Volupté (Sainte-Beuve)/XXIV

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J'avais été ordonné prêtre à la Trinité. De nouvelles relations se formaient autour de moi ; des devoirs immenses, dont j'appréciais l'étendue, bordaient de toutes parts ma route et y jetaient de fortes ombres. J'étais retourné un moment à Paris, après mon ordination. La dernière attache personnelle que j'y avais gardée n'existait plus ; madame de Cursy était morte à la fin du dernier hiver, depuis trois mois environ, sans que je l'eusse pu revoir, et le petit couvent, peuplé à peine de quelques religieuses très âgées et devenues infirmes, offrait une solitude veuve, dans laquelle la mort introduite n'allait plus cesser. Durant cette dernière année aussi, j'avais appris que mademoiselle de Liniers, cédant à la volonté de sa grand-mère au lit de mort, avait consenti enfin à accepter ce qu'on appelle un parti avantageux ; elle avait épousé une personne plus âgée qu'elle, mais de naissance et dans des fonctions élevées. Que je lui sus un gré sincère, ange de sacrifice, de cette obéissance à une mourante, et de cette résignation de son cœur ! Il me semblait y saisir, entre autres motifs pieux, un sentiment particulier de délicatesse qui s'efforçait de m'alléger un remords. Je n'avais eu, depuis bien des semaines, aucune nouvelle directe de Blois ; madame de Couaën allait, à ce que je craignais, s'affaiblissant de jour en jour, bien qu'avec des alternatives de mieux qui rappelaient l'espérance et dissimulaient le déclin. Après m'être présenté à Paris devant mes supérieurs ecclésiastiques, qui me marquèrent mille faveurs, je me décidai par plusieurs raisons à faire le voyage de Rome ; mais, avant de partir, j'eus un désir invincible de revoir le pays natal, la ferme de mon oncle, et, je n'osais me le dire, la tour de Couaën. Sept longues années s'étaient écoulées depuis que j'avais quitté ces bois d'heureux abri. Il n'y avait plus un être vivant qui m'y attirât ; mais j'avais besoin des lieux, des plages. Revêtu d'un ministère nouveau, je voulais bénir le champ de mort de mes pères ; je voulais, homme mûr, m'incliner en pleurs vers mon berceau, me rafraîchir un peu aux vierges ombrages de l'enfance, me repentir le long du sentier de convoitise de l'adolescent. Avant d'entreprendre une marche pénible et infatigable dans les routes populeuses, il me tardait de faire ce détour pour respirer encore une fois l'odeur des bruyères, pour m'imprégner, en pleine saison, de cette fleur éparse des vives années et du souvenir sans fin de quelques âmes.

C'est par une belle après-midi, qu'étant descendu de voiture à la ville prochaine et reparti à cheval aussitôt, le long des haies, des fossés, des champs de blés rougissant par le soleil et non pas blondissant, comme ailleurs ; croisant çà et là quelques troupeaux de petits moutons noirs sur les gazons ras et fleuris, j'arrivai à la maison de mon oncle, qui était la mienne depuis sa mort, qui avait été ma demeure d'enfance et de jeunesse jusqu'au terme de mon séjour dans la contrée. J'en aperçus d'abord à travers la claire-voie, les fenêtres garnies presque toutes de nids d'hirondelles, en signe d'absence, et les herbes grandies de la cour. Des chiens inconnus s'élancèrent, en aboyant, à mon approche, et ne s'arrêtèrent qu'à la vue de mon habit :

En ce grave pays, les chiens même reconnaissent, respectent l'habit du prêtre et du clerc. A la fin, le jardinier parut ; c'étaient lui et sa femme qui, depuis des années, gardaient seuls ce logis, et, chaque matin, d'après mes anciens ordres, ils avaient rouvert ces volets et chassé cette poussière, comme si j'eusse dû arriver le jour même : un mot écrit par moi à tout hasard avait été leur loi. J'entrai avec émotion en ces chambres inhabitées où tout était religieusement conservé dans la dernière disposition d'autrefois et ainsi qu'au lendemain des funérailles : les chaises propres placées en regard aux angles d'usage ; la table au milieu attendant la veillée du soir ; dans un coin, des cadres appuyés à la muraille et non accrochés du vivant de mon oncle, et qui étaient près de l'être, et qui ne le seraient jamais, image exacte de tant de projets et d'espérances ! derrière une porte, à un clou de bois, le même grand chapeau de paille pour ceux qui iraient au jardin durant la chaleur du jour. Je revis tout, je remontai à ma chambre proche du grenier, là où je conversais, enfant, avec les nuées du ciel et avec les ramiers des toits : une cage ouverte, pendue encore à la fenêtre, me rappela une première douleur, une histoire de bouvreuil envolé. Je redescendis précipitamment et m'enfonçai dans le jardin et les prés, à travers les hautes fougères, hautes en vérité comme de jeunes sapins ; je m'y perdais et m'y retrouvais ; tout me paraissait à chaque pas, tantôt plus petit de proportion et de distance, tantôt plus grand que je ne me l'étais figuré ; mais c'était toujours plus touffu, plus sylvestre, plus abondant encore que je n'avais pensé en odeur saine et sauvage. Côtoyant l'étang et le cours d'eau vive, image des saintes eaux dans la solitude, je bus d'un long trait à cette source de mon héritage, si limpide, hélas ! et si longtemps négligée, qui, tandis que le maître s'égarait ailleurs, n'avait pas cessé, elle, d'arroser et d'appeler, et de courir, pour le brin d'herbe du moins et pour l'oiseau. Il ne me manquait à cette heure qu'un ami à qui je pusse dire un peu ce qui m'oppressait, au sein duquel je pusse laisser tomber mes pleurs avec les paroles qui soulagent. Qui n'a pas ainsi rêvé un ami resté après nous dans nos chemins de l'enfance, retrouvé après dix ans au bout de la même allée, un bréviaire à la main ; un ami, le témoin et le gardien de nos jeunes désirs, le chapelain fidèle de nos premiers vœux et de nos virginales ardeurs ? Tout ce que nous nous étions promis une fois, le soir d'une communion sainte ; tout ce que nous projetions, les larmes aux yeux, en causant avec lui le long du berceau d'aubépines, il l'a tenu ; il n'a pas bougé, il n'a pas dépassé la ville prochaine ; il a étudié, il a prié, il a monté chaque année un degré. Il y a eu un moment dans sa vie où ceux qui, la veille, le bénissaient, il les a, à son tour, bénis, où il est rentré, lévite de Dieu, dans la maison de son père, voyant chacun s'incliner à son aspect ; et cela s'est fait sans interruption orageuse, sans crise, sans absence, comme par ce simple mouvement des saisons qui pousse les arbres et les charge de feuillage. Le jour surtout où l'on rentre soi-même au toit paternel désert, qui n'a pas rêvé un tel ami ?

