Épaves (Baudelaire, 1866)/Le Jet d’eau

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Les Épavesà l'enseigne du Coq (p. 61-64).


VIII

LE JET D’EAU



Tes beaux yeux sont las, pauvre amante !
Reste longtemps, sans les rouvrir,
Dans cette pose nonchalante
Où t’a surprise le plaisir.

Dans la cour le jet d’eau qui jase
Et ne se tait ni nuit ni jour,
Entretient doucement l’extase
Où ce soir m’a plongé l’amour.


La gerbe épanouie
En mille fleurs,
Où Phœbé réjouie
Met ses couleurs,
Tombe comme une pluie
De larges pleurs.


Ainsi ton âme qu’incendie
L’éclair brûlant des voluptés

S’élance, rapide et hardie,
Vers les vastes cieux enchantés.
Puis, elle s’épanche, mourante,
En un flot de triste langueur,
Qui par une invisible pente
Descend jusqu’au fond de mon cœur.


La gerbe épanouie
En mille fleurs,
Où Phœbé réjouie
Met ses couleurs,
Tombe comme une pluie
De larges pleurs.


Ô toi, que la nuit rend si belle,
Qu’il m’est doux, penché vers tes seins,

D’écouter la plainte éternelle
Qui sanglote dans les bassins !
Lune, eau sonore, nuit bénie,
Arbres qui frissonnez autour,
Votre pure mélancolie
Est le miroir de mon amour.


La gerbe épanouie
En mille fleurs,
Où Phœbé réjouie
Met ses couleurs,
Tombe comme une pluie
De larges pleurs.