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La Question de l’annexion de Nice en 1860

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La Question de l’annexion de Nice en 1860
Revue des Deux Mondes4e période, tome 134 (p. 144-173).
LA QUESTION
DE
L'ANNEXION DE NICE
EN 1860[1]


I. — SES PRÉCÉDENS HISTORIQUES. SA LIAISON INTIME AVEC LA QUESTION DE L’UNITÉ ITALIENNE

La question de Nice et de la Savoie est la première en date dans la période de formation de l’unité italienne ; elle a en outre un lien absolument intime avec cette même question de l’unité. Les deux questions, en réalité, sont inséparables : elles forment un tout qui ne peut se diviser. L’année 1859 avait ouvert la voie au principe des nationalités ; l’année 1860 l’a parcourue victorieusement : 1860 est à 1859 ce qu’une conséquence est à une prémisse. En 1860, le principe, devenu fait accompli, a définitivement passé dans le domaine du droit public européen. Quant aux étapes marquant le chemin qu’il a parcouru, elles n’ont pas toutes été envisagées du même œil favorable par le patriotisme italien, parfois mal éclairé. Il suffit de les indiquer pour rappeler à la mémoire du lecteur les diversités d’appréciation auxquelles elles ont donné lieu. Leurs noms sont : Solferino, Villafranca, Florence, Nice, Marsala. Plus d’un, en Italie, je m’y attends, se montrera scandalisé de voir ainsi accouplés des événemens qui lui sembleront présenter entre eux une frappante antinomie : Solferino, qui a marqué la victoire de la marche ascendante du principe, avec Villafranca qui lui a imposé une halte ; Villafranca, qui comportait la clause du rétablissement des duchés, avec Florence, dont le vote a définitivement déposé le grand-duc et affirmé la réunion de l’Italie centrale au Piémont ; Nice, enfin, dont les « italianissimes » ont maudit la cession comme un démembrement italien, avec Marsala, où Garibaldi et ses héroïques Mille ont planté sur une base désormais indestructible le drapeau de l’unité italienne. Rien pourtant n’est plus vrai ni plus logique que le lien qui, comme les inséparables anneaux d’une chaîne, rattache les uns aux autres ces divers noms ; c’est seulement au regard de l’observateur superficiel que leur signification semble se heurter. Si Solferino a affranchi Milan de la servitude autrichienne, Villafranca a délivré la Lombardie de la menace d’entrée en campagne de l’Allemagne et de l’Angleterre dont les forces combinées pouvaient changer en défaites les victoires des armées alliées de la France et du Piémont[2]. Si à Villafranca fut admis le principe du rappel des souverains dépossédés, un autre principe y fut aussi posé qui réduisait celui-là à l’état de lettre morte le principe de non-intervention, par la vertu duquel la France imposait à l’Autriche, armée jusqu’aux dents, la dure loi d’une attitude de spectateur passif[3] ; d’où les révolutions successives qui devaient mettre à néant et les perspectives de reconstitution des duchés et les projets de confédération des divers États dont l’Italie se composait encore[4].

Et il faut noter qu’en promettant au Piémont son assistance contre toute intervention étrangère dans le mouvement national italien, la France était loin de ne lui donner qu’une garantie académique ; elle s’exposait parfaitement à l’éventualité d’une nouvelle guerre, dans laquelle l’Autriche ne serait plus seule comme lors de la récente campagne de 1859. « Un point auquel la Prusse ne peut souscrire », écrivait le 4 mars 1860 le prince régent de Prusse au prince Albert de Saxe-Cobourg, époux de la reine Victoria, « c’est la-reconnaissance du principe de non-intervention. » Et il ajoutait : « Lorsqu’un appel est fait par les souverains légitimes… n’est-il pas juste d’y répondre ? » Pour le futur empereur allemand, sous la plume duquel perçaient déjà ses ultérieurs projets de conquêtes, les populations du Schleswig-Holstein étaient les seules en Europe qui fussent en possession de « droits conventionnels » : il estimait qu’en Italie c’était « autre chose » et que les souverains seuls y avaient « des droits assurés par des traités[5] ». D’un autre côté, la cour de Saint-Pétersbourg, dégoûtée du tour révolutionnaire que prenaient les affaires d’Italie, changeait en hostilité déclarée l’appui bienveillant qu’elle avait donné l’année précédente à la politique des cours de Turin et de Paris. Peu de temps après, le prince Gortchakow avertissait clairement le cabinet sarde que « si la position géographique de la Russie l’eût permis, l’empereur n’aurait pas hésité à envoyer des troupes à Naples pour protéger la dynastie des Bourbons[6] » ; et en même temps il était question à Berlin « d’une coalition pour mettre fin à l’ambition piémontaise[7]. »


II. — ANTÉCÉDENS HISTORIQUES ET DIPLOMATIQUES DE LA QUESTION DE NICE ET DE LA SAVOIE

Si la France, en prenant Nice, a paru, aux yeux de plus d’un bon Italien, violer le principe des nationalités, pour la défense duquel ses légions avaient passé les Alpes, la vérité est qu’elle ne faisait là que consacrer une fois de plus ce même principe. Henri IV, lorsque le duc de Savoie lui céda la Bresse, avait dit aux Bressans que, puisqu’ils parlaient « naturellement » français, ils devaient être « sujets à un roi de France », ajoutant avec raison : « Je veux bien que la langue espagnole demeure à l’Espagnol, l’allemande à l’Allemand, mais toute la françoise doit être à moi[8]. » La France du XIXe siècle, du moment où elle mettait au monde une Italie destinée à vivre comme nation et comme Etat, n’avait pas moins de raison de lui dire : « A toi la langue italienne seulement. » Or l’on a beaucoup discuté, en 1860, sur la nationalité de Nice, qui ne ressortait peut-être pas aussi nettement française que celle de la Savoie ; mais, pas plus dans le Parlement subalpin que dans la presse italianissime la plus passionnée, nul n’est parvenu à établir que le patois des Niçois soit plus italien que le provençal des gens de Toulon et de Marseille ; et, en fait, si un tel axiome de linguistique avait pu s’établir, autant eût-il valu décréter que le français des gens de Tours ou de Rouen est de l’italien aussi : n’est-il pas, comme l’italien lui-même, un dialecte dérivé du latin ? Pour se faire une idée exacte de la communauté d’origine des deux langues, il suffit de remonter jusqu’au langage que l’on parlait en France au IXe siècle, et dont nous avons une trace frappante dans le serment prononcé par Louis le Germanique devant les soldats de Charles le Chauve. C’est un mauvais latin semé de mots italiens et de désinences italiennes. Un autre document d’une date postérieure nous montre de son côté l’inclinaison suivie par le langage primitif des Français vers la formation de la langue française proprement dite. C’est le Pater écrit dans la langue romane, parlée au nord de la Loire vers le XIe siècle. Ici le latin s’efface ; nous sommes en présence d’un jargon ressemblant beaucoup aux divers patois actuels de l’Italie septentrionale et que la plupart des Lombards peuvent parfaitement comprendre. Vouloir faire de la question de Nice une question de linguistique serait donc risquer de n’aboutir qu’à la confusion des langues.

Au surplus, que le dialecte niçois ne fût pas de l’italien, nous en avons une preuve concluante dans une de ces saillies spirituelles dont la discussion de M. Cavour au Parlement subalpin était souvent émaillée. C’était à la séance du 26 mai 1860 ; on discutait le traité de cession de Nice et de la Savoie. Le député Bottero[9] le combattait passionnément, s’appuyant sur l’argument des origines et de la langue de la population niçoise. L’illustre homme d’Etat, dans sa réplique, n’admettait pas que Nice fût de langue italienne ; entre autres preuves à l’appui de son opinion sur ce point, il citait les noms de divers députés niçois qui, à la Chambre, ne s’étaient jamais exprimés qu’en français ; et il ajoutait très malicieusement : « L’honorable M. Bottero, à dire vrai, s’exprime en italien, mais quand il m’amena une délégation de Niçois il dut me les présenter en français. On me dira : Phénomène naturel dans les confins. Croyez-vous que s’il nous venait des délégués du haut Frioul, ils nous parleraient en allemand ? »

Et d’ailleurs, il y a, en fait d’agglomérations nationales, un principe qui domine tous les autres, sans en excepter celui des origines et de la langue : c’est le principe du consentement des populations. Or les Niçois ont prouvé par leur vote qu’ils voulaient cesser d’être Piémontais pour devenir Français. Laissons donc de côté la nationalité de Nice, question que je traiterai en temps et lieu opportuns avec toute l’ampleur nécessaire. Revenons à notre point de départ : Nice française a enfanté Marsala italienne, — Marsala, qui a fait de la Sicile le creuset où des élémens jusqu’alors disparates, portant les noms de Piémontais, Liguriens, Lombards, Émiliens, Toscans, Romagnols, Marchigians, Ombriens, Napolitains et Siciliens, se sont fondus dans une admirable combinaison de chimie patriotique, pour ne plus former qu’un tout destiné à être à jamais l’Italie une et indivisible.

Que l’unité de l’Italie ait été consommée en Sicile par l’œuvre glorieuse de Garibaldi, c’est ce que tout le monde sait ! Que cette unité soit solide comme le roc insulaire sur lequel elle a été bâtie, c’est ce que beaucoup de gens croient avec le modeste auteur de ces lignes, malgré les appréhensions de tendances séparatistes qu’ont fait naître de récens troubles survenus dans cette île. Mais que la séparation de Nice du royaume italien en gestation ait été le petit fait générateur du grand fait de l’unité italienne, c’est un point d’histoire contemporaine qui n’a pas encore été, je crois, suffisamment constaté. Je vais essayer de le faire.