Il est dit selon la maxime de l'humaine prudence :

“ Passez souvent dans le sentier qui mène chez l'ami ; car autrement l'herbe y croîtra hérissée de broussailles. ” Ce conseil est bon envers les amis qu'on rencontre tard envers ceux que la convenance, un attrait frivole ou délicat, un intérêt et un but commun nous associent : mais il est des amis d'enfance, des amis qui se sont faits à l'âge où les âmes se forment, avant qu'elles aient pris leur dureté virile et que l'écorce s'en soit épaissie ; il est de ces amis qu'on ne voit jamais, qu'on retrouve une fois après dix ans seulement, qu'on n'a pas eu besoin d'entretenir ni de réparer, et qui sont toujours les plus sûrs, les plus chers au cœur. L'herbe sans doute a crû dans le sentier durant l'intervalle, elle y a poussé comme une forêt ; mais quand on y repasse, après un si long temps, ce n'est que plus doux, et les ronces même y ont leur charme comme dans la bruyère du vallon natal.

Moi, j'étouffais de pleurs, je suffoquais de souvenirs, faute d'un tel ami qui m'aidât à les porter. Que la nuit fut longue ! et quelle active et magique insomnie sous ces rideaux de famille, parsemés d'antiques fleurs et de figures ! Chaque figure, chaque fleur peinte jouait à ma pensée comme un composé d'âmes des morts. Dès le lendemain, de grand matin, ayant reparcouru tous les mêmes sentiers d'alentour dans la rosée, je sentis que c'était trop ; que m'exposer à un second coucher de soleil en oct horizon si chargé, c'était à faire éclater l'âme. J'avais décidé que je ne visiterais que cette maison et Couaën, pas d'autres lieux, ni la Gastine ni rien de ce côté. - Je partis donc aussitôt après le déjeuner, sur un petit cheval du pays avec mon porte-manteau en croupe, en disant qu'on ne m'attendît plus, et je me dirigeai vers le château à deux lieues de là, pressé de traverser comme en droite ligne cette mer inondante de souvenirs et de parfums. Mon dessein était de m'arrêter seulement une ou deux heures et de regagner la ville, puis Paris incontinent.

Je me rappelais, en mettant pied à terre à certains endroits des chemins creux, ce jour où j'y étais allé pour la première fois, découvrant la route mystérieuse, comme maintenant, je la reconnaissais. Oh ! mon pressentiment ne m'avait pas trompé alors ; c'était bien là qu'avait dû en effet se rencontrer le principal embranchement de ma vie. Tout ce que j'étais devenu ne dépendait-il pas de ce premier voyage ? Dans l'intervalle depuis lors, toute la destinée s'était pour moi développée et comme infléchie sous l'impulsion de ce commencement ; la roue de ma fortune humaine avait versé de ce côté. Ce n'était rien de frappant aux yeux du monde ; si peu d'événements, et si peu visibles ! mais de près, toute une série de sentiments, de passions, d'erreurs, qui avaient découlé de là ; une nature tendre, émue, riche et faible tout ensemble, parcourant ses phases, subissant ses orages, jusqu'à ce port divin d'où elle repartait bénie, armée, affermie, je l'espérais, avec les orages du dehors à craindre désormais plutôt que ceux du dedans. Voilà bien un abrégé, pensais-je, de la plupart des destinées obscures des hommes ! Voilà donc ce que c'est qu'une jeunesse passée, ce je ne sais quoi d'enchanté et d'indéfini qui se perdait en si lointaines promesses ! Que n'eussé-je pas fait de ces années brûlantes dont on ne jouit qu'une fois, si les circonstances m'avaient aussi bien poussé vers les endroits apparents ? - Au lieu de cela, rien ; rien, et tout autant, hélas ! en réalité que si le résultat avait brillé davantage ; car que de troubles, de pensées, de vicissitudes et de combats ! quel monde intérieur ! Et dans le passé et dans le présent, n'est-ce pas là l'histoire de beaucoup ? Que d'autres existences sans doute et de jeunesses, capables de luire, également ensevelies ! Quelle immensité de combinaisons, d'avortements, de luttes et de souffrances cachées ! Voilà bien la vie. La masse de la société n'est que cela. La face de cette société change, se renouvelle, diffère avec les temps ; mais, sous ces nouveautés de forme et d'apparence, pauvres humains, générations tour à tour jeunes et flétries, pareilles aux feuilles des arbres, a dit l'antique poète, les mêmes encore aujourd'hui sous le souffle de Dieu qu'au temps de Job et de Salomon, pauvres humains, nous roulons au-dedans de nous les perpétuelles et monotones révolutions de nos cœurs. Ces révolutions éclatent plus ou moins au-dehors, et parfois se mêlent à ce qu'on appelle histoire, mais l'éclat ne fait rien à leur accomplissement. Toutes ces races qui se succèdent sur la terre naissent et fleurissent en leur saison, s'agitent et tourbillonnent à peu près sous les mêmes bises. Heureux parmi elles, heureux qui s'assure, dès avant l'hiver, l'unique printemps invariable et sacré ! Et je me disais ces choses sur le renouvellement constant des mêmes passions humaines, le long des haies toujours verdoyantes, au sein de la nature en fête et non changée. - A mesure que j'avançais vers le château, dont j'apercevais par instants la tour, il me semblait que je revenais toucher à mon point de départ pour clore de plus en plus le cercle de ma première destinée. J'étais troublé, chemin faisant, comme d'une dernière attente ; mais mon trouble ne prévoyait pas tout.

