à lui.

O mon amant !

PIQUILLO.

Ma Périchole adorée !

LA PÉRICHOLE.

Mon cher Piquillo !

PIQUILLO.

Si encore nous étions mariés !…

LA PÉRICHOLE.

Qu’est-ce que ça y ferait ?

PIQUILLO, l’embrassant.

J’aurais le droit de te prendre un baiser… au moins… et ça nous ferait prendre patience.

Il l’embrasse encore.
LA PÉRICHOLE.
Oui, ça nous ferait prendre patience.
PIQUILLO.

Mais va te promener !… Nous ne le sommes pas, mariés.

LA PÉRICHOLE, avec un soupir.

C’est vrai, que nous ne le sommes pas.

PIQUILLO.

Ça coûte quatre piastres pour se marier… quatre piastres !… l’administration n’a pas honte d’exiger… Chien de pays !

LA PÉRICHOLE.

Fichue journée !

PIQUILLO.

Tu m’aimes, au moins ?…

LA PÉRICHOLE.

Je te l’ai déjà dit.

PIQUILLO.

C’est vrai… mais, tu sais… c’est cette diable d’idée qui me tracasse.

LA PÉRICHOLE.

Puisque je t’assure…

PIQUILLO.

Ça ne fait rien… dis-le-moi encore une fois, que tu m’aimes.

LA PÉRICHOLE.

Je t’adore !

PIQUILLO.

Ah !… Je vais chanter, alors, et tâcher de récolter quelques maravédis…

LA PÉRICHOLE, s’étendant sur le tapis.

C’est ça, va chanter… moi, je vais dormir.

Elle pose sa tête sur le banc. Elle s’endort ; Piquillo s’éloigne en fredonnant.
PIQUILLO.
Il a perdu son alène,
Le pauvre cordonnier ;
Il est bien dans la peine,
Il n’pourra plus fair’de souliers !

Piquillo chante cela à demi-voix. — Il croit qu’une fenêtre s’ouvre, qu’on va lui jeter quelque chose : alors sa voix devient plus forte. — Il revient sur ses pas et tend son chapeau ; on ne jette rien : alors sa voix redevient traînante, il s’éloigne et s’en va définitivement par la gauche. — Au même instant, Don Andrès rentre par la droite.


Scène VII

DON ANDRÈS, LA PÉRICHOLE.
DON ANDRÈS.

Ces deux messieurs avec qui je suis sorti tout à l’heure, ces deux messieurs qui criaient : « Vive le vice-roi ! » j’ai fini par les reconnaître. L’un était le premier gentilhomme de ma chambre, et l’autre, le gouverneur de la ville… Ah ! la vérité ! la vérité ! qui est-ce qui me la dira, la vérité ?

LA PÉRICHOLE, rêvant.

Fichue journée !

DON ANDRÈS.

Qu’entends-je ?

LA PÉRICHOLE, de même ?

Chien de pays !

DON ANDRÈS, se levant.
Je ne me trompe pas !… Serait-ce elle, enfin ?… (Don Andrès s’approche de la Périchole et la contemple pendant quelques instant, puis : ) C’est une femme !… elle est jeune… elle est belle !… Elle paraît être dans une position de fortune voisine de l’indigence.
LA PÉRICHOLE, se réveillant.

Décidément, on a beau dire… dormir et dîner, ce n’est pas la même chose… j’aimerais mieux dîner.

DON ANDRÈS, trébuchant, comme s’il recevait un coup très violent.

Ah ! mon Dieu !… qu’est ce qui m’arrive donc, à moi ?

LA PÉRICHOLE, se mettant précipitamment sur son séant.

Eh bien ?… eh bien ?…

DON ANDRÈS.

Ce n’est rien ! c’est ce que les poètes appellent le coup de foudre ! Ah !… me voilà amoureux !…

LA PÉRICHOLE, se levant et courant à lui.

Vous ne vous êtes pas fait mal ?

DON ANDRÈS, avec transport.

Non, je vous remercie. (Plus calme.) Ça y est, je suis pris !… c’est une passion !… (Avec tendresse.) Votre nom ?

LA PÉRICHOLE.

La Périchole.

DON ANDRÈS.

Tout à l’heure, je vous écoutais… j’ai cru d’abord que vous étiez la Vérité.

LA PÉRICHOLE.

La Vérité ?

DON ANDRÈS.

C’était une erreur, sans doute… Et cependant tout me porte à croire que, si vous daigniez en prendre le costume…

LA PÉRICHOLE, fièrement.

Des libertés !…

DON ANDRÈS.
Pardon, je plaisantais.
LA PÉRICHOLE.

Ah ! je suis bien en humeur !…

DON ANDRÈS.

En effet, vous seule, au milieu de cette ville en fête, semblez triste… Confiez-les-moi…

LA PÉRICHOLE.

Quoi donc ?

DON ANDRÈS.

Vos chagrins.

LA PÉRICHOLE.

À quoi bon ?

Elle remonte vers la gauche.
DON ANDRÈS.

Qui peut savoir ?…

LA PÉRICHOLE, à part.

Et Piquillo, Piquillo, qui ne revient pas !… il paraît que, cette fois encore, la recette…

DON ANDRÈS.

Hein ? quoi ? Je n’ai pas entendu. Encore quelque méchanceté… Vous n’étiez pas gentille tout à l’heure.

LA PÉRICHOLE, redescendant.

Comment ?…

DON ANDRÈS.

Ce pauvre gouvernement, vous tapiez dessus.

LA PÉRICHOLE.

Oh ! vous savez… je suis ennuyée… alors, je trouve que tout va mal… Mais, si je n’étais pas ennuyée, je trouverais que tout va bien.

DON ANDRÈS.

Vraiment, vous n’avez pas d’autres griefs ?

LA PÉRICHOLE.
Eh ! non !
DON ANDRÈS.

Mais alors…

LA PÉRICHOLE.

Quoi donc ?

DON ANDRÈS.

Rien… Continuez, donnez-moi des détails, parlez-moi de vous… Votre famille ?

LA PÉRICHOLE.

Obscure.

DON ANDRÈS.

Votre état ?

LA PÉRICHOLE.

Chanteuse.

DON ANDRÈS.

Mariée ?…

LA PÉRICHOLE.

Non.

DON ANDRÈS.

Et… (À lui-même.) Mon Dieu ! c’est cela qui est important… je fais la demande et, en attendant la réponse, je tremble. (Haut.) Et pas… d’amoureux ?…

LA PÉRICHOLE.

Qu’est-ce que cela peut vous faire ?

Elle remonte.

DON ANDRÈS.

Ce que cela peut me faire !… Eh bien ?…

LA PÉRICHOLE, après avoir regardé à gauche si Piquillo revient et avoir vu qu’il ne revient pas.

Non, pas d’amoureux !

DON ANDRÈS.
Ah !… Réjouissez-vous alors, tous vos maux vont finir… je vous emmène…
LA PÉRICHOLE.

Où cela ?

DON ANDRÈS.

À la cour, dans le palais du vice-roi.

LA PÉRICHOLE.

Qu’est-ce que j’aurai à faire ?

DON ANDRÈS.

Vous serez demoiselle…

LA PÉRICHOLE, indignée.

De compagnie ?

DON ANDRÈS.

Non, d’honneur… demoiselle d’honneur de la vice-reine.

LA PÉRICHOLE, avec étonnement.

De la vice-reine ?

DON ANDRÈS.

Je comprends votre étonnement… Le vice-roi a eu, en effet, la douleur de perdre… mais il a tenu à garder quelque chose qui lui rappelât celle qu’il avait tant aimée !… Et, alors, il a gardé… j’ai gardé le service des demoiselles d’honneur.

LA PÉRICHOLE.

Vous avez dit : « J’ai gardé… » Vous seriez donc ?…

DON ANDRÈS.

C’est vrai… je me suis trahi.

LA PÉRICHOLE.

Ah !…

DON ANDRÈS.

Je me suis trahi… mais je ne le regrette pas… pourvu que, toi, tu me promettes de ne jamais me trahir.

LA PÉRICHOLE.

Pas si vite !… Il ne manque pas de gens sur le pavé de Lima qui, pour se moquer d’une pauvre fille, s’amusent à lui dire : « Je suis le vice-roi… » Et puis, après, ils se mettent à rire et ils disent : « Je suis tout bonnement Velasquez, ou Perez, ou… »

DON ANDRÈS.

Vous doutez ?

LA PÉRICHOLE.

Un brin.

DON ANDRÈS.

Vous voudriez des preuves ?

LA PÉRICHOLE.

Ça ne pourrait pas faire de mal.

DON ANDRÈS, tirant une piastre de sa poche.

Eh bien ! regardez.

LA PÉRICHOLE.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

DON ANDRÈS

Vous ne savez pas ?

LA PÉRICHOLE.

J’ai bien comme une idée vague, mais…

DON ANDRÈS

C’est une piastre.

LA PÉRICHOLE, prenant vivement la piastre.

Une piastre !… voilà donc ce que c’est qu’une piastre !

Elle la regarde avec avidité.
DON ANDRÈS, montrant la face de la piastre.

Et là… vous voyez… ce profil…

LA PÉRICHOLE.

Eh bien ?…

DON ANDRÈS

Eh bien !… (Se posant) Vous ne reconnaissez pas ?…

LA PÉRICHOLE, le regardant et comparant.
C’est vrai, ma foi… vous êtes très flatté, mais c’est vous.
DON ANDRÈS

Comment ! je suis flatté ?…

LA PÉRICHOLE.

Oh ! oui ! et ferme !…

DON ANDRÈS, à lui-même.

Ah ! la vérité !… la vérité !… (Haut.) Doutez-vous maintenant ?

LA PÉRICHOLE, à part.

Mon Dieu !… Piquillo !… Pour lui-même ne vaudrait-il pas mieux ?… D’un autre côté, l’abandonner… Ah ! quelle situation (Regardant vers la gauche.) S’il revenait, au moins, s’il revenait !…

DON ANDRÈS

Vous avez la manie de vous parler à vous-même… Eh bien ! doutez-vous ?…

LA PÉRICHOLE.

Mais… pourquoi ne douterais-je pas ?… Un homme peut avoir des piastres dans sa poche, un homme peut ressembler au vice-roi, sans être pour cela…

DON ANDRÈS

Eh bien !… une preuve encore… Viens et crie avec moi…

Il remonte.
LA PÉRICHOLE.

Que je crie ?…

DON ANDRÈS.

Oui, crie avec moi : « A bas le vice-roi !… »

LA PÉRICHOLE, remontant aussi.

Je veux bien, moi…

LA PÉRICHOLE et DON ANDRÈS, ensemble.

A bas le vice-roi !… A bas le vice-roi !

À ces cris, Panatellas accourt de la gauche, Don Pedro de la droite. Tous deux se précipitent sur le vice-roi, qu’ils saisissent.

Scène VIII

LA PÉRICHOLE, PANATELLAS, DON ANDRÈS, DON PEDRO.
PANATELLAS, en homme du peuple.

Eh bien ! eh bien !… quel est l’insolent qui se permet ?…

DON ANDRÈS, riant.

C’est moi !

PANATELLAS, le lâchant.

C’est vous, Altesse !

DON PEDRO, de même.

Il n’y avait que vous à qui l’idée pût venir de faire une pareille farce, Altesse.

LA PÉRICHOLE.

Altesse !…

DON ANDRÈS, avec bonté et allant à elle.

Êtes-vous convaincue, mon enfant ?

LA PÉRICHOLE.

Oui, maintenant.

DON ANDRÈS.

Et vous me suivrez ?

LA PÉRICHOLE.

Que voulez-vous ? puisqu’il n’y a pas moyen de faire autrement… Oui, mais, d’abord… vous avez des tablettes sur vous ?…

DON ANDRÈS, les tirant de sa poche.

Les voici.

LA PÉRICHOLE, les prenant.
Donnez-les-moi… une lettre à écrire, avant de vous suivre… une lettre à écrire… à quelqu’un.
DON ANDRÈS, inquiet.

À qui donc ?

LA PÉRICHOLE, avec dignité.

À une vieille parente.

DON ANDRÈS.

Ah ! comme tu m’as fait peur !… Tu ne sauras jamais comme tu m’as fait peur !

La Périchole s’éloigne et va écrire sa lettre sur une table à gauche.

PANATELLAS.

Ah ! mais, dites donc, Altesse, ah ! mais dites donc !…

DON ANDRÈS, passant entre Panatellas et don Pedro.

Qu’y a-t-il, messieurs ?

DON PEDRO.

Cette femme…

DON ANDRÈS.

Eh bien, messieurs ?…

PANATELLAS.

Nous nous proposons donc de l’installer dans notre petite maison ?… hé…

DON ANDRÈS.

Mieux que cela, messieurs… je l’emmène au palais.

DON PEDRO.

Ah !… En titre, alors ?

DON ANDRÈS.

En titre… Elle occupera le petit appartement du troisième.

PANATELLAS.

Celui qu’occupait autrefois la jeune duchesse d’Acapulco ?

DON ANDRÈS.
Cela vous gêne, monsieur mon premier gentilhomme ?
PANATELLAS.

Oui, cela me gêne un peu… parce que, cet appartement étant vacant, n’est-ce pas ?… j’avais pris l’habitude d’y fourrer un tas de chose… Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit.

DON PEDRO, appuyant.

Il s’agit du règlement.

DON ANDRÈS.

Le règlement ?… mais il ne me défend pas, je suppose…

PANATELLAS, tirant de sa poche un petit livre richement relié.

Certainement, non… il ne vous défend pas… mais enfin… il met certaines restrictions…

DON PEDRO

Votre Altesse étant veuf…

PANATELLAS, le reprenant.

Veuve…

DON PEDRO.

J’aime mieux veuf.

PANATELLAS.

Une Altesse… il faut dire veuve.

DON PEDRO, indiquant le vice-roi.

Mais lui, puisqu’il est, lui, du genre masculin !…

PANATELLAS.

Qu’est-ce que ça fait ?

DON PEDRO.

Je croyais que ça faisait quelque chose…

PANATELLAS.
Allez donc apprendre l’espagnol. (A Don Andrès.) Votre Altesse étant veuve…
DON ANDRÈS.

Oui, je suis veuve…

PANATELLAS, continuant.