Nice et la Savoie ont été de tout temps considérées comme formant des parties intégrantes du sol français et de son système de sécurité de frontières. Dès que la politique européenne, dégagée des obscurités du moyen âge et des incertitudes de la Renaissance, a pris son caractère moderne de rationalisme et d’équité, c’est sur ce point que se sont restreintes les ambitions françaises du côté de l’Italie. Dans son beau livre : la France et l’Italie devant l’histoire, M. Joseph Reinach, s’appuyant sur les données historiques les plus positives, nous a montré avec une indiscutable clarté cette heureuse évolution. Il nous fait voir d’une manière saisissante la France de Henri IV rompant avec la politique italienne de la France de Charles VIII, de Louis XII et de François Ier. Pour le Béarnais, le temps des brillantes chevauchées des Valois à travers la péninsule était passé ; pour lui, il ne s’agissait plus en Italie de conquête, mais bien de délivrance, d’indépendance ; ainsi le problème italien avait pris, à la fin du XVIe siècle, la forme définitive qu’il a conservée jusqu’au milieu du XIXe : chasser l’Autrichien de la péninsule et y former, sur la base des territoires italiens des ducs de Savoie, un État italien assez fort pour l’empêcher d’y rentrer ; c’est d’ailleurs, à certains points de vue, le même problème qui a surgi de nouveau pour la France depuis une douzaine d’années, avec cette seule différence que de nos jours, à l’Autrichien s’est substitué le Prussien : n’est-ce pas en effet la Prusse qui, tout en ne possédant matériellement aucune partie du territoire italien, règne et gouverne moralement d’une extrémité à l’autre de l’Italie ? Mais c’est là un côté spécial de la question italienne que je n’ai pas à développer ici.

Je reprends donc le fil de mon sujet au point où l’avait laissé la courte parenthèse qui précède. Je disais que Henri IV avait voulu l’Italie indépendante de l’Autriche ; mais ni lui ni Sully ne voulaient la France dépendante de l’Italie qu’il s’agissait de rendre libre. Ils ne voulaient pas que cette Italie régénérée et susceptible de devenir l’une des forces européennes avec lesquelles il aurait fallu désormais compter, fût maîtresse, en France, par un point quelconque de territoire français ; et pour l’en empêcher, ils disaient au duc de Savoie : « A vous le Milanais ou toutes autres terres italiennes qu’il nous sera possible de vous aider à vous annexer ; à nous la Savoie et Nice. » En d’autres termes : « A nous la sécurité de nos frontières. » Et le duc de Savoie accordait sans une ombre d’hésitation les cessions qui lui étaient demandées pour prix de ses agrandissemens projetés[10]. Et Elisabeth d’Angleterre[11], dont ses successeurs actuels ont si peu suivi les idées à cet égard, souscrivait volontiers à ces arrangemens en ce qui la concernait[12].

Le couteau de Ravaillac abattit du même coup et le Béarnais et « le grand dessein » destiné à donner à l’Europe une assiette plus stable et plus pacifique. Mais « le grand dessein » devait revivre entre les mains des héritiers de la politique de Henri IV et de Sully. Richelieu ne tarda pas à le reprendre : son traité avec Venise (3 mars 1629) vise l’établissement en Italie « d’une ligue où tous les États réunis garantiraient à chacun son intégrité et se promettraient secours et assistance en cas d’attaque de quelque part qu’elle soit. » Déjà, dans son mémoire adressé au roi le 5 mai 1625, le grand cardinal avait dit : « Devenus sages à nos dépens, nous avons dès lors trouvé le vrai secret des affaires d’Italie, qui est : dépouiller le roi d’Espagne, — c’est-à-dire la maison d’Autriche, — de ce qu’il y tient, mais pour en revêtir les princes et potentats d’Italie, lesquels, par l’intérêt de leur propre conservation, seront tous unis ensemble pour conserver ce qui leur aura été donné. »

Mazarin, non moins lucide que Richelieu sur l’intérêt qu’a la France de ne rien posséder au-delà des Alpes, passe, avec le prince Thomas de Carignan, héritier éventuel de la souveraineté du Piémont, un traité secret promettant à ce prince la couronne des Deux-Siciles, et assurant à la France la Savoie et le comté de Nice : « Tout ce qui est en deçà des monts proche la France », ainsi s’exprime ce traité.

Avec Louis XIV, l’intuition de la vraie politique française en Italie s’obscurcit. Le « grand roi » songe plus à la grandeur de sa couronne, à l’extension de son empire, qu’à la liberté de ses voisins. S’il se préoccupe des affaires de l’Italie, c’est pour y prendre pied lui-même, comme lorsqu’il conçoit l’absurde projet de donner au roi de Sardaigne le trône de Portugal, à condition d’obtenir pour la France, avec la Savoie et le comté de Nice, même le Piémont ! Une aussi fausse politique ne devait heureusement pas faire école. Chauvelin, et, après lui, d’Argenson, devaient reprendre la trace laissée par Sully, par Richelieu et par Mazarin ; ils voulaient eux aussi opposer en Italie le pouvoir agrandi de la maison de Savoie à la puissance de la maison d’Autriche ; mais toujours à la condition que les ducs de Savoie abandonnassent à la France les territoires qui forment sa frontière, sa sécurité. Et toujours les ducs de Savoie admettaient sans difficulté ce principe d’une indiscutable équité.

Vint la Révolution française ; et les négociations sur des bases identiques furent reprises ; mais à ce moment de crise suprême, Charles-Emmanuel IV, imprégné des passions réactionnaires qui animaient les monarchies européennes, ne s’y prêtait que pour tromper la France. Les négociateurs de la République française auraient dû se rappeler à son égard la belle maxime de Métastase :


Non muerta fè chi non la serba altrui.


Ce prince, qui traitait avec la France tandis qu’il se faisait à Vienne l’instigateur persévérant d’une coalition contre elle, était, en effet, un homme sans foi ni loi. Il ne négociait que pour trahir. On peut lire avec fruit sur ce point spécial d’histoire l’excellente brochure de M. Henri Marmonier : l’Italie et l’alliance autrichienne[13]. La duplicité de la cour de Turin reçut la punition qu’elle méritait. Victor-Emmanuel Ier, qui avait succédé à Charles-Emmanuel, vit ses possessions continentales devenir des départemens français ; réfugié dans son ile de Sardaigne, il ne dut qu’à la protection des flottes anglaises de pouvoir y attendre plus ou moins patiemment le triomphe de la coalition et la destruction de la France impériale et révolutionnaire.

En incorporant ainsi à l’empire français des territoires situés dans la péninsule, Napoléon brisait de regrettable façon une sage ligne de politique italienne, devenue traditionnelle en France depuis deux siècles. Mais il faut dire à sa décharge que dans l’entraînement de la lutte implacable que lui livrait la vieille Europe, son établissement italien ne pouvait être qu’un établissement transitoire, conséquemment violent. Sa véritable pensée, il faut la voir dans le fait d’avoir groupé d’autres parties de la péninsule autour d’un centre politique auquel il donnait le nom de Royaume d’Italie, et non pas de royaume de telle ou telle partie de l’Italie. Il faut la voir aussi dans cet autre fait d’avoir investi son fils naissant de ce titre pompeux de roi de Rome, qui indiquait manifestement l’idée ultérieure de faire de la ville des empereurs et des papes la capitale d’un nouveau grand État péninsulaire, probablement unifié : s’il pouvait en avoir été autrement, ce grand titre donné à l’enfant impérial devenait un non-sens, car Rome alors n’était plus, elle aussi, que le chef-lieu d’un département français. Enfin c’est dans les dictées de Sainte-Hélène qu’il faut chercher la pensée finale de Napoléon relativement à l’Italie ; elle éclate lumineusement dans cette sentence prononcée par lui : « Les Italiens forment une seule nation ; ils ont uniformité de coutumes, de langue, de littérature, et tôt ou tard ce peuple sera réuni sous un seul gouvernement[14]. »

Un autre point, un point de détail, par lequel Napoléon, dans les mêmes dictées, s’éloigne de la tradition d’Henri IV, consiste dans les limites qu’il assigne à la France et à l’Italie du côté des Alpes maritimes. Il place Nice en Italie. Mais il convient de considérer que souverain tout à la fois des deux contrées, il devait traiter cette question spéciale de délimitation avec quelque indifférence. Il le devait d’autant plus qu’une frontière de ce côté ne peut être fixée qu’arbitrairement, à moins de suivre le régime des eaux, comme on dit en termes de topographie militaire, ce qui amènerait à prolonger la frontière française jusqu’à Gênes. Or il n’entrera jamais dans l’esprit de personne de vouloir faire de Gênes une ville française. Cela étant, l’on est bien obligé de s’en rapporter à l’opinion des militaires, lesquels s’accordent pour affirmer qu’en suivant la côte depuis Gênes jusqu’à Toulon, il n’y a pas un point stratégique qui s’impose comme ligne de démarcation précise. Force est donc de s’astreindre à considérer la question de cette ligne comme une question purement conventionnelle. Nous nous en convaincrons en remontant plus haut dans l’histoire. Jules César, et après lui l’empereur Tibère, fixaient à la Turbie la limite des deux Etats, donnant ainsi à l’Italie le point occupé aujourd’hui par Monte-Carlo et laissant à la Gaule celui où est située Nice. Régnant sur les deux contrées à la fois, comme a régné Napoléon, ils indiquaient, de même que lui, d’une manière indifférente, et pour ainsi dire au hasard, le point de délimitation que la nature n’avait pas marqué. Auguste, en revanche, plaçait Nice en Italie, tandis que plus tard, Dioclétien la comprenait dans la Gaule[15].

