Les Années funestes

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Les Années funestes
1898


AVERTISSEMENT DE L’ÉDITEUR


Dans les éditions précédentes, les poésies qui composent les Années funestes ont été échelonnées de 1852 à 1870, répondant ainsi au titre même, mais à l’aide d’un classement factice. Par exemple, les vers qui ouvrent le volume sont datés dans le manuscrit : 4 juin ; nous avons pu établir qu’ils sont de 1875, l’écriture et le papier employé suffisent d’ailleurs à le démontrer ; mais comme cette poésie, sorte de préface aux Années funestes, a pour sujet l’arrivée en exil, on l’avait datée : 1852.

Les exécuteurs testamentaires agissaient selon la recommandation de Victor Hugo lui-même « dans l’esprit et la pensée qu’ils lui connaissaient »[1]. Nous ne pouvons, nous, dans cette édition documentaire, nous permettre les mêmes libertés. Tout en conservant l’ordonnance du volume, nous avons reproduit exactement les dates du manuscrit, et, pour les poésies non datées, nous avons, comme dans Toute la Lyre, dressé un tableau approximatif d’après l’écriture ou d’après certaines particularités. Ce tableau suit la description du manuscrit.

I


J’ai dit à l’Océan : — Salut ! veux-tu, que j’entre,
O gouffre, en ton mystère, ô lion, dans ton antre ?
J’arrive du milieu, des hommes asservis.
Gouffre, je ne sais plus au juste si je vis ;
J’ai ce cadavre en moi, la conscience humaine ;
Et je sens cette morte immense qui me mène.
Quoique tuée, elle est vivante encor pour moi.
Mais ai-je sur la face assez d’ombre et d’effroi
Pour être justicier, réponds, mer insondable ?
Je voudrais être mort pour être formidable.
Les morts dans leur prunelle ont un tel inconnu
Que le tyran frissonne ainsi qu’un enfant nu
Quand sur lui ce regard de sépulcre s’appuie.
Mer, puisque le soldat, valet d’un traître, essuie
Une infamie avec les plis de son drapeau,
Puisque le prêtre met en vente son troupeau
Et jette on ne sait quel Te Deum 2 à l’abîme,
Horreur ! puisque le juge est juge au nom d’un crime,
Puisque les trahisons remplacent les exploits,
Puisque nous n’avons plus que des ombres de lois,
Puisqu’on a poignardé la France entre deux portes,
Mer, j’aimerais mieux être avec les choses mortes
Qu’avec tous les vivants de ce monde âpre et vil.
Le nuage, où parfois s’ébauche un noir profil,
Prouve qu’il peut tomber un éclair d’un fantôme.
Du linceul d’Isaïe il sort un sombre psaume.
Je voudrais n’être rien qu’un aspect irrité,
Une apparition d’ombre et de vérité.
A force d’être une âme on cesse d’être un homme ;


Qui suis-je ? mer, dis-moi de quel nom je me nomme.

C’est par les visions que les rois sont punis.
Est-ce que ce n’est pas une ombre qu’Erynnis ?
Est-ce que ce n’est pas une larve qu’Electre ?

Et l’Océan m’a dit : — Sois le bienvenu, Spectre.

14 juin [1875 ? ]


II J’applique mon oreille à travers mon cachot[modifier]


 
J’applique mon oreille à travers mon cachot
Contre la conscience énorme de là-haut.
Et j’écoute. Et, pensif, je fuis, et, solitaire,
Je m’envole. Quiconque a pour prison la terre,
A pour évasion le ciel. Là, j’ai l’effroi
De sentir comme une âme immense entrer en moi
Et j’én tremble, et j’en suis joyeux. Sévère joie !
Va, sois le Châtiment, me-dit quelqu’un. Foudroie.
La foudre est le jet noir du firmament vengeur.
Je me penche du fond d’une blême rougeur,
Et, dii seuil étoilé, comme d’une fenêtre,
Sur ta simarre, ô juge, et sur ta robe, ô prêtre,
Je vide la justice avec la vérité.
Vivez, régnez ! ma strophe au sanglot irrité,
Mon vers sanglant, fumant, amer, qui, du ciel sombre,
Ainsi que. d’une bouche entr’ouverte dans l’ombre,
Jaillit ; tombe, se rue, éclate, et sur les fronts
Se disperse en horreur, en tempête, en affronts,
Flétrit, submerge ; noie ; éclabousse et remonte,
Est le vomissement dé Dieu sur votre honte.

26 février 1870.

III Un peuple était debout,[modifier]


Un peuple était debout, et ce peuple était grand.
Il marchait lumineux dans le progrès flagrant.
Lés autres nations disaient : Voici la tête !
Il avait traversé cette énorme tempête
Quatrevirigt-treize, et mis le vieux monde au tombeau ;
Dans la lutte difforme il était resté béau ;
Ce’ fier peuple, assailli d’évènements funèbres,
Avait fait des rayons de toutes ces ténèbres ;
Il avait fait, démon, dieu, sauveur irrité,
De la combustion des siècles sa clarté.
Il avait eu Pascal, il avait eu Molière ;
Il avait vu sur lui s’épaissir comme un lierre
L’amour des nations dont il était l’appui ;
Et pendant soixante ans sur sa cime avait lui
Voltaire, cet esprit de flamme armé du rire,
Ce titan qui, proscrit, empêchait de proscrire,
Ce pasteur guidant l’âme, enseignant le devoir
Et chassant le troupeau des dogmes au lavoir.
Ce peuple avait en lui la loi qui développe ;
A force d’être France il devenait Europe ;
A force d’être Europe il était l’univers.
Il savait rester un tout en étant divers ;
Chaque race est un chiffre, il en était la somme ;
Et ce peuple était plus qu’un peuple ; il était l’Homme.
Dans la forêt sinistre il était l’éclaireur ;
Son pas superbe était le recul de l’erreur ;

Il proclamait le vrai sur la terre ; une lave
Sortait de son esprit qui délivrait l’esclave,
Et la femme, et le faible, et le pauvre inquiet,
Et l’aveugle ignorant, de sorte qu’on voyait
Devant sa flamme, hostile au mal, au crime, aux haines,
S’enfuir la vieille nuit traînant les vieilles chaînes.
Il était entouré des ruines du mal,
D’abus tombés, monceau formidable et fatal,
De droits ressuscités, de vertus retrouvées,
Et de petites mains d’enfants, vers lui levées.
Au lieu de dire : Grâce ! il disait : Il lé faut !
Il combattait la guerre, il tuait l’échafaud.
Père et frère, il donnait la vie, ôtait les maîtres.
Guetté, mais fort, trop grand, hélas ! pour croire aux traîtres,
Il marchait aussi pur que l’aube en floréal,
L’œil fixé sur ce ciel qu’on nomme l’idéal.
Subitement, il est tombé dans l’embuscade,
Et son cadavre est là sur une barricade.
Ce trépassé, sanglant, nu, mordant son baîllon,
Pâle, n’a même plus la gloire, ce haillon,
Et ses noirs assassins, de leur main lâche et fausse,
Creusent sous lui la nuit comme on creuse une fosse.

Décembre souriant, suivi de son Sénat,
A fait hommage aux rois de cet assassinat,
Les rois ont respiré cet encensoir fétide.
Et devant Fualdès mort, le juge est pour Bastide
Et le prêtre bénit Caïn tuant Abel.
Sous ta tiare d’or qui ressemble à Babel,
Et qui, de la Sixtine illuminant les voiles,

A plus de diamants que le ciel n’a d’étoiles,
Sur ta chaire, splendide et sacré tribunal,.


Pape, tu ne vaux pas, dans ton haut Quirinal,
Qui du monde romain domine les déluges,
Rois, vous ne valez pas, vous ne valez pas, juges,
Tu ne vaux pas, César dans la pourpre élevé,
Les chiens qui vont léchant le sang sur le pavé !

IV CESAR[modifier]


Il fait le mal il boit des pleurs ; il boit du sang ;
Partout la mort, l’exil, des veuves gémissant,
Des orphelins, des foyers vides ;
C’est ainsi qu’entassant deuils, forfaits, désespoirs,
Les tyrans font téter à nos vers, dogues noirs,
La mamelle des Euménides :

Tous ces prétoriens qui l’ont fait empereur
L’entourent ; Rome est calme et parle avec terreur ;
On ne laisse approcher personne ;
Ils gardent son palais et veillent à l’entour,
Mille à chaque barrière et cent sur chaque tour ;
Le monde tremble, et lui frissonne.

Il évoque, effaré, livide, anéanti,
Tous ses prédécesseurs, que les’ clypeati
Couvraient de leurs mâles poitrines ;
Et l’histoire, témoin qu’on trouve toujours là,
Fait sortir de l’égout le dieu Caracalla
Et le dieu Néron des latrines.

Il erre en son palais. Ici tout le défend ;
Ici leprêtre adore Auguste triomphant,
Ici les fronts sont dans ’la poudre,
Ici’là terre apporte un respect assidu ;
Au-dessus de sa tête il entend, éperdu,
L’éclat de rire de la foudre.

2 décembre 1869.


ÉCRIT SUR UN EXEMPLAIRE DE LA VIE D’APOLLONIUS DE TYANE


Les sages, en suivant leurs rêves nécessaires,
Ne perdent pas de vue ici-bas les misères ;
L’astre les enchaîne à son char ;
Ils creusent l’être, l’âme, et l’espace, et le nombre ;
Un de leurs yeux profonds contemple Dieu dans l’ombre,
Mais l’autre est fixé sur César ;
Les constellations énormes chue Dieu penche
Tantôt vers l’âpre nuit, tantot vers l’aube blanche,
L’ombre, les abîmes, les fleurs,
L’immense vision des choses éternelles,
Emplissent de rayons une de leurs prunelles,
Et de l’autre. il tombe des pleurs ;
Leur esprit, dont la foule écoute les paroles,
Penché sur les soleils, les ondes, les corolles,
Sur l’arbre où Jésus s’endormit,
Sur les ténèbres, gouffre où la clarté se lève,
Regarde en même temps la nature qui rêve
Et l’humanité qui gémit ;

De sorte qu’il arrive, — et tu le sais, Éphèse 5 ! —
Que, tout en expliquant lés cieux, sombre fournaise,
Septentrion, Aldebaran ;
Le monde, et Dieu pensif contemplant son ouvrage,
Ils se dressent soudain ’en s’écriant : Courage,
Stephanus ! frappe le tyran !

6 avril 1854. Jersey.

VI Le frissonnant essaim des pâles Euménides[modifier]


ÉCRIT SUR UN EXEMPLAIRE DES CHÂTIMENTS

Le frissonnant essaim des pâles Euménides
Met les effrois
Dans l’homme, et ne veut pas laisser les âmes vides
Et les cœurs froids ;

Elles vont secouant sur nos fronts une chaîne
Avec des chants,
Leur fonction étant de nous emplir de haine
Pour les méchants ;

Et ces femmes de l’ombre, éparses et volantes,
Rôdent dans l’air,
Furieuses, et font.des colères trop lentes
Jaillir l’éclair ;

— Allons ! réveille-toi ! ne vois-tu pas Tibère ?
Viens ! fais un pas !
Est-ce que pour frapper la foudre délibère ?
Ne vois-tu pas

Le mal partout ; ici le crime et là le vice ;
Judas rêvant ;
Ce roi, ce juge, l’un achetant la justice
Que l’autre vend ?


Frappe ! — Ainsi vont grondant les gorgones sublimes ;
Et leur vertu,
Sinistre, ouvre au songeur l’horizon des abîmes ;
Et dis : Viens-tu ?

Et le poète suit ces filles formidables.
— Monstres, j’accours !
C’est bien ! Et ; sur le haut des monts inabordables,
Dans les bois sourds ;

Dans l’inclément désert, sur l’âpre mer sonore,
La sombre nuit
Est contente ; et, plus bas, dans les prés où l’aurore
S’épanouit,

Dans l’azur, dans l’été, dans l’herbe et dans. les mousses,
Dans la chaleur,
Dans l’idylle, on entend toutes les choses douces
Qui sont en fleur,

L’églantier, le rosier plein d’une âme invisible,
Le frais buisson,
Dire en voyant passer le poète terrible. : .
Il a raison.

6 décembre.

VII. LES CHÂTIMENTS


Rester où nous sommes !
Non ! puisque ces hommes ;
Tes fils, Liberté ;
Ne sont que des femmes,
Relever les âmes
C’est ma volonté.

Puisque tout s’écroule,
Puisque cette foule
N’est, sous ce pouvoir,
Que poussière et sable,
Être formidable
C’est le grand devoir.

La loi n’est pas morte,
La justice est forte,
On est nation,
Dieu pensif approuve ;
Tant qu’Une âme cotive
L’indignation.

Il est nécessaire,
Quand tout est misère,
Opprobre, douleur,
Torpeur, frénésie,
Que la poésie,
Cette plaine en fleur,


À toutes les roses,
A toutes les choses
Du printemps serein,
Dont elle est semée,
Mêle la fumée
D’un feu souterrain.
Quand, parce qu’un homme
Est béni par Rome,
Il peut tout braver,
Ne rendre aucun compte,
Et couvrir de honte
L’aube à son lever,

Quand tout le protège,
Et quand son cortège
Rampe avec orgueil,
Tas d’hommes de proie,
Vils, ayant pour joie.
La patrie en deuil,
Quand on n’a plus d’armes,
Quand Tyrtée en larmes
Réjouit Scapin,
Quand frémit l’histoire,
Quand l’homme est sans gloire,
La femme sans pain,


Certe, il est utile
Qu’on voie en mon style
Les rois châtiés,
L’ouragan, l’outrage,
Et toute la rage
Des grandes pitiés.

Certes, je dois plaire,
France, à ta colère,
Quand je dis : Allons !
Et quand j’encourage
Au souffle, à l’orage,
Les noirs aquilons.

Et quand aux poètes,
Je dis : Gypaètes,
Faucons et vautours,
Guerre aux infidèles !
Guerre ! ayons des ailes
Puisqu’ils ont des tours !

Guerre au front servile !
La lâcheté vile
Du fourbe est l’appui :
Guerre au’ maître ’infâme !
Dispersons notre âme
En foudre sur lui !

Je sens que moi-même,
Furieux, je m’aime ;
Et je suis content
Quand sous mon vol sombre,
Le, tyran, dans l’ombre,
Tête basse, attend.

Quel abîme creuse
Leur croissance affreuse !
On voit, radieux,
Sur la terre en cendre,
Ces démons s’étendre
Et grandir ces dieux ;
 
Ils sont sur le faîte ;
Dante les arrête
De son poing d’acier,
Et les rapetisse ;
Dieu pour sa justice
Fit ce justicier.

Quand s’ouvre le gouffre,
Quand le peuple souffre
Sous d’impurs vainqueurs,
Cet énorme câble,
La haine implacàble,
Soutient tous les coeurs.

Des gueux ont des mondes ;
Des Césars immondes,
Sous leurs pieds ayant
La loi, leur victime,
Ajoutent au crime
Un rire effrayant.

J’envoie à leurs fêtes
Mes hymnes tempêtes
Luire et flamboyer,
Et mon âme est haute
Quand l’éclair mon hôte
Sort de mon foyer.


Pour frapper les traîtres,
Faux dieux et faux prêtres,
Vil groupe inhumain,
Debout dans mon aire
Je montre au tonnerre
Le plus court chemin.

C’est la sainte cause.
Mon vers superpose
La justice au mal,
Jésus à Tibère,
L’idéale sphère.
Au gouffre animal.

Cette œuvre est la vraie.
Abhorrer l’ivraie
C’est aimer l’épi.
Je trouve dans l’antre
De l’histoire, où j’entre,
Tacite accroupi ;

Juvénal, ce fauve,
Eschyle au front chauve,
Me disent : C’est bien.
Sombre philosophe,
Je mets dans ma strophe
Le vent libyen.

L’ombre est mon amante ;
J’aime la tourmente,
Le déchaînement ;
J’aime le désordre
Des rois que vient mordre
L’ïambe écumant.


Cieux ! j’aime la haine
Quand elle est sereine,
Quand elle a raison,
Et quand, comme Electre,
Elle est le grand spectre
Droit sur l’horizon.

23 avril.

VIII Eh bien, allons ![modifier]


Eh bien, allons ! mentant, pillant, volant, broyant,
Coalisez-vous tous ! que ce soit effrayant !
Nous sommes prêts au deuil, à la mort, au martyre.
Que d’un coup de collier le genre humain s’en tire !
Frappez-nous, percez-nous ! Traversons, s’il le faut,
Avec le dernier camp, le dernier échafaud !
Qu’il soit hideux, devant la terre intimidée,
Ce duel sombre où la force a terrassé l’idée !
Que le passé se rue et morde l’avenir !
Qu’Haynau vienne tuer et Mastaï bénir !
Qu’ils soient les éperviers, Seigneur, et nous les proies !
Que nos poignets gonflés saignent sous les courroies !
Qu’on nous jette à l’exil, au bagne, à la prison !
Que sur le coteau noir, tumeur de l’horizon,
L’affreux gibet, squelette aux sinistres vertèbres,
Se dresse ! Que l’esprit des antiques ténèbres
Risque l’un après l’autre, et tire coup sur coup
Ses monstres de sa poche, et fasse son va-tout,
Et joue en rugissant sur sa dernière carte

IX TRIOMPHE PAS DE BRUME.[modifier]


Son dernier Nicolas, son dernier Bonaparte !
Oui, crachez vos serments, hurlez vos Te Deums,
Invoquez vos Agnus, vos bons dieux, vos Mahoms !
Que les czars et les-rois et les hommes des sacres
Lancent tous les bourreaux, fassent tous les massacres !
Que nous soyons trahis, vaincus, chassés, brisés,
Et que tous les Judas donnent tous les baisers !
Finissons-en ; voici nos têtes pour le glaive !
Pourvu qu’à l’orient une blancheur se lève !
Pourvu que, dans ses mains tenant tous les flambeaux,


L’éclatant avenir sorte de nos tombeaux !
Pourvu que naisse enfin la nouvelle âme humaine !
Pourvu qu’au vieil Adam Dieu par la main amène,
Après tant de douleurs, tant de sang, tant de fiel,
Cette âme, Ève d’en haut, la future du ciel !
Pourvu qu’un jour, jour saint et dont mon cœur tressaille,
Après nous ; derniers morts du grand champ de bataille,
Derniers épis du ; mal, derniers martyrs du fer,
On voie, en un Eden fait avec notre enfer ;
Debout sur notre cendre et sur notre désastre,
L’homme-adorant la paix, l’aigle regardant l’astre !

18 octobre 1854.

X Triomphe.[modifier]


Triomphe. Pas de-brume en ce splendide azur.
Marche dans tous les sens sur ton crime ; il est sûr.
Danse dessus, bâtis dessus ; il est solide.
Le droit divin te garde en habit d’invalide ;
Le pape te bénit, le sultan te bénit.
Ta constellation resplendit au zénith ;
Qu’elle est belle ! Nemrod géant, Rhamsès farouche,
Charlemagne, César, Napoléon, Cartouche !
L’aurore, a pour toi, prince, un sourire charmant.
Le bleu du bonheur monstre,emplit ton firmament.
Pas un plaisir, permis ou non, que. tu n’effleures
Dans l’entrelacement voluptueux des heures ;
Ta journée est un long festin renouvelé.
Par chaque instant qui passe, heureux, chantant, ailé.
Que veux-tu ? le, pouvoir ? Sonne La France vote.
Elle est voltairienne, elle sera dévote, -
Pour te plaire. Veux-tu des palais ? Prends. Choisis.
Sois chez toi. Sur quel trône est-on le mieux assis ?
Prends celui de Versaille ou prends celui du Louvre.
La planche de sapin qu’un peu de velours couvre

A du bon, certe, et vaut les meilleurs piédestaux
Quand Brumaire et Décembre en sont les deux tréteaux.
Brumaire, c’est le droit, Décembre, c’est la force.
Un profil hollandais doublé d’un profil corse,
De face, cela fait un visage français.
Veux-tu la gloire ? prends son masque, le Succès.
Tu n’es plus tout à fait un jeune homme. Qu’importe !

Cupidon vient gratter doucement à ta porte ;
Vénus par Bacciochi t’envoie un tendre aveu.
Pas un moment du jour, ô César, ô neveu,
Qui pour toi, comme un flot qui sur des fleurs s’épanche,
Ne soit gloire, bonheur, splendeur.

Le soir, revanche.

L’ombre n’est pas à toi. Dormir, c’est être pris.
Une main, qui saisit par l’aile les esprits,
S’ouvre, et lâche le songe où luit la catastrophe ;
Le vrai surgit ; tu fais d’affreux rêves. Ma strophe
La nuit devient ta femme, et, spectre, dans tes draps
Se couche, et tu l’entends dire : — Tu ne seras
Pas même lampion ; toi qui prends des airs d’astre ! —
Ton destin t’apparaît. Tu te vois, ô désastre !
Ô deuil ! redevenu l’aventurier gueusard,
Le prince bric-à-brac, l’altesse de hasard,
Portant pour diadème un feutre qui s’effondre,
N’ayant, ô dur retour des maigres jours de Londre,
Plus de sceptre à la main ni de bottes aux pieds ;
Et tout, empire, encens, Te Deum expiés,
S’évanouit devant tes prunelles hagardes,
Tout, depuis les cent sous, hélas ! jusqu’aux cent gardes !
Et tu ne comprends plus, effaré sous le vent,
Ton propre sort ; tu dis : Est-ce après ? est-ce avant ?
Tu voudrais t’éveiller. Non. Le remords t’accable
Et te tient, et te cloue au sommeil implacable,
Et de partout sur toi, maudit, tombe l’affront,
Et tous tes forfaits vont et viennent sur ton front,
Montmartre, les fourgons cahotant les cadavres,
Les chaînes dans les forts, les pontons dans les havres,
La mitraille, Charlet, Cirasse, Cuisinier ",
Les votes ; l’urne traître auprès du noir -panier,
Bidauré fusillé deux fois, Mazas, Cayenne,
Les proscrits, Lambessa que vient flairer l’hyène ;

Le ruisseau de la rue au sang habitué, ’
Baudin tué, Dussoubs tué, l’enfant tué " ; ’
Tu ne vois plus qu’horreur, billots, linceuls, tempêtes,
Têtes cherchant leurs corps et corps cherchant leurs têtes,
Et ton oreille entend, à travers l’aquilon,
Rouler dans l’avenir le boulet de Toulon.

9 juillet.

XI BORD DE LAMER[modifier]


— Tenez, mon président, je vous le dis d’aplomb,
Je trouve, en vérité, que cela devient long.
Cela finit par être un triste dialogue.
Nous faisons à nous deux une lugubre églogue.
Vrai, vous me fatiguez ; mon juge du bon Dieu.
Si nous renouvelions la causerie un peu ? .
Parlons d’astronomie ou bien d’hippiatrique.
Oui, c’est vrai, je me suis servi de cette trique
Assomme-t-on les gens avec ! des éventails ?
Quand vous répéterez sans fin tous ces détails ?
Après ? Bon, j’en conviens, c’est affreux, c’est infâme,
Ce n’est pas bien du tout, j’ai tué cette femme ;
Dans l’ombre, en guet-apens, si vous le préférez.
J’ai de ses cheveux blancs à mes souliers ferrés ;
On voit ces choses-là dans tous les mélodrames.
Est-ce donc bien joli, mon juge, à dire aux dames ?
Nous devrions changer de conversation.
Je l’ai mise en un trou, la belle invention !
Et j’ai pillé la caisse et débouclé la bâche.
Connu. C’est vieux ! D’honneur, mon président rabâche ;
Il faudrait varier dans l’intérêt de 1’art.
Vous ressassez toujours : — C’était dans le brouillard.
— En décembre.- Au sortir.d’un bois. — Un jour de pluie… -
Eh bien, je vous le dis tout net, cela m’ennuie.
Vous n’avez vraiment pas d’imagination.
Et puis, vous y mettez beaucoup de passion.