Et se trouvant dans l’âge où il est plus aisé de faire une sottise que de frapper le taureau entre les deux épaules, il a été décidé par le règlement que votre Altesse ne pourrait… sous-louer le petit appartement du troisième qu’à une femme mariée.

Il lui montre un passage du petit livre.

DON PEDRO, à Don Andrès.

Est-elle mariée ?

DON ANDRÈS.

Non, elle ne l’est pas.

DON PEDRO.

Eh bien, alors ?…

LA PÉRICHOLE.

Eh ! là-bas… eh ! le vice-roi !…

Elle se lève.
PANATELLAS, à Don Andrès.

À vous ! on vous appelle…

DON ANDRÈS, courant à la Périchole.

Mon amour ?… Et bien, cette lettre ?…

LA PÉRICHOLE.

Je l’écris… J’aurai bientôt fini… Mais je ne serais pas fâchée de faire parvenir en même temps… Vous n’auriez pas sur vous, par hasard, un sac… un petit sac tout plein de ces jolis portraits que vous me montriez tout à l’heure ?…

DON ANDRÈS, inquiet.

Pour qui ?

LA PÉRICHOLE, avec dignité.
Pour ma vieille parente.
DON ANDRÈS, montrant sa petite maison.

Si fait, là, dans cette maison, qui est à moi et dans laquelle j’espère que vous me ferez le plaisir de dîner avec moi tout à l’heure.

LA PÉRICHOLE, avec élan.

Dîner !…

DON ANDRÈS.

Vous voulez bien.

LA PÉRICHOLE.

Oui, je veux bien.

DON ANDRÈS.

J’ai là ce que vous me demandez ; je le vais quérir et je vous l’apporte, mon amour !

LA PÉRICHOLE.

Oui, allez ! (À part.) Il me demande si je veux dîner !

Elle va se rasseoir à la table et se remet à écrire.
DON ANDRÈS, à Panatellas et à Don Pedro.

En effet, messieurs, elle n’est pas mariée, et le règlement exige qu’elle le soit… je vous remercie de me l’avoir rappelé… Je vous charge, vous, monsieur le premier gentilhomme de ma chambre, de trouver au plus vite quelque pauvre diable qui consente à l’épouser… (Allant à Don Pedro.) vous, monsieur le gouverneur de la ville, de trouvez un notaire qui consente à bâcler immédiatement ce mariage… Et si dans deux heures… vous m’entendez bien… si dans deux heures… tout n’est pas fini, j’accepterai la démission de tous vos emplois, charges et dignités… (Allant à sa petite maison et se retournant avant d’y entrer.) sans oublier les appointements !… (Appuyant.) Immédiatement !

Il entre dans la petite maison, les laissant stupéfaits.
DON PEDRO.
Que faire, Miguel ?…
PANATELLAS, remettant le règlement dans sa poche.

Obéir, Pedro… et plus tard nous verrons.

DON PEDRO, montrant la maison du fond.

Alors, j’entre là… Il y a ici un notaire, je vais tâcher de le décider.

PANATELLAS.

Et je vais, moi, tâcher de trouver un mari !

Dan Pedro entre dans la maison qui est au fond. — Panatellas entre dans le cabaret, après avoir fait à la Périchole de grandes révérences.


Scène IX

LA PÉRICHOLE, puis DON ANDRÈS et ensuite les Trois Cousines.
LA PÉRICHOLE, seule.

Ah ! Piquillo ! pauvre Piquillo !… que vas-tu dire, quand tu recevras cette lettre ?…

Elle se lève, sa lettre à la main, et se met à la relire.
MORCEAU.
« O mon cher amant, je te jure
Que je t’aime de tout mon cœur ;
Mais, vrai, la misère est trop dure,
Et nous avons trop de malheur !
Tu dois le comprendre toi-même,
Que cela ne pourrait durer,
Et qu’il vaut mieux… (Dieu ! que je t’aime ! )
Et qu’il vaut mieux nous séparer !
Crois-tu qu’on puisse être bien tendre,
Alors que l’on manque de pain ?
À quels transports peut-on s’attendre,
En s’aimant quand on meurt de faim ?
Je suis faible, car je suis femme,
Et j’aurais rendu, quelque jour,
Le dernier soupir, ma chère âme,
Croyant en pousser un d’amour…
Ces paroles-là sont cruelles,
Je le sais bien… mais que veux-tu ?…
Pour les choses essentielles,
Tu peux compter sur ma vertu.
Je t’adore !… Si je suis folle,
C’est de toi !… compte là-dessus…
Et je signe : la Périchole,
Qui t’aime mais qui n’en peut plus !… »
Paraît Don Andrès sur le seuil de sa petite maison. Il tient un sac de piastres à la main.
DON ANDRÈS.

Me voilà, moi !

LA PÉRICHOLE.

Avec les ?…

DON ANDRÈS.

Oui, avec les petits portraits.

Il lui donne le sac.
LA PÉRICHOLE.

C’est très bien… Appelez, maintenant… faites venir quelqu’un.

DON ANDRÈS, passant à gauche et appelant.

Holà !… hé !… les trois cousines !…

Entrent les trois cousines.
GUADALENA, riant.

Nous voici, monsieur le docteur, nous voici !

DON ANDRÈS, montrant la Périchole.

C’est à madame qu’il faut parler.

BERGINELLA, riant.

C’est très bien, monsieur le docteur.

DON ANDRÈS.

Qu’est-ce que vous avez à rire, à la fin ?

MASTRILLA, riant.
Mais rien, monsieur le docteur, rien absolument !…
LA PÉRICHOLE, allant aux trois cousines.

Tenez, voici une lettre… (À Don Andrès.) Je présume que vous allez me faire le plaisir de ne pas écouter.

DON ANDRÈS, avec empressement.

Je m’éloigne, mon amour… je m’éloigne…

Il se retire à droite
LA PÉRICHOLE, aux trois cousines, en donnant la lettre Guadalena.

Tenez, voici une lettre que vous remettrez à ce grand garçon, qui, tout à l’heure, a chanté avec moi… Tenez… vous lui remettrez en même temps…

Elle donne aussi le sac de piastres.
DON ANDRÈS, se rapprochant.

À présent, si nous allions dîner ?

LA PÉRICHOLE, à part, en regardant le côté par lequel Piquillo est sorti.

Ah ! maintenant encore, s’il revenait… mais puisqu’il ne revient pas… Allons dîner, puisqu’il ne revient pas !…

Elle reprend machinalement son tapis par les quatre coins et se dispose à l’emporter.
DON ANDRÈS.

Eh bien, qu’est-ce que vous faites donc ?

LA PÉRICHOLE.

Ah !…

Elle rejette le tapis près du banc et entre avec Don Andrès dans la petite maison.

Scène X

MASTRILLA, GUADALENA, BERGINELLA puis PIQUILLO.
GUADALENA.

On nous a chargées de remettre une lettre et l’on nous a donné un sac d’argent !… Comment entendez-vous cela, mes cousines ?

BERGINELLA.

Mais il me semble que c’est très simple.

MASTRILLA.

Il n’y a pas deux façons d’entendre la chose… Il faut remettre la lettre très exactement…

GUADALENA.

Sans doute !

BERGINELLA.

Et quant au sac d’argent…

MASTRILLA.

Il faut le garder pour la commission.

GUADALENA, passant à droite.

Voilà !

Rentre par le fond à droite Piquillo, désespéré, le chapeau enfoncé sur les yeux, murmurant son refrain d’une voix qu’on entend à peine.
PIQUILLO

Deux maravédis… en tout ! deux maravédis ! et encore, il y en a un qui a une façon de sonner… Pauvre Périchole !… Est-ce bien la peine de la réveiller, pour lui dire ?… Tiens !… où donc est-elle ?…

BERGINELLA, s’approchant.
Beau chanteur !…
MASTRILLA, de même.

Nous avons une lettre pour vous, beau chanteur.

PIQUILLO

Une lettre ?

GUADALENA, lui donnant la lettre.

Oui, une lettre qu’une personne, qui était ici tout à l’heure, nous a priées de vous remettre.

PIQUILLO, après avoir parcouru la lettre, à lui-même.

Ah ! Mon Dieu !… il ne manquait plus que ça !..

Guadalena passe à gauche de Piquillo.
MASTRILLA.

Dites-nous, beau chanteur… Si vous avez envie de consommer quelque chose ?…

BERGINELLA.

Ne vous gênez pas.

GUADALENA.

Et, vous savez, pour le prix, nous n’en parlerons pas.

PIQUILLO.

Je vous remercie bien de votre honnêteté… mais là, vrai, pour l’instant, je n’ai pas le cœur à la consommation… Ce sera pour une autre fois, si vous le voulez bien, ce sera pour une autre fois !

Les trois cousines rentrent dans leur cabaret. — L’orchestre joue piano le motif de la lettre pendant la scène qui suit.

Scène XI

PIQUILLO, seul, relisant un passage de la lettre.
« Je t’adore !… Si je suis folle,
C’est de toi !… compte là-dessus…
Et je signe : La Périchole,
Qui t’aime, mais qui n’en peut plus ! »

C’est très bien et je pense que maintenant le pauvre Piquillo a chanté sa dernière chanson.

Relisant la lettre.
« Pour les choses essentielles,
Tu peux compter sur ma vertu… »

Mais certainement j’y compte !… et tu vas voir comme j’y compte !… Ah ! Périchole ! Périchole !… (Il regarde autour de lui, aperçoit la guitare de la Périchole et en détache la corde.) Une corde… voici qui en tiendra lieu. (Il va au cabaret et avis un gros clou à l’un des piliers.) Un clou ! c’est très bien… un escabeau, maintenant… (Il prend un tabouret et le met sous le clou.) Là… j’ai tout ce qu’il me faut… (Il monte sur le tabouret, attache le ruban au clou et se le passe autour du cou.) Il n’y a plus qu’à donner un coup de pied dans l’escabeau… ça a l’air tout simple… et c’est justement la chose délicate… allons !… une ! deux !… trois !… (Il ne bouge pas.) Décidément, c’est la chose délicate… C’est comme, au billard, le dernier carambolage… tous les amateurs vous diront que c’est le plus difficile… allons !…

Panatellas sort rapidement du cabaret et heurte par mégarde le tabouret qui tombe ; Piquillo se trouve pendu ; la corde qui doit être très élastique s’allonge et Piquillo tombe sur le dos de Panatellas, qui se met à crier.


Scène XII

PIQUILLO, PANATELLAS, puis les Trois Cousines.
PIQUILLO, tout étourdi, soutenu par Panatellas.

Ah ! mon Dieu ! ah ! mon Dieu !…

PANATELLAS.
Holà ! quelqu’un !… à moi !… (Les trois cousines accourent ; Berginella prend un tabouret sur lequel on fait asseoir Piquillo.) Cet homme… il était là… en train de se pendre !…
GUADALENA, vivement.

Ah ! ce n’est pas notre faute, seigneur… Nous lui avons offert…

PANATELLAS.

Bien ! bien ! (À Piquillo.) Un mot seulement… es-tu marié ?

PIQUILLO, encore étourdi.

Hé ?…

PANATELLAS.

Es-tu marié ?

PIQUILLO.

Non.

PANATELLAS, aux trois cousines.

Emmenez-le chez vous, alors, et faites-le revenir à lui… donnez-lui à boire… j’irai lui parler tout à l’heure.

Berginella et Guadalena font lever Piquillo et le soutiennent.
PIQUILLO, emmené, ou, pour mieux dire, emporté par Guadalena et Berginella.

Qui est-ce qui a donné un coup de pied dans l’escabeau ?… ça n’est pas moi !… ça n’est pas moi !…

Il entre dans le cabaret avec Guadalena et Berginella. — Mastrilla remet le tabouret à sa place ; Don Andrès sort de sa petite maison.

Scène XIII

MASTRILLA, PANATELLAS, DON ANDRÈS, puis DON PEDRO, ensuite GUADALENA et enfin BERGINELLA.
DON ANDRÈS, vivement à Mastrilla.

Du malaga !… Vite, la fille, apportez-nous du malaga !

MASTRILLA, riant.

Oui, monsieur le docteur.

Elle entre dans le cabaret.
DON ANDRÈS, à Panatellas.

Eh bien ! comte, avez-vous trouvé ?…

PANATELLAS.

Mais, oui, j’espère…

DON ANDRÈS.

Ah ! mon ami !… cette femme, c’est un ange !… Une réserve, une distinction… et un appétit !… Par exemple, quand je lui ai proposé de la marier, elle a refusé tout net… Mais j’espère la décider avec deux ou trois verres de malaga.

PANATELLAS.

Je ne perds pas de temps, alors, et je vais, moi, tâcher de décider mon homme.

DON ANDRÈS.

En même temps, je vous en prie, dites donc à cette fille de se dépêcher avec ce malaga…

Panatellas entre dans le cabaret. — Don Pedro sort brusquement de la maison du fond.
DON PEDRO, criant.

Du porto !… Tout de suite, du porto !…

DON ANDRÈS, allant à lui.

Eh bien ! monsieur le gouverneur, ce notaire ?…

DON PEDRO.

J’ai eu du bonheur, Altesse… Celui qui demeure là était chez lui… et je l’ai trouvé en train de jouer une petite partie avec un de ses collègues.

DON ANDRÈS.

Quel heureux hasard !

DON PEDRO.

Je leur ai proposé l’affaire… mais il font un tas d’objections… Il disent que c’est aujourd’hui jour de fête et qu’alors… Avec du porto j’en viendrai à bout.

Mastrilla sort du cabaret avec le malaga.
MASTRILLA.

Le malaga demandé !…

DON PEDRO.

Je vous en prie, la belle, ayez la bonté de me faire donner du porto, à moi.

MASTRILLA.

Tout de suite, monsieur. (Criant à la porte du cabaret.) Du porto pour monsieur le gouverneur !

GUADALENA, dans l’intérieur du cabaret.

Voilà ! Voilà !

DON ANDRÈS, à Mastrilla.

Maintenant, venez vite.

Il traverse la scène et entre dans sa petite maison avec Mastrilla portant le malaga. — Panatellas sort du cabaret.
PANATELLAS.

Pas moyen de se faire servir dans cette maison !

DON PEDRO.

À qui en avez-vous, Miguel ?

PANATELLAS.