En passant la première barrière et en traversant la cour de la ferme, je fus surpris de trouver un air de mouvement au château et non pas l'abandon morne, l'aspect inhabité que j'espérais : la fenêtre de la chambre que j'avais occupée longtemps, au-dessus de la porte d'entrée, était toute grande ouverte. La seconde barrière aussi passée avec mon cheval, que je menais par la bride, je vis, à travers la porte grillée du jardin, les autres volets pareillement ouverts. Au bruit des pas du cheval sous la voûte, une personne s'avança de la cour intérieure : c'était M. de Couaën ; jugez de notre étonnement, surtout du sien. Bien que séparés depuis des années, le sentiment qui domina dans cet accueil fut la surprise, et sur son front un léger embarras. “ J'étais dans le pays, balbutiai-je tout d'abord comme en me justifiant, j'ai voulu revoir encore une fois ces lieux d'où je vous croyais toujours éloigné ; mais comment vous y trouvé-je, comment êtes-vous ici ? ” “Nous ne sommes en effet arrivés que d'hier soir, me dit-il ; madame de Couaën a eu un si extrême désir de respirer cet air presque natal, cette brise des mers, que j'ai dû céder à ce vœu de malade ; car elle l'est, malade, d'une manière plus inquiétante que jamais, ajouta-t-il. J'ai donc écrit pour une permission à M. D..., et il nous l'a fait expédier sans retard. Elle est très faible et fatiguée de la route, j'irai la disposer à votre présence. ” Et j'admirais par quelle concordance merveilleuse ce désir en elle de revoir Couaën se rattachait au mien, qui était né subit aussi, maladif en moi et irrésistible.

— Quoi ! le même jour, à la même heure peut-être, elle à Blois, moi à Paris, sans nous entendre, sans aucun but déterminé, nous aurions ressenti tout d'un coup une si violente et inexprimable tentation de visiter les mêmes lieux, d'y respirer un moment ; et après des années d'absence, de privation et de prudence rigoureuse, nous nous y trouverions de nouveau en face l'un de l'autre, par pur hasard et au risque de troubles mortels ! - Non, cela n'est pas ; les causes secondes et aveugles, qui pour l'homme s'appellent hasard n'ont pas ainsi pouvoir de se jouer de nous et de remettre en question la paix de nos âmes ; non, il n'y a que le doigt invisible qui ait pu préparer ceci, parce qu'il veut en tirer quelque chose de grand, de bon. Et une pensée haute et tendre me saisit au cœur, accompagnée d'un frisson de saint effroi, et je suivis en tremblant le marquis dans la chambre de la tour où il m'introduisait.

Elle était couchée sur une chaise longue, près de la fenêtre entrouverte, à la même place où je l'avais vue une première fois brodant au tambour. Elle ne se retourna pas non plus qu'alors, quand j'entrai, mais, hélas ! c'était faiblesse et non distraction rêveuse. Sa fille, déjà grande, de dix à onze ans, se tenait debout entre la chaise longue et la fenêtre, les yeux sur ceux de sa mère. Je m'avançai vivement vers madame de Couaën ; je lui serrai une main qu'elle me tendait, et la sentis au toucher bien sèche et bien grêle. Quant au visage, elle était pâle comme autrefois, mais fondue et diminuée sous les blanches dentelles qui l'entouraient. Bientôt un peu de rougeur lui vint en parlant. Quelques mèches noires échappées sur son front, ses yeux toujours brillants et comme agrandis par la maigreur, contrastaient avec cette joue flétrie. Ainsi étendue pourtant, calme, belle encore, dans cette chaude odeur de pêcher qui entrait avec le soleil et transpirait autour d'elle, si l'on n'avait su les lentes années de son mal, on l'eût prise pour une convalescente. - “ Monsieur Amaury (car je veux toujours ainsi vous appeler), s'écria-t-elle la première d'un ton de voix dont je compris tout l'effort délicat et l'intention consolante, est-ce bien vous que nous revoyons ! et quelle grâce de Dieu vous amène ? ” Et elle me parla des événements de l'intervalle, de la grande résolution que j'avais conçue et accomplie, et qu'elle avait, disait-elle, tant admirée ; de ce qu'elle en avait écrit souvent à cette bonne tante que nous avions perdue, et quelle satisfaction ç'avait été pour celle-ci avant de mourir, m'aimant tout à fait comme l'un des siens. Après ces mutuels regrets sur madame de Cursy, je lui parlai de sa fille, si avancée déjà, sa compagne si attentive, et de cette précieuse éducation suivie à loisir durant tant de longues journées en ces années solitaires. - Une idée brusque la saisissant, elle me demanda si je n'avais rien su du tout de l'arrivée de quelqu'un au château avant d'y entrer, et comme je lui dis que j'ignorais absolument toute arrivée et que j'étais uniquement venu pour revoir au passage, pendant une seule heure, des lieux si impossibles à oublier, elle répliqua par un mouvement involontaire, adoucissant en chemin, du mieux qu'elle put, sa funeste pensée par un sourire (pensée, au reste, qui rejoignait précisément la mienne) : “ C'est singulier, on pourrait croire que c'est le Ciel exprès qui vous envoie. Et en effet, monsieur Amaury, qui sait si bientôt quelqu'un n'aura pas ici besoin de vous ? ” Un silence de nous tous suivit cette triste parole.