La théorie, une théorie remontant à plus de deux siècles, était donc parfaitement fixée à l’égard de la reconstitution politique de l’Italie : si cette reconstitution venait à s’opérer, elle devait avoir pour résultante inévitable une meilleure constitution de la frontière française. L’opinion sur ce point était généralement établie : elle existait aussi bien dans les sphères de la cour de Turin, à qui l’obligation des cessions territoriales incomberait éventuellement, que dans les centres d’action politique les plus aptes à provoquer des mouvemens révolutionnaires susceptibles de précipiter les solutions. Nous lisons dans Cesare Cantù que la Giovine Italia, fondée à Marseille par Mazzini, faisait, en 1833, l’offre de Nice et de la Savoie à la France, en retour de l’appui qu’elle prêterait au mouvement que l’on voulait tenter contre les vieilles dynasties de la péninsule[16]. Et à ce propos, un éminent écrivain politique, qui pourtant ne se montre pas souvent favorable à la politique française, M. le sénateur Chiala, ne peut s’empêcher de faire remarquer assez malicieusement que « le souvenir de cette offre aurait dû modérer quelque peu l’indignation de Mazzini contre le comte de Cavour pour avoir cédé Nice et la Savoie à la France[17]. »

Avec la révolution de 1848, nous voyons renaître la pensée d’un même mode de conciliation de l’intérêt français avec l’intérêt italien : le gouvernement provisoire de la seconde république offrait au roi de Sardaigne de l’assister dans la lutte désespérée qu’il avait engagée contre l’Autriche, lui demandant en échange la cession de la Savoie et de Nice[18]. Charles-Albert voulut fare da sè, résolution généreuse mais téméraire, qui, après une première défaite à Custozza, devait le mener à briser le cours de son règne dans le désastre suprême de Novare ; — résolution providentielle néanmoins, car s’il eût accepté l’offre de secours du gouvernement provisoire, c’en était peut-être fait à jamais de l’Italie ; de l’Italie, et de la France aussi, peut-être. La révolution de Paris renversait en effet les assises d’un droit public européen imposé par la coalition de toutes les puissances, qui toutes se montraient passionnément intéressées à son maintien depuis un tiers de siècle. Une attitude pacifique de la France républicaine pouvait seule les porter à ne pas intervenir dans ses affaires intérieures ; le moindre cri de guerre qu’elle eût poussé les aurait fait se ruer sur elle comme au retour de l’île d’Elbe. En 1848, — malgré les secousses politiques de Vienne et de Berlin, assez promptement réprimées d’ailleurs, — l’Europe monarchique vivait encore dans la terreur du souvenir des guerres de la Révolution et de l’Empire. Pour que de nouveaux champs de bataille pussent s’offrir à l’armée française sans provoquer une action combinée de toutes les armées européennes, il fallait que le nouvel état de choses sorti du pavé de Paris eût eu le temps de faire ses preuves de sagesse et de modération. La répression de l’insurrection de Juin, l’expédition de Rome décrétée sous le gouvernement temporaire du général Cavaignac, purent être considérées comme des gages satisfaisans donnés aux cabinets réactionnaires ; mais le plébiscite qui élevait à la présidence de la République l’héritier du vaincu de Waterloo ne pouvait que leur inspirer des craintes d’idées de revanche et de bouleversement. Il fallut le coup d’Etat de Décembre pour arracher un satisfecit à l’empereur Nicolas. Et encore cet acte si grave et si diversement apprécié n’eut-il aucune influence sur l’esprit rancunier du gouvernement et du peuple britanniques : pour en avoir manifesté personnellement son approbation, lord Palmerston, alors chef du Foreign Office, se vit destitué le 22 décembre par une décision du Conseil des ministres lui donnant pour successeur lord Granville[19]. Le public fit peu d’attention à cette querelle domestique du cabinet de la reine, car le noble vicomte reçut le coup sans se plaindre. « Lorsqu’un homme donne sa démission, disait-il à lord Broughton, on s’attend à ce qu’il dise pourquoi ; mais lorsqu’on l’éloigne, c’est à ceux qui l’ont écarté d’en faire connaître la cause. » Un incident aussi significatif prouve néanmoins jusqu’à quel point les choses de France provoquaient les préoccupations des cabinets, et combien le nouveau gouvernement français avait besoin de se montrer prudent pour éviter de les ameuter contre lui[20].

Cet état d’isolement et de faiblesse relative du second empire napoléonien ne devait cependant pas être de longue durée. Napoléon III sut, avec une très grande finesse, se rendre persona grata à la cour d’Angleterre. En lisant les notes intimes de la reine Victoria — dans le livre si intéressant de sir Théodore Martin, le Prince Albert — on suit pas à pas le chemin que l’Empereur eut l’habileté de faire dans le cœur de cette princesse et de son époux. Dès l’année 1850, n’étant encore que président de la République avec un pouvoir très précaire, il ne craignit pas d’intervenir dans le fameux conflit survenu entre l’Angleterre et la Russie, à propos de l’incident de l’Anglais M. Finlay et du Portugais Dom Pacifico. Ces deux puissances étaient sur le point d’en appeler aux armes, lorsque l’heureuse médiation de la France, qui pourtant avait, elle aussi, à se plaindre des procédés diplomatiques de l’Angleterre, parvint à les concilier. Ainsi, Louis-Napoléon, soit comme président, soit ensuite comme empereur, s’appliquait, selon l’expression de Cowley, à dissiper en Angleterre « les préjugés qu’il supposait exister contre lui ». Ce nouveau courant sympathique s’affirma résolument lorsque, sur l’invitation de Napoléon III de se rencontrer au camp de Boulogne, le prince Albert répondit qu’accepter était pour lui « un devoir bien doux à remplir », puisque ce devoir « lui procurerait le plaisir de faire sa connaissance personnelle[21]. » Et pendant tout le temps du séjour du prince à Boulogne, ces impressions favorables ne font que s’affirmer, ainsi qu’il résulte des lettres qu’il écrivait heure par heure à la reine son épouse. L’empereur a été pour lui « amical et cordial » ; il est « beaucoup plus gai qu’on ne le représente habituellement ». « J’ai eu deux longues conversations dans lesquelles il a parlé très judicieusement… Il est décidé à considérer notre alliance comme dominant toute autre considération. » Dans son journal, il écrit, à la date du 7 septembre, dernier jour qu’il a passé à Boulogne, « qu’en somme », il a été « charmé de l’empereur » ; et à peine arrivé à Osborne, il se hâte de lui écrire pour lui témoigner sa reconnaissance de l’aimable réception qui lui a été faite : « La confiante cordialité dont vous m’avez honoré, lui dit-il, ne s’effacera jamais de ma mémoire. »

Et lorsque dans le « Memorandum de sa visite à Boulogne », dicté au général Grey, il retrace ses longues conversations avec l’empereur et les impressions qui lui en sont restées, il conclut en affirmant sa confiance « que l’empereur ne prendra aucune mesure violente ni dans la politique intérieure ni dans la politique extérieure »[22]. C’est par cette conduite adroite que l’héritier du captif de Sainte-Hélène sut rendre possible et affermir son alliance avec les successeurs des geôliers de son oncle. Ainsi la guerre d’Orient, poursuivie en commun avec l’Angleterre, vint bientôt permettre à la France de reprendre la place qui lui était due dans le concert des puissances. Le souverain dont l’armée avait conquis Sébastopol, dont la diplomatie avait tenu le premier rang au Congrès de Paris, pouvait désormais dire hautement à l’Europe quelle était la ligue de politique européenne qu’il entendait suivre ; il pouvait tirer au besoin l’épée pour en assurer le succès. Or cette politique, dont les premières bases furent posées dans les entretiens secrets de Plombières, n’était autre que la politique d’Henri IV : créer dans la haute Italie, sous le sceptre du roi de Piémont, un royaume italiens assez fort pour annuler à jamais la puissance autrichienne dans la Péninsule, et grouper autour de ce royaume les autres États italiens sous forme de fédération ; en compensation, donner à la France sa frontière naturelle du côté des Alpes ; de manière que la force respectable dont se trouverait investi ce nouvel État italien, créé à ses portes, ne pût être dans l’avenir un sujet d’appréhension pour elle-même.

III. — DISPOSITIONS PERSONNELLES DE L’EMPEREUR ET DE SON ENTOURAGE EN FAVEUR DE L’ITALIE, APPUYÉES DE LA PRESSE LIBÉRALE

Dans un livre auquel j’ai déjà fait allusion plus haut[23], j’ai exposé dans tous ses détails le plan de Plombières, ainsi que la suite qui lui fut donnée par la guerre de 1859. Qu’il me soit permis d’y renvoyer également le lecteur pour le récit très circonstancié des faits d’ordre européen qui imposèrent à Napoléon III la nécessité de traiter brusquement de la paix à Villafranca, et de laisser ainsi momentanément inachevée la réalisation de son célèbre programme : « L’Italie libre des Alpes à l’Adriatique. » L’empereur éprouvait une sorte de sentiment d’humiliation d’avoir dû laisser Venise à l’Autriche, alors que ses proclamations l’avaient solennellement promise à l’Italie. Cette impression le porta à juger que les acquisitions du Piémont réduites à la Lombardie ne justifieraient pas des cessions de territoires piémontais à faire à la France. C’est dans cet ordre d’idées qu’au moment de se séparer de Victor-Emmanuel, il lui dit avec un soupir : « Vous paierez une partie des frais de la guerre et il ne sera plus question de Nice et de la Savoie[24]. » Et cette assurance d’abandon des prétentions françaises sur ces deux provinces fut encore répétée formellement plus d’une fois par son cousin, le prince Napoléon, aux hommes d’État piémontais[25].

Cependant, la paix de Villafranca ne satisfaisait personne, pas plus l’empereur et la France, qui s’en sentaient atteints dans leur orgueil, que le roi de Sardaigne et les Italiens, qui s’en trouvaient déçus dans leurs ambitions et dans leur patriotisme. Des obstacles surgissant de toute part la mettaient incessamment en échec ; les populations des duchés et des légations n’en voulaient à aucun prix ; le pape refusait hautainement la présidence honoraire de la nouvelle confédération combinée entre l’empereur des Français et l’empereur d’Autriche ; le traité de Zurich, destiné à donner aux préliminaires de Villafranca un caractère définitif de sanction diplomatique, y portait déjà lui-même une première atteinte : l’article 19 de ce traité, au lieu de confirmer la clause de Villafranca qui imposait la restauration des princes dépossédés, se borne en effet à mentionner leurs droits comme étant « expressément réservés ». Et d’ailleurs ce traité de Zurich devait lui aussi n’être qu’une lettre morte dans celles de ses parties qui touchaient au nouvel état territorial de la péninsule. J’ai raconté dans le livre précité le double jeu de Napoléon III pour empêcher la réunion du congrès qui aurait dû statuer sur les stipulations de Zurich, et pour aboutir à ce que les populations de l’Italie centrale fussent admises à disposer elles-mêmes de leur sort. Le nœud de la question italienne était tout entier dans ce résultat. Comment fut-il obtenu ? En étudiant les documens du temps, on arrive facilement à le comprendre. Napoléon III avait voulu sincèrement la confédération italienne ; mais il fut vite rebuté par les difficultés que rencontraient les divisions territoriales qui devaient la composer.