S’il est Dieu possible d’imaginer des choses pareilles !… Un homme qui ne demandait pas mieux que de se pendre !… je lui propose de se marier, et il fait des façons… Heureusement, avec du madère… (Mastrilla sort de la maison de Don Andrès.) Mademoiselle, je vous prie, envoyez-moi du madère…

MASTRILLA.

Oui, monsieur.

Elle entre dans le cabaret. — Guadalena en sort, apportant du porto.
GUADALENA.

Pour où ça, le porto ?… pour où ça ?

DON PEDRO.

Pour ici, mademoiselle, pour ici.

Il entre avec Guadalena dans la maison du fond.
PANATELLAS, criant, à la porte du cabaret.

Tout ce que vous avez de plus fort comme madère, n’est-ce pas ?… tout ce que vous avez de plus fort !

Don Andrès sort de sa maison.
DON ANDRÈS.

Du xérès, je vous prie… je ne serais pas fâché d’avoir un peu de xérès…

PANATELLAS.

Eh bien, Altesse ?

DON ANDRÈS, un peu ému.

Eh bien ! ça va, mon ami… ça va très bien !… pourtant elle a encore des scrupules… des tout petits… Aussi, avec quelques biscuits trempés dans du xérès… (Guadalena sort de la maison du fond.) Mademoiselle, je vous prie, du xérès…

GUADALENA.

Tout de suite, monsieur.

Elle rentre dans le cabaret, Don Andrès repasse à droite.
DON ANDRÈS, à Panatellas.

Vous savez, si ça peut vous aider à décider votre homme, annoncez-lui qu’en se mariant, il devient marquis de Mançanarez, comte de Tabago.

PANATELLAS.

Je n’y manquerai pas, Altesse.

DON ANDRÈS.

Annoncez-lui ça… Si ça ne fait pas de bien, ça ne peut pas faire de mal.

MASTRILLA, sortant du cabaret avec le madère.

Voici le madère…

GUADALENA, de même, avec le xérès.
Voici le xérès !
PANATELLAS, allant à Mastrilla.

Par ici, le madère !

DON ANDRÈS.

Par ici, le xérès !

Don Andrès entre dans sa petite maison avec Guadalena, et Panatellas rentre dans le cabaret avec Mastrilla. — Don Pedro, un peu gris, sort de la maison du notaire.

DON PEDRO.

De l’alicante, maintenant ! il paraît que le collègue aime mieux l’alicante…

BERGINELLA, paraissant sur la porte du cabaret.

Monsieur veut ?…

DON PEDRO.

De l’alicante, la belle enfant !…

BERGINELLA.

Tout de suite, monsieur.

Elle rentre.
DON PEDRO.

Ça ne va pas du tout là-dedans… (À Guadalena qui sort de chez don Andrès.) Figurez-vous cousine, que ça ne va pas du tout… Ils boivent tout ce qu’on veut, mais, quant à consentir à ce que je leur demande… va te promener !

Il prend la taille de Guadalena, qui lui échappe en riant et rentre dans le cabaret au moment où Berginella en sort, tenant une bouteille d’alicante.

BERGINELLA.

Alicante, monsieur !

DON PEDRO.

Venez, alors, venez vite.

Il entre dans la maison du fond avec Berginella. — En même temps, Don Andrès et Panatellas paraissent, l’un à droite, l’autre à gauche, assez gris tous les deux.
DON ANDRÈS, sortant de sa maison.

Eh bien, mon ami ?

PANATELLAS, sortant du cabaret.

Eh bien, Altesse ?

DON ANDRÈS, avec joie.

Elle consent, mon ami, elle consent !… mais j’ai eu du mal !…

PANATELLAS.

Moi aussi, j’ai eu du mal !… je ne le regrette pas, puisque j’ai réussi…

DON ANDRÈS.

Votre homme est décidé ?

PANATELLAS.

Tout à fait décidé… Seulement, pour venir à bout des scrupules de ce drôle, il a fallu livrer une si belle bataille que je le déclare incapable de faire dix pas.

DON ANDRÈS.

N’est-ce que cela ?… Le mariage aura lieu ici.

PANATELLAS

Ici ?

DON ANDRÈS.

Ici même. (À Berginella, qui sort de la maison du fond.) Annoncez cela à vos amis et connaissances, mademoiselle la cabaretière, et dites-leur que, si ça les amuse de voir un mariage pour de bon, ils n’ont qu’à venir ici tout à l’heure.

BERGINELLA.

Je vais le leur dire, monsieur le docteur !

Elle va au fond, fait des signes comme pour appeler, puis rentre au cabaret. Don Pedro sort de la maison du fond, un peu plus gris que précédemment, très gai.
DON ANDRÈS.

Eh bien, ces notaires ?…

Don Pedro se contente de sourire et d’incliner la tête, pour faire comprendre qu’ils ont consenti enfin. Tout en souriant, il s’approche de Panatellas et lui donne une tape sur le ventre. — Don Andrès est rentré dans sa maison.

PANATELLAS.

Eh bien, monsieur !…

DON PEDRO.

Pardonne-moi, Miguel, j’en mourrais d’envie !


Scène XIV

DON PEDRO, PANATELLAS, Foule de Péruviens et d’Indiens, arrivant de tous côtés, les Trois Cousines, sortant de leur cabaret, puis les Deux Notaires, puis DON ANDRÈS, puis LA PÉRICHOLE, et enfin PIQUILLO.
FINALE.
CHŒUR.
Holà ! hé !… holà de là-bas,
Venez vite… pressez le pas.
On dit que, pour nous amuser,
Deux personnes vont s’épouser,
Et qu’à leur santé l’on boira,
Sans avoir à payer pour ça.
Holà ! de là-bas, venez tous
Boire à la santé des époux !
Don Pedro va chercher les deux notaires, qui paraissent à la porte de la maison du fond suivis de leur clercs.
GUADALENA.
Voici les notaires !… paix là !
Les deux notaires, les voilà !
BERGINELLA.
Accompagnés de leurs deux clercs.
MASTRILLA, riant.
Ah ! comme ils marchent de travers !
LES TROIS COUSINES, riant.
Ah ! comme ils marchent de travers !
LE CHŒUR, de même.
Ah ! comme ils marchent de travers !

Les deux notaires sont entrés, donnant chacun le bras à don Pedro. — Pendant que l’on chante : « Ah ! comme ils marchent de travers, etc. » ils décrivent et font décrire à don Pedro une marche en zigzag. Les trois cousines passent à gauche.

LES DEUX NOTAIRES, à Don Pedro.
Tenez-nous bien par le bras,
Et ne nous remuez pas !
PREMIER NOTAIRE.
Le xérès était fort vieux
DEUXIÈME NOTAIRE.
Le malaga valait mieux
PREMIER NOTAIRE.
Que dites-vous du madère ?
DEUXIÈME NOTAIRE.
Un rude vin, mon confrère !
PREMIER NOTAIRE.
L’alicante était fort sec.
DEUXIÈME NOTAIRE.
J’ai pris des biscuits avec.
PREMIER NOTAIRE.
Et le porto ! quel régal !
DEUXIÈME NOTAIRE.
Oui, mais il me fait du mal.
LES NOTAIRES, à Don Pedro.
Tenez-nous bien par le bras,
Et ne nous remuez pas !
DON PEDRO, les lâchant.
Allons, messieurs, quittez mes bras,
Et prenez le bras de vos clercs !
Les clercs viennent prendre leurs patrons.
LES TROIS COUSINES, pendant que les notaires, appuyés sur leurs clercs, remontent la scène.
Ah ! comme ils marchent de travers !
LE CHŒUR.
Ah ! comme ils marchent de travers !
DON ANDRÈS, sortant de sa maison, à don Pedro.
Eh bien, tout est-il prêt ?…
DON PEDRO.
Eh bien, tout est-il prêt ?… Il ne manque plus rien.
DON ANDRÈS, allant prendre la Périchole, qui sort de sa maison, recouverte d’un long voile avec couronne et bouquet de fleurs d’oranger.
Voici la fiancée !
LE CHŒUR.
Voici la fiancée !
DON ANDRÈS.
Elle est un peu lancée,
Mais ça lui va fort bien.
La Périchole paraît, en effet, un peu lancée.
LA PÉRICHOLE.
I
Ah ! quel dîner, je viens de faire !
Et quel vin extraordinaire !
J’en ai tant bu… mais tant et tant,
Que je crois bien que maintenant
Je suis un peu grise…
Mais chut !
Faut pas qu’on le dise !
Chut !
Pendant la ritournelle, elle chancelle un peu et passe à droite de Don Andrès ; les trois cousines descendent à droite et Panatellas va rejoindre Don Pedro à gauche.
II
Si ma parole est un peu vague,
Si tout en marchant je zigzague,
Et si mon œil est égrillard,
Il ne faut s’en étonner, car…
Je suis un peu grise,
Mais chut !
Faut pas qu’on le dise !
Chut !
DON ANDRÈS.
C’est un ange, messieurs !
LA PÉRICHOLE, à Don Andrès.
C’est un ange, messieurs ! Dites-moi, je vous prie,
Ce qu’il faut que je fasse ?…
DON ANDRÈS.
Ce qu’il faut que je fasse ?… Enfant, je vous marie.
LA PÉRICHOLE.
Moi ! jamais de la vie !
DON ANDRÈS et PANATELLAS.
Vous vouliez tout à l’heure…
LA PÉRICHOLE.
Vous vouliez tout à l’heure… Oui, lorsque j’avais faim !
J’ai dîné maintenant, seigneur, c’est autre chose.
DON ANDRÈS.
À votre souverain
Vous osez résister ?
LA PÉRICHOLE.
Vous osez résister ? Je l’ose !…
Elle passe à droite. Les cousines remontent.
PANATELLAS, bas, à Don Andrès.
Nous la déciderons.
DON ANDRÈS.
Nous la déciderons. Exhibons le mari.

Il s’approche de la Périchole.

DON PEDRO, regardant à gauche.
Le voici ! le voici !
Paraît Piquillo sortant du cabaret, absolument gris. La Périchole le reconnaît. Lui est hors d’état de reconnaître personne et de rien comprendre à ce qui se passe.
CHŒUR, à demi-voix.
Ah ! les autres étaient bien gris,
Mais il l’est tant, celui là, gris,
Qu’à lui tout seul il est plus gris
Que tous les autres n’étaient gris !
Panatellas passe à droite de Piquillo.
LA PÉRICHOLE, à part.
C’est lui !… c’est Piquillo !…
DON ANDRÈS.
C’est lui !… c’est Piquillo !… Vous dites, chère enfant ?
LA PÉRICHOLE.
Ne soyez plus fâché… je consens maintenant.
PIQUILLO.
Messieurs, je vous salue et d’abord je dirai…
Je ne sais pas pourquoi… mais je suis assez gai…
Pour avoir bien bu, j’ai bien bu…
Faut maintenant payer mon dû,
Faut se marier, et, ma foi,
Ne sais à qui, ne sais à quoi !
Mais, où diable est ma femme ?
LES TROIS COUSINES, montrant la Périchole.
Mais, où diable est ma femme ? Elle est là-bas, au bout.
PANATELLAS, à Piquillo.
Ne la voyez-vous pas ?
Don Andrès fait avancer la Périchole. Les trois cousines descendent à droite.
PIQUILLO
Ne la voyez-vous pas ? Je ne vois rien du tout.
Panatellas pousse Piquillo vers la Périchole.
Êtes-vous là ?
LA PÉRICHOLE, ramenant son voile sur sa figure.
Êtes-vous là ? J’y suis.
PIQUILLO, à la Périchole.
Êtes-vous là ? J’y suis. Pourrais-je vous prier
D’écouter quelques mots dits en particulier ?
Il amène la Périchole sur le devant de la scène.
Je dois vous prévenir, madame,
En bon époux,
Que j’aime fort une autre femme,
Pas du tout vous !…
N’ayant pour vous, soyez en sûre,
Rien dans le cœur,
Je vous tromperai, je vous jure,
Avec bonheur !
LA PÉRICHOLE.
Comme vous ferez, je ferai…
Si vous me trompez, je vous le rendrai.
PIQUILLO.
Me tromper, vous !…
LA PÉRICHOLE.
Me tromper, vous !… Vous verrez ça.
ENSEMBLE.
Allons-y ! qui vivra verra !
DON ANDRÈS.
Mon Dieu !… que de cérémonie !…
Qu’on se hâte et qu’on les marie !
CHŒUR.
Qu’on se hâte, et qu’on les marie.
Les deux clercs placent une table au milieu de la scène.
LA PÉRICHOLE, à Piquillo.
Donnez-moi la main, cher seigneur !
PIQUILLO, lui donnant la main.
Je vous la donne, et de grand cœur.
LA PÉRICHOLE.
Vous me paraissez un peu gris.
PIQUILLO
Ma belle, c’est que je le suis.
LA PÉRICHOLE et PIQUILLO.
Nous aurons tous deux, sur l’honneur,
Un adorable intérieur.
DON ANDRÈS, à part.
Elle est à lui, de par la loi :
Par conséquent, elle est à moi !
PANATELLAS, à part.
Encourageons sa passion,
Pour sauver ma position.
DON PEDRO, à part.
Ah ! puisse cet événement
Me valoir de l’avancement !
LES NOTAIRES.
Marions-les vite : après ça,
Nous vous promettons qu’on boira.
CHŒUR.
Le beau mariage
Que nous voyons là !
Le joli ménage
Que cela fera !
Que la vie est belle,
Quand le vin est bon !
J’ai dans la cervelle
Des airs de chanson !

Sur la ritournelle, les deux notaires se placent derrière la table. Don Andrès y conduit la Périchole, et Panatellas y pousse Piquillo. Cela se fait avec quelques difficultés, vu l’état des époux.

PREMIER NOTAIRE, à Piquillo.
Répondez-nous… vous, le mari…
Vous prenez madame
Pour femme ?
PIQUILLO.
Oui, oui, oui, oui !
CHŒUR D’HOMMES.
Oui, oui, oui, oui !
DEUXIÈME NOTAIRE, à la Périchole.
Répondez-nous aussi, madame :
Vous prenez monsieur pour mari ?
LA PÉRICHOLE.
Oui, oui, oui, oui !
CHŒUR DE FEMMES.
Oui, oui, oui, oui !