Cette femme était vieille et j’étais pauvre. En somme,
Là, ne pourrait-on pas, quand mai réjouit l’homme,
Quand les petits oiseaux chantent au fond du bois,
Quand les champs sont pleins d’ombre et d’amour et de voix,
Et puisque nous voilà dans la saison des roses,
Rire un moment, que diable ! et parler d’autres choses ! -

Et le juge répond, triste comme la loi

— Ta mère assassinée est là, derrière toi !

22 décembre 1854.



Le jour, chasse le vent- nocturne qui soufflait ;
Le soleil dans la mer délaie-un long reflet ;

« M. Victor Hugo ne s’aperçoit donc

pas qu’il dévient monotone ? »

(Les Journaux de l’Empire.)


Et monte, et semble fier que le gouffre lui mette
Une traîne de flamme et le change en comète ;
Les navires tremblants fendent l’onde, et ses plis
Penchent leurs noirs agrès par la brise assouplis ;
Un mont de roche à pic sur la plage s’élève ;
La route qui descend des plaines à la grève
Ouvre en la rencontrant les deux bras de l’Y grec
Par où les chariots vont chercher du varech ;
L’eau partout se hérisse, immense hécatonchire ;
L’écume à tous les vents s’effare et se déchire,
Et vole, et l’on dirait que de ces flocons blancs
Quelques-uns prennent vie et sont les goélands ;
Le tumulte infini dans l’ombre au loin bégaie ;
Et la légèreté des nuages égaie
Toute cette farouche et fauve profondeur ;
L’aube chantante joue avec le flot grondeur ;
L’océan frais et pur se fronce aux rocs arides ;
La jeunesse éternelle offre toutes ses rides ;
L’innocent liseron, nourri de sel amer,
Fleurit sous les blocs noirs du vieux mur de la mer,

Et la création semble une apothéose.
Comme un papillon donne un coup d’aile à la rose,
Là-bas l’aigle de mer tourne autour du récif.

Et moi qui suis assis au bord des flots, pensif,
Ne voyant même pas ces horizons sévères,
Regardant, nôir rêveur, dans la nuit des Calvaires,
Les Socrates mourants, les pâles Jésus-Christs,
J’écris ces vers au pied du Rocher des Proscrits,
Pendant qu’un hollandais, qui prétend être corse,
Met à l’esprit humain la chemise de force,
Et trône en pleine orgie, empereur des français,
Entre l’escroc Serment et la fille Succès.

XII LE TIREPOINT[modifier]


Ô pauvre vieux, tu vis en paix, tu bois ta chope,
Sans feu, parfois sans pain et jamais sans sommeil,
Comme un fagot flambant gratis, dans ton échoppe,
Tu reçois le soleil.

Lorsque tu vois passer curés, bedeaux et diacres,
Toute ta politique est de gronder un peu ;
Parmi les porteurs d’eau, les filles et les fiacres,
Tu ris sous le ciel bleu.

Peut-être est-ce un grand-père à toi — sais-tu l’histoire ? —
Qui vit jadis entrer dans son bouge, âpre et seul,
N’ayant plus de souliers, vieux, pieds nus dans sa gloire,
Corneille, notre aïeul !

Que t’importe ? tu vis au hasard, pêle-mêle,
Dans ce monde arrivé sans savoir trop par où,
Ajustant le cuir neuf à la vieille semelle,
Dans un coin, dans un trou.

Tu vas au cabaret savourer la litharge ;
Pour toi, d’un travail lourd, monotone, inclément,
Le livre de la vie est plein, et ’sur la marge
Tu te grises gaîment.


Sous toute autorité, juste ou non ; sainte ou vile,
Tu te courbes, timide et sentant ta maigreur ;
Pour toi, pauvre et chétif, dans le sergent de ville
Commence l’empereur.

Portant le joug âirisi qu’une bête dé ’somme,
Lorsqu’on se bat, qu’on voit l’émeute se ruer,
Tu dis : Je suis trop vieux. C’estbon pour un jeune homme
De se faire tuer.

Jour et nuit ton marteau résonne sur l’empeigne.
Dès le matin tu ris’ ; rire est.ton seul trésor ;
L’aube à tes cheveux gris,’ que’ n’approche aucun peigne,
Mêle ses rayons d’or :

Entouré de. tessons, de loques, de décombres,
Laissant pendre à vingt clous sous ton plafond obscur
Un tas d’affreux souliers’ éculés dont les ombres
Dansent sur ton vieux mur,

Jasant, grâce au ’ vin bleu, comme un moineau prolixe,
Trop petit pour sentir le despote ou le roi,
Sans voir Brutus rêveur, noir fantôme à l’œil fixe,
Qui rôde autour de toi,

Vieux bohême chanteur sans veste et sans cravate,
Tu brandis, en criant : Venez voir mon bazar !
Ton tirepoint qui. peut, recoudre une savate
Ou défaire un césar.

15 novembre. Jersey.

XIII ENTENDU DANS LE CIEL[modifier]

LE 2 MARS 1855


« Dis-moi donc ce qui se passe,
« Mer ? que fait-on dans l’espace ?
A quoi, grands flots azurés,
« Veut-on donc que je consente,
« Moi, la sinistre passante
« Des nuages effarés ?
« Je suis la Flamme vivante ;
« Je suis la haute épouvante,
« Le cri sourd du ciel serein,
« La roue aux éclairs sans nombre
« Du grand tourbillon de l’ombre ;
« -Le sombre marcheur d’airain !
« Je suis la bête Tonnerre ;
« J’ai broyé Cham dans son aire,
« Et Capanée 16 en son nid ;
« Mes griffes se sont posées
« Sur les faces écrasées
« Des pharaons de granit.
«

Je luis, je frappe, j’émonde.
« Quand Dieu veut détruire un monde,
« C’est moi qui crie : Essayons !
« C’est moi qui brûle les âmes,
« Et, pour en faire des flammes,
« Moi qui rends fous les rayons.
« Ô mer, je fends, quand j’y tombe,
« Comme une vitre, la tombe ;
« Quand je touche un dieu de nuit,
« Le dieu meurt aux mains du bonze ;
« Quand. je crache sur du bronze,
« Le bronze s’évanouit.
« Quand dans ma gueule je mâche
« Un méchant, un traître, un lâche,
« Le mal semble s’éclipser ;
« Quand sous mes pieds je trépigne
« Quelque noir colosse indigne
« On dit : Dieu vient de passer !
« J’ai tordu dans ma fournaise
« Les géants de la Genèse,
« Les titans aux bras nerveux ;
« Brûlant leur cri dans leurs "bouches,
« Je les emportais farouches,
« Mes éclairs dans leurs cheveux !

« J’ai dévoré sons leurs dômes
Les cinq rois des cinq sodomes,
« Gur, Zaïm, Henôch, Eloph,
« Bél, monstre aux mains jamais lasses… -
« Maintenant tu me remplaces,
« Talon de botte d’Orloff " !


« Orloff est, mon frère sombre ;
« Tous deux, sous nos pieds, dans l’ombre,
« Débout sur le même char,
« Nous écrasons, moi l’étoile
« De Satan que la nuit voile,
« Lui les yeux crevés du czar.

« Mais qu’est-ce donc ? à cette heure,
« Orloff lui-même est un leurre !
« Les rois monstres triomphants
« S’endorment parmi les cierges,
« Souriants comme des vierges,
« Sereins comme des enfants !

« Ces meurtriers dans leur ville
« Ont pour oreiller tranquille
« Leurs crimes inexpiés
« Leur front doucement s’y penche ;
« Et Tobolsk 1e, leur chienne blanche,
« Mange un peuple sous leurs pieds !

« Tandis que, pour leurs chimères,
« Pleurent les sœurs et les mères,
« Que leur nom, fait de remord ;
« D’épouvante et de huées ;
« Sort du milieu des nuées
« Comme un clairon de la mort ;

« Tandis que leur feu dévore,
« Et que, dû soir à l’aurore
« Et de l’aube jusqu’au soir,
« Toute la terre enflammée ’
« Roule autour d’eux sa fumée
« Comme un lugubre encensoir ;
«

Ils font venir leurs familles ;
« Ils prodiguent à leurs filles
« Leurs caresses d’Attila ;
« .Puis ils bénissent le monde… -
« Et dis-moi donc, mer profonde,
« Qu’est-ce que nous faisons là ?

« Puisque tu ne sais pas même,
« Mer, gonfler ton flot suprême,
« Et l’emplir de Jéhovah,
« Et prouver que Dieu t’habite,
« Et faire une hydre subite
« De la couleuvre Néva ;

« Puisque l’eau que tu gouvernes
« N’ose entrer dans les cavernes,
« Que tu lui dis : Viens-nous-en !
« Puisqu’un trône est un refuge,
« Que toi, qui fus le déluge,
« Tu n’es plus que l’océan ;

« Puisque la justice boîte ;
« Puisque, moi, qu’en sa main droite
« Tient l’ouragan plein de bruit ;
« Moi dont l’abîme est l’ornière,
« La grande raison dernière
« Du mystère et de la nuit ;

« Puisque moi, la flamme ardente
« Qui sers de prunelle à Dante,
« La semeuse du trépas,
« Moi que fuit l’âme éperdue,
« Moi, la bombe inattendue
« Du mortier qu’on ne voit pas,


« Puisque je ne suis plus bonne
« Qu’à faire un bruit monotone
« Ainsi que les moucherons,
« Et que, stupide, je roule,
« Aux mains d’un joueur de boule,
« Sur le plafond des Nérons ;

« Puisque Dieu ne sait qu’absoudre,
« Je m’en vais ! » - Ainsi la foudre,
Dans le ciel que l’ombre emplit,
Parle à la sombre marée,
Et rugit, désespérée
Qu’un czar meure dans son lit.

 18 avril 1855.

XIV ILS NOUS RAILLENT, DISANT..[modifier]


J’étais dans une église, et j’entendis un homme
Vêtu du vêtement de ténèbres de Rome,
Qui disait : — Bénissons César dans le saint lieu.
La vérité qu’il tue était due à l’abîme,
Peuple, et la main du prince a frappé la victime
Que lui montrait let doigt de Dieu. -

J’étais dans une rue, et je lus cette affiche :
— De par la loi ! Vous tous, grand, petit, pauvre, riche,
Silence ! obéissez.. Le prince a combattu,
Le prince a triomphé ; maintenant qu’il bâtisse.
Ce qu’il a fait est bien. Nous sommes la justice
De même qu’il est la vertu. -

Sache, ô prêtre, et toi, juge, apprends, qu’il est infâme
De mettre la louange à la place du blâme,
Et que, lorsqu’un massacre a souillé la cité,
On est, ô vils flatteurs agenouillés dans l’ombre,
Plus hideux pour avoir lavé ce pavé sombre
Que, pour, l’avoir ensanglanté..

10 mars.

XV Ils nous raillent, disant :[modifier]


Ils nous raillent, disant :
— Ces gens, en vérité,
Ont de bien mauvais yeux. Ils ont pris à côté
Des bons chemins, pourtant si doux et si faciles :
Où donc sont-ils allés, ces’ pauvres imbéciles ?
Ils ont voulu le deuil et la misère. Ils l’ont.
Dis donc, Magnan, dis donc, Sibour, dis ’donc, Troplong,
Il ne tenait pourtant qu’à ces idiots d’être
Comme nous riches, grands et rentés par le maître.
Les niais ! ils n’avaient qu’à dire : Ainsi soit-il !
Et, le sénat s’offrant, ils ont choisi l’exil ! -

Eux cependant, sans voir devant eux, vils, horribles,
Souillés, sanglants, ils vont aux ténèbres terribles,
A la honte, à la fange, à la calamité,
A Dieu qui dans la nuit les regarde irrité,
Au gouffre où court le fourbe et le traître et l’impie ;
Et leur cécité rit de notre myopie.

XVI Les prêtres des faux dieux[modifier]


Les prêtres des faux dieux jouant leurs comédies,
Le mal, l’erreur,
Ce Bonaparte, et toi, paysan, qui mendies
Un empereur,

Toi qui peux être un homme et veux être une brute,
Troupeaux mouvants
Sur qui s’acharne et passe et repasse la lutte
Des quatre vents,

Foule qui vas courbant des millions de têtes,
Bourgeois distraits
Qui vivez avec l’œil plus vague que les bêtes
Dans les forêts,

Les noirs évènements sur les masses obscures,
Les talions,
Les deuils, les envieux, les serpents, leurs piqûres
Aux grands lions,

Me dire que quiconque, à Paris ou dans Rome,
Honte et remords !
Mettra l’oreille à terre, entendra de cet homme
Parler les morts,


Que tout ce qu’il a fait d’iniquités égale
La quantité
D’astres qu’on voit aux cieux quand chante la cigale,
Les soirs d’été ;

Rouler dans mon esprit la sanglante besogne
Du boulevard,
Et Morny, puis. Troplong 20, aller de cet ivrogne
A ce bavard ;

Puebla, Mentana ; Compiègne, son opprobre,
Ses jeux, ses goûts ;
Les meurtres plus nombreux que les mouches d’octobre
Dans les égouts ;

Le pontife sans foi, l’apôtre sans doctrine,
Abject semeur,
C’est tout cela qui fait sortir de ma poitrine
L’âpre clameur !

C’est tout cela qui fait que ma colère gronde
Profondément,

Et que l’écueil n’est pas sous les affronts de l’onde
— Plus écumant ;

C’est tout cela qui. fait que ma strophe aux cent bouches,
Pleine d’effrois,..
Ressemble au hallier sombre où des. bêtes farouches
Mêlent leurs voix,

Je suis l’avertisseur terrible qui se dresse,
L’avant-coureur ;
Et mes vers n’ont.pas moins de haine vengeresse,
Pàs moins d’horreur


Que les filles d’Hellé chantant leur ronde austère
Dans Ipsara ;
Et l’intervention d’aucun pouvoir sur terre
N’arrachera

De mes mains ce tyran, ce juge, ce ministre,
Cet histrion ;
Pas plus qu’un souffle humain n’éteindrait le sinistre
Septentrion.

28 novembre.

XVII QUAND DES TROUS À SES MAINS[modifier]


Vous n’avez pas pris garde au peuple que nous sommes.
Chez nous, dans les grands jours, les enfants sont des hommes,
Les hommes des os, les vieillards des géants.
Oh ! comme vous serez stupides et béants,
Le jour où vous verrez, risibles escogriffes,
Ce grand peuple de France échapper à vos griffes !
Le jour où vous verrez fortune, dignités,
Pouvoirs, places, honneurs, beaux gages bien comptés,
Tous les entassements de votre orgueil féroce,
Tomber au premier pas que fera le colosse !
Confondus, furieux, cramponnés vainement
Aux chancelants débris de votre écroulement,
Vous essaîrez encor de crier, de proscrire,
D’insulter, et l’Histoire éclatera de rire.

XVIII Quand, des trous à ses mains,[modifier]


Quand, des trous a ses mains, des trous à ses pieds froids,
Du sang sur chaque membre,
La France, peuple-Christ, pendait les bras en croix
Au gibet de Décembre,

Quand, l’épine à son front, râlait sur le poteau
La nation pontife,
Toi, malheureux, tu vins des clous et du marteau
Complimenter Caïphe.

Il fit cortège au crime avec un front riant.
Lévite, il vendit l’arche :
Maintenant le voilà dans un livre criant :
« - Remettons-nous en marche !

« Dans la stagnation, tout rampe et dépérit,
« Et l’ombre est importune.
« Il faut le Verbe à Dieu, la parole à l’esprit,
« Aux peuples la tribune. » -

Il plaide pour le droit ! Regret pur ! deuil touchant !
Il ne veut plus qu’on dorme !
Ô vérité sacrée, aux lèvres du méchant
Ta louange est difforme !


Les passants qui l’ont vu du crime réussi
Grossir l’immonde escorte,
Disent en l’entendant : Pourquoi donc celui-ci
Parle-t-il de la sorte ?

C’est qu’il a peur de Dieu ! c’est qu’il a peur des lois !
C’est que ce fourbe tremble !
C’est qu’il sent dans son cœur. frissonner à la fois
Tous les effrois ensemble !

C’est que, dans cette orgie où le Meurtre éhonté
Chante : Que nous importe !
Lui songe au cimetière où dort la Liberté,
La redoutable morte !

C’est que sur le festin il voit tomber le soir ;
C’est qu’en ce banquet sombre,
Il songe à l’avenir, incorruptible et noir,
Qui fait des pas dans l’ombre ;

C’est que la peine vient ! c’est qu’il se sent plier
Comme les branches d’arbre !
C’est que, pâle, il entend monter dans l’escalier
Un visiteur de marbre !

21 janvier.

XIX DES REMORDS ? LUI ! POURQUOI ?…[modifier]



SA CONSCIENCE
— Écoutais-tu parfois ta conscience ? — Certe !
— Et que t’a-t-elle dit ?

— - Elle m’a dit : Déserte -
Tout sentier trop ardu, trop rude et trop étroit.
Heurte ce mot l’Honneur contre ce mot le Droit,
Et tire un son fêlé de l’un comme de l’autre.
Aie un tarif. Combien ce héros ? cet apôtre ?
Ce tribun ? C’est tant. Paie, et sois fort. Je t’absous.
Prends les millions, jette au peuple les gros sous.
Achète aux prêtres. Dieu. Jamais Dieu ne réclame.
Sois d’abord sûr d’tin fait, c’est que tu n’as point d’âme.
C’est agréable. On est nuit, matière, animal,
Cendre, et l’on ne fait rien de bien ni rien de mal
On arrive à la mort, juste aussi responsable
Que l’hydre s’échouant dans l’ombre sur le sable.
Raille ces fous, croyant au bien, au juste, au beau,
Qui pensent qu’un palais pèse sur un tombeau.
Jouis, et ne crains pas le sépulcre. Il est vide.
Jure et mens ; le serment est un fil qu’on dévidé


Jusqu’à ce qu’il se casse. Alors, guerre, terreur,
Masque jeté, carnage et mort. Sois empereur.
Touche la cible, atteins le but, gagne le quine ;
Tue, éclate de rire, et règne !

— Ah ! la coquine !

H.H. 12 décembre.

XX Des remords ? lui ! Pourquoi ?[modifier]


Des remords ? lui ! Pourquoi ? Qu’a-t-il fait ? Mais, Cayenne ?
Le Deux Décembre ? Quoi ! l’on veut qu’il-se souvienne !
Ces êtres-là n’ont point de ces infirmités.
La mémoire, c’est bon pour vous autres. Luttez,
Vivez, souffrez, plaidez telle ou telle doctrine ;
Si vous avez mal fait, frappez-vous la poitrine ;
Le bien, le mal, le vrai, le faux, Judas, Jésus,
Cela compte pour vous, mais eux sont au-dessus.
Ils ont tué, pillé ; brisé la loi détruite ;
Il leur semble plaisant qu’on leur en parle ensuite ;
Sitôt qu’on est vainqueur et maître, on éconduit
L’histoire, le massacre, et la mort et la nuit.
On ne veut plus savoir dans la joie et la fête
Par quelle ombre on passa pour parvenir au faîte.
D’ailleurs cela fait-il quelque chose à quelqu’un ?
Vaincre est faire un charnier d’où s’exhale un parfum.
Ils ont vaincu. C’est bien. Cela doit vous suffire.
Laissons l’aurore peindre et luire, et le zéphire
Frissonner à travers les branchages profonds.
Ces êtres trouvent Dante et Juvénal bouffons.
Ce que les mécontents nomment une âme noire,
C’est de la fange ayant pour trône de la gloire.
La gloire couvre tout, et l’ensemble est vermeil.
Cherchez donc un voleur caché dans un soleil !
Ces sinistres esprits, bâtisseurs de décombres,


Qui, lâchés dans la nuit des évènements sombres,
Ont pour succès la chute effrayante de tout,
Peuple, ne savent rien, sinon qu’ils sont debout.
Cette ignorance-là, dans la toute-puissance
Et l’ombre, est une sorte affreuse d’innocence.
Ils ont, dans le scrutin qui termine tout ça,
Don Quichotte contre eux, pour eux Sancho Pança.
Régnons. Le repentir ? quel est ce parasite ?
Le remords pour eux, c’est un fâcheux qui visite
Mal. à propos les gens et qui fait qu’à son pas
On s’esquive, et l’on dit aux valets : N’ouvrez pas !
On dort, on est chez soi. — Qui va là ? quelqu’un sonne ?
— C’est votre crime. — Bien. Je n’y suis pour. personne.
Même quand leur destin échoue au but fatal,,
Ces âmes-là n’ont point conscience du mal,
Et l’expiation n’est qu’une petitesse
De Dieu qui veut un peu molester une altesse.
Est-ce qu’ils ont commis des forfaits ? C’est selon.
Ils se sentent à peine une épine au talon.
Leur faute, si c’est là le mot, si c’en est une,
Fait tout ce qu’elle peut pour leur être importune,
Mais, fût-elle éternelle avec des ongles noirs,
Les suivît-elle avec d’effroyables miroirs,
Ils n’en ont point souci. L’on jase, on crie, on glose,
Qu’importe ! Tout cela vraiment n’est pas grand’chose.
Des épithètes ; monstre, horreur, canaille. Après ?
Vous leur montrez toujours, quoi ? le même cyprès.
Au fond cela finit par être une chicane.
C’est du vacarmé ; Rome ou Paris qui ricane.
Ils ont réponse à tout. Ne suis-je pas César ?
Mané Thécel Pharès trouble peu Balthazar ;
L’ardent tartare avec son four à réverbère
Peut ennuÿer, mais non déconcerter Tibère.
Faites gueuler l’Erèbe, ameutez tout le tas
Des méduses montrant le poing aux coups d’états ;
Les attentats riront ; la foudre. les effleure.
Si Dieu croit en frappant se prouver, il se leurre ;

Il reste l’inconnu, l’énigme, le grand X..
Les Euménides sont les poissardes du Styx ;
Le démon punisseur qui grince et qui s’acharne
Est un loustic montrant son masque. à la lucarne ;
L’enclume sans broncher laisse cogner Vulcain ;
Frédégonde en enfer dit à Satan : Taquin !

31 mars 1870.

XXI LE MAL DU PAYS[modifier]


On rôde ; on a la mer immense pour prison ;
On n’a plus l’avenir, mais on a l’horizon ;
On médite ; on attend qüe l’océan s’en aille.
La mémoire, bourreau, vous tient dans sa tenaille.
Je cherche ce Paris perdu, que je défends ;
Où donc est le jardin où jouaient mes enfants
Lorsqu’ils étaient petits et lorsque j’étais jeune ?
J’entends leurs fraîches voix crier : Père, on déjeune !
Où donc es-tu, foyer où je me réchauffais ?
Les arbres étrangers, hélas ! ne sont pas faits
Comme ceux du pays natal ; l’ombre où l’on erre
Est noire et par degrés vous fait visionnaire ;
Comme on avait raison de tâcher de mourir !
L’azur indifférent vous regarde souffrir ;
C’est survous qüe cette eau goutte à goutte distille
Son fiel, et c’est à vous que l’écume est hostile ;
Les flots autour de vous sont comme. des archers ;
On se sent vaguement haï par les rochers ;
L’herbe est froide, l’épine est mêlée à la mousse ;
Quoi ! j’ai cru la nature hospitalière et douce !
J’ai cru les bois calmants ! Comme je m’aveuglais !
On se dit par moments : la foudre parle anglais.


