La carte postale (Dandurand)/Scène IX

La bibliothèque libre.
C. O. Beauchemin & Fils (p. 23-25).

SCÈNE IX.

TANTE ERNESTINE, MARGOT, PAUL.
Paul l’air triomphant et lançant sa casquette en l’air, à part.

Le tour est joué !

Margot se redressant dans son fauteuil, à part.

Oh ! une idée ! Comme il est certain que maman arrive, si j’allais téléphoner à un autre pâtissier d’envoyer les provisions… C’est bien hardi… Mais tante sera très aise, à la dernière heure, d’avoir toutes ces choses.

Tante Ernestine à Margot.

Où vas-tu ?

Margot embarrassée.

Je… je sors… pour ne pas faire rire Paul…

(Elle sort. Pendant l’aparté de Margot, Paul est allé prendre le livre sur le secrétaire, y a trouvé la place et l’a donné à sa tante.)

Tante Ernestine.

Tu sais bien ta poésie ?

Paul.

Très bien. Seulement, il y a un mot qui m’échappe toujours… Tiens, ici :

Poussé par le remords autant que par pitié…

(Répétant par cœur.)

Poussé par le remords… Poussé par le remords…

Je ne peux pas retenir ce vers-là.

(Margot entre, en prenant ses deux mains sur sa poitrine.)

Tante Ernestine.

Va, je te soufflerai.

Margot à part, s’asseyant au fond.

Mon cœur bat fort, fort. (Avec terreur.) J’ai téléphoné au pâtissier du coin. Il va tout envoyer !

Paul récitant.

Voici comment on peut dans la tentation
Obtenir le crédit d’une bonne action.
L’autre jour en sortant de table
Papa laissa tomber un sou sur le tapis,
Un sou tout neuf… Ma foi, tant pis,
C’est bien laid mais, c’est véritable :
Malgré mon horreur du péché,
Je l’empochai.

Pendant qu’on ne voit pas, là dedans je le glisse
Et je cours tout de suite au marchand de réglisse ;

Mais je m’arrête au seuil : Un vieillard était là
La main tendue… Eh bien, voilà :
Le sou volé brûlait ma poche,
Du vieux mendiant je m’approche…

(En prononçant ces derniers mots, il plonge la main dans sa poche et en retire la carte froissée. Il s’arrête tout ému.)

Tante Ernestine d’une voix grave et solennelle, lui soufflant.

« Poussé par le remords »…

Margot avec un soupir.

Ah ! mon Dieu !

Tante Ernestine à Paul.

Qu’est-ce donc que tu as trouvé au fond de ta poche ?