Méditation d’un solitaire sur la peine de mort

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Méditation d’un solitaire sur la peine de mort
H. L. Delloye (2p. 464-474).

MÉDITATION D’UN SOLITAIRE SUR LA PEINE DE MORT.

Pour estimer le monde, il faut lui dire adieu :
Se séparer de lui, c’est s’approcher de Dieu.
Le vain savoir de l’homme aux cités tient école ;
Mais c’est dans le désert, que Dieu prend la parole.
On y devient plus juste auprès d’un tel témoin,
Car en voyant de haut, on voit aussi plus loin.
Le désert nourricier alimente l’étude :
Tout ce qu’on voit de grand sort de la solitude ;

Et ce Numa, qui marche à la tête des rois,
S’absentait des Romains, pour leur donner des lois.
Ainsi pensait jadis, loin du bruit retirée,
D’un Lycurgue inconnu la sagesse ignorée.
Proscrit par les humains, quand il veillait pour eux,
Il voulait se venger, en-les rendant heureux.
Maintenant qu’il est mort, parlons de ses ouvrages !
Pour étudier l’homme exhumant tous les âges,
Coutume par coutume il en suivait le cours.
Frappé du désaccord ,qu’il remarquait toujours,
Entre un mal à guérir et son remède même,
L’univers social lui parut un problème,
Qu’on avait cru résoudre, en s’en débarrassant,
Et que l’on n’expliquait encor qu’avec du sang.
Las bientôt d’explorer, conduit par sa mémoire,
Le dédale uniforme, ou circule l’histoire,
Son œil mâle et perçant cessa d’y voyager :
Et l’interrogateur s’arrêta pour juger.

I

A quoi bon, disait-il, tourner vingt fois la page ?
Qu’’y voir ? la liberté, grosse de l’esclavage,
Accoucher de la guerre au profit des tyrans :
Mille forfaits pareils sous des noms différents !
La royauté du meurtre environne le globe :

Et comment espérer que l’homme s y dérobe.
Quand on le voit partout, pour mieux s’en prémunir,
L’installer dans les lois, qui doivent le punir :
Quand on le voit partout, de ses bourreaux complice,
D’une loque de pourpre habiller la justice ?
Si c’est là que le monde arrive, en s’éclairant,
Mieux vaudrait, en troupeaux, dansles forêts errant,
Au lieu de redresser un front noble et superbe,
Le pencher vers le sol, en y broutant son herbe.
Jean-Jacque a, je le crains, dit vrai pour l’avenir !
Ce n’est pas que Je veuille avec lui maintenir,
Que l’on est dépravé par cela seul qu’on pense :
Ce serait avilir un don que Dieu dispense ;
Mais j’ai peur qu’il n’ait eu raison de l’avancer :
C’est en se dépravant, qu’on apprend à penser.
Le crime et le malheur, qu’à sa suite il amène,
Sont du même âge, hélas ! que la pensée humaine.

II

Quand nous redescendons vers ces jours sourcilleux,
Où comme leurs forêts végétaient nos aicux,
Nous n’y retrouvons pas les traces de nos larmes :
Mais naît-il à l’esprit, l’homme naît aux alarmes ;
En songeant au malheur, il l’a vu commencer.
Lorsqu’’en ses vieilles mœurs il eut senti glisser
Cet instinct d’union, que, dans la solitude,
De son morne bonheur étouffait l’habitude,

Il n’usa de ce don, que pour s’en attrister.
Du pacte social prompt à se dégoûter,
Il s’aperçut bientôt, dans sa raison sauvage,
Qu’il venait de forger son collier d’esclavage,
Et voulut, par les lois, retourner, pas à pas,
Vers ces temps primitifs, où l’on n’en avait pas.
Que l’homme vers ce but s’est bien trompé de route !
Au lieu de consulter la sagesse du doute,
Il a marché toujours, sans se rien demander,
Toujours les yeux ouverts, pour ne rien regarder.
Quelquechemin qu’il prenne, on le voit, dans sa rage,
Y dresser de ses dieux l’autel anthropophage,
Et, mettant une hache aux mains de l’équité,
Contrefaire le crime avec sécurité.

III


Pauvres mortels ! vos lois, avec leurs représailles,
Empiètent, sans remords, sur l’horreur des batailles.
Et que sert, répondez, la mort d’un assassin ?
Qui ressuscitez-vous, en lui perçant le sein ?
Personne : c’est greffer un forfait sur un autre.
Ia frappé son frère, et vous frappez le vôtre :
Lui, la nuit : vous, le jour : que m’importe ! Le sang,
Quand je le vois couler, est toujours innocent.
Se peut-il que la terre, unanime en démence,
Du Code universel ait rayé la clémence ?