M de Couaën eut un sensible mouvement, soit de douleur, soit de mécontentement et d'embarras ; et il se pouvait qu'il fût embarrassé de ma présence, qu'il fût choqué surtout de l'idée d'une intervention possible de mon ministère. Le premier, il rompit l'entretien en parlant de la fatigue qu'on devait éviter dans la position de madame de Couaën, et tous les deux nous sortîmes.

La chaleur était accablante ; il m'emmena au fond des bosquets, où nous nous assîmes. Je pus apprécier l'effrayant progrès du malheur, durant ces années, chez M. de Couaën, en proie éternellement qu'il était au deuil muet de son fils d'une part, et de l'autre, à ce duel sourd opiniâtre, envenimé, avec le chef de l'Empire. Il ne me toucha rien du premier point, mais j'entrevis, à quelques mots amèrement résignés qui lui échappèrent sur l'état de madame de Couaën, que cette perte serait moins pour lui une nouvelle et incomparable douleur que comme le réveil de l'ancienne. Ainsi, quand on a éprouvé une fois la plus grande douleur que l'on puisse supporter en ce monde, les suivantes, en arrivant, ne remplissent pas davantage le vase déjà plein, elles ne font que l'agiter et en remuer la profondeur. Elles ne font, en frappant sur le cœur ulcéré, que rouvrir par parties l'ancienne plaie immense.

Quant à l'autre objet et pâture de son animosité active, il y arriva vite et m'entreprit là-dessus comme s'il n'y avait pas eu d'interruption depuis nos conversations premières, s'inquiétant peu de mon changement de condition, et avec un je ne sais quoi de manie, propre à ces grands caractères qui se sont usés sur eux-mêmes et n'ont pas trouvé jour à leur emploi. Comme je l'écoutais sans objection, il m'en savait gré, et l'ombre jalouse que j'avais cru voir d'abord à sa face se dissipait en éclair d'amitié, tandis qu'ainsi il m'entretenait de sa haine. Il y avait une influence, une fascination dans ses paroles, sous laquelle je retombais, tout en y sentant plus fortement que jamais quelque chose d'outré, de faux, de destiné aux mécomptes. Son visage m'offrait cette espèce de transparence altérée, encore plus frappante qu'autrefois. A mesure qu'il s'exaltait dans son idée, il y blanchissait pour ainsi dire, il ne m'apparaissait plus du même âge qu'il y avait quatre années, il se faisait vieillard ; je me figurais voir s'étendre, le long des rides, à ses tempes plus chauves, les griffes clouées d'un vautour. Je ne le comparerai jamais mieux, selon mon impression d'alors, qu'à un capitaine qui, dans un pays conquis, soutient seul un siège sur un coin de roc durant des année, oublié mais invaincu, grand mais raidi, et devenu un peu pareil aux pierres de ses créneaux, incapable d'autre chose après cette défense et à demi fou ensuite, comme on l'a dit, je crois, de Barbanègre après Huningue ; ou encore à un blessé qui retient violemment ses entrailles et son sang, et qui met toute son haleine de vie à attendre la mort de son vainqueur.

Nous fûmes troublés au fort de notre conversation par une subite obscurité mêlée de tonnerre et par un torrent de pluie que nous n'avions pas vu venir, et qui ne nous donna pas le temps de rentrer. Tapis au plus fourré du feuillage, nous attendions un moment de trêve, lorsque bientôt, croyant entendre des voix redoublées qui appelaient, nous délogeâmes à travers l'ondée. C'était bien nous qu'on appelait ainsi par les jardins. Dès qu'elle nous aperçut, la jeune Lucy effarée se jeta aux bras de son père, en s'écriant que sa mère était morte, - qu'elle venait tout à l'heure de mourir !... Nous courûmes à la chambre et y trouvâmes en effet madame de Couaën sans connaissance sur sa chaise et comme inanimée : ce brusque orage avait produit une crise en elle. Tandis que nous nous occupions tous de lui faire recouvrer le sentiment, l'ordre fut donné par M. de Couaën d'aller chercher au plus tôt le médecin à la ville. Rappelé aux devoirs de ma position, je donnai de mon côté, tout bas, l'ordre qu'on allât avertir le recteur de la paroisse. On avait déposé madame de Couaën sur le lit : après de longs efforts et une lutte bien pénible, elle reprit ses sens. Sa première pensée en nous retrouvant fut de nous sourire, mais elle ne put s'empêcher de dire qu'elle ne revenait pas pour longtemps. Elle était déjà suffisamment remise, quand le recteur qui avait fait hâte entra ; elle le reconnut à son habit, ne l'ayant pas vu auparavant, et elle comprit l'intention de sa présence. C'est alors que, se tournant vers nous, sans que le moindre embarras fit faillir cette voix si faible, sans que la moindre rougeur altérât la pâleur unie et déjà morte de son front, elle déclara souhaiter, puisque Dieu semblait m'avoir envoyé à dessein, et si toutefois M. le recteur et M. de Couaën, à qui elle en demandait la faveur, y consentaient, que ce fût moi qui la confessât, la communiât et la préparât à la mort qu'elle sentait approcher. Le recteur, qui me connaissait déjà de nom s'empressa, après deux ou trois questions qu'il me fit, d'acquiescer au vœu de la malade et de me céder tout pouvoir. Mais un nuage passa au front de M. de Couaën ; ce fut très rapide, et, lui-même, il vint, en me serrant convulsivement les mains, me conjurer d'accepter. J'eus un moment de doute extrême : mais quand l'idée de tant de coïncidences miraculeuses s'éclaircit en moi, quand après ce premier acheminement en Bretagne par suite de mon premier désir, je vins à rapprocher de la scène présente ce second désir si ardent que j'avais eu le matin même de quitter incontinent la maison de mon oncle pour Couaën, je ne pus méconnaître toute une ligne tracée et une indication lumineuse des voies de Dieu. Je m'inclinai donc ne répondant que peu de mots qu'étouffaient les larmes, et je sortis de la chambre pour me recueillir par la prière avant les heures du ministère redoutable.