On quitte la table que les clercs enlèvent.

LES NOTAIRES, avec une grande gaieté.
C’est fini, mes petits amis,
Au nom de la loi, vous êtes unis !
CHŒUR.
Au nom de la loi, vous êtes unis !
Les notaires descendent à gauche.
CHŒUR.
Le beau mariage
Que nous voyons là !
Le joli ménage
Que cela fera !
Que la vie est belle,
Quand le vin est bon !
J’ai dans la cervelle
Des airs de chanson !
LA PÉRICHOLE, à Piquillo.
Donnez-moi la main, cher seigneur.
PIQUILLO.
Je vous la donne de bon cœur.
LA PÉRICHOLE.
Vous me paraissez un peu gris.
PIQUILLO
Ma belle, c’est que je le suis.
CHŒUR.
Gai ! gai ! mariez-vous !
Vivent les deux époux !
DON ANDRÈS, venant au milieu avec Panatellas, bas.
Et maintenant, séparez-lez,
Et qu’on les conduise au palais !
PANATELLAS, bas.
Séparément ?
DON ANDRÈS, bas.
Séparément ? Certainement.
Don Andrès retourne à la gauche de la Périchole et Panatellas à la gauche de Piquillo.
CHŒUR.
Il se fait tard, la nuit est noire ;
Qu’on les reconduise chez eux !
Allons, partez… Tout porte à croire
Que vous serez heureux tous deux !

Entrent alors, de droite et de gauche, deux riches palanquins portés chacun par quatre hommes. Don Andrès fait monter la Périchole sur celui de gauche, et Piquillo et poussé par Panatellas sur celui de droite. Puis les porteurs enlèvent les palanquins sur leurs épaules.

PIQUILLO, reprenant à tue-tête le motif de la Jeune Indienne.
Un peu plus tard, gage de leur tendresse,
Un jeune enfant dort sous un parasol.
LA PÉRICHOLE.
Et ses parents chantent avec ivresse :
« Il grandira, car il est Espagnol ! »
TOUS LES DEUX.
« Il grandira, car il est Espagnol ! »
CHŒUR GÉNÉRAL.
« Il grandira, car il est Espagnol ! »
Les deux palanquins prennent des directions absolument contraires.

ACTE DEUXIÈME

Une salle d’été dans le palais du vice-roi. — Cette salle donne sur une terrasse d’où l’on aperçoit la ville de Lima. — Au fond, une grande baie garnie de rideaux. — Portes à droite et à gauche, au troisième plan. À gauche, au premier plan, un trône élevé sur plusieurs marches. — De chaque côté du trône, des tabourets. — À droite, au premier plan, une table ; sur cette table, un timbre.



Scène PREMIÈRE

BRAMBILLA, NINETTA, LE MARQUIS DE TARAPOTE, MANUELITA, FRASQUINELLA, Dames de la cour.

Au lever du rideau, Tarapote est évanoui sur un fauteuil, au milieu du théâtre ; les dames s’empressent autour de lui et essaient de le tirer de sa léthargie.

CHŒUR.
Cher seigneur, revenez à vous ;
Ah ! rouvrez par pitié pour nous,
Cet œil rempli d’intelligence !
Ça nous met sens dessus dessous
De vous voir là sans connaissance !
Cher seigneur, revenez à vous !
NINETTA, tirant un flacon de sa poche.
Vite, des sels… Tenez, comtesse,
J’en ai sur moi fort à propos.
Elle fait respirer le flacon à Tarapote.
FRASQUINELLA, à une autre dame.
Avez-vous une clef, duchesse,
Pour la lui fourrer dans le dos ?
BRAMBILLA.
Voyez : il rouvre la prunelle,
Il en rouvrira bientôt deux.
MANUELITA, regardant Tarapote.
Cette grimace n’est pas belle,
Mais elle prouve qu’il va mieux.
TOUTES.
Il va mieux !
Cher seigneur, revenez à vous ! etc.
Pendant le chœur, Tarapote revient tout à fait à lui.
TARAPOTE.

Une saltimbanque, mesdames, une saltimbanque !…

NINETTA.

Expliquez-vous, Tarapote.

TARAPOTE, se levant.

Cette nuit, celle d’entre vous qui ont le sommeil léger n’ont-elles pas été réveillées par un refrain étrange ?

BRAMBILLA.

On chantait, n’est-ce pas ?

FRASQUINELLA.

Qu’est-ce qu’on chantait ?

TARAPOTE, chantant.
Il grandira…
TOUTES, de même.
Il grandira…
TARAPOTE, de même.
Il grandira, car il est Espagnol !

Et en entendant cette poésie, entre deux ou trois heures du matin, vous ne vous êtes rien dit ?

FRASQUINELLA.
J’ai cru, moi, que c’était un rêve.
NINETTA.

Moi, je pensais à autre chose.

MANUELITA.

J’ai supposé que c’était quelque employé du château, qui rentrait après s’être grisé en ville.

TARAPOTE.

C’était la nouvelle favorite !

MANUELITA.

La nouvelle favorite !

TARAPOTE, ironiquement.

Oui, c’était la comtesse de Tabago, marquise du Mançanarez, qui faisait son installation en compagnie du comte de Tabago, marquis du Mançanarez, son illustre mari !

BRAMBILLA.

Elle est mariée ?

TARAPOTE, montrant à droite.

À preuve qu’il est là, ce mari.

TOUTES.

Là ?

TARAPOTE.

Oui, il est là… encore endormi, sans doute… car il était dans un état, lorsqu’il est arrivé ici !…

FRASQUINELLA.

Ah ! il est là… Et la marquise ?…

TARAPOTE.

Elle n’est pas là, bien entendu… (Désignant le fond à gauche.) Elle est là-bas, tout là-bas, dans le petit appartement.

MANUELITA.
Déjà ?
FRASQUINELLA.

Une chanteuse des rues installée au palais !

Elle remonte et va à Ninetta.
BRAMBILLA.

C’est indigne !

MANUELITA.

Le vice-roi ne pourrait-il mieux placer ses affections ?… N’a-t-il pas autour de lui ?…

TARAPOTE.

Bien, ma nièce !

MANUELITA.

Mais, mon oncle…

TARAPOTE.

Très bien.

MANUELITA.

Vous ne comprenez pas ?

TARAPOTE.

Je comprends… que tu es indignée… que vous êtes toutes indignées… et que je le suis, moi, plus que vous toutes ensembles… Mais patience !… si, comme je l’espère, la cour est avec nous, cette plaisanterie ne durera pas longtemps… La favorite s’en ira comme elle est venue… et, si cela fait trop de peine à notre gracieux maître…

MANUELITA.

On tâchera de le consoler.

TARAPOTE.

Bien, ma nièce !

MANUELITA.

Mais, mon oncle…

TARAPOTE.
Très bien ! ma nièce, très bien !
MANUELITA.

Je vous assure, mon oncle, que vous ne comprenez pas.

TARAPOTE.

Je comprends que ton cœur est bon, et cela me réjouit, parce que je suis ton oncle… Allons, embrasse-le, ton bon gros homme d’oncle ! (Il embrasse Manuelita ; puis, regardant à droite : ) Ah !… c’est le mari !

Tarapote et les dames se retirent vers le fond à gauche, en regardant Piquillo, qui entre par la droite.

Scène II

Les Mêmes, PIQUILLO, magnifiquement habillé.
PIQUILLO, voyant les dames.

Des dames !… Soyons poli… (Saluant.) Mesdames, je vous salue. (Les dames se retournent avec dédain. Piquillo descend sur le devant et se dit à lui-même : ) Ah ça ! où suis-je ici ?… Que m’est-il arrivé ?… On ne m’ôtera pas de la tête que depuis hier il s’est passé dans ma vie des choses extraordinaires… Quelles choses, par exemple !… voilà ce qu’il me serait impossible, pour le moment… (Saluant de nouveau les dames qui sont revenues sur le devant.) Mesdames, je vous salue derechef.

BRAMBILLA, bas, à Ninetta.

Il ose nous saluer !

FRASQUINELLA, bas, à Manuelita.

Faisons-lui sentir notre mépris… voulez-vous ?

MANUELITA, bas.
Je ne demande pas mieux. (Haut, à Piquillo.) Madame va bien ?
PIQUILLO.

Madame ?

FRASQUINELLA.

Eh ! oui, la comtesse de Tabago, marquise du Mançanarez.

TARAPOTE.

Votre femme, enfin !

PIQUILLO, à part.

Je ne l’avais pas vu, celui-là… (Haut et saluant.) Monsieur, je vous souhaite le bonjour.

TARAPOTE.

Oui, votre femme.

PIQUILLO.

Ma femme !… (A lui-même.) Ah ! c’est vrai… voilà ce dont je ne pouvais pas arriver à me souvenir… je suis marié !

NINETTA.
COUPLETS.
I
On vante partout son sourire,
Son pied, sa taille et son maintien ;
Est-ce à tort ? — Veuillez nous le dire…
Peut-être n’en savez vous rien ?
FRASQUINELLA.
On la dit d’humeur douce et tendre,
Et rêveuse quand vient le soir.
Est-ce vrai ? — Mais pour nous l’apprendre,
Il faudrait d’abord le savoir.
PIQUILLO, à part.
Que de cancans ! que de sornettes !
Ah ! les petites malhonnêtes !
ENSEMBLE.
Eh ! bonjour, monsieur le mari !
Qu’avez-vous fait de votre femme ?
Si vous la voyez aujourd’hui,
Bien des compliments à madame !
Pendant cet ensemble, Brambilla et Manuelita ont passé près de Piquillo.
BRAMBILLA, parlé.

Ça n’est pas tout.

II
On dit encor bien autre chose ;
Mais demander, même tout bas,
Si c’est exact, monsieur, je n’ose…
D’ailleurs, vous ne le savez pas.
MANUELITA.
Tout ça, le diable vous emporte,
Monsieur, si vous n’en savez rien ;
Mais ce que l’hymen vous rapporte,
Pour cela, vous le savez bien.
PIQUILLO, à part.
Que de cancans ! que de sornettes !
Ah ! les petites malhonnêtes !
ENSEMBLE.
Eh ! bonjour, monsieur le mari !
Qu’avez-vous fait de votre femme ?
Si vous la voyez aujourd’hui,
Bien des compliments à madame !
Les dames sortent, moitié par la droite, moitié par la gauche, en faisant à Piquillo de grandes révérences ironiques.
TARAPOTE, parlé.

Bien des compliments à madame !

Il sort par la droite.

Scène III

PIQUILLO, seul.

Comment, « z’à madame !… » c’est de l’ironie !… Si peu d’éducation que j’aie reçu, je m’aperçois très bien que c’est de l’ironie… mais ça ne fait rien, j’aurais tort de me fâcher… C’est en écoutant comme ça les personnes, et en les écoutant sans me fâcher, que j’arriverai peu à peu à me rappeler les choses et à me rendre compte de ma situation… Si je les arrêtais, les personnes, et si je leur demandais : « Qu’est-ce que je fais ici ?… » Si je leur demandais ça tout bêtement, j’aurais l’air d’une bête… tandis qu’en ne demandant rien et en écoutant… Voyons un peu, voyons… Je sais déjà que j’ai épousé une femme… c’est très bien… Qu’elle est cette femme ?… je n’en sais rien… mais, d’ici à peu de temps, sans doute, je rencontrerai des gens qui me le diront.

Musique à l’orchestre. — Les rideaux s’ouvrent. — Des courtisans entrent successivement par le fond, de gauche et de droite, et viennent entourer Piquillo sans rien dire et en le montrant du doigt.


Scène IV

PIQUILLO, les Courtisans.
PIQUILLO, à lui-même.

Ah ! ah ! des messieurs, maintenant !… (Pendant que les courtisans se placent, un à un, en demi-cercle autour de lui.) Qu’est-ce qu’ils vont me faire ? S’ils n’étaient que quatre, je croirais qu’il veulent jouer aux… mais ils sont plus de quatre… (En voyant entrer d’autres courtisans.) Encore !… Ils forment le rond… c’est qu’il désirent que je leur chante quelque chose… C’est mon métier… je vais leur chanter quelque chose… Hum !… hum !…

Au moment où il va ouvrir la bouche pour chanter, les courtisans entonnent, sans accompagnement d’orchestre, le quatrain suivant, sur le motif du second acte de la Favorite.

LES COURTISANS.
Quel marché de bassesse !
C’est trop fort, sur ma foi,
D’épouser la maîtresse,
La maîtresse du roi !
PIQUILLO, à lui-même.

Quand je le disais, que je ne tarderais pas à savoir !… Je sais maintenant… je suis que j’ai épousé la maîtresse… la maîtresse du roi !… Ah ! mais il faut que je leur explique… (Haut.) Messieurs…

LES COURTISANS
Faut pas tant de finesse
Pour deviner pourquoi…
Épouser la maîtresse,
La maîtresse du roi !
PIQUILLO

Messieurs… messieurs… je vous en prie…

LES COURTISANS
Quelle indélicatesse !
Elle échappe à la loi…
Épouser la maîtresse,
La maîtresse du roi !
PIQUILLO, hors de lui.

Ah mais ! ils m’ennuient, à la fin !

Entrent, par le fond, à gauche, Panatellas et Don Pedro. Ils écartent les courtisans, qui, à chaque quatrain, s’étaient rapprochés de Piquillo.

Scène V

DON PEDRO, PIQUILLO, PANATELLAS, les Courtisans.
PANATELLAS, aux courtisans.

Eh bien, messieurs, qu’est-ce que cela veut dire ?

DON PEDRO.

Voulez-vous bien laisser ce pauvre garçon tranquille !

PANATELLAS.
Vous serez donc toujours les mêmes, et dès qu’il en arrivera un nouveau…
UN COURTISAN, le premier à droite.

Mais, Excellence…

PANATELLAS.

Pas un mot, monsieur !… Et d’abord qu’est-ce que vous faites ici ?

LE COURTISAN.

Nous venons pour la présentation… pour la fameuse présentation.

PANATELLAS.

Il n’est pas l’heure encore… Allons, circulez, messieurs, circulez !

DON PEDRO.

Circulez, messieurs, circulez !

PIQUILLO, les imitant.

Circulez, messieurs, circulez.

PANATELLAS.