Son penchant naturel le portait cependant à vouloir en tous cas le bien de l’Italie. « Tout souverain français qu’il était —, écrit Michelangelo Castelli dans ses Ricordi, — il avait le cœur d’un Italien. » Son entourage le plus intime était animé des mêmes sentimens : M. Mocquart, qui avait si utilement secondé M. de Cavour pendant le Congrès de Paris ; M. Pietri, qui, préfet de police, avait dû donner sa démission pour avoir, d’accord avec l’empereur, soutenu devant le Conseil privé l’opportunité de gracier Orsini ; le docteur Conneau, dont toute la correspondance dénote un amour passionné de l’indépendance italienne[26] ; le comte Benedetti, dont la nomination comme ministre de France à Turin est enregistrée par M. Bonfadini comme un événement heureux pour l’Italie dû à l’influence du comte Arese ; tout le groupe des Corses influons, les Abbatucci, les Casabianca, les Baciocchi, que leur simple qualité de Corses porte le même auteur à considérer comme à moitié Italiens, — mezzi Italiani[27] le vicomte de La Guéronnière, auteur de ces brochures si claires, si démonstratives, dans lesquelles la politique italophile de la cour des Tuileries était exposée avec tant de netteté ; Prosper Mérimée, qui entretenait avec Panizzi une correspondance suivie, remplissant deux gros volumes, à chaque page desquels l’élégant auteur de Colomba montre son âme profondément italienne[28] ; le duc de Persigny, enthousiaste de l’indépendance italienne au point que, dans la diplomatie française, on l’accusait presque de se rendre complice inconscient des intrigues ourdies par lord John Russell contre l’influence de la France ; tout le groupe des Bonaparte de la branche de Lucien, dont l’un, Pierre-Napoléon, avait, à l’âge de seize ans, livré un combat homérique aux carabiniers du Pape ; dont l’aîné, Charles, prince de Canino, homme doué de très remarquables talens et d’une grande chaleur d’âme, avait tenu avec éclat la vice-présidence de l’assemblée constituante de la république romaine en 1849 ; enfin le prince Napoléon (Jérôme) qui, peu de temps avant sa mort, manifestant à l’auteur de ces pages son exaspération contre la politique allemande du gouvernement du Quirinal, ajoutait : « J’ai le droit de dire tout haut ma pensée aux Italiens, car, si l’Italie s’est faite, ils me le doivent en grande partie ; en réalité, moi j’entraînais l’empereur et l’empereur entraînait la France[29]. »

A côté de ce milieu français favorable à l’Italie, il y avait aussi un élément italien, toujours très bien accueilli aux Tuileries, et dont l’incessante action se faisait sentir. Entre tous doit être mentionné le comte Francesco Arese, l’ami de jeunesse, avec qui le fils de la reine Hortense, dans les solitudes d’Arenenberg et dans sa vie d’exilé en Amérique, avait fait des rêves de revanche française et d’affranchissement italien. A rappeler aussi le comte Vimercati, attaché militaire de la légation sarde, patriote ardent, esprit libéral et ami sincère de la France, tout en étant un agent dévoué du cabinet de Turin auprès de la famille impériale, dont il était le très intime et très assidu commensal. Enfin commençait à compter beaucoup le brillant et insinuant envoyé du comte de Cavour, M. Nigra, avec sa phalange de jeunes et aimables secrétaires, s’appliquant à gagner tous les cœurs à la cour comme à la ville, — phalange peu après complétée par le sympathique ambassadeur du roi Humbert, dont le rappel a récemment excité de si honorables regrets à Paris, et que, dans les salons de la haute société impérialiste de ce temps-là, les dames appelaient communément « le beau Ressman ». Tous ces personnages, vivant plus ou moins près de l’empereur, constituaient autour de lui une sorte d’atmosphère morale où il ne puisait que des impressions propres à l’encourager et à le fortifier dans son penchant naturel en faveur de l’Italie. Dans la sphère plus large où la question italienne s’agitait devant le public, de non moins puissans encouragemens l’y poussaient également. L’Italie avait des champions d’une haute autorité dans la presse libérale modérée : la Revue des Deux Mondes, par la plume de M. Charles de Mazade, le Journal des Débats, par celle de M. John Lemoinne, faisaient ouvertement campagne pour les agrandissemens piémontais ; les organes d’une opinion plus avancée accentuaient cette campagne avec passion, sous la signature de leurs écrivains les plus autorisés : M. Adolphe Guéroult de l’Opinion nationale, M. Louis Havin du Siècle, M. Emile de Girardin de la Presse et d’autres encore qu’il serait trop long de nommer ici.


IV. — DISPOSITIONS CONTRAIRES DU PARTI CATHOLIQUE ET DES ANCIENS PARTIS POLITIQUES

D’un autre côté, les membres les plus éminens du parti catholique et des anciens partis politiques faisaient une campagne non moins persévérante pour arrêter l’empereur dans une voie qu’ils jugeaient funeste aux intérêts de la religion comme à ceux de la France.

J’ai eu sous les yeux une lettre autographe de M. Thiers adressée à S. A. la princesse Julie Bonaparte, marquise de Roccagiovine, qui a bien voulu m’autorisera en prendre copie. C’est un document qui prouve comment on s’efforçait de faire parvenir à l’empereur d’autres impressions que celles à l’influence desquelles il faisait mine de s’abandonner. On peut en juger par l’extrait suivant : « Les événemens, — écrivait l’illustre homme d’Etat que la restauration de l’empire avait rejeté à l’arrière-plan de la politique, — sont, en effet, fort graves. Quoi qu’on en dise, l’Italie est notre ennemie, et nous ferons de la mauvaise besogne en contribuant à ce qu’on appelle son unité. La maison de Savoie nous a trahis dans tous les temps, et, forte, elle fera tout ce qu’elle a fait en étant faible. Elle ne sera pas sans doute autrichienne de longtemps, mais elle sera anglaise, et cela suffit. L’affaire du pape s’aggravera davantage, et, croyez-le, l’Europe est une mine qui se charge de jour en jour. Si vous entendiez la diplomatie étrangère, qui est gênée avec vous et les gens du gouvernement, vous verriez que l’instinct de la conservation est cruellement alarmé chez toutes les puissances. Ce sentiment est beaucoup plus dangereux que le goût de nous faire des niches qu’on avait et qu’on satisfaisait sous Louis-Philippe. Les gens effrayés sont plus dangereux que les espiègles, parce qu’ils sont plus sérieux et que l’effroi finit par produire le courage, quoiqu’il commence par la poltronnerie. Je vous parle en conscience, ce que bien peu de gens doivent faire. Je ne veux ni vous flatter ni vous alarmer ; je veux vous parler comme à une personne qu’on estime[30]. » M. Thiers ne s’en tenait pas seulement à la correspondance pour essayer d’influencer l’empereur dans le sens anti-italien : dans la conversation, il employait volontiers toutes les séductions de son esprit pour convaincre les personnes ayant l’oreille du souverain. C’est ainsi qu’un jour, après avoir à plusieurs reprises indiqué tous les dangers de la politique impériale en Italie, il endoctrinait une jeune parente de l’empereur, qui la traitait avec une affectueuse bonté, et la déterminait à aller les redire à son auguste cousin. Napoléon III écouta sans le moindre signe d’impatience la leçon qui lui était récitée, puis, avec une petite pointe de bienveillante raillerie : « Je remercie, dit-il, M. Thiers de m’avoir envoyé un aussi gentil et aussi aimable ambassadeur ; mais, mon enfant, les points de vue auxquels il se place ne peuvent être ni les miens ni les vôtres. Nous ne devons pas oublier que l’Italie a été le berceau de notre famille ; que, lorsque nous étions persécutés, chassés de partout, nous y avons trouvé un asile hospitalier à l’ombre duquel notre enfance s’est passée au milieu de cœurs qui battaient à l’unisson des nôtres. Nous ne devons pas oublier que l’Italie est un pays latin ainsi que la France. Comme Bonaparte, nous nous déshonorerions en ne la secourant pas dans son oppression ; comme Français, nous trahirions la France en n’arrachant pas de ce sol voisin du nôtre jusqu’à la dernière racine des pouvoirs germaniques, directs ou indirects, qui l’ont dominé dans le passé au grand détriment des vrais intérêts français[31]. » M. Thiers, à qui cette conversation fut fidèlement rapportée, en montra un chagrin mêlé de dépit ; il alla même jusqu’à dire avec une certaine vivacité : « J’écrirai à l’empereur ! » Il est toutefois probable qu’il ne se décida pas à écrire, car il n’en a jamais reparlé, ni l’empereur non plus.