A peine retiré dans cette autre chambre où j'avais logé autrefois et qu'on m'avait de nouveau fait préparer, le poids m'accabla ; je tombai abîmé, le front contre terre, et j'invoquai avec élancement Celui qui fortifie et qui attendrit, qui donne au cœur la cuirasse d'airain et aux lèvres la suavité incorruptible ; Celui qui sait surtout comment, jeune ou vieillard on parle aux vierges, aux veuves, aux courtisanes ou aux épouses, comment on console les mères au lit de mort ; le même qui écoutait sans scandale, près du puits de Jacob, les paroles de la Samaritaine ; qui, dans la maison de Simon, sentit couler à flots, sur ses pieds, les pleurs et les parfums de la Magdeleine et fut ensuite essuyé des cheveux de cette femme, sans la repousser et sans en être troublé non plus, en disant hautement qu'elle faisait bien ; Celui qui jugea que la sœur de Marthe, assise tout un jour à ses pieds pour l'entendre, avait la bonne part ; Celui qui inspire et arme les confesseurs, et envoie aux moindres d'entre eux, s'ils sont sincères, un reflet de ses vertus, une majesté qui n'a rien de farouche, une condescendance qui n'a rien de charnel. Repassant au hasard les exemples qui semblaient un peu propres à m'autoriser, je le priai, ce Dieu des faibles et des mourants, qu'il me permît d'être moins dur, moins menaçant que ne l'avait été Abélard repenti à l'égard d'Héloïse qui l'implorait ; qu'il me rendît moins complaisant et moins facile que ne le fut peut-être Fénelon envers la rêveuse des Torrents ; mais que j'atteignisse plutôt à quelque chose de clément à la fois et d'austère, à quelque chose entre saint Jérôme exhortant sainte Paula, et saint François de Sales fermant les yeux à la baronne de Thorens, Je le priai qu'il me rendît grave sans contrainte, sobre sans aucune sécheresse, soudainement aguerri, doué de clartés et d'accents inconnus, maître de mes pleurs, commandant à mes vieilles idoles, capable, sans trop m'ébranler, d'enlever bien haut cette âme, de l'engendrer à Dieu sans trop tressaillir, de la présenter immolée, comme une sainte proie, sans la trop voir. - L'âme du prêtre pasteur s'élèvera comme l'aigle, est-il enseigné. Que mon âme donc, aisément sublime si vous le voulez, Seigneur, s'élève et monte ! m'écriai-je ; qu'elle monte, comme un aigle zélé, impitoyable, qui ravit dans sa serre et rapporte jusqu'à vous la colombe !

Parmi les trois sacrements que j'allais administrer, la confession, l'extrême-onction et la communion, il en était deux, les deux premiers, dont je n'avais pas eu l'occasion encore, étant prêtre depuis six semaines au plus. C'était donc sur cette créature de tant de prédilection que j'allais commencer à user des pouvoirs conférés de juge et de purificateur. Les cèdres du Liban eux-mêmes en auraient tremblé. Le recteur me vint trouver un moment ; je me fixai avec précision sur tous les détails, et il me quitta pour aller prendre à son église l'hostie et les huiles saintes, pendant que j'entendrais la confession.

Quand je rentrai dans la chambre de la tour, j'avais revêtu le surplis que m'avait laissé le recteur. Elle était couchée sur le lit, entièrement habillée, dans une attitude modeste, les mains jointes, la tête à demi relevée par des coussins. Elle paraissait dans un état de non-souffrance, comme il arrive souvent aux malades en ce dernier intervalle. Les lignes de son visage étaient agrandies et tranquilles ; rien en elle, hors une ténuité de souffle et une mince haleine fébrile, ne trahissait le venin si présent de la mort. Tout le monde sortit, la porte de la chambre resta ouverte. La journée était redevenue belle, doucement rafraîchie, et le tintement des cloches, invitant aux prières des agonisants, nous arrivait de loin par instants avec la brise du soir, dans l'air plus sonore. Je me plaçai de manière qu'elle pût parler sans trop se pencher et sans que j'eusse à la voir moi-même ; le crucifix fut posé en face sur un coussin, à l'extrémité du lit : elle y avait les regards, et moi également. C'est alors que sa confession commença, aussi générale que possible, comme il sied à l'article de la mort.