Il est des murs pieux, où la Divinité,
Au chevet du délire, assied la charité :
Où la religion, surveillant la folie,
Relève à la pensée une tête qui plie :
Et celui, dont le crime a troublé la raison.
Vous n’avez que du fer pour toute guérison !

IV.

Vous craignez que rentré dans la commune lice,
Il n’y sème, en marchant, les miasmes du vice !
De la contagion il faut se préserver !
C’est un membre pourri d’un corps qu’il faut sauver !
Retranchez-le du monde, et non de l’existence.
Contre un vaincu sans arme, armés d’une sentence,
Ne l’avez-vous vaincu, que pour le poignarder ?
C’est tuer son captif, pour ne pas le garder.
C’est empècher, dit-on, qu’il ne rompe ses chaînes !
Sous vos tonneaux dorés lugubres Diogènes,
Vous avez plutôt peur qu’on ne lève un impôt,
Pour acheter ses fers, ou payer son cachot.
Des trésors de l’Etat ministres économes,
Vous n’osez, largement, dépenser que des hommes !
Cessez d’en égorger, pour épargner du pain :
Le globe, à moitié vide, est plus grand que leur faim.
Quand c’est l’humanité qu’il faut que l’on ÿ fonde,
Devient-il trop étroit. pour contenir le monde ?


V.


Apprenez au commerce à vous coûter moins cher !
Fermez-moi ces marchés, et ces bazars de chair,
Où, comme du bétail, vous vendez vos semblables !
Forcez vos condamnés à défricher vos sables.
Leur nombre vous effraie !… Arrêtez ces vaisseaux,
Qui, partis commerçants pour aborder tombeaux,
Vont, de leurs cargaisons insultant l’Amérique,
Replanter sur son sol leurs cadavres d’Afrique.
Vous courez sur les flots, corsaires dégradés,
Voler autant de pleurs, que vous en marchandez !
Vous faites travailler, sous le fouet du supplice,
L’innocence qui marche au pas de l’avarice !
Et quand ses remplaçants sont presque à votre choix,
Quand leurs bras, maniant la bêche au nom des lois,
Comme expiation, peut labourer vos îles :
Quand le soc pénitent, qui les rendrait fertiles,
Peut réhabiliter tant de sillons pervers,
Et des sueurs du nègre absoudre vos déserts,
Vous aimez mieux couper, qu’utiliser des têtes !
Vous aimez mieux, blanchis dans d’ignobles conquêtes,
En pirates d’humains écumer les climats,
Que de vous dégrever de vos assassinats !
L’Etat se sert de sang, pour graisser ses rouages :
Pays civilisés, que vous êtes sauvages !


VI.

Le crime est une tache : et pour la corriger,
Vous étendez le meurtre, au lieu de l’éponger !
Le reméde, avec vous, vaut le mal qu’il réprime :
Tout homme, quand il meurt, prendle rang de victime.
Eh ! quel droit avez-vous de lui donner la mort ?
Vous l’immolez....... ! Sa vie appartient au remord.
Pourquoi donc détrôner la vengeance suprême,
Des pleurs du repentir lui voler le baptême,
Et subrogés du ciel, sans avoir son aveu,
Nous mettre un couperet à la place de Dieu ?
Ce Dieu, que savez-vous les ordres qu’il vous donne ?
Vous massacrez peut-être au moment qu’il pardonne.
Celui qui fit la vie a seul droit de l’ôter :
Et vous , l’usurpez-vous, pour vous en désister,
Pour qu’un mauvais semblant d’humaine créature
Devance effrontément l’ordre dela nature ?
Faire, en l’ouvrant vous-même, un égout du tombeau,
C’est chasser Dieu du ciel, pour y mettre un bourreau.

VII.

Jusqu’à quand voulez-vous, esclaves fanatiques,
Respirer à l’abri des billots domestiques,
Et, sous vos bastions bâtis sur un cercueil,

Dormir ensanglantés, un monstre sur le seuil ?
Sentinelle et laquais de votre métropole,
Qui garde vos maisons, son couteau sur l’épaule,
Qui vous a conseillé d’inventer le Bourreau,
Cet assassin légal, qui vous sert de manteau,
Protecteur qui répugne à celui qu’il protège,
Et que protège seul l’opprobre qui l’assiège :
Un être de rebut, nommeë par son métier,
Qu’on ne peut pas comprendre, et qu’on ose payer :
Des ulcères du monde effrayant exutoire,
Qui, sans guérir vos maux, en gangrène l’histoire ?
Vous, qui l’avez créé, ne le reniez pas.
Si la mort des méchants fait la paix des états,
Pourquoi couvrir d’honneur le juge qui l’ordonne,
De boue et de mépris le vassal qui la donne ?
Pourquoi, s’il est du peuple un des plus sûrs soutiens,
Lui refuser sa place au corps des citoyens ?
Vous aiguisez le fer, vous voulez que l’on tue,
Et quand on obéit, vous détournez la vue !
Egorgez donc vous-même, ou cessez d’égorger.
Quelque brigand de moins semble vous alléger :
Son pays, quand il meurt, se croit plus sûr de vivre :
Et de ce grand péril celui qui vous délivre,
Plus utile que vous, n’est pas au même rang !
Pourquoi se contredire : est-il si différent
De faire ou d’ordonner une œuvre meurtrière ?
C’est se mettre plusieurs, pour frapper par derrière ;


Quand le poignard est prêt, c’est venir le pousser :
Vous craignez seulement de vous éclabousser.