Oh ! comment s’évader de l’âpre nostalgie !
On jette à ce chaos quelque strophe rugie
Dans l’orage, et, pensif, on dit aux quatre..vents
De la porter à Dieu par dessus les vivants.
Et l’on s’arrête, et puis on attend. Toujours l’onde.
Què la terre de France était riante et blonde !
Où donc est-elle ? On rêve ; et l’on a la rougeur
De la honte d’autrui. Ciel ! ô ciel ! un vengeur !
Où donc est Juvénal ? Gouffre ! où donc est Tacite ?
On se rappelle tout, l’inrame’ réussite,
L’aube noire du jour monstrueux, et Paris
Pris à la gorge et ’mis à la chaîne, et les cris,
Et les convulsions du peuple qu’on opprime,
Et tous ces affreux chefs, capitaines du crime.
« Vous allez voir comment on meurt pour vingt-cinq francs ! »
Disait Baudin ; les mots de la tombe sont grands.
Cela n’empêche pas un tas de misérables
De crier aux proscrits, aux vaincus mémorables
Par le devoir au fond de l’abîme liés :
— C’est bien fait. Vous étiez comme nous. Vous vouliez
Etre sénateurs, ducs, ambassadeurs, ministres… -

Oh ! que la mer est sombre au pied des rocs sinistres !

20 juillet.

XXII Je suis de ceux qui,[modifier]



Je suis de ceux qui, sûrs du progrès, l’âme ouverte,
Mettent l’ombre à l’essai,
Et, durs navigateurs, vont à la : découverte
Dans ce gouffre, le vrai.

Je vais sondant, pareil au navire qui rôde,
L’immense espoir amer,
Battu de l’onde, en proie aux hydres d’émeraude
De cette sombre mer.

Ces hydres au dos vert, flots vils du gouffre auguste,
Sous Socrate mourant
Hurlaient, et punissaient Thraséa d’être juste
Et Caton d’être grand.

XXIII Tout est bien.[modifier]


Tout est bien. Honte et gloire. On encaisse des sommes.
Le peuple dort ; dormir, c’est abdiquer ; les hommes
Sont ou gisants de force ou courbés de plein gré.
L’empereur brille, d’ombre et de soleil tigré.
Pas un talent ne l’aide ; et c’est là le miracle.
L’histoire n’avait pas encor vu ce spectacle
La complicité bête autour d’un crime noir.
C’est une des beautés de César que d’avoir
Seul de la profondeur dans ses sanglants, caprices,
Et que d’être un mandrin servi par des jocrisses.
Rouher, en lui venant baiser le tibia,
L’inonde de pathos, et Suin de charabia ;
Grandperret, Chaix d’Estange, assassinent la langue ;
Car ils ont dépassé dans le genre harangue
Même l’ancien patois bête des vieilles cours
Leur bouche vile abonde en stupides discours ;
De toute ignominie ils ont les monopoles.
Ô Satan, qui créas les Séjans,- les Walpoles,
Les Dubois, les Rùfins, jamais tu n’accouplas
A d’aussi lâches cœurs des esprits aussi plats !
Mais cette petitesse augmente Bonaparte.
Colosse à Sybaris,- on serait nain à Sparte ;
Si Pygmée- est debout parmi des endormis,
Il domine, et Tom Pouce est grand chez les fourmis.

XXIV Vous êtes riche,[modifier]


Vous êtes riche, heureux, souriant, point austère,
Bien mis ; homme du monde et maître de la terre ;
Vous êtes empereur, et de plus élégant ;
Bourgeois de Suisse, ainsi que fut bourgeois de Gand
Charles-Quint, votre égal, et, sans souci de l’âge,
Vous voyez à vos pieds tout un frais vasselage
De bouches roses, d’airs aimables, de doux yeux,
De bras nus, de seins nus, ne demandant pas mieux ;
Vous êtes cavalier accompli, valseur tendre ;
Quoique j’habite loin de vous, je puis entendre
Les bénédictions, — les voeux, les hosannas
Qu’avec tous les clergés chantent tous les. sénats,
Et dont vous écoutez vaguement l’harmonie ;
Héros si bon vous semble, et, s’il vous plaît, génie,
Clio vous donne au choix le socle et les métaux
Dans tout le bric-à-brac dè ses vieux piédestaux ;
Chez vous tout est rayons, reflets d’or, parfums d’ambre,
Et, chaîne au cou, le code est huissier ’d'antichambre ;
Vous possédez sur terre un coin du firmament,
Et le Louvre, et Compiègne, et Saint-Cloud si charmant
Dans la saison riante où l’hirondelle émigre,
Ô Prince, -, et vous avez des taches comme un tigre.

7 mars.

XXV UN PRÉSIDENT[modifier]


UN PRÉSIDENT


Est-ce ma faute à moi s’il s’appelle Brunet ?

Brunet jadis était un pître. Il rayonnait
Au-dessus des humains à force de bêtise.
Il broutait des couplets comme un bouc le,cytise.
Son camarade était Janot aux bas chinés
Lorgnant un papillon qui tremblait sur son nez.
Ce Brunet-là charmait les foules inquiètes
Rien qu’en laissant tomber une pile d’assiettes ;
Son rire absurde était un baume à tous les maux ;
Il avait de gros yeux et disait de gros mots.
Peut-être était-ce un homme. Il avait- la bassesse
Pour triomphe, et l’affront d’être content sans cesse.
Il fascinait la ville, enchantait les faubourgs,
Frappait sur les lazzi comme sur des tambours,
Et se jetait parmi les rires tête-bêche.
Un éblouissement sortait de ce bobèche.
C’était, sous les clartés du manteau d’arlequin,
Le spectre de la joie en culotte nankin.
Il était le bouffon du peuple ; il était l’hôte
De Tabarin, Molière etant l’hôte de Plaute ;


Son souffle, son accent, son geste, était guetté
Dans la foule, si triste au fond, par. la gaîté ;
Il avait ce grand don, cher aux grecs du Poecile.
L’épanouissement profond de l’imbécile.
Et quand on le voyait pensif, vide et béant,
On croyait voir zéro ricaner du néant.
C’était l’innocent fourbe et le niais cupide.
Son ahurissement faisait Paris stupide.
Ce clown fut sans égal. Ce Brunet gambadait,
Coiffé de la splendide oreille du baudet,
Roulait éperdument ses prunelles éparses,
Cassait des pots, chipait des sous, faisait des farces,
Était grotesque, était inepte, était cocu,
Chantait, et recevait des coups de pied au cul.

Maintenant il attend les soufflets de l’histoire.
Son tréteau paraît noble auprès de son prétoire.
Le Brunet d’à-présent est un juge. Il est noir.
Est-ce le même ? Oui. Non. Pourquoi pas ? On peut voir
Des faits plus surprenants que ces métamorphoses ;
Pasquin et Partarrieu prennent les mêmes poses ;
Parfois dans Rhadamante on sent un galopin ;
Est-ce que Mascarille est fort loin de Dupin ?
Pourquoi voudriez-vous que je m’émerveillasse
Qu’on soit Jeffrye après avoir été Paillasse ?
Quoi qu’il en soit, fût-il le même, un peu moisi,
Ce -Brunet, certes est bien l’homme de ce temps-ci
Où, juge, on vend le code et, prêtre, le ciboire.
Thémis -rend un arrêt et demande un pourboire.
Éaque est domestique-et Minos est agent.
Qu’est ceci ? La justice. Avez-vous de l’argent ?
C’est à vendre. Et ceci ? C’est notre conscience.
Payez-nous-la. C’est tant. — O juges, patience !
La Justice viendra. Jugez en attendant. —
Donc Brunet de farceur est passé président.
Ce comique est tragique. Il décrète, il condamne.
Il règne. Il a toujours le même bonnet d’âne.


Mais ce bonnet rapporte énormément. Faut-il
Punir ? il est auguste. Absoudre ? il est subtil.
Que veut- César ? Brunet obéit. Le salaire
Auquel un juge a droit, puisqu’il juge pour plaire,
Est son but. C’est pourquoi vous irez en prison.
Tel est Brunet. La loi vous prend par trahison.
Cujas est sbire au fond et juge à la surface.
Ne faut-il pas qu’enfin la police se fasse ?
On est Brunet. On rend des sentences : ad. hoc.
Jadis cétait Jocrisse. A présent c’est Vidocq.

19 février 1870.

XXVI À UN ENNEMI INCONSCIENT[modifier]


Désespérér de toi, valet du vestiaire ?
Pourquoi ? Le ciel est grand, Dieu n’a pas de frontière,
Qui sait ? Peut-être, un jour, te sera-t-il donné ’
D’être Saint-Paul, vers l’aube éternelle entraîné ;
Car aujourd’hui féroce, ignorant et stupide,
Tu gardes les manteaux pendant qu’on nous lapide.

1e, juillet 1875.

XXVII Est-ce mon siècle,[modifier]


Est-ce mon siècle, ou bien le vent ? J’ai le frisson.

Du haut de mon rocher, derrière l’horizon,
J’entends confusément. des brouhahas hostiles ;
Et j’écoute ; et, moi-même en butte aux projectiles,
J’examine, rêveur, les insulteurs lointains.

Dans mes vers sur lesquels ont soufflé les destins
J’ai tort de me servir de ce grand mot : la Haine.
Peuple, la calomnie est aujourd’hui sereine.
Et bonne fille ; -on a de nos jours inventé
La diffamation sanglante avec gaîté,
Une espèce de meurtre amusant pour les autres,
L’affront pour rire ; hélas, oui, ces mœurs sont les vôtres,
Et je médite.

On sait qu’on ment, on en convient,
On en joue ; on ne veut qu’un succès, on l’obtient :
Être deux ou trois jours cru par les imbéciles.
L’exil ; l’ombre, le deuil ne sont plus des. asiles ; °
On lapide le crêpe au chapeau d’un proscrit.
Que Jésus soit Jésus, bon ! S’il devient lè Christ,
On le hue. Ah ! faquin ! tu veux être exemplaire !
On ajoute des clous à sa croix, sans colère :
La colère fatigue, on n’en a pas. Pourquoi ?
Faut-il que le menteur dans son mensonge ait foi ?


Cet homme m’est livré. Je demande sa tête,
Suis-je son ennemi pour cela ? Pas si bête.
Je hurle, et crie : A bas ! mort ! il a trop vécu ! -

Être acharné, c’est bien, mais être convaincu
C’est du luxe. On serait donc idiot soi-même.
Et d’ailleurs avoir foi, cela rend triste. On sème
La ciguë et la mort, mais on n’y goûte pas.
On est un bon enfant qui pour vivre est Judas,
Et ne prend pas la chose au sérieux. On tâche
D’être tranquillement et sans nuage un lâche.
Si l’on voyait passer l’homme qu’on va demain
Poignarder par derrière, on lui tendrait la main,
Et l’on se vanterait de ce contact auguste !
John Brown est un héros et Barbès est un juste ;
On l’avoue entre soi ; mais en public on dit :
Barbès est un niais, John Brown est un : bandit.
On l’affirme, et cela n’empêche pas de rire,
Ne pas le croire étant un motif pour le dire.

Çà, vivons, insultons, mais sans nous mettre en frais
D’inimitié, de bile et de fiel. Buvons frais !
Le tigre mord sans faim et Thersite " sans haine.
Les calomniateurs ne prennent pas la peine
D’abhorrer, même un. peu, ceux qu’ils veulent tuer.
La conscience étant bonne à prostituer,
On vend sa plume ainsi que l’on vendrait sa femme.
Cela s’offre, un esprit ; cela. se paie, une âme.
L’affront décolleté, fardé, riant, banal,
Rôde sur ce trottoir qu’on appelle un journal,
Car il est une presse abordable à Javotte12,
Qui, certe, a le droit d’être obscène, étant dévote.
On jette l’eau bénite et la boue au hasard ;
On est indifférent, venimeux et poissard
On injurie à tant la ligne, à tant par tête ;
On dit : Léonidas est vil, Voltaire, est bête,


Tant on se fie, ainsi qu’aux ténèbres d’un bois,
A la stupidité profonde des bourgeois !
Qu’ils seraient furieux, ces gérontes qui bâillent,
S’ils savaient comme ceux qui les servent, les raillent !
S’ils entendaient les gens achetés parler d’eux !
S’ils savaient à quel point par ces moqueurs hideux,
L’épaisseur de leur âme obscure est exploitée !
Tel insulteur bigot est un farceur athée ;
Il est épouvantable et doux, fait son métier,
Rit, et l’encre du diable est dans le bénitier.
Ne rien aimer, ne rien haïr ; être des drôles ;
Comme c’est simple ! avoir un masque, avoir des rôles,
Les prendre, les quitter, être froid, être chaud,
Admirer tout bas ceux qu’on déchire tout haut,
Cela ne fait de mal à personne. On enseigne
Aux badauds qu’un titan sur la montagne saigne,
Mais qu’il le fait exprès ; que Caton sans espoir
N’est qu’un ambitieux ; que le soleil est noir,
Que partout le droit tombe et que la force monte ;
On leur fait épeler l’A B C de la honte ;
On ouvre école ; on montre aux goîtreux l’alphabet
Expliquant le bûcher de Jean Huss, le gibet
De Coligny, la corde au cou de Galilée’ ;
On suspend l’imposture à la voûte étoilée,
Et l’ombre qui descend de là change en baudets
Ceux qui viennent brûler un cierge sous ce dais ;
On leur apprend qu’apprendre est mauvais, que se taire
C’est penser, et qu’un homme est leur propriétaire
S’il se nomme Habsbourg, Bonaparte ou Bourbon ;
Et tout en s’écriant : Comme cela sent bon !
On leur penche le nez sur le fakir fétide ;
On déclare à Prudhomme ébahi qu’Aristide
Fut un gueux, et qu’au fond Turgot est un escroc ;
S’il s’étonne, on lui dit : Tais-toi. Ce serait trop,
O crétin, s’il fallait encor que tu comprisses !
On livre les Brutus au rire des Jocrisses ;
On prouve la bonté du mal, du roi, du fer,


Du feu, de l’échafaud, du bagne et de l’enfer ;
Et l’éducation des gens est reussie
Quand la méchanceté germe dans l’ineptie.
Puis on tend la sébile, et Pluche et Baculard "
Empochent en louchant les gros sous ; et c’est l’art
D’élever les bourgeois pour s’en faire des rentes.
Le songeur voit passer des bouches murmurantes -
Qui vont balbutiant des outrages confus.
On a l’iniquité comme on a le typhus ;
Elle est dans l’air, on l’a respirée ; un maroufle
Quelconque nous a mis sur les lèvres ce souffle ;
Vous dites ce que dit ce rhéteur de l’égout,
Et lui qui ne croit rien, il vous fait croire tout.
Oh ! qui pourra jamais, plongeur mélancolique,
Sonder cet affreux puits, la bêtise publique !

Quel labeur ! constater jusqu’au dernier bourgeois !
Conclure que cet âne est un âne par choix,
Qu’il s’y plaît, et qué c’est son goût d’être une brute !
Voir braire Aliboron que Zoïle recrute " !

XXVIII Venez nous voir dans l’asile


Venez nous voir dans l’asile
Où nôtre nid s’est caché,
Où Chloé suivrait Mnasyle,
Où l’Amour suivrait Psyché.

Si vous aimez la musique,
C’est ici qu’est son plein vol
Mozart n’est qu’un vieux phthisique
A côté du rossignol.

Ici la fleur, le poète,
Et le ciel font des trios.
Ô solos de l’alouette !
Ô tutti des loriots !

Chant du matin, fier, sonore !
L’oiseau vous le chantera.
Depuis six mille ans ", l’aurore
Travaille à cet opéra.,

Venez ; fiers de vos présences,
Les champs, qui sont des jardins,
Auront mille complaisances
Pour vous autres citadins.


Nos rochers valent des marbres ;
Le beau se fera joli
Et le moineau, sous les arbres,
Quoique franc, sera poli.

XXIX EN CONSEIL[modifier]

Mai joyeux, juin frais etendre
Arriveront à propos
Pour que : vous puissiez entendre
La clochette des troupeaux.

Venez, vous verrez les guêtres
Du vieux laboureur normand ;
Les mouches par vos fenêtres
Entréront éperdûmént.

Le soir, sous les vignes vierges,
Vous Verrez Dieu qui nous luit
Allumer les mille cierges
De sa messe de minuit.

Et nous oublierons ces choses
Dont on pleure et dont on rit,
L’homme ingrat, les ans moroses,
L’eau sombre où l’esquif périt,

La fuite de l’espérance,
Les cœurs faux le temps si court,
Et qu’on partage la France
Dans la Gazette d’Augsbourg.

25 juin 1859.


— Toute la question, dit-il, c’est l’ouvrier.
Que Décembre lui soit meilleur que Février,
C’est là ma politique. Écoutez, mes ministres.
Il faut sourire au peuple avec des yeux’ sinistres.
Ainsi l’on règne. Ainsi l’on gouverne. J’entends
Faire adorer leur chaîne ’ aux travailleurs contents.
— Sire, c’est malaisé. — C’est simple. — Comment faire
Pour loger l’ouvrier ? — Je lui bâtis un square.
Il aura sa caserne ainsi que le soldat.
Ils sont frères. — C’est vrai - Leur plaire est mon mandat.
— Mais, sire, l’ouvrier veut manger. Je le gave.
L’engraissement éteint la fierté de l’esclave.
L’ouvrier veut trouver une femme au logis.
— Je le fais marier par Saint-François-Régis.
— L’ouvrier, car il fait, sire, beaucoup de rêves,
Veut être mieux payé - Je lui permets les grèves.
— L’ouvrier veut aller au spectacle - Il aura
Partout le lupanar sous le nom d’opéra.
Je lui prodiguerai des tas de femmes nues.
Je lui montre Astarté planant au fond des nues.
Je lui donne Gorju, Bobêche et Turlupin.
Je l’enchante. — Oui, voilà des cirques et du pain.


Mais du vin ? — Je l’en soûle. à battre la muraille.
— Et s’il veut être libre enfin ? — Je le mitraille.

Ainsi l’on parle, et moi, dans le bouge infamant,
J’entre, et je te regarde, Histoire, fixement.

20 octobre.

XXX Je ne désire pas la mort de Bonaparte[modifier]


Je ne désire pas la mort de Bonaparte.
Quand cette aveugle idée arrivé, je l’écarte.
Je ne suis pas assez dans le secret du sort
Pour me croire le droit de vouloir une mort ;
Mon âme en son cachot n’a pas de meurtrière
Par où laisser tomber une telle prière.
Hommes, je ne hais point, même quand je combats.
Je regarde, pensif, les choses d’ici-bas ;
J’en suis blessé, mais non irrité ; j’y devine
Sous le néant humain l’immensité divine,
Et je laisse Dieu faire, en l’implorant pour tous.
Celui qui, comme moi, sait qu’il faut être doux,
Et que tout à la fin se retrouve et retombe,
Ne jette jamais rien dans l’ombre de la tombe.

10 février 1861.

XXXI L’EMPEREUR À COMPIÈGNE[modifier]



Cet homme est dans les fleurs ; il a, s’il fuit la ville,
Saint-Cloud, Biarritz,
Compiègne, autant d’azur que l’aigle, autant d’idylle
Que Lycoris
Autour de lui les dieux rayonnent dans des marbres ;
Les prés, les blés,
Les champs brillent au- loin, et-les paons sous les arbres
Sont étoilés ;

En voyant ce front vil qu’aucuns remords n’émeuvent,
Cet œil vitreux ;
Que pensent les lauriers ? Qu’est-ce que les lys peuvent
Sé dire entre eux ?

On ne s’explique pas pourquoi le myrte encense
L’homme dé sang,
Et comment à subir une telle présence
Avril consent..


Les bois respectueux ont l’air de dire : sire !
A ce larron ;
Ils ne refusent rien au maître, et s’il désire
Un liseron ;

Un iris, un bleuet candide, une pervenche,
Ils les lui font ;
Est-ce que la nature ignore là revanche,
O ciel profond !

Est-ce qu’il, est permis de se donner pour tâche
Le mal, l’horreur,
D’être un fourbe, un escroc, un gueux, un drôle, un lâche,
Un empereur,

De jeter sur Paris la mort fauve et hagarde,
Le faux serment,
L’effroi, sans que personne ait l’air d’y prendre garde
Au firmament,
Sans qu’un puissant témoin fasse aux étoiles signe
De moins briller,
Au mois de mai d’avoir moins de parfum, au cygne
De s’envoler,

Sans qu’on entende au loin gronder le flot sonore,
Le vent huer,
Et sans qu’on voie autour du coupable l’aurore
Diminuer ;

Sans qu’au nom de l’honneur, de. l’auguste justice,
Des saintes lois,
Et du grand ciel, la ronce indignée avertisse
L’ombr

e des bois,
Et sans que le printemps distingue entre un faussaire,
D’où sont venus
Tous nos pleurs, tous nos maux, tous nos deuils, et Glycère,
Nymphe aux pieds nus !
Il a parfaitement oublié tous ses crimes,
Le sang versé,
Son serment, son honneur, son âme, et les abîmes
Du noir passé ;

Il a saisi le peuple et la loi dans sa serre,
Joué son jeu,
Et fait la quantité de forfaits nécessaire
Pour être un dieu ;

Les bonzes, les cadis, sous leur robe de femme,
Le trouvent grand ;
C’est tout au plus s’il sait combien il est infâme,
Et s’il comprend ;

Il est l’idole informe et vague qu’on encense ;
Ses yeux font peur ;
On devine qu’il est plein de toute-puissance
A sa stupeur ;

Car c’est bien surprenant d’être un tel misérable,
Et que les rois
Soient petits devant vous plus qu’au pied de l’érable
L’herbe des bois.


Ah ! quand un homme a fait tout ce qu’a fait cet homme,
Quand il est là,
Lui qui livra ta Rome, ô Caton, à la Rome
De Loyola,

Lui qui fit faire un pas monstrueux en arrière
A la raison,
Lui que guette la Prusse, espionne et guerrière,
A l’horizon,

Lui qui, mettant un vote imbécile à la place
Des droits trahis,
Règne contre le peuple et par la populace
Sur mon pays,

Lui par qui,. dans un jour de deuil, d’abîme et d’ombre,
Tout se perdit,
Il semble qu’il faudrait un rugissement sombre
Sur ce bandit !

XXXII AMNISTIE[modifier]


Il semble que les champs devraient être lugubres
Et mécontents,
Et qu’il devrait sortir des forêts insalubres
Un faux printemps ;

Eh bien, non ! mai l’accepte et floréal l’accueille,
Et ce pervers
Ne fait pas perdre un nid, une branche, une feuille
Aux buissons verts ’

Et l’entréeeri enfer due à ce, misérable,
C’est ce jardin,
Le lys, l’églantier, l’orme ; et le cèdre et l’érable ;
O lâche éderi !

chez lui.
Jamais par une phis monstrueuse ouverture
Le mal n’a lui.
Le sort est vil de nous toujours,traître et fantasque,
Il s’est jeté ;
Mais jamais jusqu’ici l’on n’avait vu ce masque
Si dénoué.

Et c’est l’étonnement des prophètes moroses ;
De toi, martyr,
De toi, penseur, que tant de crime à tarit de roses
Puisse aboutir.