Circulez, messieurs, circulez… On ferme !

Les courtisans s’éloignent par le fond à gauche et à droite. Les rideaux se ferment.
PIQUILLO, à lui-même.

Je suis dans un musée… Voyez comme tout se découvre, comme on arrive à tout savoir !… Je sais maintenant que je suis marié, que je suis dans un musée… et c’est probablement pour ça qu’on m’a si bien habillé (Panatellas et Don Pedro descendent et viennent se placer, l’un à gauche et l’autre à droite de Piquillo. — À Panatellas : ) Ah ! ah ! vous voilà, monsieur…

PANATELLAS.

Me voilà.

PIQUILLO.
Je vous ai très bien reconnu, malgré votre bel habit tout neuf. (Montrant Don Pedro.) Et monsieur ?… Il est avec vous ?… un ami, peut-être ?
PANATELLAS.

Don Pedro de Hinoyosa, gouverneur de la ville.

PIQUILLO, saluant.

Bien flatté, monsieur…

PANATELLAS.

Et nous arrivons pour vous défendre, comme vous le voyez.

PIQUILLO.

C’est bien le moins, monsieur, c’est bien le moins… car, enfin, c’est vous qui, hier, avez profité de ma position misérable pour me forcer à accepter…

PANATELLAS.

Des reproches !

DON PEDRO.

Il n’oserait pas.

PIQUILLO.

Je n’oserais pas ?…

DON PEDRO.

Non.

PIQUILLO

Ah ! je nos… ? Eh bien, non, là… voyons, je ne vous ferai pas de reproches. J’allais me pendre : vous m’avez offert de me marier ; vous m’avez dit qu’après le mariage je recevrais une bonne somme et que je pourrais planter là ma femme et m’en aller au diable… Cette proposition m’a séduit, parce que j’ai pensé qu’avec la grosse somme je parviendrais à retrouver certaine femme que j’aimais, qui m’a abandonné, et que j’aime cent fois davantage depuis qu’elle m’a…

DON PEDRO, d’un ton sentimental.

Je vous comprends.

PIQUILLO.
N’est-ce pas ?
PANATELLAS.

À votre place, je serais comme vous.

PIQUILLO.

Franchement, entre nous, n’est-ce pas que c’est bon, les femmes ?…

PANATELLAS et DON PEDRO

Ah !…

PIQUILLO

Et qu’il n’y a que ça encore ?

PANATELLAS et DON PEDRO

Il n’y a que ça !

PIQUILLO.
COUPLETS.
I
Et là, maintenant que nous sommes
Seuls et tranquilles tous les trois,
Pourquoi, messieurs les gentilshommes,
Dirions-nous pas à pleine voix :
Les femmes, il n’y a que ça,
Tant que le monde durera,
Tant que la terre tournera !
ENSEMBLE.
Les femmes, il n’y a que ça !
Tant que la terre tournera,
Il n’y aura que ça !
PIQUILLO.
II
Voyez, messieurs, comme ils sont tristes,
Les gens qui rêvent le pouvoir !
Nous sommes gais, nous, les artistes,
Et c’est ce qui nous fait avoir
Des femmes !… il n’y a que ça,
Tant que le monde durera,
Tant que la terre tournera !
ENSEMBLE.
Les femmes, il n’y a que ça !
Tant que la terre tournera,
Il n’y aura que ça !
PIQUILLO.
III
Voulez-vous faire une expérience ?
Prenons tous les gens qui pass’ront,
Et d’mandons-leur à quoi ils pensent ;
Je pari’qu’ils nous répondront :
Aux femmes !… Il n’y a que ça,
Tant que le monde durera,
Tant que la terre tournera !
ENSEMBLE.
Les femmes, il n’y a que ça !
Tant que la terre tournera,
Il n’y aura que ça !
PANATELLAS.

Assez parlé de femmes. Maintenant, parlons de nous.

PIQUILLO.

De nous ?…

PANATELLAS.

Oui, de nous… Mon ami Don Pedro de Hinoyosa est, je vous l’ai dit, gouverneur de la ville ; je suis, moi, premier gentilhomme de la chambre ; vous êtes, vous, le mari de la favorite : nous sommes donc, à nous trois, les trois plus hauts dignitaires du Pérou.

PIQUILLO.

Est-il possible ?…

DON PEDRO.
Puisque c’est nous qui avons les trois meilleures places !
PANATELLAS.

Cela posé, il ne nous reste plus qu’à nous partager, entre nous trois, les richesses, les honneurs.

DON PEDRO.

Et les billets de spectacle…

PANATELLAS.

Nous aurions très bien pu vous tenir à l’écart, faire le partage sans vous…

DON PEDRO.

Mais nous ne sommes pas capables…

PANATELLAS.

Mais nous sommes d’honnêtes gens.

PIQUILLO.

Est-il possible ?…

DON PEDRO.

Nous nous sommes dit : Avant de procéder au partage, allons trouver le comte de Tabago…

PIQUILLO.

Le comte de Tabago ?..

PANATELLAS.

C’est vous.

DON PEDRO.

Allons trouver le marquis du Mançanarez…

PIQUILLO.

Qu’est-ce que c’est encore celui-là ?

PANATELLAS.

C’est vous, toujours.

PIQUILLO.

Est-il possible ?…

DON PEDRO.
Allons trouver le comte de Tabago, le marquis du Mançanarez, entendons-nous avec eux…
PANATELLAS.

Avec lui ?…

DON PEDRO.

Non, avec eux… (Comptant sur ses doigts.) Le marquis du Mançanarez, le comte de Tabago… il faut dire : « avec eux ».

PANATELLAS.

Allez donc apprendre l’espagnol.

DON PEDRO, s’inclinant.

C’est bon : vous êtes mon supérieur hiérarchique… Entendons-nous avec lui… sachons ce qu’il demande…

PANATELLAS.

Et ce qu’il demandera, nous le lui donnerons…

PIQUILLO.

Est-il possible ?…

DON PEDRO.

Mais oui, cher marquis, mais oui… demandez ce que vous voulez.

PANATELLAS.

Seulement, soyez raisonnable…

DON PEDRO.

N’oubliez pas que vous étiez un homme de peu…

PANATELLAS.

Un homme de rien…

DON PEDRO.

Une manière d’histrion…

PANATELLAS.

Une façon de baladin…

DON PEDRO.
Un pauvre diable, en un mot, et que, dans tout partage, un pauvre diable doit savoir se contenter d’une part de pauvre diable…
PANATELLAS.

Là ! allez maintenant… dites ce que vous voulez.

TOUS DEUX.

Ne vous gênez pas.

PIQUILLO.

Ce que je voudrais ?…

PANATELLAS.

Oui…

PIQUILLO.

J’ai fait ce que vous vouliez… j’ai épousé la maîtresse… Ces messieurs que vous avez fait circuler me l’ont chanté trois fois tout à l’heure. Comme j’ai un fond d’honnêteté, je ne me soucie pas qu’ils me le chantent une quatrième fois. Voilà pourquoi je voudrais m’en aller.

DON PEDRO.

Vous en aller ?…

PIQUILLO.

Oui.

PANATELLAS.

Nous pouvons lui accorder cela, il me semble…

DON PEDRO.

Ah ! oui, nous pouvons… Est-il bête, hein ?… il pouvait nous demander un tas de choses, et il nous demande tout bonnement à s’en aller… Je crois bien que nous pouvons lui accorder ça !…

PIQUILLO.

Bonjour, alors…

PANATELLAS.

Pas tout de suite, cependant.

PIQUILLO.
Qu’est-ce qu’il y a encore ?
PANATELLAS, le retenant.

Une formalité… une petite formalité de rien du tout… Cette femme, que vous avez épousée, il faut que vous la présentiez.

PIQUILLO.

Que je la présente !… et à qui ?

DON PEDRO.

Mais… à la cour… au vice-roi.

PIQUILLO.

Comment ! moi, le mari, il faut que je présente ma femme…

DON PEDRO.

Vous êtes surpris ?

PIQUILLO.

Un peu… mais j’ai tort… Chaque pays a ses usages… Et comme cela, au moins, je ne partirai pas d’ici sans l’avoir vue, ma femme !

DON PEDRO.

Ah ! Elle est jolie !

PIQUILLO.

Vraiment ?

PANATELLAS.

Elle est très jolie… Vous verrez ça tout à l’heure… Quand elle entrera, vous la prendrez par la main et vous la présenterez à Son Altesse, en disant : « Altesse, je vous présente la marquise ». Son Altesse vous répondra : « Bien obligé. »

PIQUILLO.

Et ce sera tout ?

PANATELLAS.

Ce sera tout… Vous serez libre.

PIQUILLO.
Et je pourrai courir après la femme que j’aime ?
DON PEDRO.

Tant qu’il vous plaira !

PIQUILLO.

Dépêchons-nous alors… Est-ce bientôt, cette présentation ?

L’orchestre joue la ritournelle du morceau suivant. — Les rideaux s’ouvrent.
PANATELLAS.

C’est tout de suite… Voici Son Altesse, et tout à l’heure, votre femme.

Il remonte avec Don Pedro, et tous sortent par le fond, à gauche, pour rentrer avec le vice-roi.
PIQUILLO, souriant.

Ma femme ! (À lui-même.) Ça me fait tout de même quelque chose de la voir… pas grand’chose… mais quelque chose !

Entrent par le fond, de droite et de gauche, les dames de la cour et les courtisans, qui se rangent de chaque côté de la scène.

Scène VI

Les Mêmes, les Dames de la cour, les Courtisans, un Huissier, puis DON ANDRÈS DE RIBEIRA, MANUELITA, BRAMBILLA, NINETTA, FRASQUINELLA, Gardes, ensuite LA PÉRICHOLE, TARAPOTE.
CHŒUR.
Nous allons donc voir un mari
Présenter sa femme à la cour !
Cette fête revient ici
Un peu plus souvent qu’à son tour.
Entre par le fond, à gauche, Don Andrès, à qui font cortège Manuelita, Brambilla, Ninetta et Frasquinella. — Des gardes suivent et se rangent au fond. — Panatellas et Don Pedro précèdent le vice-roi.
DON ANDRÈS, à Piquillo.
Comte, bonjour.
PIQUILLO.
Comte, bonjour. Bonjour, Altesse.
DON ANDRÈS.
Donc vous allez, monsieur, présenter la comtesse ?
LE CHŒUR, goguenard.
Ah ! la comtesse !
DON ANDRÈS.
Oui, la comtesse.
LE CHŒUR.
Ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha !
Elle est bien bonne, celle-là !
DON ANDRÈS, tristement, à Panatellas et à Don Pedro.
Mes amis, le respect s’en va.
DON PEDRO et PANATELLAS, les bras au ciel.
Que pouvons-nous faire à cela !
Don Pedro et Panatellas remontent et sortent par le fond, à gauche.
LE CHŒUR.
Ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha !
Elle est bien bonne, celle-là !
DON ANDRÈS, offensé, à lui-même. Parlé.

Comment ! elle est bien bonne !… (Il va s’asseoir sur le trône. — Manuelita, Brambilla, Ninetta et Frasquinella le suivent et s’asseyent de chaque côté du trône, sur des tabourets). Faites entrer.

L’HUISSIER
, annonçant du fond.

Madame la comtesse de Tabago, marquise du Mançanarez.

Entre par le fond, à gauche, la Périchole, somptueusement vêtue et couverte de diamants. — Elle donne la main gauche à Tarapote et la droite à un courtisan ; deux autres courtisans la suivent. — Panatellas et Don Pedro, qui ont remonté la scène, la précèdent et l’introduisent.
CHŒUR, pendant l’entrée de la Périchole.
Nous allons donc voir un mari
Présenter sa femme à la cour !
Cette fête revient ici
Un peu plus souvent qu’à son tour.
PANATELLAS, à Piquillo.
De tout ce que j’ai dit ous souvenez-vous bien ?
PIQUILLO.
Je m’en souviens.
PANATELLAS.
Allez donc, et n’oubliez rien.
PIQUILLO.
Vous allez voir.
Il s’approche de la Périchole.
Vous allez voir. Venez, madame.

Panatellas et Don Pedro vont s’asseoir sur des tabourets, au bas des marches du trône, l’un à droite, l’autre à gauche. — Tarapote descend à droite.

LA PÉRICHOLE, à Piquillo.
Je viens, monsieur…
PIQUILLO, frappé, à part.
Je viens, monsieur… Dieu ! cette voix !…
La reconnaissant et à mi-voix.
La Périchole !
LA PÉRICHOLE, bas.
La Périchole ! Eh ! oui !
PIQUILLO, bas.
La Périchole ! Eh ! oui ! Comment ! c’est toi ma femme ?
LA PÉRICHOLE, bas.
Eh ! oui, c’est moi !
PIQUILLO, élevant la voix.
Eh ! oui, c’est moi ! Qu’est-ce que j’entrevois ?
LA PÉRICHOLE, bas.
Tais-toi, tu sauras tout !
PIQUILLO.
Tais-toi, tu sauras tout ! Ah ! j’en sais bien assez !
Car je sais,
Coquine, que c’est vous la maîtresse du roi,
Et qu’alors, je suis, moi…
LA PÉRICHOLE, bas, à Piquillo, qui l’a prise par le bras.
Tais-toi ! tais-toi ! tais-toi ! tais-toi !
LE CHŒUR.
Ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha !
Elle est bien bonne, celle-là !
DON ANDRÈS, qui est descendu du trône, à Panatellas et à Don Pedro, qui se sont levés.
Vous attendiez-vous à cela ?
PANATELLAS.
Faut voir ce que ça deviendra.
LE CHŒUR.
Ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha !
Elle est bien bonne, celle-là !
LA PÉRICHOLE, bas, à Don Andrès.
C’est un malentendu… Mais je vais le calmer ;
Ne craignez rien, je saurai l’apaiser.
Don Andrès va se rasseoir sur le trône. — Don Pedro et Panatellas se rasseyent aussi. — À Piquillo.
Écoute un peu,
Et ne bouge pas, de par Dieu !
I
Que veulent dire ces colères
Et ces gestes de mauvais ton ?
Sont-ce là, monsieur, les manières
Qu’on doit avoir dans un salon ?
Troubler ainsi l’éclat des fêtes
Dont je prends ma part pour ton bien !
Nigaud, nigaud, tu ne comprends donc rien ?
Mon Dieu ! que les hommes sont bêtes !
Piquillo fait vivement quelques pas vers Don Andrès ; la Périchole le rattrape par le bras et le ramène au milieu de la scène.
II
Comment ! tu vois, que j’ai la chance,
Et tu veux tout brouiller ici !
Manquerais-tu de confiance ?
C’est un défaut chez un mari.
Laisse-les donc finir, ces fêtes,
Et puis après tu verras bien…
Nigaud, nigaud, tu ne comprends donc rien ?
Mon Dieu ! que les hommes sont bêtes !
PIQUILLO.
C’est vrai, j’ai tort de m’emporter :
Venez, je vais vous présenter !
Mouvement général d’attention. — Piquillo prend la Périchole par la main et s’adresse à Don Andrès.
Écoute, ô roi, je te présente,
À la face de tous ces gens,
La femme la plus séduisante…
Et la plus fausse en même temps !
Prends garde à sa câlinerie
De sa voix et de son regard !
En elle tout est menterie…
Je m’en aperçois… mais trop tard !
Elle te dira qu’elle t’aime,
Pauvre vieux, et tu la croiras,
Comme je la croyais moi-même !…
Voyez, qui ne croirait pas ?
Puisque tu la veux pour maîtresse,
Garde-la… mais veille dessus !
Garde-la bien, je te la laisse,
Et m’en vais car je n’en veux plus !

