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Chapitre X — GNU/Linux
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En 1993, le mouvement du logiciel libre arriva à un croisement. D’un point de vue optimiste, tous les signes indiquaient le succès de la culture « hacker ». Wired, un nouveau magazine offrant des articles sur le cryptage des données, Usenet, et la liberté des logiciels, se vendait bien dans les librairies. L’Internet, d’abord jargon utilisé uniquement par les hackers et professeurs universitaires, avait trouvé le chemin menant au dictionnaire. Même le président Clinton l’utilisait. L’ordinateur personnel, jouet pour amateur au début, avait acquis un respect global, donnant accès aux logiciels écrits par des hackers à toute une nouvelle génération d’utilisateurs. Et alors que le Projet GNU n’était pas encore finalisé comme un système d’exploitation totalement libre, les utilisateurs curieux pouvaient toujours essayer Linux en attendant.

De tout point de vue, les nouvelles étaient bonnes, ou le semblaient-elles. Après une décennie de combat, les hackers et leurs valeurs commençaient finalement à être acceptés par la société en général. Ils étaient assimilés.

Mais l'étaient-ils vraiment ? Pour un esprit pessimiste, chaque signe d’intégration avait son mauvais côté. Bien sûr, être un hacker était soudain à la mode, mais être à la mode, était-ce bon pour une communauté qui prospérait sur l’exclusion ? Bien sûr, la Maison Blanche ne tarissait pas d'éloges au sujet d’Internet, allant même jusqu’à avoir son propre nom de domaine, whitehouse.gov, mais tout cela était accompagné par des entreprises, des comités de censures, et des organismes de répression qui essayaient de dompter la culture Far West d’Internet. Bien sûr, les PC étaient plus puissants, mais en inondant le marché avec ses puces, Intel avait créé une situation dans laquelle les éditeurs de logiciels propriétaires avaient le pouvoir. Pour chaque utilisateur rejoignant la cause du logiciel libre grâce à Linux, des centaines, voire des milliers, démarraient Microsoft Windows pour la première fois.

Enfin, il y avait l’étrange nature de Linux. Non restreint par des failles de conception (comme GNU) ou des problèmes légaux (comme BSD), l’évolution à haute vitesse de Linux a été si inattendue, son succès si accidentel, que les programmeurs les plus proches du code ne savaient qu’en faire. Étant plus un album de compilations qu’un système d’exploitation, il était constitué d’un mélange des plus grands compilateurs à la sauce « hacker » : tout depuis GCC, GDB et glibc (le projet de librairie C nouvellement développé par GNU) à X (un système d’interface graphique basé sur Unix développé par le Laboratoire de Science Informatique du MIT) en passant par des outils développés par BSD comme BIND (le Démon de Nommage pour Internet de Berkeley, qui permet d’utiliser des noms de domaines faciles à mémoriser au lieu d’adresses IP) et TCP/IP. La pierre angulaire étant bien sûr le noyau Linux ― lui-même une version retaillée et surchargée de Minix. Plutôt que de refaire un système d’exploitation à partir du début, Torvalds et son équipe de programmeurs, croissant rapidement, avaient suivi le vieil adage de Picasso : « les bons artistes empruntent ; les grands artistes volent ». Ou comme Torvalds lui-même le transcrirait à propos de son propre succès : « Je suis juste une personne très oisive qui aime avoir les honneurs pour le travail que d’autres font [1]. »

Une telle fainéantise, bien que d’une admirable efficacité, était troublante d’un point de vue politique. Cela soulignait le manque d’idéologie de Torvalds. À la différence des développeurs de GNU, Torvalds n’avait pas bâti un système d’exploitation avec le but de fournir un outil de travail aux autres hackers ; il avait bâti quelque chose avec quoi il pouvait s'amuser. Tout comme Tom Sawyer peinturlurant une clôture, le génie de Torvalds repose moins sur ses talents de visionnaire que sur sa capacité à recruter d’autres hackers pour accélérer le développement.