Anges du ciel, Puissances d'amour et de crainte, avec vos encensoirs ou avec vos glaives, redoublez la garde autour de mon cœur, pour que ce qu'il a entendu en ces moments et répondu au nom de Dieu demeure scellé sept fois, pour que ce tabernacle de chair n'ait ni un déchirement ni un soupir, pour que ce qu'il a reçu de mystère y repose inviolablement à part, sans confusion possible avec le reste de mes souvenirs et de mes conjectures terrestres, ou plutôt pour que cela ne fasse jamais et à aucun moment n'ait fait partie de ma mémoire humaine, pour que ce ne soit en moi de ce côté que cendre, parfums, petite lampe lointaine et ténèbres environnantes, comme en un tombeau ! La confession achevée, tout le monde rentra. Le recteur, précédé de la sonnette, arrivait avec la fiole et le saint ciboire. Deux cierges furent allumés à la tête du lit et deux autres aux pieds. Les saints vases eurent une table dressée exprès, couverte d'une nappe blanche. On apporta quelques charbons embrasés sur un réchaud d'argent, pour y brûler les flocons imbibés sitôt qu'ils auraient essuyé l'huile. Comme l'état de la malade n'avait rien d'imminent et permettait de suivre le meilleur ordre, je dus commencer par l'extrême-onction, qui est le complément de la pénitence ; qui, après l'absolution des fautes commises et des actes distincts, atteint chaque organe même jusque dans sa source et sa racine, le rectifie, pour ainsi dire, et le réintègre. Les domestiques étaient à genoux ou tenaient les cierges ; le bon serviteur François, entre tous, faisait peine par sa douleur, excessive dans un vieillard ;la jeune Lucy, à genoux sur une chaise à la tête du lit, morne, muette, admirable de soins, exprimait une forme de douleur réfléchie et trop au-dessus de son âge. Le marquis debout, voûté, les bras contre la poitrine, la face serrée et en certains mouvements convulsive, sans larmes presque, sans apparence de prière, était le comble de la désolation silencieuse, l'image de la résistance écrasée et toujours inflexible, le grand malade qu'à cette heure ou jamais il me fallait aussi guérir. Ayant revêtu l'étole violette et assisté du recteur, je m'approchai de madame de Couaën. Après l'avoir prévenue de quelques endroits où elle aurait à répondre oui, monsieur, à mes questions, j'entrai dans l'application du sacrement, et j'opérai bientôt les onctions en signe de croix aux sept lieux désignés.

Ce qui se passait en moi tandis que je parcourais et réparais ainsi avec le sacré pinceau les paupières, les oreilles, les narines, la bouche, le cou, les mains et les pieds de cette mourante, en commençant par les yeux, comme le sens le plus vif, le plus prompt, le plus vulnérable, et dans les organes doubles, en commençant par celui de droite, comme étant le plus vif encore et le plus accessible ; ce qu'enfermait à mon esprit d'idées infinies à la fois et appropriées chaque brève formule que j'articulais ; ce qui, pour mieux dire, s'échappant de mes mains en pluie bénie, roulait en saint orage au-dedans de moi, cela n'a pas de nom dans les langues, mon ami, et ne se pourrait égaler que sur l'orgue éternel. Mais il vous est aisé d'ébaucher une ombre, de vous écrier, si vous le voulez, dans un écho tout brisé et affaibli d'une pensée incommunicable :

« Oh ; oui donc, à ces yeux, pour ce qu'ils ont vu, regardé de trop tendre, de trop perfide en d'autres yeux, de trop mortel ; pour ce qu'ils ont lu et relu d'attachant et de trop chéri ; pour ce qu'ils ont versé de vaines larmes sur les biens fragiles et sur les créatures infidèles, pour le sommeil qu'ils ont tant de fois oublié, le soir, en y songeant !

« A l'ouïe aussi, pour ce qu'elle a entendu et s'est laissé dire de trop doux, de trop flatteur et enivrant ; pour ce suc que l'oreille dérobe lentement aux paroles trompeuses, pour ce qu'elle y boit de miel caché !

« A cet odorat ensuite, pour les trop subtils et voluptueux parfums des soirs de printemps au fond des bois, pour les fleurs reçues le matin et, tout le jour, respirées avec tant de complaisance !

« Aux lèvres, pour ce qu'elles ont prononcé de trop confus ou de trop avoué ; pour ce qu'elles n'ont pas répliqué en certains moments ou ce qu'elles n'ont pas révélé à certaines personnes ; pour ce qu'elles ont chanté dans la solitude de trop mélodieux et de trop plein de larmes ; pour leur murmure inarticulé, pour leur silence !

« Au cou au lieu de la poitrine, pour l'ardeur du désir, selon l'expression consacrée (propter ardorem libidinis) ; oui, pour la douleur des affections, des rivalités, pour le trop d'angoisse des humaines tendresses, pour les larmes qui suffoquent un gosier sans voix, pour tout ce qui fait battre un cœur ou ce qui le ronge !

« Aux mains aussi, pour avoir serré une main qui n'était pas saintement liées, pour avoir reçu des pleurs trop brûlants ; pour avoir peut-être commencé d'écrire, sans l'achever, quelque réponse non permise !

« Aux pieds pour n'avoir pas fui, pour avoir suffi aux longues promenades solitaires, pour ne s'être pas lassés assez tôt au milieu des entretiens qui sans cesse recommençaient ! ” Mais tenons-nous, mon ami, dans la majesté du moment.

Il y eut un endroit où je m'adressai en français aux assistants, pour les avertir de bien participer et coopérer en esprit à l'action sacramentale, pour leur rappeler que nous viendrions tous à notre tour à ce suprême passage, et que nous eussiuns à mériter d'y être avec autant de calme que celle que nous entourions. Puis je l'avertis elle-même qu'elle eût à bénir sa fille, ses gens, et à proférer les conseils et les adieux. Elle le fit, sur sa fille d'abord vers laquelle je soulevai sa main droite, déjà incertaine : cette main se posa dans les cheveux, au sommet de la tête, comme une colombe d'albâtre ; la face de la jeune fille était cachée dans les couvertures où s'étouffait un gémissement.

Elle lui recommanda les conseils de Dieu par la prière, à défaut des directions maternelles, et lui souhaita l'esprit de douceur dans la vie en récompense de tant de soins pieux.

Sans retirer sa main de dessus les cheveux de sa fille, elle demanda pardon au marquis, au nom de cette chère enfant qu'elle lui confiait, - pardon de ses négligences d'épouse, du surcroît de fardeau qu'elle lui avait causé, des consolations possibles qu'elle avait omises. Il s'avança brusquement, et avant qu'elle eût fini, des pieds du lit où il était resté debout jusque-là, et sans autre réponse, saisissant dans les cheveux de sa fille cette main défaillie, il la porta à ses lèvres avec un frémissement passionné. Puis d'une parole faible mais distincte, elle s'adressa aux gens, et s'accusa de les avoir trop négligés durant son absence ; elle leur demanda des prières, et, morte, de ne pas l'oublier, les nommant l'un après l'autre affectueusement par leur nom, à commencer par le vieux François ; ce n'était dans toute la chambre qu'un sanglot. La cérémonie de la communion suivit aussitôt. Dieu m'accorda que ma voix resta ferme, que mes yeux se continrent et que mon cœur ne fut pas entraîné par ce torrent de douleur qui grossissait alentour.