À la fin du morceau, Piquillo jette la Périchole sur les marches du trône. Don Andrès aide la Périchole à se relever. Grand mouvement d’indignation.

DON ANDRÈS, furieux et désignant Piquillo.
Sautez dessus !
Sautez dessus !
Don Pedro et Panatellas vont se placer derrière Piquillo, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche.
LES COURTISANS, menaçant Piquillo.
Sautons dessus !
Sautons dessus !
LA PÉRICHOLE, exaspérée, allant à Piquillo, tenu par Don Pedro et Panatellas.
Ah ! ma foi, oui, sautez dessus !
Gens de la fête,
Sautez dessus !
Car moi non plus, je n’en veux plus !
Il est trop bête…
Sautez dessus !
LE CHŒUR.
Sautons dessus !
Sautons dessus !
Pendant ce chœur Piquillo passe à droite et fait le tour de la scène ; Panatellas, Don Pedro et Tarapote le poursuivent.
PANATELLAS et DON PEDRO, sautant sur Piquillo.
Nous le tenons !
PIQUILLO.
Nous le tenons ! Ah ! les brigands !
TARAPOTE, PANATELLAS et DON PEDRO.
Nous le tenons !
PIQUILLO.
Nous le tenons ! Les mécréants !
TARAPOTE, PANATELLAS et DON PEDRO
, à Don Andrès qui est debout sur les marches du trône.
Et maintenant, pour vous plaire,
Qu’en faut-il faire ?
Grand roi, que faut-il faire ?
DON ANDRÈS.
Conduisez-le, bons courtisans,
Et que cet exemple serve,
Dans le cachot, qu’on réserve
Aux maris ré…
Aux maris cal…
Aux maris ci…
Aux maris trants,
Aux maris récalcitrants !
ENSEMBLE.
LE CHŒUR.
Conduisez-le, bons courtisans, etc.
PIQUILLO.
Conduisez-moi donc, courtisans, etc.
PIQUILLO, à la Périchole.
Dans son palais ton roi t’appelle,
Pour te couvrir de honte et d’or !
Son amour te rendra plus belle,
Plus belle et plus infâme encor !
REPRISE EN CHŒUR.
Conduisez-le, } bons courtisans,
Conduisons-le,
Et que cet exemple serve,
Dans le cachot, qu’on réserve
Aux maris ré…
Aux maris cal…
Aux maris ci…
Aux maris trants,
Aux maris récalcitrants !
Panatellas, Don Pedro et Tarapote entraînent Piquillo par le fond, à gauche.

ACTE TROISIÈME

PREMIER TABLEAU

Le cachot des maris récalcitrants. — Un cachot très étroit et très sombre. — Une lampe suspendue à la voûte. — Au premier plan, à droite et à gauche, deux gros anneaux scellés dans le mur supportent deux chaînes de fer ; à l’extrémité de ces chaînes, deux ceintures avec fermoir. — Un pilier à gauche. — Porte au fond, un peu vers la droite. — Devant le pilier, par terre, une botte de paille ; près de la botte de paille, un escabeau.



Scène PREMIÈRE

UN VIEUX PRISONNIER.
Au lever du rideau, la scène est vide. — Une trappe s’ouvre au milieu de la scène, et paraît le Vieux Prisonnier.

Je suis en train de m’évader… y parviendrai-je ? toute la question est là ! (Avec fureur.) Il y a douze ans que je suis enfermé dans cette prison… (Avec sentiment.) il y a douze ans que je n’ai embrassé une femme… c’est bien long… Ces douze années de captivité, je les ai employées à percer le mur de mon cachot… avec un petit couteau que j’ai là… et j’ai pu arriver jusqu’ici… (Regardant autour de lui.) Douze ans encore pour percer cet autre mur, et je serai libre… ne perdons pas une minute… (Au moment où il va attaquer le mur, on entend jouer par l’orchestre le motif des maris récacitrants : le Vieux Prisonnier s’arrête.) J’entends du bruit, il me semble… rentrons vite… En matière d’évasion, l’on ne saurait montrer trop prudent !

Il disparaît. La trappe se referme.

Scène II

PIQUILLO, PANATELLAS, DON PEDRO, LE GEOLIER.
LE GEOLIER.

C’est ici, messieurs ; nous sommes arrivés…

PANATELLAS.

C’est ici le cachot des maris récalcitrants ?

LE GEOLIER.

Oui, monseigneur.

DON PEDRO.

Il est très propre.

LE GEOLIER.

Il est tout neuf, il n’a encore servi à personne.

PIQUILLO.

Ainsi l’on me fourre en prison parce que je n’ai pas trouvé bon que ma femme…

PANATELLAS.

On vous fourre en prison parce que vous avez été récalcitrant.

PIQUILLO.

C’est ce que je disais… on me fourre en prison parce que je n’ai pas voulu me laisser faire… Eh bien… voilà de ces choses… je n’ai pas, quant à moi, d’opinions subversives, mais je suis obligé de vous le dire, messeigneurs, voilà de ces choses qui font comprendre les révolutions.

PANATELLAS.

Oh ! oh !

DON PEDRO.
Qu’est-ce qu’il a dit ?
PIQUILLO.

Elles ne les excusent pas, mais elles les font comprendre.

PANATELLAS.

Taisez-vous, mon ami.

DON PEDRO.

N’aggravez pas votre position.

PANATELLAS, lui serrant la main.

Au revoir, mon ami, au revoir.

PIQUILLO.

Vous allez me laisser là, tout seul ?

DON PEDRO.

Il le faut bien, la fête continue, là-haut…

PIQUILLO.

La fête ?…

PANATELLAS.

Mais nous ne vous quitterons pas sans vous avoir dit ce que nous pensons de votre admirable conduite…

COUPLETS.
DON PEDRO.
Les maris courbaient la tête,
C’était l’usage à Lima ;
Vous seul avez, âme honnête,
Osé crié : « Halte-là !… »
TOUS LES DEUX.
Cette fureur généreuse
Est flatteuse
Pour la corporation !…
Recevez donc, Excellence,
L’assurance
De notre admiration.
PANATELLAS,
Je vous croyais l’âme vile,
Je me trompais lourdement
Vous n’êtes qu’un imbécile,
Je vous en fais compliment.
TOUS LES DEUX.
Cette fureur généreuse
Est flatteuse
Pour la corporation !…
Recevez donc, Excellence,
L’assurance
De notre admiration.

Don Pedro et Panatellas lui donnent des poignées de main et se retirent. Alors le geôlier s’approche de Piquillo comme s’il voulait lui parler ; ne trouvant rien à dire, il se contente de lui serrer la main avec effusion, essuie une larme et s’en va.


Scène III

PIQUILLO, seul.

Il est ému… Qui ne le serai pas à l’aspect d’une pareille infortune ?… Ces messieurs aussi étaient émus… ces messieurs qui viennent de sortir… Ce sont les mêmes qui, il y a une demi-heure, formaient le rond autour de moi et qui me chantaient :

Épouser la maîtresse,
La maîtresse du roi…

(Avec orgueil.) Maintenant, ils chantent sur un autre air… ça me prouve que j’ai reconquis la considération publique… C’est une consolation… malheureusement, elle est insuffisante… comme la plupart des consolations, du reste… (Tout en examinant la paille de son cachot.) La voilà donc, la couche de l’honnête homme… de la paille !… Je vais dormir sur la paille, tandis que, si j’avais été une canaille, je dormirais sous le duvet… Eh bien, voilà de ces choses… je ne veux pas dire de mal de la Providence, mais enfin voilà de ces choses…

RONDEAU.
On me proposait d’être infâme,
Je fus honnête… et me voilà !
Cela vous met la mort dans l’âme
De voir le monde comme il va…
Ma femme, avec tout ça, ma femme,
Qu’est-c’qu’ell’peut fair’pendant c’temps-là ?
Qu’est-c’qu’ell’peut faire, la perfide,
— Je n’pensais pas du tout à ça, —
Pendant que, sur la paille humide,
Je geins et pousse des hélas !
Elle est près du roi, l’infidèle !…
Le roi lui ceci, cela,
Qu’elle est belle et qu’elle est belle,
Et patati et patata…
Baste ! à quoi bon la jalousie
Quand on est où me voilà !…
Il s’étend sur sa botte de paille.
Mieux vaut dormir : qui dort oublie…
Je n’sais pas trop qu’est-c’qu’a dit ça !…
J’ai toujours ce tourment dans l’âme,
Jamais le sommeil ne viendra…
Ma femme, ma petite femme,
Que fais tu pendant ce temps-là ?
Il s’endort, et, d’une voix éteinte :
Ma femme !… Avec tout ça ma femme
Qu’est-c’qu’elle’peut fair’pendant c’temps-là ?
Il dort. Entrent la Périchole et le geôlier portant une torche.

Scène IV

PIQUILLO, LA PÉRICHOLE, LE GEOLIER.
LA PÉRICHOLE.
Est-il lié de manière à ce que je puisse m’approcher de lui sans crainte ?
LE GEOLIER.

Il n’est pas lié, madame ; mais, si vous y tenez, je peux le faire attacher à l’un de ces anneaux.

LA PÉRICHOLE.

C’est inutile ; mais tenez-vous là, et, au moindre cri, jetez-vous sur lui avec vos hommes !

LE GEOLIER.

Bien ! madame.

Il sort.

Scène V

PIQUILLO, LA PÉRICHOLE.

La Périchole s’approche de Piquillo et lui donne deux ou trois petits coups de pied : Piquillo se borne d’abord à changer de position, puis il se réveille.

PIQUILLO.

Qui va là ? qui est là ?

LA PÉRICHOLE.

Moi !

PIQUILLO.

Qui ça, toi ?

LA PÉRICHOLE.

La Périchole !

PIQUILLO.

La Périchole !

LA PÉRICHOLE.

Est-ce que tu ne t’attendais pas à me voir ?

PIQUILLO.

Je n’y comptais pas ; je ne pouvais pas croire que tu aurais l’imprudence… (Retroussant ses manches.) Mais, puisque tu l’as eue, cette imprudence…

Il se lève.
LA PÉRICHOLE.

Eh bien ?…

PIQUILLO, terrible.

Tu vas voir !…

LA PÉRICHOLE, très tranquille.

Un pas de plus, et j’appelle. Si j’appelle, le geôlier entre avec six de ses hommes ; on se jette sur toi et l’on t’attache à l’un de ces anneaux… Maintenant, fais ce que tu voudras.

PIQUILLO.

C’est sérieux, ce que tu dis là ?

LA PÉRICHOLE.

On ne peut plus sérieux.

PIQUILLO

C’est bon, alors !… Tu as été moins imprudente que je ne le supposais, voilà tout…

LA PÉRICHOLE, se rapprochant.

Pas de bêtises, tu sais !…

PIQUILLO.

C’est bon ! je te dis… du moment que je ne serais pas le plus fort…

LA PÉRICHOLE.

À la bonne heure !… Causons maintenant… Tu penses bien que je ne serais pas venue si je n’avais pas eu un motif.

PIQUILLO.

Je le connais, ton motif.

LA PÉRICHOLE.

Qu’en est-il, voyons ?…

PIQUILLO.
Femme de toutes les voluptés.
LA PÉRICHOLE.

C’est possible, après ?

PIQUILLO.

Tu as tenu à être sûre que j’étais mal couché… Eh bien ! sois satisfaite… je suis couché aussi mal qu’on peut l’être. La voilà, la couche de l’honnête homme !… c’est pour voir ça que tu es venue ?

LA PÉRICHOLE.

Non, ce n’est pas pour ça, mon ami.

PIQUILLO.

Pourquoi, alors ?