Il s’assied sous un hêtre ; il murmure J’oublie.
Oubliez. Oublions. — Douce mélancolie ! -
Puis, tendre, il prend sa flûte et soupire : .

Ô proscrits !
Pyrame aima Thisbé. Céphale aima.Procris,
Je vous aime. Accourez. Bannis, je vous appelle.
Amnistie est un mot singulier que j’épelle ;
Je ne sais pas très bien ce qu’il veut dire : Et vous ?
Mais je vous aime. L’ombre est tiède, l’air est doux.
Proscrits, je songe à vous dans ma joie innocente ;
Pour que je sois heureux il faut que je vous sente
Respirer le même air que moi dans les vallons.
Revenez. Je le sais, les jours d’exil sont longs.
Il est temps qu’enfin moi, vous, vos fils, vos compagnes,
Nous allions tous ensemble errer dans les campagnes
Et que nous écoutions sous les mêmes berceaux
Et sous le même ciel le même chant d’oiseaux.
Il est temps que je dise à mon Pinard fidèle
Tiens ! voici le proscrit, et voici l’hirondelle !
Dieu te ramène l’une, et moi l’autre. Exilés,
Prenez la clef des champs dans mon trousseau de clés ;


L’air du pays. natal plaît à l’âme des sages ;
Les champs vous calmeront. Beauté des paysages !
Moi César, devant qui Béhic est à genoux,
Chers bannis, je vous rends la patrie. Aimons-nous.
Revenez. Craignez Nous que mes chiens ne vous mordent ?
Non. Mon sénat est doux. Les cœurs enfin s’accordent,
Et de boucher je suis redevenu berger.
Plus de banni dehors, dedans plus d’étranger,
Je suis français. Amis, j’ai quitté mon écorce ;
Car pour-être français et cesser d’être corse,
Il suffit que l’é manque ou que l’i soit ôté ;
Moi je suis Bonaparte et non Buonaparté.
Conti, l’homme par qui le vrai chez moi pénètre,
Se change en monsieur Conte et Piétri 42 devient piètre.
Donc, nous serons français, vous vivrez sous mes lois.
Accourez dans mes bras. Ainsi les vieux gaulois
Se réconciliaient trinquant sous la tonnelle ;
Le fond du verre était garni de pimprenelle.
Mon âme en sa beauté s’offre à vos yeux. Hélas !
Laissez-vous attendrir, proscrits. Quand Ménélas
Vit le sein nu d’Hélène, il jeta son épée.
Ma molle rêverie est de vous occupée.
Ingrats, vous détournez les yeux de mes appas.
J’ai beaucoup de Parieux, de Fialins, de Maupas,
De juges, de soldats, et de billets de banque ;
Mais proscrits, vous absents, quelque chose me manque.
Je ne sais ce que j’ai, je fuis dans les forêts.
En vain le Moniteur m’arrive, humide et frais,
J’ai beau suivre aux prés. verts la vache aisée à traire,
Et songer au budget ; j’ai beau pour me distraire
Laisser errer mes yeux sur lecrâne poli
Du maréchal Regnault de Saint-Jean-d’Angely ;
En vain je verse Aÿ, Nuits, Sauterne, Alicante
A Rouher qui me fait l’effet d’une bacchante ;
Boudet en vain me suit, poussant de longs abois ;
En vain je vois Troplong sourire au fond des bois ;
En vain tous mes curés sur qui vous vous trompâtes,


Tous mes évêques, gros et gras, joignent leurs pattes,
Et font un hourvari de prières ; en vain.
Romieu le faune, en vain Bacciochi le sylvain
Soufflent éperdûment dans leurs buccins de cuivre ;
En vain Morny, buvant ; aimable, sanglant, ivre,
Sur son char attelé de tigres, passe au fond
Du hallier où Dodone avec Bondy se fond ;
Aux applaudissements des nymphes familières,
En vain, le thyrse en main, ventru, coiffé de lierres,
Baroche énorme et gai vient monté sur Nisard ;
En vain Delangle est bête, en vain Fould est gueusard ;
Je suis triste. Je sens du vague. Chaix-d’Est-Ange
M’ennuie ; et par moments je me-tourne : — Qu’entends-je ?
Est-ce leur pas ? vont-ils revenir, mes bannis ? —
Oh ! revenez ! Avril gazouille dans les nids,
Toutes les fleurs des bois mêlent leurs aromates,
Venez ! pontons, cachots, poucettes, casemates,
Cayenne, Lambessa, j’oublierai.tout. Venez !
Quand même on me mettrait-Fould en fleur sous le nez,
Quand Suin décolleté montrerait ses-épaules,
Quand Glandaz et Leboeuf, pleureurs comme ’deux saules,
Me chanteraient Dunois sur la muse de blé, —
Mon vide, je le sens ne serait pas comblé.
Il me faut mes proscrits, mes proscrits à moi. Certe,
Je suis grand, mais sans vous la patrie ést déserte.
Rentrez. Plus d’exil. Joie et chansons ! Doux émoi !
Vous me contemplerez ayant autour de moi
Boitelle, Martinprey, Forey, Magnan et Magne ;
Ainsi les’ douze pairs entouraient Charlemagne :
Vous verrez mon petit apprendre l’A'B C.
Voyons, finissons-en, liquidons le passé.
Vous étiez endormis ; j’ai surpris, vos vedettes.
Si l’on n’est empereur, comment payer ses dettes ?
Il le fallait Le Louvre exempte de Clichy,
Un parvenu n’est rien s’il n’est un enrichi.
Comprenez. Vous savez, il vous passe une idée.
La Françe était en vie et je l’ai poignardée,


J’en conviens, j’ai commis ce péché véniel,
Avec Canrobert, Korte,Espinasse et Niel.
La République un jour s’éveilla désarmée,
Et me vit souriant, debout, mèche allumée ;
J’ai tiré le canon, puis on s’est tenu coi ;
J’avais peut-être un peu juré je ne sais quoi,
Mais à tous ces vieux faits qu’est-ce qui s’intéresse ?
Ce fut un coup de force avec, un tour d’adresse ;
Je fus Machiavel compliqué d’Auriol ;
Vous étiez la loi, soit, et je fus le viol..
N’en-parlons plus. Je hais les choses éternelles,
Elles sont sans-pitié, l’implacable est en elles.
L’enfer dirait Toujours, mais moi je dis Assez !
Je vous ai mitraillés, traqués, bannis, chassés,
Dispersés, comme un tas de cendre dans l’espace,
Volés, assassinés… - Eh bien, je vous fais grâce !

XXXIII EN PLEIN DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.


ROSALIE DOISE

On voulait condamner cette fille, attendu
Qu’une femme effarée, au regard éperdu,
Dont on voit le col nu que va trancher la hache,
Qui hurle, qu’à la planche effroyable on attache,
Et dont on dit : Voyez, longtemps elle se tut,
Puis parla, cela pose un jeune substitut.
On passe conseiller, président, avant l’âge,
Et l’on finit par faire un très beau mariage,
Et par avoir des champs, des femmes, un château,
En suifant la rainure où glisse le couteau.

Ne jamais gaspiller tant on se sent capable,
Son temps à distinguer l’innocent du coupable,
Ecraser l’accusé que Bergasse étouffait,
N’être point scrupuleux, se montrer si bien fait
Pour l’opprobre qu’on a l’estime de Baroche,
Etre un de ceux à qui la honte dit : approche !
Et qui viennent, — la honte aide à l’avancement, -
Eh quoi ! mais c’est tout simple ! et c’est ainsi, vraiment,


Que le bonnet carré se dore et se galonne,
Que du temple des lois on devient la colonne,
Et qu’on reçoit la croix d’honneur, dans la saison,
Des mains d’un accusé de haute trahison.
C’est pourquoi, lorsqu’on a tout ce qu’il faut pour plaire,
Qu’on est, par la cravate et les gants, exemplaire,
Qu’on sait être au bal jeune et vieux au tribunal,
Quand on est élégant, doctrinaire, banal,
Quand on a ce patois gn’Aulois prend pour du style,
Faire guillotiner une femme est utile.
D’une tête sanglante un juge est couronné.
N’allez-vous pas blâmer un jeune homme bien né,
Qui trouve sous sa main une obscure ouvrière,
Une fille, et qui tient à faire sa carrière,

                 II

De montrer à propos quelque férocité ?
On est un personnage important et compté
Et que le journal’ cite en lettre majuscule,
Quand on a fait lier quelqu’un à la bascule :
Chez le préfet le soir vous prenez votre thé ;
Par les meilleurs salons vous êtes accepté
Voilà ce substitut terriblè qu’on renomme !
Et l’évêque vous dit : -C’est bien. Tonnez, jeune homme !
Ah ! l’herbe de Clamart donne dé beaux profits !
On est celui que montre une mère à son fils,
On fascine, étant presque un acteur sur l’affiche,
Une Agnès de seize ans, fraîche, ingénue et riche,
Qui danse avec vous rit, parle de vos succès,
Et de la femme à qui vous fîtes son procès,
Pendant qu’en son tombeau cette morte farouche
Sent fourmiller les vers de terre dans sa bouche.

Tel est le rêve fait par tous les débutants.
Ainsi songeait le frais Delangle à son printemps ;
Ainsi songeait Troplong alors qu’il était rose ;
Ainsi tout substitut songe en peignant sa prose,


Laubardemont en herbe et Laffemas en fleur ;
Ayant derrière lui la mort ; sombre soufiieur,.
Bellart jeune se dit : Soyons Jeffrye en France !
Et c’est. le front chargé de ce tas d’espérance
Qu’en son riant matin, vers le but qui lui plaît,
Chemine Grandperrette avec.son pot au lait.
Tous veulent une affaire horrible en cour d’assises.
Comme on haranguerait les faces indécises.
Des jurés, par la phrase aux meurtres entraînés !
Car la justice est bête, et par le bout du nez
On conduit où l’on veut Thémis, la vieille aveugle.
On a reçu du ciel l’éloquence qui beugle ;
Si la chancellerie un jour vous remarquait,
Tout serait dit ; d’emblée on arrive au parquet
De. Paris, et l’on est bourreau sous l’œil du prince.

Or ce juge apprenti travaillait en province.

Un matin, calculant l’avenir, fatigué
Des bals de préfecture, et bâillant, et peu gai,
Ce garçon’ s’était dit dans un moment lucide.
— Ah ! ce qu’il me faudrait, c’est un bon parricide ! —
Car en effet, en Grève ; il est beau de pouvoir
Assaisonner la tête avec un. voile noir.
Il chercha. Ce fut toi qu’il trouva, misérable !

Donc on prit cette femme. Il est fort déplorable
Qu’on n’ait plus la torture. A bas Beccaria !
On fit du mieux qu’on put. On mit la paria
Dans un trou, sur un lit de paille, au fond de l’ombre.
Les geôles ont toujours quelque cabanon sombre,
Trop court pour qu’on s’y puisse étendre, trop étroit

Pour qu’on marche, et trop bas pour qu’on s’y tienne droit.
Le captif est là, seul, sous les nœuds qu’on lui forge,
Sous le poing de la nuit qui lui serre la gorge,
Et l’insomnie, en pleurs brûle ses yeux sanglants.
Cela remplace un peu le réchaud de Vouglans,
Le chevalet, l’étau de bronze, la rapière
Lardant le patient sur la tablé de pierre,
Et le bouc qui léchait un homme enduit de miel.
Là, sans point d’apptii, loin des hommes, loin du ciel,
Sentant la voix du juge ainsi qu’une piqûre,
Pendant que chaque jour grossit sa charge obscure,
Le prisonnier se dit : Je ne sais où je vais !

Personne assurément ne peut trouver mauvais
Qu’ayant besoin de faire avouer cette femme,
On l’enterrât vivante en cette crypte infâme.
C’est juste. On s’arrangea de façon qu’elle fût
Sans jour, sans air, avec le geôlier à l’affût,
Guettant ses pleurs, ses cris, sa faim, sa soif, ses rêves ;
L’affreux tourment qui n’a ni relâches ni trêves,
L’étouffement, pesait sur elle. Ne pouvoir
Respirer, et râler dans l’ombre, et ne rien voir !
Ne pas dormir ! Toujours dans l’immonde cellule
Quelque fourmillement effroyable pullule.
Les murs glacés ont l’air d’être vos ennemis.
Oh ! les hideux cachots ! il semble qu’on ait mis
Un morceau de la nuit du tombeau dans ces caves.
Mais si l’on n’avait pas ces geôles, ces entraves,
Ces gênes, tout irait fort mal, et l’accusé
Peu docile, serait à tuer malaisé.
Là du moins il est pris de tout l’on tient registre.
Il descend marche à marche un escalier sinistre ;
Les juges font sur lui de lugubres essais ;
Pâle, il se sent poussé par derrière un procès
Est une pente douce où l’on glisse à la tombe.

Cette fille expirait dans cette catacombe.

C’est sa faute, disait le juge, elle se tait !
Criminelle, avouez ! — Mais elle résistait,
Et refusait d’entrer dans la sombre descente,
La drôlesse, attendu qu’elle était innocente.
Et c’était là sans doute un inconvénient.
Mais le juge ne peut avoir tort : En niant,
On l’irrite. Il ’apprit soudain qu’elle était grosse,
Et dit : Soit. Pour berceau l’enfant aura la fosse.
C’était son droit. Ne point vous ôter un cheveu,
Mais faire ce qu’il faut pour avoir un aveu.
C’est le dernier degré de l’art et de l’étude
D’être tortionnaire avec mansuétude,
Et, sans bruit, sans emprunts au vieux code gaulois,
D’employer l’agonie au triomphe des lois.

La damnée étouffait, et criait : Grâce ! grâce !
Le juge lui disait - Que veux-tu que j’y fasse ?
Avoue ! — Elle pleurait. — De l’air ! je meurs ! — Tu n’as
Qu’à parler, et d’un mot tu romps ce cadenas.
Ta prison deviendra très douce. Vois, décide. °
Tu n’as qu’à t’avouer simplement parricide.
— Non ! — Je te rendrai l’air et le jour. Tu pourras
Avoir des fleurs, avoir un lit, avoir des draps ;
Sortir dans le préau si cela te contente ;
Tu redeviendras fraîche et grasse et bien portante ;
Tu seras bien logée et bien nourrie ; il faut,
Femme, si tu veux vivre, accepter l’échafaud.

Et ce raisonnement touchait peu cette folle.
Force à la loi. Tout autre axiome est frivole.
Quoi, tant d’hommes savants, quoi, Treilhard, Portalis,
Quoi, Tronchet qui plaida devant les fleurs de lys,
Séguier, Berlier, auront dépensé des semaines
A souder la loi gothe avec les lois romaines ;
Bigot-Préameneu, payé par le budget,
Aura consulté Mourre et consulté Target.


Ils auront fait un çode étonnant, et ces maîtres,
Ces clercs, sachant par cœur le droit de nos ancêtres,
Cas simples, cas royaux ; chefs-plaids et francs-alleux,
Auront perdu leur temps ! Ce serait scandaleux,
Certe ; et puis à la fin l’amour-propre s’en mêle..
Quoi ! la loi fléchirait devant cette femelle !
Un jeune magistrat, voyons, peut-il lâcher ’
Une femme qu’il est allé très loin chercher ;
Qui peut-être, après tout, quoique fort obstinée, —
Est à peu près coupable, et qui guillotinée ;
Fera parler de lui chez le garde des séeaux !
Cette fille est d’ailleurs sans mœurs. Les noirs ciseaux
Sont au greffe, et bientôt mordront sa chevelure.
Il criait : Parricide ! avoue. Il faut conclure ! —
Elle disait : — Jamais. — L’innocence est de fer.
On dut la murer presque au fond de cet enfer.

Dans son sein cependant le pauvre petit être,
L’ange obscur, avait l’air de ne vouloir plus naître,
Et, sans savoir nos lois, nos jougs, notre secret,
Ni ce que lui faisait la justice, il mourait.
Elle en tremblait du moins. Prise entre ces murailles,
Elle épiait cette âme éclose en ses entrailles,
Elle en craignait la fuite, et dans son flanc muet
Il lui semblait parfois que. rien ne remuait ;
Si bien qu’un jour, vaincue enfin, découragée,
Stupide, cette mère et cette naufragée,
Sans espoir, n’ayant plus que le choix de l’écueil,
Sentant son ventre, hélas ! devenir un cercueil,
Et le doux innocent périr dans ce repaire,
Pour sauver son enfant, dit : — J’ai.tué mon père !

22 novembre.

XXXIV APPROBATION DES PRÊTRES


C’était dans un sépulcre, ou bien quartier Bréda.

J’y vis un monstre, et lui, lascif, me regarda,
Et dit, me souriant d’un vil sourire oblique :
— Je m’appelle Succès, je suis fille publique ;
Je cogne à mon carreau, Mastaï m’aperçoit,
Et monte.
Oui, le succès ; le succès, quel qu’il soit,
Est une gorge nue à laquelle aucun prêtre
Ne résiste, et l’on vient baiser la bouche traître.
De tous les crimes, fiers de leur flagrant délit,
Et l’on fait sa prière en couchant dans leur lit.
Rien n’égale. l’amour que chez Tartuffe excite
Une action mauvaise en pleine réussite.
C’est un massacre ? Soit. Un parricide ? Après ?
Les sophismes, trempés d’eau bénite, sont prêts.
L’Audace heureuse est là. Devant cette sultane,
Le dogme déboutonne en riant sa soutane,
Le sermon s’attendrit, le syllabus en rut
Refait les gros soupirs de Booz avec Ruth.
Rome lèche vos pieds si vous gagnez le quine.
Le pape est le galant, la chance est la coquine ;


Elle attire, on la suit dans ses obscurs chemins,
Et le fard sur le front cache le sang aux mains.
Qui fraude est orthodoxe et qui ment est biblique.
Quand ce maroufle impur brisa la République,
Le jour où l’oncle fut calqué par le neveu,
Les juges, qui s’étaient mis à juger un peu
Bonaparte ; risquant sa hideuse gageure,
Ébauchaient vaguement du côté du parjure
Un agenouillement pendant qu’il triomphait.
Ce voleur a tué ce passant. C’est bien fait.
Le chêne par le coin félon s’est laissé fendre,
Tant pis pour lui. Tu meurs ? il fallait te défendre.
Qui t’égorge a raison. Paix ! meurs. La papauté
Est un faux poids toujours aux succès ajouté.
La Papauté pour frère a le Glaive. Elle ouate
Avec des trahisons sa douillette béate,
Cherche avant tout l’utile, et grossit d’un fardeau
D’attentats, d’infamie et d’horreur, son credo.
Elle aime Octave immonde, absout Clovis Sicambre,
Sacre un Dix-huit-Brumaire et lave un Deux-Décembre.
La justice, le droit chassé par les tyrans,
L’honneur et la vertu, lui sont indifférents,
N’ayant rien de solide et rien de saisissable,
Autant qu’au sphinx camard les tourbillons de sable
Roulés sous le ciel noir par le vent libyen.
Charles-Neuf tue. Amen. Sylla proscrit. C’est bien.
Le poignard est divin ; la hache est innocente.
Pas un forfait à qui l’église ne présente
Pour s’essuyer les mains, la nappe de l’autel.

L’église est pour Gessler contre Guillaume Tell,
Pour Rossa contre Huss, pour Cauchon contre Jeanne.
Elle offre à Trestaillon la colonne Trajane.
Elle est l’auberge entrez si vous pouvez payer ;
Le Te Deum sera compris dans le loyer.
Mandrin est un sauveur, Cartouche est un messie ;
Qui réussit est pur. Payez. Rome associe

A l’acceptation des forfaits l’Éternel.
Monter est vertueux, tomber est criminel.
O terreur ! elle fait bénir la perfidie,
L’affreux plan qu’un faussaire à loisir étudie,
Le bagne ouvert aux bons, les gueux mis au sénat,
Tous les viols, le fer, le feu, l’assassinat,
César et ses complots, l’araignée et ses toiles,
Par cette grande main sombre et pleine d’étoiles,
Sans même regarder un moment le ciel bleu,
Et sans se demander si c’est possible à Dieu !

25 février 1870.

XXXV QU’ÊTES-VOUS ? — TU LE VOIS…[modifier]


— Qu’êtes-vous ? — Tu le vois à notre robe. — Quoi ?
Les prêtres de Dieu ? -Non, les prêtres de la loi.
— De quelle loi ? Du maître. — Et qu’est le maître ? — Un homme.
On l’appelle empereur ici, césar à Rome.
Il est aigle de droit et de race’ vautour.’
Celui-ci fut jadis un criminel. Un jour
Il fit un serment, puis il s’embusqua derrière,
Puis, comme les voleurs la nuit dans la clairière,
Il sortit `brusquement, de sa cachette, et : prit’
A la gorge l’honneur, la probité, l’esprit,
La gloire, la vertu, la pudeur, la patrie,
Et les tua. D’abord, voyant la loi meurtrie,
Nous fîmes préparer la corde et le, gibet, `
Comptant bien. l’étrangler tout pet, s’il succombait.
Mais il a réussi, la rudesse est un vice,
Et chez lui maintenant nous sommes en service ;
A qui nous souffleta notre respect est dû ;
Il sied qu’il soit sacré, puisqu’il n’est. pas pendu ;
Nous faisons à présent pendre en son- nom les autres ;
Nous sommes les appuis de l’état, les apôtres
De l’ordre, et nous lavons les pieds du maître,.emploi
Utile, et le meilleur que puisse avoir- la loi ;
La clarté de cet homme éclaire notre livre ;
Car il est naturel et simple qu’on lui livre


La conscience humaine et le code et Jésus,
Puisque c’est lui qui paie et qu’il a le dessus.
— Qu’est-ce que vous rendez, là, dans cette bâtisse,
Par la bouche. ? — Cela s’appelle la justice.

Lorraine-Altwies, 27 août [1871].

XXXVI Pour le prêtre il est saint[modifier]


Pour le prêtre il est saint, pour le juge il est juste ;
Il a raison ;
Nul ne résiste ; il est sacré, suprême, auguste,
Par trahison.

C’est de vin et de sang que sa lèvre est rougie.
Lourd prisonnier
De cette double ivresse, il complète l’orgie
Par le charnier.

Il a tout ; les sénats lui prodiguent leur âme
Et leur fierté,
L’évêque en chape d’or la prière, et la femme
La nudité.

Devant lui la vertu frémit, l’honneur émigre ;
Pâle Psyché,
L’âme humaine voudrait s’enfuir ; et par le tigre
Il est léché.

Il a par un viol possédé la victoire,
Il est prudent,
Mais guerroyeur ; il compte arriver à la gloire,
Bazaine aidant.


Les peuples sur leur tête ont cette splendeur noire ;
Il est debout ;
César, majesté, prince,, empereur, dans l’histoire,
Et dans l’égout.

Le monde, ainsi qu’au temps de Claude et de Comnène,
Est la béant,
Contemplant ce pygée énorme, grandeur naine,
Hautain néant :

Il est le sphinx du trône ; il a pour toute règle
Le crime heureux ;
Il habite un fond d’ombre ; il est seul comme l’aigle
Et le lépreux.

Il a l’armée, il a l’église ; il est superbe,
Blême, ébloui ;
Et tous les crimes sont épanouis en gerbe
Autour de lui.

Il règne, il a la joie obscure de Tibère ;
Il est content ;
Et pendant ce temps-là,’ le destin délibère,
Et l’ombre attend ;

Et, sœur de Némésis, l’implacable logique
Au front serein,
Assise à son fourneau, chauffe à son feu tragique
Le vers d’airain.