Cependant, une question troublante n'était toujours pas posée par la réussite de Torvalds et ses recrues : qu’était exactement Linux ? Était-ce une manifestation de la philosophie du logiciel libre d’abord exprimée par Stallman dans le Manifeste de GNU ? Ou bien était-ce simplement une habile compilation de logiciels que n’importe quel utilisateur, pareillement motivé, pourrait assembler sur son propre système domestique ?

Vers fin 1993, un nombre grandissant d’utilisateurs de Linux tendait vers la seconde définition et commençaient à brasser leurs propres variations de Linux. Ils eurent même le culot de les mettre en bouteille et vendre leurs variations (ou distributions) à d’autres amateurs d’Unix. Les résultats étaient pour le moins médiocres.

« C’était bien avant Red Hat et les autres distributions commerciales », se souvient Ian Murdock, alors étudiant en sciences informatiques à l’université de Purdue. « En lisant un magazine Unix, vous trouviez toutes ces pubs de la taille d’une carte de visite proclamant 'Linux'. La plupart étant des opérations sous-marines, ne voyant aucun problème à glisser un peu de leur code dans le mélange. »

Murdock, un programmeur Unix, se souvient avoir été « balayé » par Linux après l'avoir téléchargé et installé pour la première fois sur son PC domestique. « C'était juste beaucoup de plaisir », dit-il. « Ça m'a donné envie de m'impliquer ». Néanmoins, l'explosion de distributions de mauvaise qualité finit par plomber son enthousiasme naissant. Il décida donc que la meilleure façon de s'impliquer serait de faire une version de Linux propre de tout additif. Murdock entreprit donc de lister tous les meilleurs logiciels libres disponibles avec l'intention de les intégrer à sa distribution. « Je voulais faire quelque chose qui ferait honneur à Linux », dit Murdock.

Dans l'objectif « d'attirer l'attention », Murdock posta son projet sur l'Internet, y compris sur le fil Usenet comp.os.linux. L'une des toutes premières réponses émanait de rms@ai.mit.edu. En tant que hacker, Murdock reconnut l'adresse aussitôt. Il s'agissait de Richard M. Stallman, un homme que Murdock connaissait à l'époque comme initiateur du projet GNU et surtout comme « le hacker parmi les hackers ». Voyant l'adresse dans sa boîte email, Murdock fut ébahi. Pourquoi donc Stallman, une personne dirigeant son propre projet de système d'exploitation, s'intéresserait-il à ses pleurnicheries concernant Linux ?

Murdock ouvrit le message.

« Il disait que la FSF commençait à regarder Linux de près et que faire un système Linux pourrait aussi l'intéresser. Pour Stallman, nos objectifs étaient compatibles dans leurs principes. »

Le message représentait une volte-face dramatique pour Stallman. Jusqu'en 1993, Stallman s'était contenté de ne pas se mêler des affaires de la communauté Linux. En fait, il avait complètement déconsidéré le système d'exploitation rebelle à son arrivée dans le monde Unix en 1991. Après avoir reçu la première alerte d'un système de type Unix fonctionnant sur PC, Stallman dit qu'il délégua la tâche d'examiner ce système à un ami. Stallman se rappelle : « Il me rapporta que le programme était modelé sur system-V, qui était une version inférieure d'Unix. Il m'a aussi dit qu'il n'était pas portable. »

Le rapport de cet ami était correct. Fait pour fonctionner sur des machines à base d'Intel 386, Linux était fortement ancré à sa plate-forme bon marché. Ce que cet ami ne rapporta pas, par contre, était l'énorme avantage de Linux en tant que seul système d'exploitation librement modifiable sur le marché. En d'autres termes, tandis que Stallman passa les trois années suivantes à lire les rapports de bogues de son équipe HURD, Torvalds raflait les programmeurs qui allaient ensuite porter Linux sur de nouvelles plate-formes.

