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Veillée (Gautier)

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Œuvres de Théophile Gautier — PoésiesLemerreVolume 1 (p. 60-61).


VEILLÉE


Je lis les faits joyeux du bon Pantagruel,
Je sais presque par cœur l’histoire véritable
Des quatre fils Aymon et de Robert-le-Diable.

GRANDVAL, Le Vice puni.


Lorsque le lambris craque, ébranlé sourdement,
Que de la cheminée il jaillit par moment
Des sons surnaturels, qu’avec un bruit étrange
Pétillent les tisons entourés d’une frange
D’un feu blafard et pâle, et que des vieux portraits
De bizarres lueurs font grimacer les traits,
Seul, assis, loin du bruit, du récit des merveilles
D’autrefois aimez-vous bercer vos longues veilles ?
C’est mon plaisir à moi : si, dans un vieux château,
J’ai trouvé par hasard quelque lourd in-quarto,
Sur les rayons poudreux d’une armoire gothique
Dès longtemps oublié, mais dont la marge antique,
Couverte d’ornements, de fantastiques fleurs,
Brille, comme un vitrail, des plus vives couleurs,
Je ne puis le quitter. Lais, virelais, ballades,
Légendes de béats guérissant les malades,
Les possédés du diable et les pauvres lépreux,
Par un signe de croix ; chroniques d’anciens preux,
Mes yeux dévorent tout ; c’est en vain que l’horloge
Tinte par douze fois, que le hibou déloge

En glapissant, blessé des rayons du flambeau
Qui m’éclaire ; je lis : sur la table à tombeau,
Le long du chandelier, cependant la bougie
En larges nappes coule, et la vitre rougie
Laisse voir dans le ciel, au bord de l’orient,
Le soleil qui se lève avec un front riant.