26 novembre.

XXXVII POUR L’ÉCRIVAIN VÉNAL…[modifier]


Pour l’écrivain vénal il est un dur moment.
Après avoir tiré de son encre qui ment
Tout ce qu’elle contient de noirceur et de bave,
Après avoir été l’affreuse plume esclave,
Après avoir haï pour le compte d’autrui,
Soudain cet homme un jour sent que, venant de lui,
L’injure est un éloge et la louange un blâme,
Et qu’il ne peut plus nuire à force d’être infame.
Quand il est démontré, prouvé, public, patent
Qu’on a livré son âme èt qu’on a reçu tant,
Qu’on est prostitué par brevet authentique,
Qu’au trottoir du chantage. on a tenu boutique,
Qu’on s’est fait insulteur, moyennant un loyer,
Qu’on est allé chez ceux. qui peuvent bien payer
Vendre de l’imposture et de la calomnie,
Qu’on a, pour de l’argént, outragé le génie,
La probité, le droit, le courage, l’honneur,
On est mieux ’qu’assassin, on est émpoisonneur ;
On est moins qu’un bandit des bois, on est un drôle ;

L’or aux mains flétrit plus que lè fer sur l’épaule.

Altwies, 18 septembre [1871].

</pre<
== XXXVIII Qu’il vienne des coquins==
<poem>


Qu’il vienne des coquins sur la honte qu’on sème ;
Qu’à propos de Monsieur Bonaparte troisième,
Morlot cite Hildebrand, Troplong Justinien ;
Qu’en ce gouvernement napoléonien
Le grand Napoléon soit pris, qu’on rende Hercule
Grotesque, Achille farce et Nemrod ridicule ;
Qu’on fasse du clinquant, du faux, des oripeaux,
Avec les,grands exploits, avec les grands drapeaux,
Avec les saints chevrons des brigands de la Loire " ;
Que cet empire, utile aux banques, ait pour gloire
De n’avoir point d’Eylau, d’Essling ni d’Austerlitz ;
Qu’on soit des enrichis contents d’être avilis,
Que le public opprobre à la Bourse se cote ;
Que l’aigle se marie avec une cocotte ;
Soit. Que m’importe à moi ! j’ai l’immense dédain ;
Je regarde pousser les fleurs de mon jardin,
La mer chante, et je vois naître l’aube candide ;
D’Austerlitz éclipsé le soleil sort splendide ;
Et si César décroît, les bois me sont témoins
Que le doux mois d’avril n’a pas un nid de moins.

XXXIX Vous le trouvez bon.[modifier]


Vous le trouvez bon. Soit. Moi je suis triste. Hélas !
Je pleure ; et je finis, sinistre, accablé, las,
Dans ce deuil où je sens tant d’angoisse m’étreindre,
Par n’avoir qu’un besoin immense de tout plaindre ;
Tout, même ce vieillard, ô ciel noir, surtout lui !
Je songe à sa pauvre âme, où jamais rien n’a lui
Qu’une fausse clarté cachant la lueur vraie ;
Le crépuscule est-il la faute de l’orfraie ?
Hélas ! ces malheureux grands-prêtres sont plongés
Sous un tel flot de nuit, d’ombre et de préjugés !
D’Aod à Samuel, de Joad à Caïphe,
Toujours le dogme a fait chanceler le pontife ;
Toujours dans cette coupe, hélas, l’homme hébété
A -bu l’erreur croyant boire la vérité.
Il a ce livre, Dieu mais il ne sait pas lire.

Ah ! j’ai beau m’indigner, je ne puis pas maudire.

XL JE-SERAIS TRÈS CONTENT..[modifier]


Je serais très content si j’étais Bonaparte
Qu’on me prouvât que nul n’a combattu pour Sparte,
Qu’Aristide est un mot, que Tell est inventé,
Que Spartacus fait rire, et qu’un doute est resté
Sur Thrasybule en Grèce et sur Brutus dans Rome.
Je trouverais utile et bon, si j’étais l’homme
Qui sur la France morte à cette heure est debout,
Qu’en sortant de souper avec monsieur About
Chez madame Mathilde, un beau soir, monsieur Taine
Démontrât de façon triomphante et certaine
Que personne ne peut faire ni bien ni mal,
Qu’un gueux, comme un héros, est un produit normal,
Que tout est de la fange étant de la matière,
Que le juste et l’injuste au même cimetière
Mêlent tranquillement leur phosphate de chaux,
Que Tibère à Caprée et Huss dans les cachots
Sont égaux et n’ayant d’âme ni l’un ni l’autre,
Sont le néant despote et le néant apôtre ;
Car tout se vaut devant le rien universel.
La vertu c’est du sucre, et le crime est du sel 56
On secrète, sans but, et pour se mettre à l’aise,
Une bonne action, ainsi qu’une mauvaise
De la même manière, et l’homme est un ruisseau
Où le serpent vient boire aussi bien que l’oiseau.
Le louer, le blâmer, pourquoi ? Louez-vous l’onde
Qu’un cygne fait charmante et qu’un ver fait immonde ?

XLI APRÈS SEIZE ANS[modifier]


I

L’empire est un succès. Quel beau commencement !
Paris vaut une messe et coûte un faux serment ;
Ce n’est pas cher. Seize ans de gloire ! une jonchée
De lauriers et de fleurs, et l’histoire est trichée.
Tant pis pour elle. Hurrah. ! plus d’émeute à Roubaix.
Le sultan à la France offre huit chevaux bais ;
On en attellera le carrosse du sacre.
Nul revenant ne vient rabâcher le massacre ;
Les morts du Deux-Décembre ont le sommeil profond.
Les institutions de bienfaisance vont,
Et Saint-François-Régis sourit dans l’atmosphère.
Le crédit mobilier est une bonne affaire
Pour les Pereire ; et Fould, quoique mort, est vivant
Dans tout ce qu’on achète et dans tout ce qu’on vend,
Compris la conscience, é’t dans les phénomènes,
De l’enregistrement, du’ timbre et des domaines.
L’emprunt met une pièce aux déficits. Fort-bien.
Le vieux Paris, Sauvai, Du Breul, Félibien,
Se sauvent effarés devant Haussmann qui pioche.
Au bambino du ciél l’empire offre son mioche 58 ;
Le pape, doux parrain, donne un récépissé.
Le droit est un vieux mot, peu su, mal prononcé


La justice est un pont qu’on passe avec péage ;
Quand les Commùniqués pleuvent, c’est un nuage
De vérités qui crève, et, nôn sans quelque ennui,
Le journal se secoue, arrosé malgré lui ;
L’honneur, qui pour bien vivre a plus d’une recette,
Est un fils que Tartuffe eut jadis de Macette
Quant à la probité, c’est une bague au doigt ;
Ayez cet ornement, si bon vous semble. On voit
Le temps qu’il fait au juge ainsi qu’au baromètre.
Tout ce qu’un crime ’peut au bon ordre promettre,
L’empire l’a tenu. Le peuple est au repos ;
Les’Turennes manquant, on a des chassepots ;
Tout rit. L’esprit humain est las ; l’armée.est.forte.

 II

Lui, règne.
,Mais Dieu dit : Le châtiment m’importe.
Nous l’aurons.

Vous l’avez. -Que vous faut-il de plus ?
Quoi donc ! ne voit-on pas commencer le reflux ?
Hier triste, Aujourd’hui lugubre, et Demain pire.
Derrière ce châssis mal peint qu’on nomme empire,
Les ténèbres ; un puits d’ignorance, un cachot
D’opprobre, en bas la faim, la banqueroute en haut,
Paphos pourrie offerte à ceux qui rêvaient Sparte,
Deuil, cendre, et tout au fond l’accusé Bonaparte ;
Si Won tâche de voir un peu l’autre côté
Du triomphe, et l’envers de la prospérité,
On aperçoit cela. Que vous faut-il encore ?
Le hibou ne croasse et Troplong ne pérore
Que la nuit. La nuit sourde est leur milieu joyeux.
Donc il fait nuit. Voyez la lueur de leurs yeux.
Sans doute on parle fort dans-les régions hautes
Des succès qu’on remporte, ici, là, sur ces côtes,


Dans ce désert, là-bas, en Cochinchine, ailleurs,
Partout ; on a de quoi se railler des railleurs,
On -est vêtu de pourpre, et l’historiographe
Du manteau de César pourra dorer l’agrafe.
Bien. Soit. — Tournez la page et voyez le verso..
Le sépulcre est déjà visible en ce berceau.

Nous eûmes du bonheur au jeu ; mais notre caisse
A des fêlures, fuit, penche, et son niveau baisse
Comme une eau qui se vide en d’obscurs entonnoirs ;
L’azur du Livre Bleu se pique de points noirs ;
Sadowa nous surprend, Luxembourg nous échappe ;
Que faire ? s’incliner. La Providence frappe.
La main est divine. Oui. Le soufflet est prussien.
Notre pape in petto, le petit Lucien,
A tout l’air d’un fruit sec. Du Vulturne à la Sprée,
Toute la monarchie en masse est délabrée.
Czars mal portants, sultans malades, archiducs
Peu chanceux, pape aveugle et sanglant, rois caducs.
Est-ce que ces voleurs de peuples, ces gueux princes,
Ces. grecs du trône, entr’eux s’escroquant des provinces,
N’entendent point craquer sous leurs pas le plancher ?
Mané Thécel Pharès commence à s’ébaucher.
Couza fuit, François fuit, Maximilien,tombe.
Le trône est une trappe ouverte sur la tombe..
Le dur Mexique lutte armé du talion,
Car la louve espagnole allaita ce lion,
Et sa liberté fauve ignore la clémence ;
Dans cette ombre, hélas, erre une femme en démence ;
Les contre-coups lointains deviennent sérieux
Et, dans on ne sait quel brouillard mystérieux
Où pleure Hécube, ou rit Cassandre, où rôde Électre,
L’empereur assassin songe à l’empereur spectre.
Il décline par où naguère il triomphait.
Que de revers ! . Comptez. Qu’est-ce que, son forfait ?
Un cachot sur nos fronts ; sous ses pieds un abîme.
Il sent se lézarder sinistrement son crime.,


N’est-ce, pas assez ?

III

Tout. Les tyrans à bas et les hommes debout.
Tout. La fin. Ce qu’il faut à notre âpre insomnie,
C’est la captivité du genre humain finie,
C’est le souffle orageux des clairons, c’est l’écho
Des trompettes jetant à terre Jéricho,
C’est le débordement des Tibres et des Rhônes,
C’est l’écroulement vaste et farouche des trônes,
C’est leur dernière armée en fuite à l’horizon !
Ce qu’il nous faut, c’est l’âme écrasant sa prison,
C’est le peuple arrachant sa chaîne avec furie,
C’est l’Amour criant : Guerre ! et la sainte Patrie
Criant : Peuples, j’abdique, et suis l’Humanité !
C’est la Paix disant : Passe avant moi, Liberté !
C’est en nos cœurs gonflés la colère profonde,
C’est l’épée en nos mains pour délivrer le monde,
C’est l’imbécile amas des rois séditieux
A nos pieds, et l’aurore immense dans les cieux !

H. H. 2 décembre 1867.

XLII BAUDIN[modifier]


La barricade était livide dans l’aurore,
Et, comme j’arrivais ; elle fumait encore ;
Que voulez-vous. donc ?
— Tout.

Rey me serra la main et dit : Baudin est mort.

Il semblait calme et doux comme un enfant qui dort ;
Ses yeux étaient fermés, ses bras pendaient, sa bouche
Souriait d’un sourire héroïque et farouche ;
Ceux qui l’environnaient l’emportèrent.

Et tous,
Depuis ce jour, l’exil s’étant fermé sur nous,
Nous songeons à celui qui mourut, et dont l’âme
Luit sur Paris ainsi que dans l’ombre une flamme,
Et nous disons : Hélas ! c’est toi qui fus* choisi !

Ô toi qui dors là-bas, nous qui saignons ici,
Nous t’envions. Heureux ceux que reprend la tombe !
Celui qui reste droit devant celui qui tombe
Médite, car tous deux sont, en dépit du sort,
Debout, l’un dans la vie et l’autre dans la mort.


Mais dans ce monde où passe et repasse sans cesse
Une inondation de honte et de bassesse,
Où tant d’hommes, plus vains que les mouches d’été,
Vendant leur avenir au présent effronté,
Pour-avoir plus d’orgie acceptent plus d’abîme,
Et chantent, joyeux d’être abjects, ô ciel ’sublime,
Ciel noir ! comment ne pas envier la faveur
D’une balle qui vient frapper un front rêveur !
Comment ne pas frémir devant la suite obscure
Des crimes de Néron vivant comme Epicure,
Ne s’inquiétant pas de ce que produiront
Ses forfaits, ses plaisirs, sa joie et notre affront,
Faisant avec Dieu sombre une folle gageure,.
Et vil, petit, terrible, avec son noir parjure,
Ses fraudes, son succès, sa fange, affreux ciment,
Bâtissant on ne sait quel vaste écroulement !
Comment ne pas aimer la caresse subite
De la mort, spectre auguste avec qui l’âme habite,
Et qui vous ouvre une ombre étoilée où tout luit !
La mort, c’est le matin, et l’exil, c’est la nuit.
Quand tombent les hérauts du progrès populaire,
Quand une main d’en haut, dans un jour de colère,
Leur ôte brusquement des lèvres le clairon,
Quand Botzaris périt, quand expire Byron,
Quand les quatre sergents de la Rochelle meurent,
On entend le sanglot des nations qui pleurent ;
Les peuples sous ces deuils se courbent accablés
Et tristes, comme après un orage les blés.
Ces martyrs sont sacrés, et sur toutes les lèvres
Leurs noms volent, donnant aux cœurs les saintes fièvres ;
Ils sont l’exemple, ils sont l’honneur, ils sont l’espoir ;
Même quand tout s’éclipse on croit encor les voir ;
Leur œil fixe soutient ceux qui jamais ne cèdent ;
Ils font songer l’enfant- qui s’élève, ils l’obsèdent
Du superbe besoin de leur être pareils ;
Et quand la Liberté, dorant les cieux vermeils,


Reparaît, et revient sur les cimes éclore,
Leurs grands fantômes sont mêlés à cette aurore.
Mourir, c’est vaincre. Un mort brille, éclaire et conduit.

Dans les temps ténébreux où tout s’écroule et fuit,
Quand un assassin fait balbutier l’histoire,
Quand le crime finit par avoir de la gloire,
Et qu’il ôte son masque inutile à garder,
Estimant que sa honte est bonne à regarder ;
Quand, lâche, et subissant cette infâme bravade,
La conscience, ainsi qu’un voleur qui s’évade,
Retient son souffle, rampe et tremble ; quand les fronts
N’ont presque plus de forme à cause des affronts,
Il est bon de sentir dans l’ombre la présence
De la mystérieuse et sévère innocence
Qui vit dans les tombeaux et que les morts ont seuls,
Et de voir dans la nuit la blancheur des linceuls.
Ce qu’on appelle une ombre est une âme rentrée
Dans. l’azur, mais restée au fond de l’empyrée,
Et qui parle à voix ’basse au peuple humilié.

Ah ! les morts sont présents ! L’absent, c’est l’oublié.
L’absent, c’est le proscrit.

Que fait donc la patrie ?
Se dit-il. Un bandit la tient, elle est flétrie,
Elle est vendue, elle est esclave, sans appui,
Sans gloire ; et l’on entend quelqu’un rire, c’est lui,
Et c’est elle.

Eh bien, soit. On est proscrit, on pense,
On saigne, avec l’oubli railleur pour récompense ;
Tout est bien. Voulait-on autre chose ? En avant !
Vers quoi ? vers le tombeau, vers la nuit, vers le vent,
Vers l’orage et l’écueil. Pourquoi pas ? Rome ! Auguste
Sort d’Octave, et le vrai devient faux, et l’injuste
En perspective avec le juste se confond ;

Tais-toi, proscrit.

On sent de l’ironie au fond
Du murmure des flots comme du bruit des hommes.
Dans cette brume où tous pêle-mêle nous sommes
On jette sa pensée, inutile semeur ;
L’insulte est par moments distincte en la rumeur
Que fait autour de vous la vie universelle’ ;
On rêve ; l’océan,.plus grand que vous, chancelle ;
On est chez l’étranger qui, froid, libre et jaloux,
Aime chez lui le droit et le tyran chez vous’ ;
On regarde l’anglais admirer Bonaparte ;
On voit cette Carthage où brille un peu ’de Sparte,
Londre, à quiconque opprime autrui tendre la main.
On marche seul, on suit à pas lents son chemin
Dans ce désert, la foule… - O nostalgie amère ! —
On passe regardé de travers, comme Homère.

15 juillet.

XLIII CET ÊTRE EST SI PETIT..[modifier]


Cet être est si petit qu’il est presque invisible. .
Il a pour fonction’ d’être insecte et nuisible ;
Et, rôdant et glissant dans la nuit de Paris,
Punaise, de piquer le sommeil des proscrits.’
Il est sorti, de là sa senteur ordinaire,
De ce vieux bois de lit appelé séminaire
Où Basile offre à ceux qui veulent sommeiller
Un grabat dont Tartuffe a fourni l’oreiller.
Impur bi-frons, il est jésuite, il est laïque ;
Il arrange avec art l’ouvrage en mosaïque,
Lourd, mais bariolé, stupide, mais faquin,
Et l’on croit voir Prud’homme en habit d’Arlequin.
Il est critique ; il a son tarif et sa taxe,
Et d’autant plus d’aplomb qu’il a moins de syntaxe ;
Il insulté à l’honneur, au devoir accompli ;
Calomnier est simple et ne fait pas un pli ;
C’est ainsi que sans foi, sans probité, sans style,
Et sans talent, on est un misérable utile.
Les pouvoirs forts se font aider, témoin Sylla ;
Et leur luxe est d’avoir de ces vermines-là.
Il n’a qu’un dard ; les seuls vrais monstres ont des griffes.
Fausses lettres, anas tronqués, mots apocryphes,
Tels sont ses trucs, jeux vils où Fréron se souillait,
Et que contre Voltaire inventa Patouillet 62.
Il met sa lâche injure au service du prince.
Il échappe au talon. vengeur, tant il est mince.


La platitude peut braver l’écrasement.
Il a l’infecte odeur de la bouche qui ment. ..
Tel qui naît chiffonnier finit par être scribe.
Il porte sur son dos sa hotte à diatribe.
Il la charge, il l’emplit ; c’est vide et c’est complet.
Il rampe. Il est si bas que c’est en haut qu’il plaît.
Quel est son nom ? Cherchez. Vous trouverez peut-être.
C’est la moitié d’un cuistre et c’est le quart d’un prêtre.
L’autre quart, c’est une ombre, un doute, un gueux flétri
Qu’eût dédaigné Vidocq, mais qu’estime Piétri.

12 octobre 1869.

XLIV Toi qui derrière moi[modifier]


Toi qui derrière moi vantes la guillotine,
Toi qui baves et qui, dans ta rage crétine,
Dénonces le penseur comme on dénonce un roi,
Hurle et grince des dents, je n’ai pas peur de toi,
Ni de l’ongle allongé, ni de l’œil qui menace,
Ni de ton faux système imbécile et tenace
Qui contre le bon sens entre en rébellion,
Car je te sens chacal et je me sens lion.

XLV LESURQUES[modifier]


La Chambre criminelle de la Cour de cassation…
Déclare la révision du procès Lesurques non recevable.

(Arrêt du 17 décembre 1868.)

I

Et c’est ainsi qu’un tas d’hommes à jupe rouge,
Plus vils dans leur sénat qu’un forçat dans son bouge,
Prêtres hideux du temple indigné de la loi,
Plats sous la république et rampants Sous le roi,
Culs-de-jatte du droit dont la griffe est impure,
Et dont la conscience incurable suppure,
C’est ainsi que d’abjects et cyniques robins,
Jésuites que d’un signe on ferait jacobins,
Tout prêts à se tailler des bonnets dans leurs toges,
Profils féroces, comme on en voit dans les loges
Du jardin bestial d’Anvers, et dans l’horreur
Des bois où le loup rôde et tient lieu d’empereur,
C’est ainsi que Monsieur Troplong, monsieur Delangle,
Cuistres, de Guillotin adorant le triangle,
Lourds magots variant leurs poses de sommeils,
Poussahs de la justice et de l’ennui, parei

ls
Aux mandarins dormant sur les coussins des jonques ;
Dupins, Crispins, Scapins, Chaix d’Est-Anges quelconques,
C’est ainsi que ces gens qui disent : nous jugeons !
Durs comme le granit, souples comme les joncs,
Valetaille à genoux sous le plat de l’épée,
Ont fait rouvrir les yeux à la tête coupée !

Elle était dans le fond de la tombe, elle avait
Les pierres de la fosse infâme pour chevet ;
Autour d’elle gisaient, muets sous l’herbe haute,
Tous les sinistres morts qui dorment côte à côte
Dans ce fatal Clamart dont les cercueils sont courts " ;
Sans haleine, sans voix, morte, attendant toujours,
Elle était là, pensive à cause des ténèbres ;
Ses yeux fermés, le sang collant leurs cils funèbres,
Semblaient faire un refus farouche au firmament,
Et vouloir regarder l’ombre éternellement.
L’âme espère au tombeau n’être point poursuivie.
Mais un bruit est venu du côté de la vie,
Et la tête coupée a remué, son œil.
Plein d’un feu sombre, a fait le jour dans le cercueil,
Et morne, a regardé les hommes, chose affreuse !

Et la nature, mère énorme et douloureuse,
Hélas ! s’est efforcée alors de l’apaiser ;
Les moineaux ont couru près d’elle se poser,
Et la mouche, apportant la pitié de l’atome ;
La rosée a lavé sa pâleur ; divin baume,
La fleur l’a-parfumée, et.l’herbe.qui verdit
L’a doucement baisée,. et les corbeaux ont dit
— N’écoute pas le noir croassement des juges !

Et dans ce moment-là ; cyprès, tombeaux, refuges,
Ossements, ossements, vous l’avez entendu.
Et toi, ciel étoilé, gouffre où rien n’est perdu,


Cette tête, du, fond de la fosse maudite,
A crié ; dans l’horreur sacrée où Dieu médite.
— Ils ont trouvé moyen de. reboire mon sang,
Dieu juste, et de tuer deux fois un innocent !

14 décembre.


II
«… Si l’on eût réhabilité Lesurques,
il eût fallu restituer à sa famille ses biens
confisqués, capital et intérêts, depuis
plus de soixante ans, ce qui, dit-on,
dépasserait deux millions. Cette impor-
tante considération a dû gravement
influer sur l’arrêt de la cour. »
(Tous les journaux. Décembre 1868.)