En 1993, l'incapacité du Projet GNU à fournir un noyau fonctionnel créait de nombreux problèmes au sein même du Projet GNU aussi bien que dans le mouvement du logiciel libre au sens large. Un article du magazine Wired, écrit par Simson Garfinkel en Mars 1993, déclarait le projet GNU « enlisé » malgré le succès de nombreux autres outils du projet [2]. Les membres du projet et sa branche sans but lucratif, la FSF, se souviennent que l'atmosphère était encore pire que l'article de Simson Garfinkel ne le laissait entendre. « Il était très clair, au moins pour moi à cette époque, qu'il y avait une fenêtre pour introduire un nouveau système d'exploitation », dit Chassell. « Et dès l'instant que cette fenêtre était fermée, les gens étaient devenus moins intéressés. C'est exactement ce qu'il s'est produit, en fait [3]. »

Les efforts du Projet GNU durant la période 1990-1993 ont fait couler beaucoup d'encre. Tandis que certains blâment Stallman pour ces difficultés, Eric Raymond, un des premiers membres de l'équipe GNU Emacs et plus tard critique de Stallman, dit que le problème était nettement institutionnel. « La FSF devint arrogante », dit Raymond. Ils se sont écartés de leur but, qui était de faire un système d'exploitation fonctionnel, pour faire un système d'exploitation expérimental ». Pire encore, « Ils pensaient que rien hors de la FSF ne pouvait les atteindre. »

Murdock, moins proche des mécanismes internes du Projet GNU, porte un jugement moins sévère. « Je pense que le problème est qu'ils étaient un peu trop ambitieux et qu'ils persistèrent à prendre de bonnes initiatives pour en corriger de mauvaises », dit-il. « Les micro-noyaux à la fin des années 1980 et au début des années 1990 étaient un sujet à débat. Malheureusement, c'est à ce moment que le Projet GNU commença à planifier son propre noyau. Ils finirent avec beaucoup de travail réalisé, mais il leur en aurait fallu faire encore plus pour revenir en arrière. »

Stallman cite de nombreux problèmes expliquant les délais. Les procès Lotus et Apple avaient amené des distractions politiques, qui, couplées à l'incapacité de Stallman à taper, lui rendaient la tâche difficile pour aider l'équipe du HURD. Stallman cite également la mauvaise communication entre différentes parties du Projet GNU. « Nous avions beaucoup de travail à faire pour avoir un environnement de débogage fonctionnel », se souvient-il. « Et les gens qui maintenaient GDB à l'époque n'étaient pas très coopératifs ». Le plus gros problème étant, dit Stallman, que lui et les autres membres du Projet GNU sous-estimaient la difficulté d'étendre le micro-noyau Mach à un noyau Unix complet.

« Je me disais, OK, la partie [de Mach] communiquant avec la machine a déjà été déboguée », dit Stallman, se souvenant des déboires de l'équipe du HURD dans un discours en 2000. « Avec cette avance, nous devions pouvoir finir le travail plus vite. Malgré cela, il s'est révélé que déboguer ces programmes asynchrones et multithreadés était vraiment difficile. Il y avait des bogues temporels qui souillaient les fichiers, et ça n'était pas drôle. Le résultat final est qu'il a fallu de très nombreuses années pour avoir une version de test [4] ».

Qu'importe l'excuse, ou les excuses, le succès des concurrents, à savoir l'équipe du noyau Linux, créa une situation de forte tension. Bien sûr, le noyau Linux avait été licencié sous GPL, mais comme Murdock lui-même l'avait précisé, l'intention de traiter Linux comme un pur système d'exploitation libre était loin de faire l'unanimité. Vers fin 1993, le nombre des utilisateurs de Linux était passée d'une douzaine de fans de Minix à quelque chose entre 20 000 et 100 000 [5]. Ce qui n'était au début qu'un hobby était maintenant un marché mûr pour l'exploitation. Comme Winston Churchill observant les troupes soviétiques marchant dans Berlin, Stallman ressentit, on le comprend, des émotions mitigées à l'heure de la célébration de la « victoire » de Linux [6].