DUO.
LA PÉRICHOLE.
Dans ces couloirs obscurs, sous cette voûte sombre
Piquillo, Piquillo, ne devines-tu pas
Quel but mystérieux m’a conduite dans l’ombre
Et vers ce noir cachot a dirigé mes pas.
PIQUILLO.
Ce but mystérieux, se devine aisément :
Tu viens pour te ficher de moi.
LA PÉRICHOLE.
Tu viens pour te ficher de moi. Non, cher amant,
Je viens pour te parler.
PIQUILLO.
Je viens pour te parler. Pour cela seulement ?
LA PÉRICHOLE.
Oui, je t’assure,
Je te le jure !
Seulement pour cela, mon gentil Piquillo !…
PIQUILLO.
Et bien, soit ! parlez-moi, comtess’de Tabago.
LA PÉRICHOLE.
Tu veux bien ?
PIQUILLO
Je veux bien.
LA PÉRICHOLE.
Écoute alors, écoute et ne dis rien :
I
Tu n’es pas beau, tu n’es pas riche,
Tu manques tout à fait d’esprit ;
Tes gestes sont ceux d’un godiche,
D’un saltimbanque dont on rit.
Le talent, c’est une autre affaire :
Tu n’en as guère, de talent…
De ce qu’on doit avoir pour plaire
Tu n’as presque rien, et pourtant…
PIQUILLO.
Et pourtant ?
LA PÉRICHOLE.
Je t’adore brigand, j’ai honte à l’avouer ;
Je t’adore et ne puis vivre sans t’adorer.
II
Je ne hais pas la bonne chère…
On dînait chez ce vice-roi,
Tandis que toi, toi, pauvre hère,
Je mourrais de faim avec toi !
J’en avais chez lui, de la joie ;
J’en pouvais prendre tant et tant ;
J’avais du velours, de la soie,
De l’or, des bijoux, et pourtant…
PIQUILLO.
Et pourtant ?…
LA PÉRICHOLE.
Je t’adore, brigand, j’ai honte à l’avouer ;
Je t’adore et ne puis vivre sans t’adorer.
PIQUILLO.
C’est la vérité, dis ?
LA PÉRICHOLE.
C’est la vérité, dis ? C’est la vérité même.
PIQUILLO.
Tu m’aimes ?
LA PÉRICHOLE.
Tu m’aimes ? Je t’aime !
PIQUILLO
O joie extrême !
LA PÉRICHOLE.
Bonheur suprême !
ENSEMBLE.
Et cætera, et cætera.
Felicità ! felicità !
PIQUILLO, avec passion.
Mon bonheur serait complet si
Je le goûtais ailleurs qu’ici.
LA PÉRICHOLE.
Tu m’aimes ?
PIQUILLO.
Tu m’aimes ? Je t’aime !
LA PÉRICHOLE.
Tu m’aimes ?
PIQUILLO.
Tu m’aimes ? Je t’aime !
LA PÉRICHOLE.
Ô joie extrême !
PIQUILLO.
Bonheur suprême.
ENSEMBLE.
Et cætera, et cætera.
Felicità ! felicità !
LA PÉRICHOLE.

Mon Piquillo !

PIQUILLO.

Tu m’aimes ?

LA PÉRICHOLE.

À ce point que la fortune m’est devenue insupportable dès que tu n’as plus été là pour la partager avec moi… J’ai tout quitté pour venir te retrouver, mon Piquillo !

PIQUILLO.

Ô mon amante !

LA PÉRICHOLE.

Ô mon amant !

PIQUILLO.

Mais comment se fait-il, au fait, que tu aies pu venir ?…

LA PÉRICHOLE.

J’ai demandé l’autorisation au vice-roi.

PIQUILLO.

Et il te l’a accordée ?…

LA PÉRICHOLE.

Il n’a rien à me refuser.

PIQUILLO.

Eh là !…

LA PÉRICHOLE.

Tu es bête !… s’il en est encore à ne rien me refuser, c’est que, moi, je lui ai tout refusé, moi !

PIQUILLO.

Comment dis-tu ça ?… s’il est encore à ne te rien refuser, c’est que ?…

LA PÉRICHOLE.

C’est que moi, je lui ai tout refusé… Tu ne comprends pas ?…

PIQUILLO.

Non.

LA PÉRICHOLE.

Tu comprendras plus tard. Nous n’avons pas de temps à perdre… Tu vas être libre, mon Piquillo, tu vas être libre. J’ai gardé sur moi assez d’or et de pierreries pour corrompre tous les geôliers du monde… À moi, geôlier, à moi !…

Entre Don Andrès, le vice-roi, déguisé en geôlier : barbe hérissée, air féroce, énorme trousseau de clefs.


Scène VI

Les Mêmes, plus DON ANDRÈS en geôlier.
TERZETTO.
DON ANDRÈS.
Je suis le joli p’tit geôlier
À la belle barbe en broussaille :
On me dit quelqu’fois d’la tailler,
Mais moi, jamais je ne la taille.
En faisant sonner ses clefs.
Et tin tin tin, et tin tin tin !
Sonnez, mes clefs, soir et matin !
TOUS LES TROIS.
Et tin tin tin, et tin tin tin !
Chantez votre joyeux tin tin,
Sonnez, { mes clefs, soir et matin !
ses
DON ANDRÈS.
Aux prisonniers, d’un pas hâtif,
Je vais porter la nourriture ;
Malgré mon air rébarbatif,
Je suis une bonne nature.
Agitant son gros trousseau de clefs.
Et tin tin tin, et tin tin tin !
Sonnez, mes clefs, soir et matin !
PIQUILLO.
Il est fort bien !
LA PÉRICHOLE.
Il est fort bien ! Fort bien, vraiment !
PIQUILLO.
Minon, gentil, coquet, charmant.
LA PÉRICHOLE.
Fringant, pimpant.
PIQUILLO.
Fringant, pimpant. Et sémillant.
REPRISE.
Sonnez, { mes clefs, soir et matin !
ses
Et tin tin tin, et tin tin tin !
LA PÉRICHOLE.

Il est gentil ! ça va aller tout seul… Venez un peu ici, petit geôlier.

DON ANDRÈS.
Et tin tin tin, et tin tin tin !…
LA PÉRICHOLE.

Qu’est-ce que c’est ?

DON ANDRÈS.
Et tin tin tin, et tin tin tin !
LA PÉRICHOLE.

En voilà assez… (Lui montrant des diamants.) Savez-vous ce que c’est que ça ?

DON ANDRÈS.

Parfaitement !… ce sont des diamants.

LA PÉRICHOLE.

Qui sont à vous si vous consentez à favoriser son évasion.

PIQUILLO.

Oh ! dis donc… c’est beaucoup peut-être de lui donner tout ça… Enfin !…

DON ANDRÈS.

Et si je consens à favoriser son évasion, qu’est-ce que vous ferez, vous ?

LA PÉRICHOLE.
Je partirai avec lui.
DON ANDRÈS.

Avec lui !

PIQUILLO.

Sans doute, avec moi, Don Alfonso Piquillo… Il est gentil, il est bête…

LA PÉRICHOLE.

Oh ! oui, qu’il est bête !

DON ANDRÈS, à part.

Tu verras ça tout à l’heure, toi, si je suis bête !… (Haut.) Eh bien, et ce vice-roi, ce pauvre vice-roi, vous le plantez là ?

LA PÉRICHOLE.

Net !

DON ANDRÈS, dissimulant son émotion.

Il vous adore, pourtant !

LA PÉRICHOLE.

Qu’est-ce que ça me fait ?

DON ANDRÈS.

Si vous l’aimiez, ça vous ferait quelque chose.

LA PÉRICHOLE.

Oui, mais comme je ne l’aime pas…

DON ANDRÈS.

Même pas un brin ?

LA PÉRICHOLE.

Pas une miette !

PIQUILLO.

C’est moi qu’elle aime.

LA PÉRICHOLE.
Oui, c’est lui… que j’aime ! Il m’aime, nous nous aimons ; nous voulons vivre l’un près de l’autre… et c’est sur vous, petit geôlier, que nous avons compté pour nous procurer cette satisfaction.
DON ANDRÈS.

C’est sur moi que vous avez compté ?

PIQUILLO.

Oui, bon petit geôlier, c’est sur vous.

DON ANDRÈS.

Et bien, vous n’avez pas eu tort… car cette satisfaction, je vous la procurerai et plus complète que vous ne pouvez croire… À moi, vous autres !

Entrent des gardes.
PIQUILLO et LA PÉRICHOLE.

Oh !

DON ANDRÈS, montrant les anneaux.

La femme à gauche, l’homme à droite… Ne faites pas de mal à la femme, mais vous bousculeriez un peu l’homme que je n’y verrais pas d’inconvénient. (On attache Piquillo à l’anneau de gauche, et la Périchole à l’anneau de droite). Là, c’est bien, laissez-nous maintenant.

Les gardes sortent.
LA PÉRICHOLE.

Don Andrès !…

PIQUILLO.

Le vice-roi !…

DON ANDRÈS.

Oui, le vice-roi, qui n’est pas aussi bête que vous le pensiez, monsieur… le vice-roi, à qui une minute a suffi pour se venger de vos dédains, madame… Vivre l’un près de l’autre, disiez-vous… Eh bien ! vous y êtes l’un près de l’autre… restez-y donc, et parlez-vous d’amour si cela vous fait plaisir.

PIQUILLO.

Oui, tyran, nous nous parlerons !

LA PÉRICHOLE.
Nous nous en parlerons à ton nez et à ta barbe !
DON ANDRÈS, avec dignité, ôtant sa fausse barbe.

Vous faites erreur, madame : cette barbe n’est pas à moi.

TRIO.
PIQUILLO
Roi pas plus haut qu’une botte !
Singe ! nous nous adorons
Marron sculpté ! vil despote !
Entends-tu ? nous nous aimons.
DON ANDRÈS.
La jalousie et la souffrance
Déchirent mon cœur tour à tour ;
J’ai la fortune et la puissance,
Tout cela ne vaut pas l’amour.
ENSEMBLE.
PIQUILLO, LA PÉRICHOLE.
La jalousie et la souffrance
Déchirent son cœur tour à tour ;
Il a tout, fortune et puissance,
Le gueux, mais il n’a pas l’amour.
Nous, nous avons l’amour !
DON ANDRÈS.
La jalousie et la souffrance
Déchirent mon cœur tour à tour ;
J’ai la fortune et la puissance,
Tout cela ne vaut pas l’amour.
Moi, je n’ai pas l’amour !
PIQUILLO.
Oui, nous nous aimons,
Nous nous adorons…
Entends-tu, brigand ?…
DON ANDRÈS.
Entends-tu, brigand ?… Ah ! qu’elle est belle !
Il va vers la Périchole.
PIQUILLO
Le bandit se rapproche d’elle !…
Veux-tu t’en aller ! veux-tu t’en aller !
LA PÉRICHOLE, se défendant comme elle peut.
Veux-tu t’en aller ! veux-tu t’en aller !
DON ANDRÈS, à la Périchole.
Tout bas laisse-moi te parler !
PIQUILLO.
Que dit-il ?
DON ANDRÈS, bas, à la Périchole.
Si plus tard tu deviens raisonnable,
Et tu te montres plus traitable,
Fredonnes un de ces airs que tu chantes si bien,
Je serai là !… Chut ! ne me réponds rien !
LA PÉRICHOLE.
Misérable !
PIQUILLO.
Qu’est-c’qu’il t’a dit, le misérable ?
REPRISE DE L’ENSEMBLE.
PIQUILLO, LA PÉRICHOLE.
La jalousie et la souffrance, etc.
DON ANDRÈS.
La jalousie et la souffrance, etc.
Don Andrès sort à la fin du trio.
DON ANDRÈS, à la Périchole, en sortant, parlé.

Je serai là.

Il reparaît : Piquillo, saisit sa botte de passe et la lui jette. — Piquillo et la Périchole restent seuls attachés en face l’un de l’autre à leurs anneaux de fer.


Scène VII

LA PÉRICHOLE, PIQUILLO.
PIQUILLO.

Qu’est-ce qu’il t’a dit, tout à l’heure, le vice-roi ?

LA PÉRICHOLE.
Quand ça ?
PIQUILLO.

Quand il t’a parlé bas.

LA PÉRICHOLE.

Il ne m’a rien dit.

PIQUILLO.

Pourquoi t’a-t-il parlé bas, alors ? Quand on ne dit rien, on n’a pas besoin de parler bas.

LA PÉRICHOLE.

Tu m’ennuies !… Tu vois que ça me crispe d’être attachée par le milieu du corps, et tu viens encore avec tes bêtes de questions…

PIQUILLO.

En voilà une nuit de noces !… Car, enfin, en y pensant, c’est notre nuit de noces.

LA PÉRICHOLE.

C’est vrai, pourtant !

PIQUILLO.

Comme c’est agréable de la passer de cette façon-là !… (En riant.) Heureusement que nous, pas bêtes…

LA PÉRICHOLE.

Plaît-il, monsieur ?

PIQUILLO.

Rien… je sais ce que je veux dire… il semblerait que nous avions prévu ça, vraiment, il semblerait que nous avions prévu ça.

Musique à l’orchestre pendant que la trappe du Vieux Prisonnier s’ouvre très lentement.
LA PÉRICHOLE.

Tais-toi !

PIQUILLO.

Qu’est-ce qu’il y a ?

LA PÉRICHOLE.

Il me semble que j’entends…

PIQUILLO.

Moi aussi…


Scène VIII

Les Mêmes, LE VIEUX PRISONNIER.
LE VIEUX PRISONNIER, sortant de la trappe.

Chut ! chut !…

PIQUILLO et LA PÉRICHOLE.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

LE VIEUX PRISONNIER.

Taisez-vous !

PIQUILLO et LA PÉRICHOLE.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

LE VIEUX PRISONNIER.

Je vous apporte la liberté !

PIQUILLO et LA PÉRICHOLE.

La liberté !

LE VIEUX PRISONNIER.

J’ai mis douze ans à percer le mur de mon cachot avec ce petit couteau… Douze ans encore pour percer le mur de votre cachot à vous, et nous sommes libres !

PIQUILLO et LA PÉRICHOLE.

Dans douze ans…

LE VIEUX PRISONNIER.

Oui… Ne perdons pas une minute.

LA PÉRICHOLE.

Psstt ! Dites donc, l’évadé, j’ai peut-être un moyen plus rapide… Vous l’avez sur vous, votre petit couteau ?…

LE VIEUX PRISONNIER.

Le voici.

LA PÉRICHOLE.

Eh bien, servez-vous-en d’abord pour faire sauter un des anneaux de cette chaîne.

LE VIEUX PRISONNIER.

À votre service !

Il saute sur la Périchole, et, avant de la délivrer, il l’embrasse avec fureur une demi-douzaine de fois.

LA PÉRICHOLE, se débattant.

Eh bien ! eh bien !…

PIQUILLO.

Eh bien ! qu’est-ce que c’est ?… Voulez-vous bien !…

LE VIEUX PRISONNIER.

Pardonnez-moi, il y avait douze ans !… il y avait douze ans, mon ami, il y avait douze ans… (Délivrant la Périchole.) Là, vous êtes libre.

LA PÉRICHOLE.

À la bonne heure !

Le Vieux Prisonnier va délivrer Piquillo.
PIQUILLO, lui serrant la main.

C’est bon ! je ne vous en veux plus.

LA PÉRICHOLE.

Maintenant, écoutez-moi. Le vice-roi m’a dit tout à l’heure…

PIQUILLO.