Pour le dire en passant, ces manifestations que les modérés français faisaient en ce temps-là, — en communauté d’idées avec certains ministres de l’empereur et même peut-être avec d’autres personnes encore plus haut placées auprès de lui, — n’ont malheureusement pas été sans influence sur la ligne politique antifrançaise que le gouvernement italien a cru devoir adopter plus tard. Les hommes politiques les plus en vue, les écrivains les plus autorisés s’en sont prévalus pour établir en Italie cette fausse opinion que l’empereur seul, en France, nourrissait des sympathies pour l’indépendance italienne ; qu’il avait dû faire violence à l’esprit public français pour aller au secours de l’Italie en 1859 ; que, conséquemment, si le peuple italien est tenu par un lien de reconnaissance quelconque, c’est vis-à-vis de Napoléon III qui n’est plus, et non de la France, qui se serait montrée la constante ennemie de l’Italie. On pourrait invoquer beaucoup d’exemples de cette tactique tortueuse ; bornons-nous à un seul, qui est tout récent. C’est M. R. Bonfadini, un écrivain et un orateur de haute lucidité lorsque la passion politique n’altère pas la sérénité de son éminent esprit, qui me le fournit dans sa Vita di Francesco Arese. Il s’attache, comme beaucoup d’autres écrivains politiques ses compatriotes, à exonérer son pays du reproche d’ingratitude envers la France, qu’il représente comme ayant été hostile à la politique italienne de Napoléon III, et pour en donner une preuve, il cite une assertion absolument fausse contenue dans les mémoires de lord Malmesbury, un ennemi acharné de la France et partisan passionné de l’alliance anglo-autrichienne. « L’empereur, — écrit le noble lord dans ses notes intimes, sous la date du 8 mai 1859, — a été obligé de laisser dans le pays plus de troupes qu’il ne l’avait d’abord pensé, à cause de l’excitation et du mécontentement qui existent à Paris… »

Or, cette indication est réellement fausse ; on ne peut se l’expliquer que par l’aveuglement de passion avec laquelle lord Malmesbury, alors chef du Foreign Office, combattait l’alliance franco-piémontaise et la guerre de Lombardie qui en devenait la conséquence. La France entière et l’Europe ont su comment Paris s’était levé pour saluer de ses acclamations unanimes l’empereur partant pour la guerre. Mais l’on voudra bien ne pas trouver déplacé un témoignage personnel que je me permettrai d’opposer à celui du noble lord. Le lendemain du départ de l’empereur, c’est-à-dire le 11 mai, j’avais l’honneur de me trouver à dîner dans une maison amie avec le général Soumain, commandant la place de Paris, qui nous racontait l’inquiétude dans laquelle il vivait depuis la veille, parce qu’il n’était resté dans Paris pas même assez de soldats pour relever les postes, de sorte qu’il avait dû « faire doubler la garde deux jours de suite par les mêmes hommes[32]. »

V. — UNITÉ DE L’ITALIE ET ANNEXION DE NICE DÉCIDÉES

Néanmoins l’empereur, loin d’obéir aux suggestions des adversaires de l’Italie, qui n’étaient d’ailleurs pas en harmonie avec le sentiment public, s’abandonnait aux conseils de tous les hommes du parti italien dont il est parlé plus haut. Tous le circonvenaient, tous l’excitaient à achever, coûte que coûte, le grand œuvre interrompu à Villafranca. Essayer de l’achever par une reprise d’armes tendant à arracher enfin la Vénétie à l’Autriche eût été une dangereuse imprudence ; une coalition européenne en aurait été le résultat. La reine Victoria écrivait vers ce temps-là au roi Léopold de Belgique : « L’agitation continuelle de notre voisin et les bruits qui circulent détruisent toute confiance. Vraiment, c’est trop mal ! Aucun pays, aucun État du monde ne songerait à attaquer la France, tous seraient enchantés de la voir prospérer ; mais il faut qu’elle trouble tous les coins de la terre, qu’elle brouille les cartes et mette les uns contre les autres, ce qui, tôt ou tard, finira par une croisade en règle contre ce perturbateur universel[33]. » La seule voie praticable était celle que conseillait M. de Cavour de sa retraite de Leri, où il se tenait depuis la paix : suppléer à l’impossibilité de faire la guerre par les habiletés de la politique ; compenser à l’Italie l’abandon momentané de la Vénétie par d’autres annexions devant fatalement avoir pour résultat, non plus une confédération d’Etats italiens, mais leur unification sous le sceptre du roi de Piémont.

Ainsi Napoléon III put revenir à sa première idée de rectifier la frontière française du côté de l’Italie par l’annexion de la Savoie et du comté de Nice, tandis que Victor-Emmanuel, de son côté, put, sans croire trop risquer, s’inscrire pour 10 000 francs dans la souscription ouverte au profit du projet de l’expédition de Garibaldi en Sicile[34].

Voilà comment un lien secret a, en réalité, uni ces deux noms en apparence si opposés : Nice et Marsala. Et si l’on veut une preuve qui ne laisse aucun doute sur cette déduction historique, on la trouvera facilement dans les documens qu’a laissés la polémique surgie, à propos de la cession de Nice, entre M. Rattazzi et M. de Cavour.

VI. — CONNEXITÉ DES DKUX QUESTIONS DÉMONTRÉE PAR LA POLÉMIQUE DE M. DE CAVOUR ET M. RATTAZZI

M. Rattazzi ne pouvait se consoler d’avoir dû quitter le pouvoir au moment où Napoléon III, renonçant définitivement à ses anciens projets de confédération, adhérait à l’idée de l’annexion de l’Italie centrale. Pour arriver à la solution pratique de cette évolution, l’empereur avait dû se séparer du comte Walewski ; il lui donnait pour successeur M. Thouvenel, tandis que Victor-Emmanuel, de son côté, renonçant aux services du ministère La Marmora-Rattazzi, rappelait M. de Cavour. Dans son désappointement, le ministre congédié s’appliquait à mettre « des bâtons dans les roues » au cabinet qui succédait à celui dont il avait fait partie. La question de Nice étant devenue le point vital des combinaisons que ce cabinet avait à réaliser, c’est de ce côté qu’il porte l’effort de son opposition. Le traité de cession ayant cependant reçu son application définitive par la sanction parlementaire, le vote des populations et la prise de possession par la France, M. Rattazzi ne sut pas résister au désir de transporter le débat dans la presse. Le 5 février 1861, la Monarchia nazionale, qui était son organe personnel, publiait un article intitulé : Il Nazionale ed il conte di Cavour. Cet article, après avoir fait allusion à un accord tendant à conserver Nice à l’Italie, accord qui aurait existé au commencement de 1860 entre M. Rattazzi, alors ministre dans le cabinet La Marmora, et M. de Cavour retiré à Leri, reprochait à ce dernier d’avoir sacrifié Nice pour satisfaire son ambition de revenir au pouvoir : « Si, après Villafranca, Rattazzi avait trouvé dans le comte de Cavour la même aide que, de son côté, il lui avait donnée, peut-être l’Emilie et la Toscane auraient-elles pu se réunir aux anciennes provinces sans offense pour le principe de nationalité, sans abandon précipité et absolu de tous les boulevards qui nous gardent sur nos derrières et sur nos lianes… »

Cette quasi-accusation de haute trahison, lancée contre M. de Cavour, est rendue parfaitement intelligible par une note trouvée dans les papiers de M. Rattazzi et que M. Chiala publie dans son très intéressant recueil des lettres de M. de Cavour[35]. La note explique comme quoi M. Rattazzi se serait trouvé, au point de vue de la défense des intérêts italiens, dans une situation beaucoup plus favorable que celle de M. de Cavour. Il n’était pas, comme celui-ci, lié avec le gouvernement français par tous les échanges de vues qui avaient précédé la guerre de 1859. Il avait, pour traiter avec le cabinet de Paris, une plus grande indépendance. Il pouvait opposer au désir de l’empereur de posséder Nice l’impossibilité de la lui céder sans provoquer en Italie un violent mouvement d’opinion susceptible de détruire tout le bienfait de l’alliance qu’il était si désirable de perpétuer entre les deux pays. Une longue conversation aurait eu lieu sur ce sujet entre les deux hommes d’État, et M. de Cavour aurait si bien compris la nécessité d’adopter cet ordre de vues qu’il s’était décidé à accepter la mission d’aller l’appuyer à Paris. Mais, ajoute l’auteur de la note, « il ne pouvait échapper à Cavour que si le ministère réussissait dans son projet, il se consolidait. » Or, M. de Cavour était las de sa retraite. « Pris d’une sorte de fièvre du pouvoir, il agita et lit agiter le pays contre le ministère. Un malin il se rendit chez M. Rattazzi et lui déclara qu’il ne voulait plus donner son appui au ministère. » Ainsi, d’après M. Rattazzi. le cabinet dut se retirer sans avoir pu tenter une négociation qui « aurait eu beaucoup de probabilités de succès si elle avait été soutenue par les principaux hommes politiques, par l’opinion publique et par l’Angleterre, laquelle aurait infailliblement pris parti pour l’Italie. » La conclusion allait de soi : M. Rattazzi, appuyé par M. de Cavour, pouvait amener le gouvernement français à se contenter de la Savoie et conserver Nice à l’Italie. M. de Cavour, par « son impatience et son désir du pouvoir », a fait perdre Nice à l’Italie en même temps que la Savoie. Et en effet, ajoute M. Rattazzi, « un mois après son retour aux affaires, il signait le traité faisant définitive l’abandon de ces deux provinces à la France. »

La réponse de M. de Cavour aux insinuations de l’article de la Monarchia nazionale ne se fit pas attendre. Le même jour, 5 février, l’Opinione publiait, sous le titre de Politica retrospettiva, un article qui, sans nier précisément la tentative d’accord faite auprès de M. Cavour, affirmait l’impuissance de M. Rattazzi à réaliser le plan qu’il avait conçu. La thèse développée par l’Opinione était celle-ci : l’annexion de la Toscane était devenue le point vital de la question italienne ; elle devait engendrer fatalement l’unification de la péninsule ; mais cette annexion rencontrait de graves obstacles de la part des cabinets étrangers ; et, d’autre part, la France, devant la perspective d’un aussi vaste agrandissement de la puissance piémontaise, demandait Nice en compensation ; elle réclamait Nice « comme terre française, comme complément de son système de défense des Alpes ». L’auteur de l’article ajoute qu’en supposant que la France eût consenti à négocier sur la base indiquée par M. Rattazzi, celui-ci se serait trouvé fort embarrassé : « Il ne se sentait pas assez fort à l’intérieur pour faire accepter la cession de Nice ; il ne se sentait pas assez fort à l’extérieur pour réaliser l’annexion de la Toscane. Qu’en serait-il advenu ? Que le ministère Rattazzi aurait cédé la Savoie pour unir seulement Parme, Modène et peut-être les Romagnes aux autres provinces de l’État ; mais qu’il aurait sacrifié la Toscane, et, avec la Toscane, l’avenir de la nation. » On le voit, l’annexion de la Toscane devenait le pivot du mouvement unitaire prêt à se produire ; mais cette annexion de la Toscane au royaume de la haute Italie était inévitablement liée à l’annexion de Nice à la France. Ainsi se trouve bien établi le lien mystérieux qui unissait la question de Nice à celle de l’unité italienne.