Deux millions, voilà l’obstacle.
Si c’était
Pour qu’en son salon rose où chante Colletet,
L’impératrice puisse inviter à Compiègne
Grandguillot, Grandperret, tous les grands de ce règne ;
Si c’était pour gaver de truffes les Bourbeaux,
Pour offrir à Pinard des fêtes aux flambeaux,
Pour faire aux Nélatons quitter leurs clientèles ;
Ou pour couvrir de fleurs, de bijoux, de dentelles
Les femmes de la cour aux charmes ingénus,
Essaim de nymphes, tas de belles aux bras nus,
Riant, montrant l’aisselle et laissant voir la pointe
Du sein par l’hiatus d’une gaze peu jointe ;
Si c’était pour offrir des chiens au grand veneur ;
Si c’était pour dorer, l’or rehaussant l’honneur,
Palikao, Failly, Leboeuf, Martinprey, Korte,
Tous les épouvantails moustachus de l’escorte ;
Si c’était pour aider Rome à faire la nuit ;
Si c’était pour aller au Mexique, à grand brui

t,
Tambour battant, avec une nuée altière
D’étendards déployés, fonder un cimetière ;
Si c’était pour forger des. chassepots meilleurs,
Si c’était pour créer des engins mitrailleurs
Appropriés au temps de progrès où nous sommes,
Afin d’abattre vite et bien des milliers d’hommes
Comme une faulx passant dans un champ de maïs,
Afin de faire, au meurtre immense du pays,
Travailler nos soldats changés en janissaires,
Afin d’assassiner les hurlantes misères,
Afin que le drapeau de France dans ses plis
Montre Ricamarie à côté d’Austerlitz,
Afin d’exterminer des pauvres, des famines,
Des détresses, vieillards, enfants, forçats des mines,
Pâles, mourant de faim, réclamant des liards ;
Deux millions, c’est peu ; prenez deux milliards ;
Mais il s’agit de rendre à l’innocent justice,
Il s’agit de frapper un coup qui retentisse,
Et de purifier un nom infortuné ;
Il s’agit de tirer de l’enfer un damné ;
De dire : Apaise-toi, spectre qui te lamentes !
Et d’aller, dans l’oubli des tombes infamantes,
Chercher une Mémoire, et de mettre ; à côté
D’un mensonge, en ces nuits sans fond, la vérité :
On ne peut gaspiller à ce point les finances !

Confisquer fut le droit. Les vieilles ordonnances
Sévirent sur Lesurque ainsi qu’au temps ancien.
En.lui volant sa vie ; on lui vola son bien.
Les fils ont disparu, famille foudroyée ;
La fille s’est jetée à la Seine et noyéé
Tout ce groupe effaré, morne, épàrs, frissonnant,
A sombré sous l’arrêt funèbre ; et maintenant,
La nuit après la mort, hélas ! c’est la logiqué ;
On ne distingue rien dans cette ombre tragique,
Sinon des enfants nus, quelques pauvres petits
Dans l’abîme ; orphelins pas ençore engloutis..


Cette détresse est là sous nos yeux, cela souffre,
Crie, appelle, et l’on voit leurs bras sortir du gouffre,
Ils pleurent, et la terre et le ciel sont témoins.
À présent, calculons. Deux. millions au moins.
Trois peut-être. Tout rendre aux fils est nécessaire.
Il faudra rembourser cette longue misère.
N’a-t-on pas plus tôt fait de dire : Toi qui fus
Innocent, reste infâme ! Et c’est fini. Refus :
Tout est dit. Être juste est bien, être économe.
Est mieux.
Et puis, de quoi te plains-tu, mon brave homme ?
De ce qu’on t’a coupé la tête par erreur ?
Ce n’est pas notre faute à nous ; et l’empereur
Doit-il, parce qu’on dit beaucoup d’impertinences
Sur cet accident-là, pâtir-dans ses finances,
Renonçer à Biarritz, vu que Lesurque est cher,
Et n’avoir plus de quoi payer monsieur Rouher ?
Qu’en pensez-vous, Glandaz ? Qu’en pensez-vous,.Devienne ?
Président Legagneur, autant qu’il men souvienne,
Tu jugeas l’accusé Bonaparte jadis,
Et tu sers l’empereur ; rends ton oracle ! dis !
Allons-nous ruiner le budget, qui nous dote,
Pour recrépir à neuf une antique anecdote,
Pour raccommoder, quoi ? le nom d’un homme mort,
Et pour laver au fond du code un vieux remord ?
Bah ! nous rencontrerions, si nous l’osions prescrire,
Le doux nenni de Magne avec son doux sourire.
Le jour où, devant l’huis du trésor, surgirait,
Enclose dans les flancs’ sacrés de notre arrêt,
La justice, devoir, dette, loi des croyances,
Clarté, sommation céleste aux consciences ;
Le caissier, ricanant de Lesurques plaintif,
Allumerait son poêle avec ce plumitif.
Sous l’empire on est fort ; on gouverne, on décrète ;
De la chose jugée on fait sa,cigarette.
D’ailleurs on est sceptique. A bas les morts gênants !

On tourne volontiers le dos aux revenants,
Surtout quand le fantôme apporte une quittance.
Le vrai vieilli n’est plus vraisemblable à distance ;
Et nous ferions hausser les épaules de ceux
Qui gagnèrent le lot d’un coup d’état chanceux
Si nous venions leur dire : O succès ! ô puissance !
Il existe une chose appelée innocence.

Et puis, voyons, vraiment, où s’arrêterait-on ?
Que fut à son début l’empire ? Un gueuleton.
S’ait : Mais si l’on persiste à faire ainsi ripaille,
L’empereur finira par être sur la paille.
Le budget fêlé fuit. Nous avons des héros,
Nous avons des sauveurs, et cela coûte gros.
On paya Bacciochi, Dieu sait pour quels services,
Magnan pour ses forfaits et Morny pour ses vices,
Va-t-on indemniser tout le monde à présent ?
Hier le criminel, aujourd’hui l’innocent.’
C’est trop. Bornons les frais. La loi, qui règne et fauche,
Frappa Lesurques. Bien. Complétons cette ébauche.
On a guillotiné le grand-père à tâtons ;
Exécutons les fils orphelins, et mettons
Leur requête au panier, comme on y mit sa tête.

Faisons à ce sépulcre une faillite honnête ;
Motivons-la si bien qu’on dise : Ils ont raison.
Remettons ce Lesurque en terre, de façon
Qu’il ne puisse, à travers la broussaille, l’ortie,
L’injustice et l’oubli, faire une autre sortie.
Les morts n’ont pas le droit d’ennuyer les vivants.
Régnons, cadis altiers, du haut de nos divans,
Dans notre pourpre ayant un linceul pour doublure.
Ne cédons point ; laissons sur ce nom la souillure ;
Car la démagogie en ce siècle grandit.
Finissons-en avec ce Lesurques. C’est dit.
Ne souffrons pas qu’on touche aux lois, vieille bâtisse.
Quand un homme a péri par arrêt de justice,

Correctement, au jour voulu, sur l’échafaud,
N’admettons point qu’on trouve à la hache un défaut.
Sans nous tout croulerait sous d’effrayants déluges.
Résistons ; et soyons dignes d’être des juges,
Après ces vénérés antiques magistrats,
Gravement accoudés sur d’augustes fatras,
Bien payés par les rois, bien bénis par les prêtres,
Et tous morts en odeur de Montfaucon, nos maîtres !
Vous allez me trouver peut-être curieux,
Mais je voudrais savoir, si tous ces Partariieux,
Tous ces Bellarts qu’on vante et dont on nous agace,
Suin copiant Severt, Aulois singeant Bergassè,
L’un sanguinaire et vil, l’autre horrible et moqueur,
Ont quelque’ chose en eux qu’on’ puisse appeler cœur !

Décembre.

III

Et puis, songez-y donc, si l’on allait conclure
De tout cela, qu’il est parfois unefêlure
A la chose jugée, et qu’un tribunal peut
Se tromper, faire faire à la cordé un faux nœud,
Un faux coup à la hache, un faux acte au concierge
De Thémis, un faux pas à la loi ; cette vierge
Qui n’a jusqu’à ce jour’guère eu d’autres époux
Que cinq ou six Bellarts et sept ou huit Maupeoux !
Reste, ô sombre innocent, dans ton opprobre inique.
Garde ce crime ainsi. que l’ardente tunique, .
Que devient la peau même et qu’on narrache pas 6S
Les juges monstrueux prennent leur faux co

mpas
Et font autour. de toi ce cercle. épouvantable.
Au banquet de César la- Justice s’attable. ;
Elle n’a pas le temps d’être juste. Il te faut,
Comme Jésus sa croix, porter ton échafaud..
Reste sous ton fardeau, patient ! Sur ta tombe,
Un remords qui médite, une larme qui tombe,
Tu n’as pas même, hélas ! ce lugubre bonheur.
Sois pour. toujours muré dans le noir déshonneur.
On t’ enferme éperdu dans le forfait d’un autre.
Va, ton crime n’est pas ton crime, il est le nôtre !
Car, lorsqu’il râle et meurt, le fer des lois au. sein,
L’innocent a le monde entier pour assassin.
Quiconque a respiré pendant le meurtre, adhère,
Et quiconque boit, mange et dort, est solidaire ;
Le ciel blâme et maudit le genre humain, passant
Sans voir que sur la foule immense il pleut du sang.
Le peuple qui, stupide, aux juges se confie,
Regardant le bourreau pendant qu’il crucifie,
Laissant enfoncer l’un après l’autre-les clous,
Est lâche, et les moutons sont complices des loups.
Le juge, à ce Lesurque où sa- rage s’attache,
Donne un coup de poignard après un coup de hache ;
De féroce il devient infâme ; et nous l’aidons
Par notre indifférence et par nos abandons.
Il viole un cercueil. Sous ce fatal empire,
Le prêtre est assassin et le juge est vampire !
Et nous voyons, béants, ces hommes manier
L’innocence et la loi, la tête et le panier !

Ah ! la goutte de sang, plus que la goutte d’huile,
S’élargit, et la Grève éclabousse la ville 69
L’échafaud, vu de tous, est un hideux sommet.
L’attentat qu’en plein jour, nous présents, l’on commet,
Est l’égout collecteur de nos lâchetés sombres.
Du droit humain brisé nous sommes les décombres ;
Nul n’est de la souillure universelle exempt ;


Le grand forfait public est én nous frémissant ;
Jamais l’innocent mort, qui nous trouble et nous pèse,
Dans notre conscience obscure ne s’apaise.
Deuil profond !

Protestons du moins. Si je flétris
Ces juges, par mon vers dans leur honte pétris,
Si j’ai cette huée implacable à la bouche,
Si j’ai redit vingt fois cette plainte farouche,
Peuple, c’est que ma part de crime m’étouffait.
Peuple, avoir laissé faire, hélas, c’est avoir fait !
Garde toute l’horreur de ta lugubre histoire,
Lesurques ! dresse-toi, grande figure noire !
Qu’on te voie à jamais debout sur l’horizon.
Et vous, famille à qui l’on vola sa maison,
Martyrs dont la stupeur s’est changée en folie,
Veuves qu’on déshonore, orphelins qu’on spolie,
Désormais plus de plainte, et taisez-vous, proscrits.
Ah ! je frémis de voir leurs prières, leurs cris,
Leurs larmes, leurs appels craintifs, leurs plaidoiries,
Leurs tremblantes douleurs par le dédain meurtries,
Leurs fronts baissés, leurs bras suppliants, quand c’est nous,
Nous tous, qui devrions nous traîner à genoux,
Joindre les mains, pleurer notre erreur insondable,
Peuple, et demander grâce au spectre formidable !

2 décembre.

IV

Pourquoi ne pas marcher un peu ? Je vais rêvant,
Tâchant de disperser mon mal de tête au vent.
C’est décembre. L’eau gronde, immense, et le rivage
La repousse et la brise en son refus sauvag

e ;
L’écume se déchire en larges haillons blancs ;
Tous les arbres du-bord de la mer sont tremblants ;
La nature subit l’hiver, ce noir malaise.
L’herbe est mouillée et morte ; au pied de la falaise
Un tumulte d’oiseaux, mauves, courlis, plongeons,
Fourmille et se querelle au milieu des ajoncs ;
Le nuage et le flot font de grands plis farouches’ ;
Et l’on entend, dans l’air plein d’invisibles bouches,
Le Sourd chuchotement du ciel mystérieux ;
L’écueil se tait, témoin tragique et sérieux,
Qui le jour est montagne et la nuit est fantôme,
Et qui, tandis qu’au loin fuit la barque, humble atome,
Regarde vaguement dé ses yeux de granit
Les constellatibns qui rôdent au zénith ;
L’infini balbutie un fragment du cantique
Que dit le Pacifique et qu’entend l’Atlantique ;
Là-bas des voiles vont, Dieu sait où ! dans les vents,
Les vagues, les roulis et lés fracas mouvants,
Et s’enfoncent, par l’ombre au loin diminuées,
Sous la mélancolie énorme des nuées ;
L’océan m’environne avec ses chants, ses cris,
Sa brume, et moi je songe à ce gouffre Paris.

Qu’est-ce que je fais là, près des mers ? Je suis triste.

Et vous vous figurez que votre arrêt existe !
Ah ! nous déchirerons, nous tordrons, nous mettrons
En pièces la sentence atroce sur vos fronts !
Nous vous souffletterons avec votre justice,
Juges ! Il ne se peut qu’un peuple s’abrutisse
Au point de’ croire en’ vous et de vous respecter !
Il faudra bien un jour te laisser confronter,
Code, avec le bon sens, et le bon sens est rude.
Juges ! votre sagesse-est une vieille prude
Qui, pour cacher ses mains nialpropres, met des gants,
Et votre conscience, ô bonzes arrogants,
A laissé bien des fois César trousser sa jupe :

Sous vos crânes hautains dont le bourgeois est dupe,
Vos scrupules,- vos lois, vos textes, vos fiertés,
Vos pudeurs, vos vertus et vos austérités, ’ '
N’ont qu’un souci, sé vendre, et sont des Rigolboches
Dansant leur danse impure au fond -de vôs-caboches.
Négocier sa voix, brocanter son serment,
Livrer au plus offrant son âme habilement
Et sans qu’il y paraisse, est votre art, et j’atteste
Troplong qui réussit le tour manqué par Teste. —
Troplong a le collier et Teste a le carcan
Au fond c’est le même homme et c’est le même encan.
Vous êtes bien les vrais successeurs des vieux cuistres
Qui peuplaient la Grand’Chambre au temps des rois sinistres,
Et qui dans leurs décrets mêlaient le vrai, le faux,

Le bien, le mal, l’horreur, la mort, les échafauds,
Lourds, et dissimulant cette pointe assassine
Par l’assaisonnement d’un latin de cuisine !

Votre sentence ira pourrir dans le vieux tas
De leurs indignités et de leurs attentats.
Vous imaginez-vous, ô sombres imbéciles,
Qu’après l’arrêt bavé par vos bouches fossiles,
Tout est dit ; que c’est fait ; que vous avez ôté
Du monde l’équilibre et des cœurs l’équité,
Que vous êtes, magots toussant dans vos flanelles,
Quelque chose à côté des clartés éternelles,
Et qu’il sort du bouquin légal un tel pouvoir
Que l’homme empêche Dieu de faire son devoir !

Ah ! Ton pourra puiser au fond des écritoires
Les galimatias et les réquisitoires
Et la prose infamante où Broë triomphait,
Et cracher sur ce spectre, et dire : c’est bien fait !
Ah ! l’on entassera tant qu’on voudra la honte ;
Le juge, le bailli, le capitoul, l’archonte,
Toutes les robes d’ombre et tous les bonnets noirs,
Tous les hiboux ayant les greffes pour manoirs,


Pourront venir, pourront prodiguer leur grimoire
Et leur haine à cette humble et tragique mémoire,
Ces stercoraires sont un assez vil essaim.
Pour croasser sans cesse : assassin ! assassin !
Ils pourront, tous, en foule, à l’heure où la nuit tombe,
Se percher, au-dessus de cette pauvre tombe,
Dans les hideux rameaux du code, obscur cyprès
D’où tombe cette fiente immonde, leurs arrêts ;
Ils pourront épaissir leur justice fétide
Sur -ce damné, des lois morne cariatide ;
Ils pourront ajouter le désespoir.au deuil,
Sous leur chose jugée accabler ce cercueil,
Faire une ignominie exprès pour cette fosse,
Déclarer le lys noir et la vérité fausse ;
Paris, ce vieux Paris si petit et si grand,’
Pourra dormir, chanter, manger, boire, ignorant
A qui le droit, à qui l’opprobre, à qui la palme ;
Soudain, un jour, le ciel oublié, le ciel calme,
Blanchira du côté maudit de l’horizon ;
Ceux qui regarderont auront un grand frisson
Et l’attente sacrée entrera dans leur âme ;
Et l’on verra, là-bas, dans l’atmosphère infâme,
Tout à coup, au-dessus du sépulcre effrayant
Que la loi,- l’Euménide inepte, en bégayant,
Monstre aveugle, a flétri dans sa toute-puissance,
Se lever lentement cet astre, l’innocence !

H.-H. 27 décembre.

XLVI DEUX ARRÊTS ONT ÉTÉ RENDUS CE MOIS-CI…


Oh ! je sais maintenant pourquoi je ne pouvais.
Respirer, trouvant l’air de la terre mauvais ;
Pourquoi j’avais le fiel du flot sombre à la bouche,
Pourquoi je m’agitais dans’ le sommeil farouche,
Et pourquoi dans l’espace immense, j’étouffais.
Deux meurtres viennent d’être en moins d’un mois refaits,
Recommencés, dans l’ombre où je suis, où vous êtes,
Peuple, et nous les sentons dégoutter sur nos têtes !
En ce décembre obscur, aux sépulcres pareil,
Où l’on sent plus de honte avec moins de soleil,
Les hommes préposés à. cette forfaiture .
Qu’on nomme en France loi, code et magistrature,
Prêts, devant qui les paie, à fléchir le genou, .
Jetant aux cabanons quiconque vole un sou,
Mais souriants devant un : trône qu’on dérobe,
Ont trouvé le moyen de reteindre leur robe.
Avec du rouge pris, au baquet d’es bourreaux,..
Le sang d’un innocent et le. sang d’un héros ;
Et sur eux maintenant le reflet des abîmes
Flamboie, et leur justice a l’aspect. de deux crimes !

Si bien qu’à leurs jupons, tachés par leurs arrêts,
Voyant du sang ancien qui semble encor, tout frais,
Le peuple, en qui s’accroît la colère, à mesure
Que s’élargit sur eux la double éclaboussure,
Dit en. les,regardant avec son noir dédain :
D’un côté c’est. Lesurque,, et de l’autre, Baudin !

XLVII EN 1869


Vous me dites :

— Pourquoi cet éternel courroux ?
Le ciel n’est pas autant en colère que vous.
Est-ce que ce forfait qui vous indigne, empêche
Le soleil de mûrir le raisin et la pêche
Et de verser la vie et la lumière àux bois
Pleins d’éblouissements, de parfums et de voix ?
Est-ce que, renonçant à.la molle verdure,
Depuis vingt ans bientôt que cet empire dure,
Les arbres ont cessé de croître un seul instant ?
Est-ce qu’en son labeur le chêne haletant,
Las d’ajouter sans fin des branches à des branches,
S’est arrêté, disant : Ramiers, colombes blanches,
Bouvreuils, allez-vous-en, je ne veux plus de vous,
J’ai fini ! Quel est donc, sous le ciel calme et doux,
Le lilas qui s’abstient, le hêtre qui retire
Son murmure à Virgile et son ombre à Tityre ?
Quel frêne a pris parti pour vous ? quel peuplier
S’est dispensé de vivre et de multiplier ?
Contre Aman Bonaparte et pour vous Mardochée,
Quelle branche de saule ou d’ormeau s’est fâchée ?

Quel marronnier, sachant que l’on ne doit pas voir
Les nids tremblants, renonce à faire son devoir,
Et refuse aux oiseaux d’épaissir son feuillage ?
Tous les ans, aussi beau qu’Achille et que Pélage,
Une flamme à la main, Mai, ce libérateur,
Apparaît, cuirassé d’azur, sur la hauteur,
Rit, chasse ce tyran, l’hiver aux yeux moroses,
Redore l’aube, et met hors de prison les roses,
Et tire le verrou glacé qui retenait
Captifs l’acacia, la ronce et le genêt,
Et le fourmillement des feuilles recommence.
Qu’est-ce que Morny fait à la Dryade immense ?
Est-ce qu’un seul.bouton d’églantier s’est flétri
Parce que Rouher passe appuyé sur Piétri ?
L’épanouissement universel prospère ;
Le tilleul qui n’est pas troublé d’une vipère,
Ignore Mérimée, et couvre les sentiers
D’un mystère où l’amour s’ajoute volontiers ;
Depuis vingt ans, toujours de plus en plus charmante,
La forêt pousse, et verte, et vieille, et jeune, augmente
Son frais tumulte, au bruit d’une cité pareil. -

Je suis juste, et c’est vrai ; je constate, ô soleil,
Sous ce ciel où, superbe et tranquille, tu montes,
Le lent grandissement des arbres, et des hontes.

8 août.

XLVIII ON EST CE PERSONNAGE…[modifier]


On est ce personnage étrange, fait d’acier,
D’azur et d’idéal, le rêveur justicier,
Le poëte chargé de foudres, le nuage
Poussé dans la lumière et l’ombre par ce sage
Qui semble fou, le vent, assainisseur du ciel ;
On a l’empire infame et pestilentiel.
Sous soi, très bas, très loin, dans une brume impure ;
On voit la conscience humaine qni suppure ;
Des Te Deum rampant à tâtons dans l’enfer,
Et sous ce poids ; sénats de fange, lois de fer,
L’honneur las qui frémit, morne cariatide ;
Mais Avril, qui refait tous les ans l’Atlantide,
Prend peu souci de l’homme ; et pendant que descend
Toute l’âme d’un peuple, il monte éblouissant,
Il emplit l’horizon d’églogues et de fêtes ;
On contemple, on oublie, et comme les prophètes,
Comme les mages, pleins d’orage et de douleurs,
Sombre, on se laisse aller à regarder les fleurs ;
On a des yeux, on a malgré César, une âme ;
On se laisse dorer par cette immense flamme,
La vie ; et le printemps vous entre malgré vous
Dans le cœur, et vous fait presque paisible et doux,
Avec des grondements pourtant par intervalles ;
On écoute chanter des fauvettes, rivales
Du divin rossignol, qui, lorsque l’aube luit,
Prolongent dans le jour sa chanson de la nuit ;


Juvénal transparent laisse entrevoir Virgile ;
Devant la Némésis la Galatée agile
Surgit, folle, et d’un geste’ aimable et souverain,
Jette en riant sa pomme au noir. masque d’airain ;
Et le masque effrayant sourit. Que faire, ô lyre ?
Tout est parfum, tout est rayon, tout est délire ;
L’abîme est nuptial et les flots sont lascifs ;
L’écume est de l’amour qui baise les récifs ;
Paissez, moutons ; laissez aux buissons de la laine
Pour que l’oiseau l’emploie à son nid ! vaste haleine,
Souffle ! Boeufs qui songez, tirez le soc fécond !
Le premier dieu, c’est Dieu, mais l’homme est le second.
Il crée après le Père, il règne après le Maître ;
Faire mourir n’est pas son droit, mais faire naître
Est son devoir ; la vie est à lui, non la mort.
L’arbuste tend sa feuille au chevreau qui la mord,
La rose au papillon se livre toute nue,
La violette, aussi rêve, et cette ingénue
S’offre, et partout l’idylle ouvre de vagues yeux ;
O femmes, baignez-vous dans l’océan joyeux
Qui rit de ce grand rire où se mêlent des larmes ;
Faites comme les fleurs, belles, mettez vos charmes
Un peu dehors ; amant externa camenae
O rapide Atalante, ô fuyante Daphné,
Arrêtez-vous à temps, ne courez pas si vite ;
Vous savez bien qu’on cherche un peu ce qu’on évite ;
L’enfant que, vierge, on craint, mère, on l’adorera ;
Ô Glycère, Aglaè, Lalagé, Nééra,.
Soyez les nudités adorables du rêve ;
Homère veut Vénus et Moïse veut Eve ;
Le reflet de la femme est sur tous les grands fronts ;
O vivants, nous aimons parce que nous souffrons ;
Donc l’amour est sacré. Sans peur, sans fin, sans nombre,
Aimez ! vous tous, là-bas, tout le ciel, toute l’ombre,
Aimez ; vivez, créez ! Mondes, atomes, nids,
Oiseaux, soleils, soyez les amants infinis,
Car l’immensité veut être continuée !