Bien qu'en retard à la fête, Stallman avait toujours du mordant. Aussitôt que la FSF annonça qu'elle fournirait son argent et son support moral au projet logiciel de Murdock, d'autres offres de support commencèrent à affluer. Murdock nomma le nouveau projet Debian, compression du prénom de sa femme, Deborah, et du sien, et en quelques semaines, la première version de la distribution fut sortie. « [Le soutien de Richard] catapulta Debian d'un petit projet à quelque chose qui retint l'attention de la communauté pratiquement en l'espace d'une nuit », dit Murdock.

En janvier 1994, Murdock publia le manifeste de Debian. Écrit dans l'esprit du manifeste de GNU de Stallman, publié une décennie plus tôt, il expliquait l'importance de travailler intimement avec la FSF. Murdock écrit :

La Free Software Foundation joue un rôle extrêmement important dans le futur de [la distribution] Debian. Par le simple fait qu'ils vont la distribuer, un message est envoyé au monde que Linux n'est pas un produit commercial et qu'il ne devrait jamais l'être, mais cela ne signifie pas que Linux ne sera jamais capable de concourir commercialement. Pour ceux qui ne seraient pas d'accord, je vous défie de justifier le succès de GNU Emacs et de GCC, qui ne sont pas des logiciels commerciaux mais qui ont pourtant eu un certain impact sur le marché commercial.
Le temps est venu de se concentrer sur le futur de Linux en lieu et place de l'objectif destructeur qui est de s'enrichir aux dépends de toute la communauté Linux et de son avenir. Le développement et la distribution de Debian ne sont peut-être pas des réponses aux problèmes que j'ai mentionnés dans ce Manifeste, mais j'espère au moins attirer suffisamment l'attention sur ces problèmes pour qu'ils puissent être résolus.

Peu après la publication du Manifeste, la FSF fit sa première demande importante. Stallman voulait que Murdock appelle sa distribution « GNU/Linux ». Au début, dit Murdock, Stallman voulait utiliser le terme « Lignux », comme Linux avec GNU en son cœur, mais un bref test du terme sur Usenet et dans certains groupes de hackers entraîna suffisamment de noms d'oiseaux pour que Stallman change pour l'expression moins maladroite « GNU/Linux ».

Bien que certains virent la démarche de Stallman consistant à préfixer « GNU » comme une tentative tardive pour gagner du crédit, Murdock pensait différemment. Rétrospectivement, il y vit plutôt une tentative de contrecarrer la tension grandissante entre le Projet GNU et les développeurs du noyau Linux. « Il y avait l'amorce d'une rupture », se souvient Murdock. « Richard était inquiet. »

La plus sérieuse rupture, dit Murdock, portait sur glibc. Raccourci de GNU C Library, glibc est le paquet qui permet aux programmeurs de faire des appels système adressés au noyau. Durant les années 1993-1994, glibc fut un goulot d'étranglement problématique au développement de Linux. Les nouveaux utilisateurs ajoutaient tellement de nouvelles fonctions au noyau Linux que les mainteneurs de glibc furent vite submergés par les suggestions de modification. Frustrés par les délais et la réputation de traîne-savate du Projet GNU, certains développeurs Linux suggérèrent la création d'un fork, c'est-à-dire une version de glibc spécifique à Linux et développée en parallèle.

Dans le monde des hackers, les forks sont d'intéressants phénomènes. Bien que l'éthique des hackers permette à un programmeur de faire ce qu'il veut avec le code source d'un programme, la plupart des hackers préfèrent reverser leurs innovations dans un fichier central du code source, ou « arbre », pour s'assurer de la compatibilité avec les programmes des autres. « Forker » glibc si tôt dans le développement de Linux aurait signifié la perte des contributions potentielles de centaines, voire de milliers de développeurs de Linux. Cela aurait signifié aussi une incompatibilité croissante entre Linux et le système GNU que Stallman et l'équipe GNU espéraient toujours développer.