La polémique m ; s’arrêta pas là. La Monarchia nazionale répliqua. Elle reconnaissait l’importance de l’appui de la France pour réaliser l’annexion de la Toscane, « prélude de l’unification complète de l’Italie » ; mais elle persistait à affirmer qu’un négociateur plus habile et plus indépendant que M. de Cavour vis-à-vis de Napoléon III aurait pu et dû arriver à obtenir, sans le sacrifice de Nice, que l’annexion de la Toscane fût appuyée par la France, dont M. Rattazzi « comprenait autant que tout autre combien le bon accord et l’alliance étaient nécessaires et avantageux dans les conditions où se trouvait son pays. »

L’Opinione termina la discussion par une réponse absolument topique. M. Rattazzi, disait-elle, reconnaît que si la France avait réalisé son programme de l’Italie libre des Alpes à l’Adriatique — c’est-à-dire si elle avait pu donner au Piémont la Vénétie en même temps que la Lombardie — on ne pourrait rien objecter à sa prétention d’obtenir pour elle-même les compensations territoriales qu’elle réclame. Or, il est évident que s’il était naturel de céder la Savoie et Nice pour la Lombardie et la Vénétie seulement, à plus forte raison ce devait l’être pour « unir toute l’Italie ». Ce qui distingue la politique du comte de Cavour de celle de M. Rattazzi, c’est d’avoir compris toute l’importance de l’annexion de la Toscane, d’avoir compris « que cet événement politique était décisif pour l’Italie ; que ses conséquences étaient incomparablement plus notables et plus puissantes que celles de l’acquisition de la Vénétie, parce que, avec la Vénétie, le résultat n’eût été que l’institution d’un, royaume septentrional’, tandis qu’avec la Toscane, on devait constituer le royaume d’Italie, auquel la Vénétie n’aurait pas tardé à s’ajouter. » Et la conclusion, à laquelle il eût été difficile de faire une objection sérieuse, posait cet axiome :

« Dans le cas prévu par les premiers accords, on devait céder la Savoie et Nice pour le Lombard-Vénitien ; par le traité du 24 mars, on a cédé Nice et la Savoie pour toute l’Italie. » C’était donc bien « toute l’Italie » c’est-à-dire l’unité de l’Italie, qui justifiait l’abandon de Nice par les successeurs des anciens ducs de Savoie.


VII. — LA QUESTION DE NICE DANS SES RAPPORTS AVEC LA PERSONNALITÉ DU GÉNÉRAL GARIBALDI

Mais l’abandon de Nice avait un inconvénient très grave, un inconvénient d’un ordre qui, sans violer ni les règles de la politique, ni celles du droit, blessait un sentiment on ne peut plus respectable : Nice était la patrie de Garibaldi. Garibaldi, au moment où l’on cédait sa ville natale à la France, s’apprêtait à faire un dernier et héroïque effort en Sicile pour compléter l’unification de la patrie italienne. Et lui, qui dotait ainsi tous les Italiens d’une patrie grande et glorieuse, lui, seul entre eux tous, allait n’avoir pas de patrie !

À ce propos, le « roi galant homme » oubliait singulièrement le véritable état de la question, lorsqu’il envisageait sa situation personnelle par rapport à la Savoie comme équivalente à celle de Garibaldi par rapport à Nice. Garibaldi, en effet, avait adressé de Fino, où il se trouvait, le télégramme suivant au colonel Türr, à Turin :

« Mon cher colonel Türr,

« Veuillez avoir la complaisance de demander à S. M. si Elle est décidée à céder Nice à la France. Cette question m’est très chaudement posée par mes concitoyens.

« Répondez-moi de suite par télégraphe. Oui ou non ?

« G. GARIBALDI. »


Introduit dans la chambre à coucher du roi, qui était souffrant, le colonel Türr lui remit la dépêche du général. « Par télégraphe ! Oui ou non ? Très bien ! » s’écria Victor-Emmanuel. Puis, après une courte pause : « Eh ! bien, oui ! — Mais dites au général que ce n’est pas seulement Nice : la Savoie aussi. Et que, si je me résigne à abandonner le pays de mes ancêtres, de toute ma race, il doit se résigner aussi à perdre le pays où, seul des siens, il est né. C’est une destinée cruelle que moi et lui nous devions faire à l’Italie le sacrifice le plus grand que l’on puisse nous demander… »

Sans faire injure au patriotisme de celui qui allait devenir roi d’Italie, l’on peut constater qu’il n’avait pas à ce moment-là un sentiment juste de sa situation et de celle du général. Il perdait, lui, le berceau de sa famille, c’est vrai, mais il l’échangeait contre la souveraineté de ce grand et beau pays tout entier qui s’appelle l’Italie ; tandis que le général, avec sa grandeur dame digne de l’antiquité, allait lui faire la conquête de deux royaumes, sans autre ambition que de s’en retourner, pauvre et désabusé, sur le rocher nu de Caprera, qui devait désormais lui tenir lieu de sa patrie perdue !

C’est à ce point de vue spécial du tort personnel fait à Garibaldi que la cession de Nice est devenue un grief dont les conséquences se font encore sentir ; car le parti d’action, qui épousait naturellement les rancunes du général, ne l’a jamais pardonné à la France ; et il ne faut pas oublier que c’est ce parti qui, arrivé enfin au pouvoir, a livré l’Italie à l’Allemagne, ennemie mortelle de la France, par un traité d’alliance en quelque sorte perpétuelle. Est-il peut-être regrettable que Napoléon ! Il n’ait pas pu se trouver en ce temps-là dans des conditions d’esprit susceptibles de le porter, par un pur égard personnel pour Garibaldi, à considérer la question de Nice avec la même indifférence que Napoléon Ier ? Malheureusement, il ne pouvait en être ainsi ; des raisons personnelles autant que des raisons politiques s’y opposaient ; Garibaldi, même après que Napoléon III venait d’exposer sa vie et celle de ses soldats pour la délivrance de l’Italie, avait le tort de lui garder une haine implacable, qui ne manquait aucune occasion de se manifester publiquement, on termes peu convenables et souvent outrageans. Cette attitude lui nuisait en France, non seulement dans l’esprit de l’empereur lui-même, mais encore dans l’opinion du parti libéral, qui approuvait et soutenait la politique impériale en Italie. Elle n’était donc pas de nature à inspirer l’idée d’une concession faite à titre purement personnel. Mais en admettant même, dans l’esprit de Napoléon III, la possibilité d’une aussi invraisemblable condescendance pour la personne de Garibaldi, il ne lui eût pas moins été impossible de la traduire en acte ; d’une part, l’esprit public français n’admettait pas que la France se fût engagée dans tous les périls d’une grande guerre pour l’unique profit du roi de Piémont ; d’autre part, une grande partie de la population niçoise demandait ouvertement à devenir française, et ne pas accueillir un semblable vœu eût été une offense faite à cette population.

Nice devait donc fatalement passer à la France, sans pourtant que Garibaldi s’aperçût que ce sacrifice imposé à ses affections personnelles tournait à sa gloire et profitait, d’une manière générale, à la satisfaction de ses sentimens politiques.

Le comte Vimercati écrivait de Mirabellino, le 20 mai 1860, à Michelangelo Castelli, qu’il avait récemment reçu de Paris une lettre de M. de la Guéronnière, lettre « très intéressante », ajoutait-il, « en ce qu’elle faisait bien comprendre que, dans les hautes régions, on prenait pour valables les motifs et les raisons invoquées par le comte (Cavour) relativement à l’expédition de Garibaldi en Sicile. » Et Vimercati ne se bornait pas à cette seule constatation du bon vouloir des Tuileries. Il poursuivait : « Aujourd’hui, je reçois d’une autre personne — da altra persona — une autre lettre qui me persuade que l’empereur, personnellement, n’est nullement fâché de ce qui arrive. » Cette dernière information acquiert, ce semble, une importance assez grande du fait des intimes relations personnelles de M. Vimercati avec la famille impériale ; les mots altra persona, soulignés comme ils le sont par lui, paraissent bien indiquer que l’auteur de la lettre dont il parle ne peut être qu’un membre de la famille de l’empereur, — probablement une princesse à qui Napoléon III avait toujours porté une affection particulière, et qui honorait de sa haute amitié l’attaché militaire piémontais. Enfin, la lettre que je viens de citer donnait une preuve de plus de l’approbation discrète que l’expédition de Garibaldi, malgré les apparences contraires, recevait à Paris : « J’ai vu aussi le maréchal Vaillant ; il blâme l’expédition, mais en termes tellement faibles, qu’il me semble vraiment qu’il a reçu le mot d’ordre[36]. » Or, l’on sait de quelle estime et de quelle confiance le maréchal Vaillant jouissait auprès de son souverain ; une attitude comme celle qu’indique M. Vimercati ne pouvait guère être que le reflet de la pensée intime de l’empereur lui-même.

Tout concourait donc à prouver que, comme je le disais au début de cet article, l’unité de l’Italie, si heureusement tentée par Garibaldi en Sicile, a été indirectement redevable de sa réalisation à l’abandon de Nice fait à la France par le roi de Sardaigne. Et l’on voudra bien convenir enfin que le résultat obtenu valait largement le prix dont il fut payé.

VIII. — CARACTÈRE POLITIQUE ET MORAL DU TRAITÉ DE CESSION DE NICE ET DE LA SAVOIE A LA FRANCE

De l’exposé qui précède résulte, croyons-nous, cette indiscutable vérité : à savoir que la cession de la Savoie et de Nice à la France a été un contrat d’intérêt italien, autant pour Je moins que d’intérêt français. Mais les contrats, pour n’être pas en contradiction avec l’éternel esprit de justice, doivent être inspirés par d’autres mobiles que ceux de l’intérêt ; ils sont viciés dans leur principe, s’ils n’ont à leur base la moralité. Il nous reste donc à examiner comment, après avoir renoncé à cette cession, le gouvernement français l’a de nouveau réclamée et dans quelles circonstances il a été, pour ainsi dire, amené à l’exiger.