Et voilà comme on flotte, esprit, barde, nuée.
Et voilà comme on va, tout furieux qu’on- est,
Dans l’azur, dans ce beau floréal qui renaît,
Dans l’hymen, dans l’amour, mais sans que Dante abdique,
Sans que la grande haine indignée et pudique
Cesse d’être au plus noir de. votre âme debout ;
Car sans cesse à travers tout ce printemps, partout,
Toujours l’âpre devoir reparaît ; et on erre
Semant sur son chemin des chutes de tonnerre.

27 juin 1875.


</pre<
== XLIX AU DESSERT==
<poem>

— Mon frère, vous avez sauvé l’ordre. — Mon frère,
Vous avez eu raison d’un peuple téméraire.
Cette Pologne était pour l’Europe un ennui.
— Mon frère, grâce à vous, tout prospère aujourd’hui.
— Vous dominez Paris et vous protégez Rome.
— J’estime Jellachich. — Mouravief est un homme.
— Vous avez Canrobèrt qui vaut mieux que Bugeaud.
— Je bois votre Tokay. — Moi votre Clos-Vougeot.
— Mon frère, nous étions en querelle naguère,
Mais je vous aime. Et moi, je’ vous ai fait la guerre
Malgré moi. — Vous ’avez battu mes généraux.
Vous, fûtes le vainqueur, sire. — Et vous le héros.
— Votre génie est- grand. — Moins que votre bravoure.
— Mon frère, entendez-vous ces vivats ? Je savoure
Ces acclamations qui s’adressent à vous.
Le peuple est sous vos. pieds. — Il est à vos genoux.
C’est mieux. — Il me respecte, oui, mais il vous adore.
— Vous avez voulu, sire, et tout à coup l’aurore
A reparu ; les lois et la société
Revivent ; et cela, sire, n’a rien coûté. -

L AUBIN[modifier]



Causerie entre czars et rois, propos de table
Qui font rire les morts d’un rire épouvantable. .
H. H. décembre.

L

AUBIN.

LE PASSANT. – LA PASSANTE.

— Quel âge as-tu ? — Seize ans. — De quel pays es-tu ?
— D’Aubin. — N’est-ce pas là, dis-moi, qu’on s’est battu ?
— On ne s’est pas battu, l’on a tué. — La mine.
Prospérait. Quel était son produit ? — La famine.
— Oui, je sais, le mineur vit sous terre, et n’a rien.
Avec la nuit de plus, il est galérien.
Mais toi, faisais-tu donc ce travail, jeune fille ?
— Avec tout mon village et toute ma famille,
Oui. Pour chaque hottée on me donnait un sou.
Mon grand-père était mort, tué du feu grisou.
Mon petit frère était boiteux d’un coup de pierre.
Nous étions tous mineurs, lui, mon père, ma mère,
Moi. L’ouvrage était dur, le chef n’était pas bon.
Comme on manquait de pain, on mâchait du charbon.
Aussi, vous le voyez, monsieur, je suis très maigre ;
Ce qui me fait du tort. — Le mineur, c’est le nègre.
Hélas, oui ! — Dans la mine on descend, on descend.
On travaille à genoux dans le puits. C’est glissant.

Il pleut, quoiqu’on n’ait pas de ciel. On est sous l’arche
D’un caveau bas, et tant qu’on peut marcher, on marche ;
Après on rampe ; on est dans une eau noire ; il faut
Étayer le plafond, s’il a quelque défaut ;
La mort fait un grand bruit quand tout à coup elle entre ;
C’est comme le tonnerre. On se couche à plat ventre.
Ceux qui ne sont pas morts se relèvent. Pas d’air.
Chaque sape est un trou dont un homme est le ver.
Quand la veine est en long, c’est bien ; quand elle est droite,
Alors la tâche est rude et la sape est étroite.
On sue, on gèle, on tousse ; on a chaud, on a froid.
On n’est pas sûr si c’est vivant tout ce qu’on voit.
Sitôt qu’on est sous terre on devient des fantômes.
— Les pauvres paysans qui vivent sous les chaumes
Respirent du moins l’air des cieux. — On étouffait.
— Pourquoi ne pas vous plaindre aussi ? — Nous l’avons fait.
Nous avons demandé, ne croyant pas déplaire,
Un peu moins de travail, un peu plus de salaire.
— Et l’on vous a donné, quoi ? — Des coups de fusil.
— Je m’en souviens, le maître a froncé le sourcil.
— Mon père est mort frappé d’une balle. — Et ta mère ?
— Folle. — Et tu n’as plus rien ? — Si. J’ai mon petit frère.
Il est infirme, il faut qu’il vive de façon
Que j’ai mendié, mais on m’a mise en prison.
Je ne sais pas les lois, mais on me les applique.
— Que fais-tu donc alors ? — Je suis fille publique.



Reposons nos regards sur d’autres femmes.

Dieu
A mis toute la paix d’en-haut dans ce beau lieu ;
C’est un palais et c’est un éden. Faste et joie.
Le rubis sur les seins, l’aube au ciel, tout rougeoie,
Tout est pourpre et splendeur, lumière et volupté.
Roses et femmes sont ouvertes, c’est l’

été ;
Et l’on voit dans les fleurs et l’on voit dans les âmes.
César rêve, entouré de parfums et de flammes.
Le soir, on fait errer des orchestres sûr l’eau ;
Diane en marbré avec la lune en son halo
Mêlent leur regard chaste à la tiède soirée ;
L-’eau par les coups de rame est ’mollement moirée ;
La voix du rossignol, la flûte dé Ttilou ",
Alternent, et l’on chante un refrain’ andalou,
L’air se tait, toute l’ombre écoute la. fanfare,
Et le daim qui buvait au lac sombre, s’effare.

H. H.

II

Soit. Entre ce deuil morne et ce joyeux azur,
La différence est grande. Oui. Mais es-tu bien sûr,
Dis, que ce ne soit pas au fond le même abîme ?
Et que, dans cette cour qui croit être une cime,
Parmi ces femmes, chœur de déesses, beautés
Qui, mêlant aux rayons de César leurs clartés,
Visibles à travers de majestueux voiles,
Enferment ce soleil dans leur cercle d’étoiles,
Parmi ces déités, reines au front charmant,
Qui semblent faites d’aube et d’éblouissement,
Puisant à pleines mains dans l’or, dans la fortune,
Dans la toute-puissance, il n’en est pas plus d’une
Qui, toute rayonnante en ce royal palais,
Si tu l’interrogeais et si tu lui parlais,
Sous ton œil froid chassant toute pensée oblique,
Répondrait, elle aussi : Je suis fille publique.

H. H. 10 décembre.

LI[modifier]

[Quant à Paris, ton poing l'étreint][modifier]


Quant à Paris, ton poing l’étreint. Grâce aux bâtisses,
Paris, le grand Paris des superbes justices
Qui dressait en août, en septembre, en juillet,
Son front où tout à coup une étoile brillait ;
Ce Paris qui, semblable au fauve dans les jungles,
Allongeait ses faubourgs comme un lion ses ongles,
Ce Paris où Danton poussant dans le ciel noir
Ces grands chevaux ailés, Droit, Gloire, Honneur, Devoir,
A travers la tempête, à travers le prodige,
Passa comme un géant debout sur un quadrige,
Aujourd’hui ce Paris énorme est un éden
Charmant, plein de gourdins et tout constellé d’N ;
La vieille hydre Lutèce est morte ; plus de rues
Anarchiques, courant en liberté, bourrues,
Où la façade au choc du pignon se cabrant ;
Le soir, dans un coin noir faisait rêver Rembrandt ;
Plus de caprice ; plus de carrefour méandre
Où Molière mêlait Géronte avec Léandre ;
Alignement ! tel est le mot d’ordre actuel.
Paris, percé par toi de part en part en duel,
Reçoit tout au travers du corps quinze ou vingt rues
Neuves, d’une caserne utilement accrues ;
Boulevard, place, ayant pour cocarde ton nom,
Tout ce qu’on fait prévoit le boulet de canon ;


Socrate moustachu, tu fais marcher Xantippe
Ferme et droit ; l’idéal a maintenant pour type
Un beau sergent de ville étendu de son long.
Phidias n’est qu’un sot auprès du fil à plomb.
Que c’est beau ! de Pantin on voit jusqu’à Grenelle !
Ce vieux Paris n’est plus qu’une rue éternelle
Qui s’étire, élégante et belle comme l’I,
En disant : Rivoli ! Rivoli ! Rivoli !

L’empire est un damier enfermé dans sa boîte.
Tout, hors la conscience, y suit la ligne droite.

LII. . MISÈRE[modifier]

<pre<

Partout la force au lieu du droit. L’écrasement Du problème, c’est là l’unique dénoûment. Partout la faim. Roubaix, Aubin, Ricamarie. La France est d’indigence et de honte maigrie. Si quelque humble ouvrier réclame un sort meilleur, Le canon sort de l’ombre et parle au travailleur. On met sous son talon l’émeute des misères. L’Afrique agonisante expire dans nos serres. Là tout un peuple râle et demande à manger. Famine dans Oran, famine dans Alger., — Voilà ce que nous fait cette France superbe. ! Disent-ils. — Ni maïs, ni pain. Ils broutent l’herbe. Et l’arabe devient épouvantable et fou. On rencontre, une femme au fond de quelque trou, Accroupie, et mangeant avec un air étrange. . — Qu’est-ce que tu, fais là ? . Hé bien, j’ai faim, je mange. — Ton chaudron sur le feu fume, qu’as-tu dedans ? Ces os, que l’on entend crier entre tes dents,. Cette chair qu’en grondant ronge ta bouche amère, Qu’est-ce ? C’est un enfant que j’avais, dit la mère. Les déclamations ne prouvent rien ; soyons Impartiaux ; cette ombre est-elle sans rayons ? Vous passez votre à dire que l’on souffre Partout, et que partout on pleure, et qu’en un gouffre On gémit, comme un tas d’affamés sur l’écueil, Et vous criez : Tout est misère et tout est deuil Tout est misère et deuil ? Quelle erreur- est la vôtre ! Ah çà, vous ne voyez qu’un côté ! Voyez l’autre.

Jouissance et splendeur. Doit-on, en vérité, Montrer l’adversité sans’ la prospérité ? Ce contrepoids ôté fausse votre balance. Oui la détresse là, mais ici l’opulencé. Soyons justes. Voyez. Plaisirs, bals, volupté, Luxe, et l’hiver le Louvre, et Compiègne l’été : Oui, faites approcher vos vers les plus féroces : Oseront-ils nier ces palais, ces carrosses, Ces festins ? Est-ce là de la misère enfin ? Est-ce qu’en cette fête éternelle on a faim ? En ’ne montrant jamais que l’indigence, on triche. Vous étalez le pauvre, eh ’bien, voyons ce riche. Qu’en dites-vous ? Parlez. Est-il assez complet ? Il a ce qu’il convoite, il fait ce qui lui plaît. Ses désirs sont noyés dans le faste lyrique. Ah ! je voudrais bien voir que- votre rhétorique Contestât cette aisance auguste, et s’escrimât A prouver que ce luxe est d’un mince format, Que cette argenterie est reprochable, et manque Du poids qui la ferait recevoir à la banque, Que ces, cochers ne sont point gras, que ces jockeys Montent, mal galonnés, des chevaux peu coquets, Et que ces millions, ruisselant sur ces tables En ivresses sans fin, ne sont pas véritables ? Reconnaissez qu’ici l’on ne manque de rien. On s’est fait tout-puissant pour être épicurien. On est un homme heureux. C’est doux. Pas de rebelles. On est le Jupiter d’un Olympe de belles. On a Biarritz ; veut-on varier le tableau ? Après la mer, les bois ; on a Fontainebleau. Chasses, danses, galas, petits jeux sous les.treilles, Rougissantes beautés sous les grappes vermeilles ; Puis course au bois ; on fut en décembre vainqueur, Et l’on rêve, et l’on sent pénétrer dans son cœur Le pur soleil des champs, des fleurs, des prés, des vignes, L’azur des clairs étangs et la blancheur des cygnes.

H. H. Décembre.

</poem> LIII C’EST BIEN, BUVEZ, MANGEZ…==


C’est bien, buvez, mangez, rampez, courbez la tête.
Nos aïeux
Étaient les habitants hagards de la tempête
Dans les cieux.

Ils dispersaient les vents sous leurs vastes coups d’ailes,
Rayonnaient,
Donnaient des rendez-vous à la mort, et, fidèles,
Y venaient.

Ils suivaient, dans l’espace aujourd’hui sombre et vide
Qui se tait,
La Marseillaise, un ange au regard d’Euménide,
Qui chantait.

Ils faisaient alterner l’ombre et le météore ; -
Hosanna !
Revanche ! Et de Rosbach ces preux faisaient éclore
Iéna.

L’Europe les voyait crier : Luttons encore !
Noüs vaincrons !
Et regardàit sortir on ne-sait quelle aurore
De leur

s fronts.

Quand ils proclamaient Dieu seul Dieu, sans évangile
Ni Koran,
Et quand ils maniaient cette chose fragile,
Un tyran.
Leurs sabres ont chassé, secouant leur dragonne,
De Valmy,
De Fleurus, et des bois sinistres de l’Argonne,
L’ennemi !:
Devant cès preux, semant les progrès, les désastres,
Et le bruit,
Les rois disparaissaient comme des fuites d’astres
Dans la nuit.

Moi ; je suis un prôscrit.. J’assiste aux mers farouches,
Aux combats
De l’ombre et de l’écume, où d’invisibles bouches
Parlent bas,

Et, tout en écoutant passer ce cri : Justice !
Dans les vents,
Je songe à la grandeur des morts qui rapetisse
Les vivants.
Il mai.

LIV DÉPART ET RETOUR DES RÉGIMENTS


— Aigles, où courez-vous ?
Que c’est beau la lumière !
Que c’est beau le soleil ! Dans ’sa splendeur première,
Quand l’aurore apparut, l’aigle la contempla,
Et, s’envolant, il dit à l’astre me voilà !
Car vous avez, oiseaux que hait l’ombre éternelle,
Pour le soleil les yeux, pour la liberté l’aile.
L’aigle chasse la brume affreuse du vallon ;
Il n’est qu’un souffle alors, mais s’appelle aquilon.
Les peuples ont besoin, Dieu seul étant leur règle,
D’avoir au-dessus d’eux l’immense vol de l’aigle ;
Car il tombe de l’aigle un éblouissement.
L’aigle va chercher l’aube au fond du firmament,
Vole, et crie en planant dans son vaste équilibre :
Hommes, voilà comment on est quand on est, libre !
Le groupe obscur des Nuits craint cet,audacieux.
Aigles, votre coup d’aile est nécessaire aux cieux.
Tout ce qui n’est pas vie, amour, clarté, principe,
Devant votre passage. effrayant, se dissipe
Votre fier bruit d’orage épouvante le mal ;
Le monde esprit succède au vil monde animal ;


Partout où vous planez surgit la délivrancé,
Vous n’êtes plus la Guerre et vous vous nommez France.
Le bruit d’ailes s’éloigne. Ils s’en vont.

On dirait
Que le ciel tout à coup devient une forêt.
Dieu ! quelle chute brusque et sombre de ténèbres !
Sous l’épaississement des silences funèbres,
Tout s’efface, et l’espace obscur se refroidit ;
L’horizon misérable et morne a l’air maudit ;
Des lueurs qui brillaient meurent l’une après l’autre ;
De ces langues de feu qui tombaient sur l’apôtre,
A peine’en flotte-t-il quelques-unes, au fond
D’une-ombre où nul ne voit ce que les peuples font ;
Toute la terré a pris l’aspect visionnaire ;
Et dans cette noirceur roule un vague tonnerre.
Le paysage horrible est pestilentiel ;
Chacun des quatré vents ; aux quatre coins du ciel,
Prononce un mot sinistre, et, comme dans un rêve,
On entend sur les monts, sur la mer, sur la ’grève,
Cette clameur : Hélas ! Puebla ! puis ce glas :
Hélas ! Mentana ! puis ces cris : Aubin ! Hélas !
Hélas ! Ricarnarie ! Hélas ! Un sombre dôme
Reluit ; c’est Rome, à moins que ce ne soit Sodome.
Des silhouettes sont à terre, et c’est épars,
Nu, terrible, et le sang fume de toutes parts ;
On’ entend un tumulte ailé qui se rapproche ;
Et dans l’ombre, ici, là, sous l’arbre, sous la roche,
Dans les villes, au fond des bois, au pied des tours,
Partout, on voit des morts…

D’où venez-vous, vautours ?

H. H., décembre.

LV Et voilà dix-sept ans[modifier]


Et voilà dix-sept ans bientôt qu’ils sont à table !
Le Vol est chancelier, le Meurtre est connétable ;
Ici le Bienheureux, et là le Tout-puissant ;
Le prêtre et le soldat. Paie, ô France. Or et sang.
Le budget se débraille et danse une pyrrhique.
L’obéissance atteint la bassesse lyrique.
Le front haut, vers l’opprobre on marche avec élan ;
C’est à qui tâchera d’être un peu chambellan,
Et d’avoir sur son dos de la honte brodée ;
La France, qui jadis, fier peuple de l’Idée,
Faucha les rois ainsi qu’un moissonneur les blés,
Aboutit à des tas de valets-étoilés.
Quel festin ! Tous y font liesse. Rien n’y manque.
On a l’église, on a l’armée, on a la banque.
Auguste fait asseoir Davus à son côté.
Mangeons ! L’empire est pris d’un accès de gaîté.
Buvons ! L’homme rayonne et la femme étincelle.
Chacun s’essaie au genre où son voisin excelle ;
Dupin est scélérat. César a de l’esprit.
Dix-huit-Brumaire est mort, mais Deux-Décembre rit.
Piétri raille Maupas, Scapin berne Jocrisse,
Tout est gloire ; et s’il faut parer l’impératrice
Pour les bals où bondit l’empereur encor vert,
L’écrin de la couronne est là tout grand ouvert,
On y puise ; et parmi le saphir, l’émeraude,
Le rubis, la, topaze et la perle, on maraude.


L’ivresse-émeut les vieux et reflue aux enfants ;
Tous les. Napoléons petits sont triomphants ;
Louis traite Conneau, Nisus fête Euryale.
La cour est au balcon ; la garde impériale
Défile altière, et fait, devant ces frais minois,
Sonner la grosse caisse et le chapeau chinois.
Ces belles ! allez donc leur parler des famines !
Ah ! comme elles riraient, ces augustes gamines !
On est le joyeux crime et le joyeux péché ;
On a des aumôniers par-dessus le marché,
Payés pour ajuster à cela l’évangile.
Le soir, au fond du parc, ces dames, ô Virgile,
Sous les buissons, où glisse un bruit de taffetas,
Dans l’ombre, avec César qui devient Amyntas,
Font des églogues, presque aussi décolletées
Que tes Amaryllis et que tes Galatées.

H. H., 9 décembre.

LVI ÉPIZOOTIE DANS LES HOMMES DE DÉCEMBRE[modifier]



Cela n’empêche pas le maître,
De continuer le festin.
On a vu Mocquart, disparaître ;
Espinasse est mort ce matin ;
Bineau suit Fortoul qui. l’appelle ;
Le fossoyeur a pris sa pelle ;
Apportez les bières de plomb ;
Fossoyeur, aide à les descendre,
Jette sur Morny de la cendre
Et de la fange sur Troplong.

Chacun son tour : Partez, complices.
Noir Saint-Arnaud au cœur d’acier,
Tu trébuches ; Magnan, tu glisses ;
Tu t’en vas, sanglant Pélissier.
Fould, la corruption est vraie,
Meurs. La mort fauche cette ivraie,
Comme les moissonneurs le blé ;
Billault tombe ; Delangle tombe ;
Dupin vient d’entrer dans la tombe,
Les vers de terre ont reculé.


Oh ! de Strasbourg jusqu’à Bayonne ’
Quelle fête, et comme on est gai !
Compiègne rit, Biarritz rayonne ;
Saint-Cloud de joie est fatigué.
Basile raille don Quichotte.
Un doux bruit de baisers chuchote -
Dans la molle fraîcheur des bois.
On trinque ; effusion touchante !
Et le guet-apens dit : Je chante !
Et le massacre-dit : Je bois !

La table est une grandè lyre ;
Tous mangent gloire aux dieux régnants !
Le vin d’où sort l’éclat de rire’
Luit dans les verres frissonnants ;
Les femmes ont la gorge nue ;

La fanfare dans l’avenue
Saute et bondit comme un esprit
Le bal tourbillonne en cadence ;
Et maintenant, tandis qu’on danse,
Et maintenant, pendant qu’on rit,
Morts, faites vos festins funèbres,
Dressez-vous sur votre séant,
Et d’abord, mangez des ténèbres,
Ensuite mangez du néant ;
Sous les ifs que le vent balance,
Mangez de l’oubli, du silence,
De l’horreur, de la surdité ;
Mangez, spectres et pourritures !
Emplissez vos bouches obscures
De l’ombre dè l’éternité.

H. H., 15 juin 1870.

LVII Le sénateur peut être un valet


Le sénateur peut être un valet ; le flamine
Peut être un doux bandit priant qu’on extermine ;
Le juge peut avoir des faux poids plein les mains ;
Tel prince fait l’effet d’un gueux de grands chemins ;
On peut se demander s’il est digne, en ce rôle,
D’avoir les fleurs de lys au front, ou sur l’épaule ;
La parole peut être, en flattant d’affreux rois,
Pire qu’un hurlement de bête au fond des bois ;
La religion peut faire la mijaurée,
Puis se vendre, et l’honneur peut être une denrée ;
Verrès peut bafouer Caton ; la trahison,
Comme un pêcheur qui dit : j’ai pris bien du poisson !
Peut rentrer et le soir passer devant nos portes,
Traînant dans ses filets des consciences mortes ;
La femme peut tourner ses yeux doux vers celui
Sur qui le crime, étoile épouvantable, a lui ;
Tout le tas des vertus peut être une fumée ;
Les docteurs, les consuls, les généraux d’armée,
Peuvent être du bois dont on fait les gibets ;
Vesta lascive peut rêver : Si je tombais ?
Le progrès peut marcher comme les écrevisses ;
Devant le vil succès des forfaits et des vices
L’honnête homme peut être un lâche et rester coi ;
La foudre peut dormir dans le ciel ; c’est pourquoi
Juvénal indigné démuselle les haines
Dans ce style d’airain qui fait un bruit de chaînes.

12 avril 1870.