En tant que leader du Projet GNU, Stallman avait déjà eu l'expérience des effets négatifs des forks logiciels en 1991. Un groupe de développeurs d'Emacs travaillant pour une entreprise nommée Lucid furent déçus devant le refus de Stallman de reverser leurs modifications au code source de GNU Emacs. Le fork avait donné naissance à une version parallèle, Lucid Emacs, et beaucoup de ressentiment [7].

D'après Murdock, Debian basait son travail sur un fork similaire de glibc, ce qui motiva Stallman à insister sur l'ajout du préfixe GNU quand Debian publia sa distribution logicielle. « Le fork a depuis convergé. Néanmoins, à l'époque il y avait une préoccupation selon laquelle la communauté Linux, dans la mesure où elle se serait considérée comme autre chose qu'une partie de la communauté GNU, pouvait entraîner une désunion. »

Stallman corrobore les souvenirs de Murdock. En fait, selon lui, il y avait des forks naissants à tous les principaux composants de GNU. Au début, Stallman considérait ces forks comme le produit de raisins acides. À l'opposé de la dynamique rapide et informelle de l'équipe du noyau Linux, les mainteneurs du code source de GNU tendaient à être plus lents et circonspects dans leurs changements qui pourraient affecter la viabilité à long terme d'un programme. Ils étaient par contre moins hésitants quant à critiquer sévèrement le code des autres. Le temps passant, à la lecture des emails des développeurs de Linux, Stallman commença à sentir un manque latent de conscience du Projet GNU et de ses objectifs.

« Nous avons découvert que les gens qui se considéraient eux-mêmes utilisateurs de Linux se moquaient du Projet GNU », dit Stallman. « Ils disaient, 'Pourquoi devrais-je m'en préoccuper? Je me moque du Projet GNU. Ça marche pour moi. Ça marche pour la plupart des utilisateurs de Linux, et rien d'autre n'a d'importance pour nous'. Et cela était vraiment une surprise étant donné que ces personnes utilisaient à la base une variante du système GNU, et ils s'en inquiétaient si peu. Ils se moquaient de GNU plus que quiconque. »

Tandis que certains vécurent comme un renversement politique la description de Linux comme une variante de GNU, Murdock, déjà sympathisant à la cause des logiciels libres, considérait comme raisonnable la requête de Stallman consistant à appeler la version de Debian « GNU/Linux ». « C'était davantage la recherche d'une unité que celle d'une reconnaissance », dit-il.

Des demandes de nature plus technique s'ensuivirent. Bien que Murdock fût arrangeant sur les problèmes d'ordre politique, il était plus rigide concernant la structure et le modèle de développement du logiciel lui-même. Ce qui avait commencé comme une démonstration de solidarité devint vite le miroir des conflits dans les autres projets GNU.

« Je peux vous dire avoir eu ma part de désaccords avec lui », dit Murdock avec un rire. « Honnêtement, Richard peut être une personne avec qui il est difficile de travailler. »

En 1996, après sa sortie de l'Université de Purdue, Murdock décida de passer les rênes du projet Debian alors en plein essor. Il avait déjà cédé les tâches administratives à Bruce Perens, le hacker bien connu pour son travail sur Electric Fence, un utilitaire Unix licencié sous GPL. Perens, tout comme Murdock, était un programmeur Unix qui était tombé amoureux de GNU/Linux aussitôt que les propriétés Unix de Linux étaient devenues apparentes. Tout comme Murdock, Perens sympathisa avec le courant politique de Stallman et la FSF, quoique de manière plus éloignée.