Elle et moi, j'ose le dire, nous étions les plus calmes de tous, comme nous devions, les plus fixement dirigés, portés seulement par le flot de cette douleur et comme élevés plus haut vers le ciel dans la barque impérissable. La communion terminée, le recteur sortit reportant les saints vases à l'église, et nous restâmes seuls près du lit, le marquis, sa fille et moi ; ce fut alors une scène nouvelle d'adieux, mais plus pressante, plus intérieure. Elle redemanda pardon au marquis, et le conjura ici, comme elle avait fait tout à l'heure à sa fille, de laisser l'esprit de douceur et de pardon s'établir sans réserve en son âme : " Si vous ne pardonnez à tous, lui disait-elle, oui, à tous les étrangers, manants ou Empereurs, c'est que vous ne m'aurez pas entièrement pardonné à moi-même. Pardonner complètement à une mourante, c'est pardonner en mémoire d'elle à tous ceux qui vivent. L'idée douce et pardonnée d'une morte chérie intercède perpétuellement dans un cœur.” Elle retournait cette pensée en mille sens délicats et sublimes. Revenant à sa fille, elle précisa davantage les conseils de prudence et de vie bien ordonnée, lui signalant surtout comme danger ce tour altier de caractère, mais avec mille tendres louanges sur le reste et d'adorables encouragements. J'eus ma part aussi en ces intimes paroles : “ Monsieur Amaury, me dit-elle, que je m'en vais reconnaissante jusqu'aux larmes de tant de services sacrés et tant d'efforts sur vous-même ! ” Et elle me pria de la bénir, mais plus en particulier, comme simple prêtre et comme ami. Redescendu un peu de l'élévation première, j'eus peine en ce moment à ne pas éclater. C'est alors, et après cette part de chacun, qu'elle exprima le désir d'être enterrée, non pas à la sépulture paroissiale de Couaën, mais dans la chapelle Saint-Pierre, sous une dalle du milieu, vers l'endroit de la lampe, et qu'on y célébrât la messe deux fois l'an à son intention. Elle désira de plus être ensevelie dans les mêmes habits exactement qu'elle avait, allant par le scrupule de ce désir au-devant des soins les plus douloureux et de cette véritable agonie pour les vivants ; heureuse, sans le dire, de nous épargner toute lutte, hélas ! à ce sujet. Ses volontés ainsi clairement expliquées, elle se sentit très faible ; la nuit était venue ; elle tomba comme en assoupissement. Tout entretien cessa, et je restai près du chevet à lire à mi-voix des psaumes en français, de manière qu'elle pût m'entendre si elle ne dormait pas, et qu'elle ne s'éveillât pas si elle dormait.

Le docteur ne tarda pas à arriver de la ville ; il la trouva aussi faible que possible, mais avec entière connaissance ; il n'y avait rien à tenter, sinon quelques cuillerées fortifiantes qu'il ordonna. Le recteur lui-même revint pour assister la malade de ses prières, et durant toute la première moitié de la nuit, lui, le docteur, M. de Couaën, sa fille et moi, nous remplîmes cette chambre silencieuse et déjà funèbre, où deux cierges étaient restés allumés. Mais après minuit, comme il n'y avait symptôme d'aucun accident, j'obtins que le marquis et Lucy se retireraient pour prendre un peu de repos. Le docteur passa dans une chambre voisine, à portée du moindre appel, et le recteur aussi s'absenta pour ne revenir qu'au matin. Me trouvant seul alors avec la femme de service, ou parfois même tout à fait seul, près du lit où cette âme veillait sa veille suprême et haletait si doucement, je redoublai de prières ; dans l'abondance de mon cœur, j'en ajoutais de jaillissantes à celles des textes que j'avais sous les yeux. Si j'interrompais un moment et laissais expirer ma voix, un léger mouvement de la malade m'avertissait de continuer et qu'elle en réclamait encore.

Vers le matin pourtant, les autres personnes étant absentes toujours, et même la domestique depuis quelques instants sortie, tandis que je lisais avec feu et que les plus courts versets du rituel se multipliaient sous ma lèvre en mille exhortations gémissantes, tout d'un coup les cierges pâlirent, les lettres se dérobèrent à mes yeux, la lueur du matin entra, un son lointain de cloche se fit entendre, et le chant d'un oiseau, dont le bec frappa la vitre, s'élança comme par un signal familier. Je me levai et regardai vers elle avec transe. Toute son attitude était immobile, son pouls sans battement. J'approchai de sa lèvre, comme miroir, l'ébène brillante d'un petit crucifix que je porte d'ordinaire au cou, don testamentaire de madame de Cursy : il ne s'y montra aucune haleine. J'abaissai avec le doigt sa paupière à demi fermée : la paupière obéit et ne se releva pas, semblable aux choses qui ne vivent plus. Avec le premier frisson du matin, dans le premier éclair de l'aube blanchissante, au premier ébranlement de la cloche, au premier gazouillement de l'oiseau, cette âme vigilante venait de passer ! Ame admirable et chère, envolée pour toujours en ce moment, depuis cette heure où vous êtes entrée dans l'invisible, où, sauf une dernière expiation plus ou moins lente, vous avez été certainement promise à la plénitude des joies de Dieu, depuis lors vos yeux spirituels se sont instantanément dessillés ; le fiel de la mort, comme le fiel du poisson de Tobie, donne toute clairvoyance à ceux qu'il a touchés. Vous savez ce que nous sentons, ce que nous faisons ici-bas, ce que nous avons fait et senti dans les années antérieures, dans ces temps même où vous viviez près de nous sous l'enveloppe du corps et où vous nous jugiez si indulgemment. Oh ! ne rougissez pas trop de nous.