Tu vois bien qu’il t’a dit quelque chose !

LA PÉRICHOLE, haussant les épaules.

Le vice-roi m’a dit tout à l’heure que, si ça m’ennuyait de passer la nuit accrochée à cet anneau, je n’aurais qu’à chanter une des chansons que je chante si bien… (Avec modestie.) Ce n’est pas moi qui parle, c’est le vice-roi.

LE VIEUX PRISONNIER, saluant cérémonieusement.

Oh ! madame !…

PIQUILLO, à part.

C’est un homme du monde.

LA PÉRICHOLE.

Il a dit qu’il serait là ; que, lorsqu’il m’entendrait chanter, il reviendrait… alors, vous comprenez… Toi, Piquillo, tu vas te remettre près de ton mur, comme si tu étais toujours attaché ; vous, bon vieillard, vous allez vous cacher derrière ce pilier… moi, je vais chanter… le vice-roi viendra, et, dès qu’il sera à portée…

LE VIEUX PRISONNIER.

Nous sautons sur lui.

PIQUILLO.

Nous le ficelons, nous lui chipons ses clés.

LA PÉRICHOLE.

Et nous décampons… Y sommes-nous ?

LE VIEUX PRISONNIER.

Nous y sommes.

LA PÉRICHOLE, la tête tournée vers la porte.
Je t’adore !… Si je suis folle,
C’est de toi !… Compte là-dessus…
Entre Don Andrès.

Scène IX

Les Mêmes, DON ANDRÈS.
DON ANDRÈS.

Elle m’adore… j’ai bien entendu… elle m’adore, je puis compter là-dessus.

LA PÉRICHOLE.

C’est vous, Don Andrès ?

DON ANDRÈS.

Oui, c’est moi. Eh bien, vous êtes devenue raisonnable ?

LA PÉRICHOLE.

Tout à fait raisonnable !

DON ANDRÈS.

Et vous m’adorez ?

LA PÉRICHOLE.

Je vous adore !…

PIQUILLO et LE VIEUX PRISONNIER, qui se sont rapprochés, jettent une corde autour du corps du vice-roi, l’emmènent près du pilier, l’y attachent solidement.

Tu va voir comme elle t’adore, tu vas voir…

DON ANDRÈS.

À moi !… à moi !… Mais je suis fou… il n’y a personne… on ne m’entendra pas !… (Une fois attaché.) Ah ! les femmes ! les femmes !…

LA PÉRICHOLE.

Tu as raison, Don Andrès, les femmes…

Sur le motif du second acte.

Qu’est-c’qui, dans un tas d’circonstances,
Fait aux rois comme aux vice-rois
Commettre une foul’d’imprudences
Dont, plus tard, ils se mord’nt les doigts ?…
Les femmes, il n’y a que ça, etc.
LES TROIS PRISONNIERS.
Les femmes, il n’y a que ça, etc…
Tous les trois se sauvent.
DON ANDRÈS, seul, attaché au pilier.
Eh bien ! Ils ont raison après tout. Les femmes, il n’y a que ça !… A moi ! à moi ! à moi !…
DEUXIÈME TABLEAU
Décor du premier acte.

Scène PREMIÈRE

BERGINELLA, GUADALENA, MASTRILLA, puis PIQUILLO, LA PÉRICHOLE, LE VIEUX PRISONNIER, puis DON PEDRO, PANATELLAS et des Gardes.
MASTRILLA.

Que se passe-t-il donc ? tout le monde a peur, tout le monde se sauve…

BERGINELLA.

On dit que trois prisonniers viennent de s’échapper.

GUADALENA.

Et toutes les milices de la ville sont sur pied pour les rattraper… Oh !…

Entrent Piquillo, la Périchole et le Vieux Prisonnier.
BERGINELLA et GUADALENA.

Piquillo !… La Périchole !…

PIQUILLO.

Ne nous trahissez pas, mes bonnes demoiselles, ne nous trahissez pas !

LE VIEUX PRISONNIER, embrassant Guadalena.

Il y avait douze ans…

Piquillo et La Périchole entraînent le Vieux Prisonnier ; ils sortent par la droite. — Les Trois Cousines rentrent dans leur cabaret. — Paraît Don Pedro, l’épée à la main, suivi d’un peloton de soldats.
DON PEDRO et CHŒUR.
En avant ! en avant soldats !
Pressons le pas ! pressons le pas !
DON PEDRO
D’un pied léger, d’un pas d’agile,
Visitant les moindres quartiers,
Nous parcourons toute la ville
Pour rattraper les prisonniers.
CHŒUR.
Les bandits
Sont partis ;
Tous les trois
À la fois
Ont pris la poudre d’escampette.
Furetons
Et cherchons,
Car il faut
Vite et tôt
Les découvrir dans leur cachette.
Donc en avant, d’un pas agile,
Par les quais et par les faubourgs ;
Traquons-les dans toute la ville,
Suivons leurs tours et leurs détours !
Sur la fin du chœur, Panatellas entre à la tête d’une autre patrouille.
DEUXIÈME PATROUILLE.
En avant ! en avant, soldats !
Pressons le pas ! pressons le pas !
PANATELLAS.
La foule nous suit, gouailleuse,
Et, riant de notre embarras,
Nous chante de sa voix railleuse :
« L’attrap’ra !… l’attrap’ra pas !… »
CHŒUR.
Les bandits
Sont partis, etc.
Après ce chœur, sortie des patrouilles et rentrée des Trois Cousines.
LES TROIS COUSINES.
Pauvre gens, où sont-ils ?
Les voilà bien lotis !
C’est la faute à la Périchole :
Le satin, les atours,
Les bijoux, le velours !
Elle était grise, elle était folle !…
Mais, hélas ! pauvre enfant !
La voilà maintenant
Plus malheureuse que naguère !
Profitons sagement
D’un tel enseignement,
N’ayons pas la tête légère.
MASTRILLA.
Et si jamais notre doux maître,
Si notre doux maître, un jour,
Avait l’aplomb de se permettre
De nous parler de son amour…
BERGINELLA.
Nous aurions bien plus de sagesse !
Et nous ferions, sur ma foi !
Avec beaucoup de politesse,
La révérence au vice-roi.
GUADALENA.
Car, vrai, cela passe trop vite
Une fortune à la cour !
Le règne de la favorite
N’aura pas duré plus d’un jour !
Rentrent Don Pedro et Panatellas à la tête de leurs patrouilles. Derrière les patrouilles, le populaire.
REPRISE GÉNÉRALE.
Les bandits
Sont partis, etc.
Entre le vice-roi, suivi de ses pages.

Scène II

Les Mêmes, DON ANDRÈS.
DON ANDRÈS.

Ils sont pris, n’est-ce pas ?

DON PEDRO.
Altesse !…
DON ANDRÈS

Ils sont pris ?… ils sont arrêtés ?…

PANATELLAS.

On est sur leurs traces, Altesse, on est sur leur traces.

DON ANDRÈS.

Sur leurs traces… Ah ! je la connais, celle-là, je sais ce que ça veut dire…

PANATELLAS.

Mais, Altesse, ça veut dire…

DON ANDRÈS.

Que vous n’avez rien trouvé, que vous ne savez rien… Ainsi, deux misérables auront osé porter la main sur ma personne sacrée ; il l’auront ficelée comme un saucisson, ma personne sacrée ! puis ils se seront sauvés, en se moquant de moi… Et, quand je vous demande, à vous qui êtes gouverneur de ma ville de Lima, à vous qui êtes premier gentilhomme de ma chambre, si ces deux misérables sont arrêtés, vous pensez qu’il vous suffira de me répondre : « On est sur leurs traces, Altesse, on est sur leurs traces !… »

DON PEDRO.

J’ai fouillé le palais, Altesse, et j’ai fouillé les bouges ; j’ai fouillé les boutiques, j’ai fouillé les bazars, j’ai fouillé les cabarets, j’ai fouillé les hôtels garnis, j’ai fouillé…

DON ANDRÈS.

Et vous, Panatellas ?…

PANATELLAS.

Moi, Altesse, j’ai fouillé les habitants.

DON ANDRÈS.
Et vous n’avez rien trouvé ?
PANATELLAS.

Pas grand-chose, Altesse.

DON ANDRÈS.

Vous dites ça parce que vous avez peur que je vous demande ma part… Avancez un peu, les trois cousines.

BERGINELLA.

Altesse !…

DON ANDRÈS.

Vous la connaissiez, vous, cette Périchole de malheur ? vous le connaissiez, ce Piquillo ?

MASTRILLA.

Oui, Altesse, mais…

DON ANDRÈS.

Vous les avez vus, sans doute ?…

GUADALENA, troublée.

Non… Altesse… non (À ses cousines.) N’est-ce pas que nous ne les avons pas vus ?

DON ANDRÈS.

Vous vous troublez, faites-y attention, les trois cousines !… Je vous ferai battre de verges, si vous ne me dites pas la vérité… Vous entendez, je vous ferai battre de verges après vous avoir fait préalablement déshabiller jusqu’à la ceinture.

LA FOULE, avec un murmure d’adhésion.

Eh ! eh !… Ah ! ah !…

DON ANDRÈS.

Ça vous amuse, ça, vous autres ?

PANATELLAS.

Dame ! Altesse !…

DON ANDRÈS.

Eh bien, ça n’aura pas lieu… En chasse, messieurs, en chasse !… Je rattraperai ceux qui m’ont ficelé, dussé-je, pour les rattraper, démolir la moitié de la ville ! En chasse ! en chasse !

PLUSIEURS VOIX.

Les voilà ! les voilà !

DON ANDRÈS, remontant.

Qui ça ?

DON PEDRO, remontant.

La Périchole ! Piquillo !

DON ANDRÈS.

Piquillo, la Périchole !… Ils se livrent ! à la bonne heure !

Entrent la Périchole et Piquillo, suivis du Vieux Prisonnier. — Entrée absolument pareille à celle du premier acte. Ils ont repris leurs costumes de chanteurs ambulants avec les guitares en sautoir.


Scène III

Les Mêmes, PIQUILLO, LA PÉRICHOLE, LE VIEUX PRISONNIER.
PIQUILLO, aux Trois Cousines.

Vous permettez, n’est-ce pas ?

LES TROIS COUSINES, effarées.

Mais, très volontiers, très volontiers !

PIQUILLO.

Merci, mes bonnes demoiselles… mes bonnes demoiselles, je vous remercie bien… (Tapis étendu, cahiers de chansons, soucoupe pour la quête.) En voilà un public, hein ? la Périchole !… il s’agit de nous distinguer.

LA PÉRICHOLE.

Et il faut espérer que les gens qui nous écoutent seront généreux, très généreux.

DON ANDRÈS.
Tu verras bien.
LA PÉRICHOLE.

Y es-tu ?

PIQUILLO.

J’y suis.

LA PÉRICHOLE.

La Clémence d’Auguss…

DON ANDRÈS, flatté.

Ça, c’est délicat !

LA PÉRICHOLE.

La Clémence d’Auguss… ou les Coupables récompensés quand ils auraient dû être punis…

PIQUILLO.

Complainte brillante, en trois couplets.

Don Andrès aperçoit le Vieux Prisonnier portant un basson.

DON ANDRÈS.

Que vois-je ! le marquis de Santarem !

Pour toute réponse, le marquis de Santarem attaque sur son basson la ritournelle de la complainte suivante.

COMPLAINTE.
LA PÉRICHOLE.
Écoutez, peup’d’Amérique,
De l’Espagne et du Pérou,
Écoutez… ça n’coût’qu’un sou !…
L’histoire très véridique
De deux amants malheureux,
Qui finir’nt par être heureux.
ENSEMBLE.
De deux amants malheureux,
Qui finir’nt par être heureux.
PIQUILLO.
Le vice-roi en colère,
Les fit, pour certain’raison,
Mettre tous deux en prison ;
Heureus’ment, il s’évadèrent,
Grâce à un vieux prisonnier
Qui du basson savait jouer.
ENSEMBLE.
Grâce à un vieux prisonnier
Qui du basson savait jouer.
LA PÉRICHOLE.
On les traque, on les repince,
On va les percer de coups…
Mais ils tombent à genoux,
Aux genoux de leur bon prince,
Qui les accable tous deux
Sous un pardon généreux !
ENSEMBLE.
Qui les accable tous deux
Sous un pardon généreux !
LA PÉRICHOLE, à Piquillo.

Et maintenant, laisse-moi faire la quête et laisse-moi la faire comme je l’entends. (À Don Andrès.) Reprenez vos diamants, Altesse ; tout ce que nous vous demandons, c’est de ne pas nous faire pendre.

PIQUILLO.

Et de ne pas nous réclamer les quatre piastres… vous savez… pour notre mariage…

DON ANDRÈS.

Don Andrès de Ribeira n’a pas pour habitude de reprendre ce qu’il a donné : gardez tout. Votre conduite me cause tant d’admiration, que, si je ne me retenais pas, je pleurerais comme une bête… Approchez, marquis de Santarem… Qu’aviez-vous fait pour être mis en prison ?

LE VIEUX PRISONNIER.

Je n’en sais rien.

DON ANDRÈS.
C’est fâcheux : j’aurais aimé à vous le pardonner… Mais, puisque vous n’en savez rien… qu’on le reconduise dans son cachot.
LE VIEUX PRISONNIER.

Ça m’est égal : j’ai mon petit couteau.

DON ANDRÈS.

Vous deux, vous êtes libres.

ENSEMBLE.

Libres !

LA PÉRICHOLE.

Et riches !… Tu vois, quand c’est moi qui fais la quête !…

PIQUILLO.

O mon amante !

LA PÉRICHOLE.

O mon amant !

FINALE.
PIQUILLO.
Tous deux, au temps de peine et de misère,
Dans bien des cours avons chanté souvent.
LA PÉRICHOLE.
Nous vous dirons, avec franchise entière,
Que c’est ici qu’on fait le plus d’argent.
PIQUILLO.
Nous vous quittons… Ainsi que l’hirondelle,
Vers d’autres cieux nous prenons notre vol.
LA PÉRICHOLE.
Mais, en partant, reprenons de plus belle
Il grandira, car il est Espagnol !
ENSEMBLE.
Il grandira, car il est Espagnol !
CHŒUR.
Il grandira, car il est Espagnol !