« Je me souviens qu'après que Stallman eut publié le Manifeste de GNU, GNU Emacs et GCC, j'avais lu un article disant qu'il travaillait en tant que consultant pour Intel », dit Perens, évoquant ses premières impressions sur Stallman à la fin des années 1980. « Je lui ai écrit pour lui demander comment il pouvait défendre les logiciels libres d'un côté et travailler pour Intel de l'autre. Il m'a répondu : 'Je travaille en tant que consultant pour produire des logiciels libres'. Il était parfaitement courtois et j'ai alors pensé que sa réponse était l'évidence même. »

En tant que développeur important de Debian, par contre, Perens observait avec stupéfaction les batailles entre Stallman et Murdock concernant la conception de Debian. À son accession à la tête de l'équipe de développement, Perens prit la décision de mettre de la distance entre Debian et la FSF. « J'ai décidé que nous ne voulions pas de micro-direction dans le style de Richard », dit-il.

Selon Perens, Stallman fut pris à contrepied par la décision mais eut la sagesse de faire avec. « Il nous donna du mou puis envoya un message disant que nous avions vraiment besoin d'une relation. Il demanda que nous appelions le système GNU/Linux et que nous en restions là. Je décidai que c'était convenable. Je pris la décision unilatéralement. Tout le monde soupira de soulagement. »

Le temps passant, Debian allait développer une réputation de version hacker de Linux, aux côtés de Slackware, une autre distribution populaire construite durant la même période 1993-1994. Malgré tout, hors du royaume des systèmes pour hackers, Linux commençait à faire parler de lui dans le marché des Unix commerciaux. En Caroline du Nord, une entreprise Unix nommée Red Hat réorganisait ses affaires pour se concentrer sur Linux. Le président directeur général était Robert Young, l'éditeur original du Linux Journal qui, en 1994, avait demandé à Linus Torvalds s'il regrettait d'avoir licencié le noyau sous GPL. Pour Young, la réponse de Torvalds eut un profond impact sur sa vision de Linux. Au lieu de chercher une tactique traditionnelle pour caler GNU/Linux sur le marché, Young commença à se demander ce qui se passerait si une entreprise adoptait la même démarche que Debian, c'est à dire assembler un système d'exploitation en n'utilisant que des logiciels libres. Cygnus Solutions, l'entreprise montée par Michael Tiemann et John Gilmore en 1990, démontrait déjà la possibilité de vendre des logiciels libres en se basant sur leur qualité et leur adaptabilité. Et si Red Hat avait la même approche avec GNU/Linux ?

« Dans la tradition des scientifiques occidentaux, nous nous tenions sur des épaules de géants », dit Young, citant à la fois Torvalds et Sir Isaac Newton avant lui. « En affaires, cela se traduit par éviter de réinventer la roue. La beauté du modèle [de la GPL] est que vous placez votre code dans le domaine public [8]. Si vous êtes un vendeur de logiciel indépendant, que vous essayez de concevoir une application et avez besoin d'utiliser un composeur pour modem, et bien... pourquoi réinventer les composeurs ? Vous pouvez juste chiper PPP de Red Hat Linux et l'utiliser au coeur de votre outil pour composeurs de modems. Si vous avez besoin d'une collection d'outils graphiques, vous n'avez pas besoin de réécrire votre bibliothèque graphique. Téléchargez juste GTK. Soudainement, vous avez la capacité de réutiliser ce qu'il y a de mieux. Et soudainement, votre objectif en tant que fabricant de logiciels est moins tourné sur la gestion des logiciels et davantage sur l'écriture de logiciels adaptés aux besoins de vos clients. »