LVIII 2 JANVIER 1870[modifier]


Nous devenons bon prince et nous changeons de sphère.
L’empire est libéral. Diable ! qu’allons-nous faire
De tous les vieux grédins du coup d’état ? Jésus !
Les vendre ? quel rabais ! comme on perdrait dessus !
Le Deux-Décembre est mort. Le Deux-Janvier l’enterre.
Ils sont tous là, Piétri, -Fleury ; bon militaire,
Quentin-Bauchart, Haussmann, en pleurs, les goussets pleins.
Hélas ! irons-nous perdre aux bois ces orphelins ?
La forêt dé Bondy pourrait les reconnaître.
Mais eux, quel abandon ! Pourquoi Dieu fit-il naître
Tous ces pauvres coquins dont pas un n’est répu,
Puisqù’il voulait jouer au crime interrompu !
L’esclave usé n’est point d’une bonne défaite :
Un vieux préfet orné de sa vieille préfète
Fait aux passants l’effet d’un ancien falbala.
On ne vend point Rouland comme on vendrait Lola.
Ferez-vous acheter bien cher par le Khédive
Suin mirant aux lacs bleus sa beauté ’maladive ?
Rouher en femme, certe, aurait beaucôup d’appas,
Mais faites-moi sultan ; et je n’en voudrai pas.
Faut-il mettre au sérail ou bien mettre à la broche
Cette grasse blancheur qui s’appelle Baroche ?

Pour l’oreille aussi bien que pour le traquenard,
Un reste d’Espinasse est visible en Pinard,
Le négocierez-vous ? Ce sont vos odalisques ;
Mais au marché d’Alep, la ville aux ’obélisques,
Le turc obscène exige un plus joli bétail.
Quand même il cacherait derrière l’éventail
Son ceil noir enflammé d’une fureur jalouse,
Grandperret n’aura pas le flou d’une andalouse.
A vos soudards fanés, à vos vétérans saurs.
Croit-on qu’Abdul-Azis offre des huit ressorts ?
Rigolboche et Toinon feraient mieux son affaire.
Où caser un héros fourbu qui se déferre ?
Personne n’en voudra. Pas même un maquignon.
Ce qui fut hier chance est ’aujourd’hui guignon.
Tel est le sort. Maupas a perdù tous’ ses charmes.
Nul ne jette un regard d’amour aux vieux gendarmes.
Alignez d’un côté du bazar un troupeau
D’anciens sabreurs sans dents en culotte de peau,
Un tas d’hommes d’état, fêlés, hors de service,
Faisant une grimace affreuse et tendre au vice,
Foreys, Palikaos, Chaix-d’Est-Anges, Marnas,
Que les bagnes un jour reprendront aux sénats,

Bavards brodés, tueurs dorés, gueux et ganaches,
Portant tous les mépris avec tous les panaches ;
Puis de l’autre côté mettez un fol essaim
De jeunes belles point avares de leur sein,
Montrant leur torse ainsi qu’Astarté dans la Bible,
Et dépensant le plus de nudité possible
A l’éblouissement des passants enivrés,
Et maintenant prenez. l’homme que vous voudrez,
Je gage Persigny contre Fialin que l’homme
Offrira, quel qu’il soit, une plus forte somme
Pour les nez retroussés que pour les crânes nus,
Et, lascif, à Parieu préférera Vénus.
Aphrodite voguant blonde et rose en sa conque
Éclipsera toujours un Mimerel quelconque ;
Tout le conseil d’état qu’on paie un million


Serait coté deux sous à l’hôtel Bullion,
L’empereur aurait beau leur dire à tous ma chère !
Ils réussiraient moins que Trinette à l’enchère,
Quoique le coup d’état leur ait pris le menton ;
Et Zangiacomi ne vaut pas Margoton.
Habillez Gilardin en jeune mariée,
Puis essayez d’aller le vendre à la criée !
Je doute que Barnum offre un prix insensé.
Brocantez Canrobert. Quot libras in duce ? 82
Nubar -l’égyptien est un mortel lubrique,.
J’y consens, mais j’ai beau tâcher d’être lyrique,
je ne vois pas d’ici Nubar faire joujou
Avec Bonjean voulant un meuble en acajou.
J’ouvre un concours, j’y mets mademoiselle Fiocre,
Boudet en maillot rose y sera médiocre,
Et Larabit fort laid, quand même Larabit
Ôterait sa culotte en gardant son habit.
Je craindrai pour l’Huys beaucoup de cœurs de roche
Et fort peu d’acheteurs, hélas, si l’on rapproche
Du frais museau d’Anna le grouin de l’Huys.
Pensez-vous qu’une foule aux regards éblouis
Ira darder sa flamme et braquer ses lorgnettes
Sur Delesvaux cambré cognant des castagnettes ?
Jeanne avec son cancan fera sur un pacha
Plus d’effet que Piétri dansant la cachucha.
Entre Ida fraîche éclose et Nisard qui se gâte,
Qui donc hésiterait ? Et moi qui parle, en hâte,
Certes, je donnerais, malgré leur teint bruni,
Goyon, Korte et Leboeuf pour Blanche d’Antigny.

H. H. 2 janvier 1870.

LIX À ***[modifier]

Ou vous êtes naïf ou vous êtes subtil.
Une réforme ! où donc ? Un progrès ! quel est-il ?
Vous dites qu’un grand pas est fait. Quel pas ? Je cherche.
A Mandrin pataugeant Jocrisse tend la perche.
Le coup d’état devient ondoyant et divers.
Nous en vîmes l’endroit, nous en voyons,l’envers.
Je ris sans admirer. Quel spectacle ! Sodome,
Brusquement transformée en Paraclet ; Prudhomme
Trouvant trop rouge encor le bonnet de coton
D’Arlequin qui jadis se grimait en Caton. ; .
Tom Pouce dans uh coin qui sé croit ceçôudées ;
La trahison criant : Messieurs, j’ai des idées !
L’ogre au bon peuple enfant disant : Baisez papa !
Tous les sous-entendus d’un faux mea culpa ;
L’empire devenu, sorte d’oison sans ailes,
Presque un pensionnat de jeunes demoiselles ;
Tibère concourant pour le prix Monthyon ;
Goton rose devant la moindre question ;
Rouher baissant les yeux, Maupas mettant un voile ;
Et toujours l’araignée au centre de sa toile !
Toujours le piège ! Une ombre où grondent les fléaux !
Aujourd’hui, le néant et demain le chaos !

Un nain creusant un gouffre !

Ô Dieu. partout visible,
Sauve-moi du petit, fût-ce dans le terrible !
Jette-moi, Dieu puissant, chez quelque nation
Entrant, superbe et sombre ; en révolution,
Ou sur quelque océan que la tempête éclaire !
Que j’entende, épelant ce que dit ta colère
Dans un langage obscur, mystérieux et beau,
Ou la foudre parler, ou tonner Mirabeau !

Mars 1870.

LX On me dit : Courez donc[modifier]


On me dit : Courez donc sur Pierre Bonaparte.
Non. J’ai ma piste ; et c’est l’Autre et je ne m’écarte
Jamais du but que rien ne me fait oublier.
Forêts ! je chasse au tigre et non au sanglier.

2 avril 1870.

LXI Honnête homme,[modifier]


Honnête homme, c’est bien, tu souffres, sois content.
Montre, en te tenant droit, le but auquel on tend.
Sers de cible aux méchants et sers aux bons d’exemple.
Quand César est fait dieu par le prêtre en plein temple,
Quand les Trimalcions se mettent à genoux,
Prouver sa force est grand, montrer son cœur est doux.
Le malheur, tu le veux ; l’exil, tu le réclames.
La conscience est l’astre intérieur des âmes
Dont le juste en son cœur contemple le lever.
Tout est le bien venu qui vient nous éprouver.
Ce que vous appelez,, vous autres, chose triste,
Sort fatal, deuil, douleur ; n’est rien, quand on persiste.
Qu’importe l’ouragan, l’éclair, la foudre, tout ?
Le chêne est satisfait quand il reste debout.

20 avril 1870.

LXII L’empire atroce avorte en empire plaintif.[modifier]


L’empire atroce avorte en empire plaintif.
Sénat, conseil d’état, et corps législatif,
Va, Babel ! continue. Emplis-toi de harangues !
Parle neuf cents patois avec tes neuf. cents langues !
Entasse lois, projets, rêves, décrets perdus !
Bâtis avec le bien et le mal confondus,
Avec le plomb et l’or, le granit et l’argile,
Avec Dupin, Franklin, Voltaire et l’Evangile,
Ton monument que Dieu jamais ne protégea,
Pas encore édifice et ruine déjà !
Sois au maître quelconque ! aboie aux hommes libres !
Du peuple douloureux froisse toutes les fibres !
Va ! Dieu tient seul le peuple et seul dicte la loi.
Le soir mystérieux se fait autour de toi.
L’ombre qui vient du fond des mornes solitudes,
Et qui mêle l’espace avec les multitudes,
T’enveloppe, ô Babel, et baigne tes degrés !
Devant tes bras tendus et tes cris effarés
L’auguste conscience éternelle recule.
Tu trembles comme un arbre au vent du crépuscule,
Tandis que l’avenir approche avec le bruit
D’un déluge, ô terreur ! qui monte dans la nuit.

Mars 1870.

LXIII COUPS DE CLAIRON[modifier]


Soufflez-moi vos rages,
Soufflez-moi vos cris,
Justices, outrages,
Tragiques mépris,

Soufflez la huée !
Penchez-vous sur moi,
Venez, ô nuée.
Des faces d’effroi ;

Raison qui M’éclaires,
Gloire au rude accent,
O dents populaires
Dans l’ombre grinçant,

Droit, force imperdable,
Sarcasme qui mords,
Rire formidable,
Plaie au flanc-des morts,


Logique implacable,
Honneur déserté,
Loi qu’un crime accable,
Et toi, Liberté,

Pâle, en proie aux fièvres
Du vil Lambessa,
Essuyant tes lèvres
Que Judas baisa ;

Grands devoirs sévères
Fiers de rester seuls,
Douleurs des Calvaires,
Trous noirs des linceuls,

Haine incorruptible.
Du mal châtié,
Et toi si terrible,
O sainte pitié,

Vérités farouches
Dont tremble Néron !
Vous êtes les bouches,
Je suis le clairon.

 
I

Quelle est cette ville
Haute sous les cieux
Et qui semble vile,
Bien qu’énorme aux yeux

?

Cette ville est celle
Qui commande ici ;
Le vin y ruisselle,
Et le sang aussi.

Cette citadelle
Sur cet- horizon
Règne, et n’est fidèle
Qu’à la trahison.

Ce burg où l’on monte
Luit dans la vapeur.
Le mont en a honte,
Et l’arbre en a peur ;

Car ces tours damnées,
Hostiles aux cieux,
Sont les cheminées
D’un feu monstrueux.

Vois sur la colline,
Sous les lourds barreaux,
La lueur féline
De leurs soupiraux.

Une flamme noire
Où l’honneur, les lois,
La vertu, la gloire,
Brûlent à la fois,

Dans cette bastille,
Peuple ! aux yeux de tous,
Flamboie et pétille ;
La cendre ; c’est vous.


II

Cette cité veille
Du haut de ses forts,
Au dedans vermeille,
Sinistre au dehors.
Ses maîtres jouissent,
Brigands potentats :
Fiers, ils s’éblouissent
De leurs attentats.
Fêtes décevantes !
Heureux et hideux 1.
Des lyres servantes
Rôdent autour d’eux.

Ces apothéoses.
Cachent des remords.
C’est un tas de roses
Sur un tas de morts.
Ils ont pour trophée.
Un glaive félon.
La tombe étouffée
Est sous leur talon.
Clameurs jusqu’aux nues,
Faux dieux évoqués ;
Les femmes sont nues,
Les cœurs sont masqu

és.
L’affreuse prière
Du prêtre effronté
Chante et rit, dèrrière.
La horde sans culte,
Sans foi, sans laurier ;
Emplit de tumulte.
L’antre meurtrier.
Il leur faut des belles,
Il leur faut des lys ;
Ces tyrans rebelles,
D’un vin sombre emplis,
Font cette chimère
D’unir sous le ciel
La fleur éphémère
Au crime éternel.
Ils se prostituent ;
La couronne au front,
Ils boivent, ils tuent,
Et, repus, ils ont

Dans leurs noirs refuges ;
A leur vil foyer,
Leur iniquité.
La robe des juges
Pour tout essuyer.

L’homme est lâche et souple ;
A leur déshonneur
Le destin s’accouple ;
Et ce long bonheur


Que nul coup ne brise,
Que voit le ciel bleu,
Sera la surprise
Du réveil de Dieu.

III

Le choc de leurs verres
Sous les grands arceaux,
Fait sur les Calvaires
Remuer des os.

On voit des Électres
Dans l’obscurité.
L’œil fixe des spectres
Est sur leur gaîté.

Dans l’ombre où leurs faces
Semblent des clartés,
On voit des audaces
Et des nudités.

On voit par la vitre
Ce flagrant délit,
Le casque et la mitre
Dans le même lit.

L’Église se livre,
Pâmée, au plus fort ;
Le Sacerdoce ivre
Epouse la M

ort.

Effroyables noces !
On dirait les voix
Des bêtes féroces
Chantant dans les bois.

IV

Ils vivent en hâte.
C’est l’éden enfer
Que la foudre tâte
Avec un éclair.
Le roi de Sodome
Est là, l’œil en feu,
Et, crachant sur l’homme,
Ecume sur Dieu.

On a tant de fêtes
Sous cet empereur
Que les blancs prophètes
Frémissent d’horreur !

Dans ce crépuscule,
Brume où Dieu s’abstient,
Le lion recule
Et le serpent vient.

V

Ce tas de complices
Est en sûreté.
Hélas ! dés supplices
Sort la lâchet

e.

Toujours fut muette :
La ville où tombait’
L’odeur du squelette,
L’ombre du gibet.

Eux, que leur importe
A ces impudents,
Puisqu’ils ont leur porte,
Barree en, dedans ! ,

Qu’est-ce donc - ô proie !
O fortune ! ô sort -
Qui manqué à leur- joie ?
Tout n’est-il pas mort ?

Les créneaux sans nombre,
Le long mur dormant
Font un monceau d’ombre
Sur leur flamboiement.

Visible en ces brumes,
L’aigle menaçant
Passe entre ses plumes
Son bec teint de sang.

Leur dédain féroce
Nargue l’ennemi.
Leur tour est colosse,
Le reste est fourmi.
Sous ce mur immense
Se mettre en arrêt !
Dieu même en démence
Y réfléchirait.


Jamais dans la Grèce,
Jamais dans Rama,
Ville ou forteresse
Si bien ne ferma.

L’écureuil qui saute
Tremblerait de voir
Une tour si haute,
Un fossé si noir.

L’entrée est oblique,
Le rempart est sûr,.
Et quiconque applique
Son oreille au mur

Jamais ne s’en vante,
Et, pâle, éperdu,
Garde l’épouvante
Du rire entendu.

J’ai la foi, la flamme,
La religion
Par laquelle une âme
Devient légion !

Qu’en mon cœur se forme
Et déborde à flot
La parole énorme
Qui semble un sanglot !


Que de mes entrailles
Sorte le grand mot
Qui court aux murailles
Et donne l’assaut !

Le mot que le bonze
Craint plus, mage impur,
Qu’un bélier de bronze
Au pied de son mur !

Le mot qu’à Florence.
Dit Dante irrité ;
Le mot Espérance !
Le mot Liberté !

Que chaque vers chante
Et soit un guerrier !
Que la strophe ardente
Se mette à crier !

Que ce fier poème,
Apre, ouvrant son flanc,
Semant l’anathème,
Bondissant, mêlant

Au choc de l’épée
Le pas du lion,
Semble une épopée
En rébellion !

Que, hors de la tente,
Devant l’escadron,
L’Idée éclatante
S’allonge en clairon !


Que l’hymne s’élève,
Clair, rude, inclément,
Chanson qui s’achève
En rugissement !

Ah ! la ville est forte,
Et ses lourds remparts
Pour chiens à leur porte
Ont des léopards ;

La ville est fermée
Et le mur hautain
Abrite une armée
Et couvre un festin

Dans la forteresse
Rit le camp vermeil ;
Ainsi la tigresse
Se lèche au soleil.

Mais les fêtes cessent
Si soudain le soir
Des clairons se dressent
Sur l’horizon noir.

Le vil prêtre avide
Jette son Koran ;
Tout devient livide
Autour du tyran ;

Et le maître même
Pâlit, bégayant,
Quand un cri sûprême,
Un chant effrayant


Éclôt, populaire,
Fauve et souverain,
Dans de la colère
Et dans de l’airain !

Trompettes terribles,
Chantez et sonnez !
Sur ces tours horribles,
Clairons indignés,

Clairons et trompettes,
Jetez votre bruit,
Car ces tours sont faites
De crime et de nuit !

Votre voix de cuivre,
Quand vient le moment,
Gronde et se fait suivre
Par l’écroulement.

Jetez votre insulte,
Comme un vent des cieux,
Jetez le tumulte
Des chants furieux

Sur les tours altières
Des fourbes vainqueurs,
Sur ces sombres pierres,
Sur ces affreux cœurs !


Sur Davus ministre,
Sur César Typhon,
Sur le nain sinistre,
Sur le nain bouffon,

Sur l’enfer qui grince
Et qui triomphait,
Sur le bandit, prince
De tout ce forfait !

Jetez l’harmonie
Qui hurle et hennit
Sur la tyrannie
Bâtie en granit,

Sur l’âpre muraille,
Sur le burg lascif
Où le festin raille
Le tombeau pensif !

Ils ont beau, ces traîtres,
Bénis des faux dieux
Et chers aiix faux prêtres,
Être monstrueux ;

Leur alcôve obscène,
Douce à leurs sommeils,
Le matin est pleine
De rires vermeils ;

Gais, ils peuvent prendre,
Bourreaux en chaleur,
Des baisers de cendre
Aux bouches en fleur ;


Les prostituées
Dans leurs alhambras
Comme des nuées.
Pssent dans leurs bras ;

Mathan les encense ;
Ils ont, à huis clos,
Tout ; l’or, la puissance,
Et la fange, à flots ;

Clairons ! vomitoires !
Votre acharnement
Remplace ces gloires
Par le châtiment !

Courage ! couràge !
Guerre à l’antre obscur !
Que l’immense outrage
Soufflette ce mur !

Guerre au nid pirate !
Dénoncez au ciel
Cette scélérate
Qu’on nomme Babel !

Que dans l’air qui tremble
Votre hymne écumant
Vole, éclate et semble
Un déchaînement !

Votre souffle d’ombre
Déjà donne aux tours
Un penchement sombre,
Effroi des vautours,


Et fait, sous l’opprobre,
Mieux crouler les murs
Qu’un soleil d’octobre
Ne fend les fruits mûrs.

Sonnez ! tout s’effare.
Sonnez, voix du sort !
De votre fanfare
Une flamme sort.

Malheur à la joie !
Au maître, au seigneur
Sous qui le sort ploie !
Malheur au bonheur !

Malheur au roc chauve,
Au donjon dès loups,
Au parapet fauve
Hérissé de clous !

Malheur aux prunelles
Du lynx, du chacal,
Et des sentinelles
Qui gardent le mal !

Malheur aux chlamydes
Des archers postés
Sur des pyramides
Autour des cités !


Malheur aux mosquées,
Aux portes des rois,
Aux tours attaquées
La nuit par des voix !

L’essaim d’hirondelles
Fuira de leur front ;
Les battements d’ailes
S’évanouiront.

On verra des rides
Aux murs blancs de chaux,
Et les chambres vides
S’empliront d’échos.

Que les Babylones
Et que les Memphis ;
Dressent des colonnes
Comme des défis ;

Qu’on fasse une ville
A triple fossé ;
Que tout soit servile
Ou soit terrassé ;

Que le roi barbare
Sorti des limons,
Mette une tiare.
De tours sur les monts ;

Sur les lois qu’il foule
Il luit, foudroyant ;
Il règne ; et la foule
Demande, en voyant


Que tout le contemple,
Prêtres et valets,
S’il est dans un temple
Ou dans un palais.

Il est grand, superbe,
Et sous ce voleur.
L’homme est comme l’herbe ;
C’est bien, mais malheur,

Malheur à ce temple,
A cette impudeur,
A ce crime, exemple
D’ombre et de grandeur ;

Malheur à ce groupe
De murs factieux
Que le soir découpe
Sur le clair des cieux ;

Malheur à ces fêtes,
Aux grands dômes lourds
Qui, montrant leurs faîtes
Plus hauts que les tours,

Difformes ; immondes,
Noirs avec Iendeur,
Des ténébreux mondes
Semblent la rondeur ;

Malheur aux armées
Jetant dans les champs,
La nuit, des fumées,
Et le jour, des chants ;


Malheur à ces fastes,
Aux jeux, aux concerts,
ces palais vastes,
A ces donjons fiers,

Emplissant l’espace,
Dans l’ombre aperçus ;
Si quelqu’un qùi passe
Vient souffler dessus !

Clairons ! ceux qui saignent
Ont l’air de dormir,
Les âmes s’éteignent.
On n’ose frémir.

La morne patrie
Se laisse accabler.
Que votre furie.
La fasse parler !

Que toute souffrance,
Que tout droit meurtri,
Reprenne espérance
Et jette son cri !

Que l’espace immense
Soit plein de clartés,
Et d’une semence
De cœurs irrités !


Que chaque âme envoie
Son éclair sanglant !
Que dans l’ombre on voie
Jaillir, s’envolant

Sur les bois, les haies,
Les champs, le lac bleu,
Des lèvres des plaies.
Les langues de feu !

Sonnez sans relâche !
Racontez aux cieux
A quel point ce lâche
Fut audacieux !

Frappez l’homme blênie !
Faites en ce lieu
Un bruit de blasphème
En l’honneur de Dieu !

Frappez la muraille
Du crime impuni.
Que votre appel aille
Droit à l’infini !

Que ce chant s’enfonce ;
Et, deuil ; foudre, affront,
Force à la réponse
L’Inconnu profond !


Du soir à l’aurore
Criez au secours !
Et sonnez encore,
Et sonnez toujours !

Quand par la pensée,
Souffle aérien,
La roche est poussée,
Elle dit hé bien !

La tour la plus fière
Sous ce vent périt.
Qu’est-ce que la pierre
Peut contre l’esprit ?

Qu’après la tempête
De vos sombres chants,
Le spectre, la bête,
Les mages méchants,

Demandent aux nues ;
Au vent qui s’enfuit :
Que sont devenues
Les tours de la nuit ?

Où donc, ô vallée,
O brume, ô mistral,
S’en est-elle allée,
La ville du mal ? .


La ville ivre et fière
D’où Dieu fut banni,
Qui-choquait son verre
Contre l’infini,

Qu’on entendait rire,
Et qui sur les monts
Le soir, faisait luire
Des yeùx dé démons ? -

Qu’ils cherchent, funèbres,
Ecoutant l’écho,
L’amas de ténèbres
Qui fut Jéricho !

Qu’ils cherchent les arbres,
Les chars, les pavois !
Qu’ils cherchent les marbres,
Qu’ils cherchent les voix !

Qu’ils Cherchent le maître,
Le chef, le gardien,
Le psaume du prêtre,
L’aboiement du chien !

Et les hallebardes,
Et l’encensoir d’or,
Et le pas des gardes
Dans le corridor !

Les thyrses de lierre,
Les murs teints de sang,
Et la fourmilière
Des femmes dansant !


Les belles fantasques,
A l’œil tendre et fou,
Qui nouaient des masques
Derrière leur cou !

L’herbe et l’alouette,
Et l’aigle en son nid,
Et la silhouette
Des sphinx de granit !

Les donjons épiques,
Les grands arsenaux !
Qu’ils cherchent les piques
Entre les créneaux !

Qu’ils cherchent les rampes,
Les jardins, les cours,
Le reflet des lampes
Aux rondeurs des tours !

Quelle nuit profonde,
O vent syrien !
Qu’ils cherchent un monde,
Et ne trouvent rien !

2 février 1870.

  1. Testament littéraire. Actes et Paroles. Depuis l’exil.