Au moment où, après la paix de Villafranca, Napoléon III disait à Victor-Emmanuel : « On ne parlera plus de Nice et de la Savoie[37], » le royaume de Sardaigne, accru de 3 millions de Lombards, ne formait encore qu’un État d’environ 8 millions d’âmes[38]. Cette parole du souverain français, écho de son regret de n’avoir pu atteindre la réalisation complète de son programme, d’avoir dû arrêter l’œuvre de l’affranchissement italique au Mincio, au lieu de la pousser jusqu’à l’Adriatique, était une généreuse parole d’équité. Elle était l’expression d’un sentiment noble et non tout à fait impolitique. Le royaume subalpin, à cette phase de son développement, devenait un État assez important pour pouvoir être, dans l’avenir, un allié efficace de la France ; pas assez pour oser jamais se transformer en un allié infidèle. Le proverbial « artichaut » italien était à peine entamé alors ; la maison de Savoie en avait à ce moment. « mangé une feuille » seulement ; son ambition d’absorber successivement les feuilles restantes ne pouvait se fonder que sur la continuation d’une aide étrangère. Or, d’où une telle aide aurait-elle pu lui venir, sinon de la France ? Serait-ce de la Prusse, dont les armées s’étaient levées menaçantes pour changer en défaites les victoires franco-piémontaises ? Serait-ce de l’Angleterre, qui avait armé ses flottes et mis passionnément sa diplomatie en mouvement pour intimider la France et contribuer ainsi à mettre fin avant terme aux succès militaires des champions de l’indépendance italienne ? Quant à la Russie, elle avait tout d’abord appuyé de son attitude énergique l’action militaire de la France et du Piémont ; mais, désappointée en voyant la cour de Turin entraînée par l’élément révolutionnaire, elle n’entendait pas faciliter l’extension de la puissance sarde au-delà de l’acquisition de la Lombardie.

En février 1800, lorsque M. de Cavour, revenu au pouvoir, touchait au couronnement de ses efforts par l’annexion imminente de l’Italie centrale, la situation internationale de la couronne de Sardaigne devenait tout autre. Le Piémont s’apprêtait à ajouter aux 3 009 505 Lombards que lui avait donnés la paix de Villafranca, 604 512 Modénais, 499 835 Parmesans, 375 6031 citoyens des Romagnes et 1 793 9607 Toscans. Le succès de ces annexions était désormais certain, immédiat ; il avait été préparé, manipulé, assuré, tandis qu’une armée française, encore campée en Lombardie, disait aux Autrichiens, par sa seule présence sur le sol italique, qu’ils ne devaient point songer à s’y opposer par la force. Or, ces additions de populations italiennes aux États sardes allaient avoir pour effet de porter, comme première étape, à 11 millions et demi le nombre des sujets du roi de Sardaigne. Et, selon toutes probabilités, l’accroissement de la puissance piémontaise ne s’arrêterait pas là. L’expédition en cours de préparation contre le royaume des Deux-Siciles[39] et contre l’autorité du Pape dans la presque-totalité de ce qui lui restait de territoire, devait, si elle réussissait, ajouter près de 11 millions[40] à ce chiffre, déjà considérable, d’Italiens réunis sous le sceptre du roi Victor-Emmanuel. Dès ce moment, tous les esprits politiques voyaient en imagination, dans la péninsule, la formation à bref délai d’un royaume d’Italie englobant une population de 22 à 23 millions d’âmes, — sans préjudice de l’adjonction, plus ou moins prochaine, mais inévitable, d’environ 2 millions et demi de Vénitiens que la France, sans mentir à son programme, ne pouvait laisser longtemps sous la domination étrangère de l’Autriche. Le nouveau royaume italien allait donc sous peu compter environ 25 millions d’habitans ; il pourrait mettre sur pied une force militaire décuple de celle dont le roi de Sardaigne disposait au début de la campagne de 1859.

L’Italie unifiée, centralisée sous une dynastie imbue d’esprit militaire, était, comme on le voit, à la veille de constituer, à la frontière alpine de la France, un État beaucoup plus peuplé et naturellement plus riche que la Prusse[41], dont l’empire français sentait déjà le redoutable contact à sa frontière rhénane. Et ce nouvel État, quels que fussent les liens de gratitude qui auraient dû le rattacher à la France, devait fatalement se trouver, par un point de dissidence primordiale, en opposition d’intérêts politiques avec elle : Rome.

Or, ce nouvel État italien, où dominaient des principes républicains hostiles à la France impériale, où d’ardentes aspirations patriotiques voulaient l’achèvement de l’œuvre nationale par la prise de possession de la capitale historique que la France lui contestait, ce nouvel État, désormais puissant, impatient de secouer la tutelle de la nation amie qui l’avait aidé à se former, ambitieux d’ailleurs et avide de gloire comme le sont toujours les États jeunes, pouvait un jour répudier l’alliance et même l’amitié de la France ; il pouvait, pour se préserver contre les conséquences d’une telle défection, chercher une garantie dans une alliance avec les ennemis de sa secourable voisine. Une telle hypothèse n’avait assurément rien de trop invraisemblable, puisque dès ce temps-là déjà, comme je l’ai établi dans un autre ouvrage, la diplomatie piémontaise cherchait un point d’appui en Prusse pour « s’affranchir de la prédominance française[42] » ; elle n’avait même rien d’improbable, comme les faits ultérieurs n’ont pas tardé à le prouver. En effet, peu d’années après, une étroite alliance, dont le caractère indubitablement offensif est attesté par le secret rigoureusement gardé sur ses clauses, mettait toutes les forces de l’Italie dans les mains d’une grande puissance militaire qui assigne à son incessant effort ce but unique : infliger à la France de nouveaux et décisifs désastres militaires, pour la mettre enfin hors d’état de revendiquer les territoires qu’une première défaite lui a fait perdre.

Eh bien ! ce nouvel État italien dont la ligne de politique extérieure et militaire était destinée à dévier jusqu’à ce point, restait en possession de deux provinces par lesquelles il pouvait mettre de plain-pied au cœur même de la France ses forces et celles de ses alliés éventuels descendant en toute sécurité de son inexpugnable réserve des Alpes ! Ce jeune État qui, dans les effervescences ambitieuses de son adolescence politique, renfermait dans son sein nombre d’imaginations exaltées, rêvant, avec l’instauration de Rome capitale, la résurrection du pouvoir mondial de l’ancien empire romain, se trouvait placé, par ces deux provinces, à deux journées de marche de Lyon, l’ancienne capitale de la Gaule romaine !

C’est ainsi qu’au commencement de l’année 1860, s’imposait à l’attention des hommes politiques français la question de la Savoie et de Nice. Or, nous le demandons à tous les esprits de bonne foi, en Italie comme partout ailleurs, un gouvernement français, quel qu’il fût, empire, royauté ou république, comme celui de Napoléon III, en situation d’obtenir une telle rectification de frontières en échange d’immenses services déjà rendus et à rendre encore, pouvait-il, sans devenir coupable de haute trahison envers la France, ne point l’exiger de l’Italie ? Déplaçons pour un moment les termes de la proposition : envisageons-la, non plus au point de vue de la France, mais au point de vue de l’Italie, venant à se trouver placée dans une situation analogue ; admettons pour un instant une hypothèse qui, d’ailleurs, ne présente rien d’impossible dans le développement ultérieur de l’histoire des États européens ; supposons la monarchie austro-hongroise menacée d’être écrasée, asservie par l’un de ses deux puissans voisins, — la Prusse ou la Russie, peu importe, — et sauvée de cet imminent asservissement par l’aide providentielle d’une armée italienne. Quel est le citoyen italien capable de ne pas maudire comme traîtres les hommes d’État de son pays qui, pour prix d’un tel service, n’auraient pas exigé le retour à la patrie italienne du territoire de Trieste ? le retour tout au moins du territoire de Trente, par lequel l’Autriche a son accès libre sur Milan, comme l’Italie, par la Savoie et Nice, avait le libre accès sur Lyon et Marseille ?

Les luttes oratoires du Parlement italien nous offrent d’ailleurs plus d’une preuve de l’existence en Italie d’un ordre d’idées analogues : que de fois il y a été reproché au gouvernement de ce pays de n’avoir pas fait de l’acquisition de Trieste ou tout au moins du Trentin la condition de son accession à la triple alliance ! Et si nous remontons un peu plus loin dans l’histoire parlementaire contemporaine, ne voyons-nous pas l’illustre député Cavallotti se faire l’éloquent défenseur d’un sentiment analogue, pendant la session de 1878 ? Lorsque, étouffant avec un sens politique si élevé les rancunes patriotiques de son âme italienne, cet éminent orateur s’efforçait de faire prévaloir dans la Chambre des députés l’idée d’une entente avec l’Autriche, quel était le but vers lequel il tendait ? Ne disait-il pas en termes très clairs : « Dans ce congrès de Berlin qui va s’ouvrir et dont les solutions inquiètent à bon droit tant d’intérêts européens, donnons à l’Autriche l’appui loyal et complet de notre diplomatie, mais qu’elle nous donne à son tour ce qu’elle nous doit[43] » ? Or, qu’est-ce que l’Autriche « devait aux Italiens » ? Leur frontière, et ceux de leurs frères italiens qui étaient et sont encore sous son sceptre. Et l’on objecterait en vain que, pour le Triestin et le Trentin, c’est une question de nationalité autant que de frontière ; car, ainsi qu’il est aisé de l’établir, la même parité de raison de frontière et de nationalité pouvait être invoquée par la France à propos de la Savoie et de Nice aussi.