VIII


Pourquoi tant vous cabrer contre l’idolâtrie,
Qui brûle des humains aux dieux de la patrie ?
Chevaliers du Seigneur, n’avez-vous pas, chrétiens,
Vos fétiches de sang, tout comme les paiens ?
D’un monde émancipé décrépites barrières,
Quand donc fermerez— vous vos charniers judiciaires ?
Eh ! ne sentez-vous pas, qu’en plaçant, hors de vous,
L’être ignoble et passif, qui vous vend s6n : courroux,
Vous placez avec luï votre loi hors nature ?
Que la hache, à la fin, perde sa dictature !
Du temple social le dôme vieillissant
Se démolit lui-même, en se reconstruisant :
L’échafaud qui l’étaie est un poids qui l’écrase.
Gardiens de vos cités, qui tremblent par la base,
Vos gibets permanents font-ils fuir les forfaits ?
Leur nombre, tous les Jours, grossit sous vos arrêts :
Il croît par la terreur, que la Justice imprime ;
La rigueur de la perne est l’aliment du crime.
N’est-il aucun moyen propre à le conjurer ?
Ah ! du moins qu’on l’essaie, avant de l’assurer :
Et nos lois répondront, lorsque leur indulgence
Aura duré le temps, qu’a duré leur vengeance.

Tâchez jusqu’au pardon d’élever l’équité :
La pitié même au ciel n’est pas l’impunité.
Pardonnez : et vos mœurs vont dater d’une autre êre,
Et vieil enfant, sevré de son lait funéraire,
L’homme, qui rampe encor, pourra bientôt bondir,
Sans glisser dans le sang, qu’il a bu pour grandir.

IX.


Qui de nous n’a gémi sur les maux de la guerre,
Dont la tempête armée enveloppe la terre,
Et n’attend, pour tomber, que le signal des rois ?
La guerre aura son frein dans la douceur des lois.
Qu’on vante, si l’on veut, ce fléau magnanime !
Pour moi, Je n’y vois rien qu’une lèpre unanime,
Dont on se guérira sous des codes meilleurs.
C’est le crime, passé dans les mains de plusieurs,
Le meurtre organisé, déclaré légitime,
Sur la foi d’un traité signé par la victime,
Et qui nous fait verser, à nous et nos enfants,
Plus de pleurs en un jour, que le crime en vingt ans.
Est-ce un bout de laurier qui le métamorphose ?
L’attentat est le même, aussi bien que sa cause.
Que m’importe de voir, au front du meurtrier,
Le bonnet d’un esclave, ou celui d’un guerrier !
Attifez son orgueil des haïllons de la gloire :
Le nom d’assassin perce à travers la victoire.

Ces cris d’amour, cesfleurs, qu’on Jette sur ses pas,
Décorent son forfait, et ne le cachent pas.
Tranchez, ou couronnez, sa tête fratricide,
En est-il moins Caïn ? Et n’est-il pas stupide,
Quand on se leve en corps contre l’assassinat,
De le prendre à sa solde, en l’appelant soldat ?
N’est-ce pas à vos yeux le comble du délire,
D’applaudir aux forfaits qu’on prétend interdire ;
Et quand on fait des lois, pour s’en débarrasser,
D’en destiner une autre à le récompenser ?

X.


Providence terrestre, 1l faut que la Justice
N’ose pas d’un coupable offrir le sacrifice,
Et l’on craindra bientôt d’immoler, sans raison,
Des milliers d’innocents à la gloire d’un nom.
Respectons, dans la vie, un bien qu’on peut défendre,
Mais qu’un autre que nous a seul droit de reprendre !
Que l’homme, en sa faveur, daigne, au moins d’un côté,
Faire acte de respect envers l’humanité !
Quand il aura fermé quelqu’une de ses tombes,
Soyez sûr que bientôt, cessant leurs hécatombes,
Des rois n’oseront plus commander à ses mains
De faucher, comme l’herbe, une moisson d’humains :
Et l’arbre social, qui doit couvrir le monde,
Grandira, délivré de la faulx qui l’émonde.