Références

  1. Torvalds a cité cette phrase à de nombreuses reprises. La référence la plus notable est dans le livre de Eric Raymond, La Cathédrale et le Bazar (mai 1997) http://www.tuxedo.org/~esr/writings/cathedral-bazaar/cathedral-bazaar/index.html.
  2. Simson Garfinkel, Stallman est-il stoppé ?, Wired (mars 1993)
  3. La théorie de Chassell au sujet d'une fenêtre de 36 mois pour le lancement d'un nouveau système d'exploitation n'est pas unique au Projet GNU. Au début des années 1990, les versions libres de la Berkeley Software Distribution étaient entravées par les avocats du Unix System Laboratories restreignant la distribution des logiciels dérivés de BSD. Alors que de nombreux utilisateurs considéraient les dérivés de BSD comme FreeBSD et OpenBSD comme étant supérieurs à GNU/Linux tant sur les performances que sur la sécurité, le nombre d'utilisateurs de FreeBSD et OpenBSD ne représentent qu'une fraction de la population totale d'utilisateurs de GNU/Linux. Pour une analyse du succès relatif de GNU/Linux en comparaison d'autres systèmes libres, voir l'essai du hacker néo-zélandais, Liam Greenwood, Pourquoi Linux est-il une réussite ? (1999). http://www.freebsddiary.org/linux.php
  4. Discours du Maui High Performance Computing Center (Cf. chap. 8). Dans les courriels suivant ce discours, j'ai demandé à Stallman ce qu'il voulait dire exactement par « bogues temporels ». Stallman expliqua qu'utiliser l'expression « erreurs temporelles » était le meilleur moyen de résumer le problème. Il offrit une explication technique montrant l'influence des erreurs temporelles sur les performances d'un système d'exploitation : les « erreurs temporelles » arrivent dans un système asynchrone où des tâches parallèles peuvent en principe se dérouler dans n'importe quel ordre. Et certains ordres particuliers peuvent conduire à des problèmes. Imaginez qu'un programme A fasse X, et qu'un programme B fasse Y, où X et Y sont toutes deux des sous-routines qui examinent et mettent à jour une structure de données. Presque toujours, l'ordinateur exécutera X avant Y ou bien Y avant X, et il n'y aura donc aucun problème. À de rares occasions, par hasard, l'ordonnanceur laissera le programme A s'exécuter jusqu'à mi-parcours de X, puis lancera B qui fera Y. Ainsi, Y sera fait alors que X est à moitié fait. Étant donné que les processus mettent à jour la même structure de données, ils vont interférer. Par exemple, peut être que X a déjà examiné la structure de données et il ne verra pas qu'il y a eu une modification. Il y aura une faille non reproductible, car dépendante de nombreux facteurs aléatoires (quand l'ordonnanceur décide d'exécuter tel programme et durant un temps donné). La façon d'éviter ce genre d'erreur est d'utiliser un verrou pour s'assurer que X et Y ne se passent pas au même moment. Les programmeurs écrivant des systèmes asynchrones connaissent l'importance des verrous, mais parfois ils ne réalisent pas la nécessité d'un verrou à un endroit particulier ou sur une structure de données particulière. Alors le programme présente une erreur temporelle.
  5. Les chiffres concernant le nombre des utilisateurs de GNU/Linux sont au mieux approximatifs, c'est pourquoi je donne un si grand écart. Le chiffre 100 000 provient du site « Milestones » de Red Hat , http://www.redhat.com/about/corporate/milestones.html
  6. J'ai écrit cette analogie à Winston Churchill avant que Stallman ne m'envoie de lui-même son propre commentaire sur Churchill : « La seconde guerre mondiale et la détermination nécessaire pour vaincre étaient de forts souvenirs quand je grandissais. Des déclarations telles que celles de Churchill, 'Nous les combattrons sur les zones de débarquement, nous les combattrons sur les plages... nous ne nous rendrons jamais', ont toujours résonné dans mon esprit. »
  7. Jamie Zawinski, un ancien programmeur de Lucid qui allait devenir le chef de l'équipe de développement de Mozilla, a un site Internet qui documente le fork Lucid/GNU Emacs, intitulé, « Le schisme Lemacs/FSFmacs ». http://www.jwz.org/doc/lemacs.html
  8. Young utilise le terme « domaine public » de manière erronée ici. Le domaine public signifie « non protégé par copyright ». Les programmes protégés sous GPL sont par définition protégés par copyright.