Pourtant cette question de Nice et de la Savoie a été, comme celle de la paix de Villafranca et celle de la politique française, dans l’annexion de l’Italie centrale, l’un des grands griefs qui ont le plus passionné les esprits italiens contre la France. C’est pourquoi, avant d’aborder l’examen des faits qui en ont déterminé la solution, j’ai cru nécessaire d’en exposer l’indiscutable caractère de moralité et de justice. En intervertissant ainsi l’ordre de la discussion, j’ai peut-être violé les règles de toute bonne rhétorique, lesquelles réservent habituellement pour la péroraison l’argument culminant d’une démonstration. Mais j’espère que la mienne y aura gagné en clarté ; et, dans une question qui a été tant obscurcie par la mauvaise foi des adversaires de la France, la clarté me paraissait devoir être le meilleur et le plus sûr élément de conviction pour le lecteur.


G. GIACOMETTI.

  1. Cet article est extrait d’un livre de M. G. Giacometti, qui doit paraître prochainement à la librairie Plon sous le titre de : la Question italienne, 1860-1870.
  2. On peut trouver exposée avec une pleine abondance de prouves cette attitude menaçante de l’Angleterre et de l’Allemagne dans mon livre : la Question italienne. Période de 1814 à 1860. Aperçus d’histoire politique et diplomatique ; E. Plon, Nourrit et Cie, éditeurs, Paris, 1893.
  3. Paroles prononcées par M. de Cavour en diverses circonstances, et notamment au Parlement subalpin aux séances du 26 et du 29 mai 1860.
  4. Ibid.
  5. Voir le Prince Albert, par sir Théodore Martin ; traduction française par Augustus Craven, tome II, p. 389.
  6. Voir le Prince Albert, tome II, p. 389.
  7. Ibid.
  8. Henri Martin, Histoire de France, tome X, p. 559.
  9. M. Bottero, fondateur de la Gazzetta del Popolo, dont il est encore directeur aujourd’hui, est demeuré fidèle à ses rancunes d’il y a trente-cinq ans. C’est peut-être, de tous les publicistes italiens, celui qui poursuit la France de la haine la plus profonde et la plus tenace.
  10. Charles Mercier de Lacombe : Henri IV et sa politique, p. 401. Voir aussi Henri Martin, Histoire de France, t. X, p. 559 et suiv.
  11. Hume, Histoire d’Angleterre, t. IV, p. 388 et suiv.
  12. Nicomède Bianchi, Storia documentata della diplomazia europea in Italia, t. VIII, p. 262, où il est établi aussi que, même en 1733, l’Angleterre, lors des arrangemens pris pour le règlement de la succession d’Espagne, adhérait pour la seconde fois à l’acquisition de la Savoie et de Nice par la France. Voir également le traité de partage conclu le 17 mars 1700 entre la France, l’Angleterre et la Hollande, traité dans lequel était visée l’éventualité de donner le Milanais au duc de Savoie, à la condition qu’il céderait à la France la Savoie et le comté de Nice. (Revue des Deux Mondes du 15 juillet 1860. )
  13. E. Dentu, éditeur, Paris, 1893.
  14. Voir les Commentaires de Napoléon. Traduction italienne. Edition de Bruxelles, 1827, t. Ier, p. 32.
  15. Voir la Liste des provinces sous Dioclétien, manuscrit découvert dans la bibliothèque de Vérone en 1863, et dont, par conséquent, on n’avait pas encore connaissance en 1860, année où s’est discutée et accomplie la cession de Nice à la France.
  16. Cesare Cantù, Cronistorica dell’ indipendenza italiana, tome III, p. 401.
  17. Chiala, Lettere edite ed inedite di Camillo Cavour, tome IV, p. XII. La Giovine Italia allait encore plus loin dans le prix qu’elle était disposée à mettre à la réalisation de ses projets : elle offrait aux mêmes conditions la Sicile à l’Angleterre, abandon qui eût été beaucoup moins justifiable que celui des frontières naturelles de la France.
  18. Voir les instructions de M. Bastide à M. de Bois-le-Comte, en date du 19 juillet 1848. Voir aussi la déclaration de M. de Lamartine au comité des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Voir enfin la dépêche adressée de Turin le 4 août 1848 à M. Brignole-Sale, envoyé sarde à Paris.
  19. Lire sa correspondance diplomatique et privée avec lord Normanby, ambassadeur à Paris, avec lord John Russell, premier ministre, et d’autres personnages officiels du temps, ainsi que la discussion qui eut lieu au Parlement dans la séance du 3 février 1852. Lord Palmerston, sa Correspondance intime, etc., par Augustus Craven, tome II, p. 289 à 314.
  20. Il faut cependant noter que dès 1819, Louis-Napoléon, alors président de la République, malgré la faiblesse de son pouvoir à l’intérieur comme à l’extérieur, manifestait déjà ses sympathies pour l’Italie avec une singulière énergie. M. A. Castelli, dans ses Ricordi, publiés par les soins de M. le sénateur Chiala, raconte, à la page 94, ce qui suit : « En 1851, me trouvant à Paris pour une mission que m’avait confiée le gouvernement, je fus présenté à M. Thiers ; je me rappelle qu’un jour, en prenant congé de lui après une longue conversation sur les choses d’Italie, il me dit qu’il avait été, en 1849, chargé par Napoléon, président de la République, de s’interposer entre le ministre plénipotentiaire autrichien et le nôtre pour la fixation de l’indemnité de guerre demandée par l’Autriche, et que Napoléon l’avait autorisé à prononcer la parole de guerre si l’Autriche avait persisté dans ses injustes prétentions. »
  21. Voir sa lettre du 5 juillet 1854.
  22. Le Prince Albert, tome I, p. 491 à 514.
  23. Voir la Question italienne. Période de 1814 à 1860. Aperçus d’histoire politique et diplomatique, par G. Giacometti ; E. Plon, Nourrit et Cie, éditeurs, Paris, 1893.
  24. Nicomède Bianchi, Storia documentata, etc., t. VIII, p. 157.
  25. Vita di Francesco Arese, par R. Bonfadini, p. 220.
  26. Voir dans la Vita di Francesco Arese, par R. Bonfadini, toute la correspondance de M. Conneau avec le comte Arese, entre autres la lettre du 25 mars 1860, écrite en très pur italien, et qui se termine ainsi : « Que ne pourront la France et l’Italie, si cette dernière, organisée et forte, est une loyale et fidèle alliée ? Vous autres, sans la France, vous ne serez jamais ni forts ni prospères ; avec la France, non seulement vous serez l’un et l’autre, mais vous serez aussi pour la France un élément de force et de sécurité. Quant à moi, je ne serai content que lorsque je verrai toutes les races latines unies et confédérées. Ç’a toujours été le songe de ma vie et je suis heureux de voir un si beau songe se réaliser par celui auquel me lient trente ans d’affectueux contact. » Hélas ! ces beaux rêves d’union de la famille latine devaient bientôt être dissipés par l’intervention néfaste de la famille anglo-germanique dans les affaires des deux nations sœurs !
  27. Bonfadini, Vita di Francesco Arese, p. 292.
  28. Mérimée, Lettres à Panizzi.
  29. Voir dans le Journal des Débats du 12 avril 1891 : le Prince Napoléon et les Italiens.
  30. Lettre datée de Franconville-sous-Bois (Seine-et-Oise), 2 octobre 1860.
  31. Cet épisode m’a été raconté par la personne même dont il s’agit et que je ne dois pas nommer, par un sentiment de haute discrétion ; quant aux paroles de l’empereur, c’est à peu près textuellement qu’elles sont répétées ici. On comprendra qu’à trente-cinq ans de distance le souvenir d’un mot à mot absolu est difficile. (Note de l’auteur. )
  32. Il reste encore quelques honorables survivans parmi les convives qui ont entendu avec moi ces paroles du brave général Soumain. Je pourrais en appeler à leur témoignage, s’il en était besoin, pour détruire une affirmation tendant à calomnier l’opinion de Paris et de la France. Le dîner auquel je fais allusion avait lieu dans la maison si hautement hospitalière du commandant de la garde nationale de Bercy, M. Félix Courvoisier, un patriote et un homme de cœur dans toute l’acception du mot.
  33. Lettre datée du 8 mai 1860.
  34. Ce n’était là qu’un très faible, mais très ostensible témoignage de l’adhésion donnée par le roi aux projets de Garibaldi sur la Sicile. Secrètement, ses sacrifices étaient bien autrement importans : « J’ai déjà donné, disait-il confidentiellement, trois millions pour la Sicile ; je donnerai encore deux millions. » Voir la Politique anglo-prusso-ilalienne dans la Revue de Paris du 1er décembre 1894, p. 516. — Voir aussi Agostino Bertani e i suoi tempi, par Jessie White Mario, vol. I, p. 429.
  35. Lettere edite ed inedite di Camillo Cavour, tome IV, p. 254 et suiv.
  36. Carteggio politico di Michel Angelo Castelli ; Turin, Roux, éditeur. 1890. vol. I, p. 303.
  37. Voir plus haut p. 156.
  38. Anciens États sardes. 5 194 807 habitans.
    Lombardie. 3 009 505 —
    Total. 8 204 312 —
  39. Le mouvement insurrectionnel était préparé d’accord entre Mazzini, Fabrizi, Rosalino Pilo, Farini et M. Crispi, avec le parfait assentiment de M. Rattazzi, ministre de l’intérieur, investi d’une influence prépondérante dans le ministère La Marmora. Il devait éclater le 4 octobre 1859. Il dut être ajourné à cause de l’attitude contraire des modérés siciliens, mais ses promoteurs continuaient à le préparer pour une occasion plus propice. — Voir Agostino Bertani e i suoi tempi, par Jessie White Mario, tome II, p. 5.
  40. Royaume des Deux-Siciles 9 117 080 habitans
    Marches et Ombrie 1 800 000 (en chiffres ronds)
    Total 10 917 080 habitans
  41. Le royaume de Prusse, en 1860, n’avait qu’une population de 17 202 831 âmes.
  42. La Question italienne, p. 363 et suiv.
  43. Séance du 9 avril 1878.