Moi qui vous ai aidée, soulevée avec effort et autorité jusque là-haut, du moment que vous y êtes, je retombe, je m'incline ; c'est à moi plutôt de vous prier. Secourez-nous, belle Ame, devant Dieu ; demandez-lui pour nous la force que nous vous avons communiquée peut-être, mais, hélas ! sans l'avoir assez en nous-même ; et, puisqu'il faut à l'infirmité mortelle, pour marcher constamment vers les sentiers sûrs, un signal, un appel, un souvenir, Ame chaste et chère, intercédez près du Maître pour que vous nous soyez ce souvenir d'au-delà, cette croix apparente aux angles des chemins, pour que vous soyez de préférence l'esprit d'avertissement et l'ange qu'il nous envoie !

Lorsque le marquis entra peu après, je m'avançai à sa rencontre, et, lui montrant d'une main le corps inanimé, je passai l'autre à son cou : “C'est maintenant qu'elle vit d'une vie meilleure ”, lui dis-je en l'embrassant. La journée fut pénible et bien longue. Nous nous tenions tour à tour ou ensemble, lui, sa fille, le recteur et moi, dans cette chambre muette, où, près des cierges vacillants, vacillait aussi, monotone et triste, sur les lèvres du recteur ou sur les miennes, la psalmodie d'une lente prière. Au dîner j'essayai de rompre le silence morne, en parlant des exemples de saints trépas et des bénédictions qui s'en répandent sur les vivants ; mais je sentais une difficulté extrême à prendre, vis-à-vis de M. de Couaën, le ton de supériorité de mon sacerdoce. Comme le silence revenait toujours, après un de ces moments de pause : “ Mon cher Amaury, me dit M. de Couaën, j'ai résolu de faire élever et entretenir un phare à l'endroit de la chapelle Saint-Pierre. C'est un lieu assez dangereux ; des pêcheurs de nos côtes s'y brisent souvent. Il y aura un garde à ce fanal, et en même temps la chapelle en sera mieux protégée. ” C'était la première fois que je l'entendais se soucier ainsi des pêcheurs naufragés de la côte ; il me sembla saisir comme un bruit lointain d'eaux filtrantes dans les entrailles du rocher.

Je passai le soir et une partie de la nuit à veiller près du lit mortuaire ; mais, presque au matin, M. de Couaën exigea fortement que je sortisse, afin d'être propre aux offices de la journée. J'étais donc à reposer avec pesanteur depuis quelque temps, lorsque le vieux François me vint réveiller et avertir qu'on entendait dans la chambre de la tour, où M. de Couaën avait ordonné qu'on le laissât seul, des gémissements et des cris étouffés qu'il poussait autour de ce corps, mais qu'on n'avait osé ouvrir ni entrer contre sa défense. Je descendis aussitôt, et, en approchant, j'entendis en effet des espèces de hurlements lugubres et sourds, comme d'une mère qui se roulerait sur le corps sans vie d'un enfant. J'entrais il était la face contre le lit, sur l'objet qu'il tenait embrassé ; le cercueil qu'il avait fait apporter restait ouvert auprès, sans qu'il pût se décider à y déposer ce qui avait été le plus tendre de sa chair. Ses cris cessèrent en me voyant ; il ignorait peut-être en avoir poussé de si lamentables et avoir été entendu.

— “ Sachons, lui dis-je, nous séparer des dépouilles corruptibles qui ne sont pas l'âme que nous pleurons ! ”

— Et prenant avec précaution le corps sous les bras, comme on fait pour une personne malade qu'on craint de heurter, comme les saintes femmes firent pour Jésus, je l'engageai à prendre de même le milieu du corps et les pieds ; il suivit ce que j'indiquais, et le fardeau ainsi déposé doucement dans le cercueil, je dis :

“Passons-nous de mains étrangères. ” Et le couvercle étant mis, je plaçai les clous de mon côté et lui ceux du sien, car il avait déjà apprêté lui-même tous les instruments, et, de la sorte, nous rimes ensemble ce qu'il avait résolu d'achever seul.

L'enterrement eut lieu dans la matinée ; ce fut le recteur qui célébra le service. J'avais dit une basse messe auparavant, toute pour l'âme de la décédée. Durant le service, le marquis dominait les assistants de la hauteur de sa tête vénérée, seul au banc le plus proche du chœur, debout contre le marbre de son fils. Le convoi se mit en marche à partir de l'église vers le château et la montagne, côtoyant le derrière des jardins, le canal et les abords du moulin à eau, les lieux les plus préférés d'autrefois, traversant le ruisseau ferrugineux, et prenant la haute allée, bien rude alors sous la chaleur du jour. Le bruit de l'arrivée et de la mort de madame de Couaën n'avait pas encore eu le temps de se répandre ; il n'était donc venu que les paysans du village et des prochains hameaux, des femmes en assez grand nombre, quelques jeunes filles. Le marquis voulut en être jusqu'au bout ; sa fille était restée au château. Je montais près de lui la montagne, en surplis, l'aidant parfois de mon bras, car la montée était pénible à cette heure ; le soleil, à travers l'ombre inégale, frappait sur nos têtes nues ; les porteurs du cercueil gravissaient lentement et haletaient devant nous. O soleil ! pesez, sur nous deux du moins, pesez plus cuisant encore ; cailloux, faites-vous plus tranchants à nos pieds ! C'est là que nous montions la dernière fois, il y a sept années, moi avec un éclair suspect et un chatouillement adultère, lui en proie aux ambitieuses âcretés et aux jalousies de la gloire. Oh ! que l'un et l'autre, qui suivons ce corps, nous soyons rompus chacun dans notre plaie aujourd'hui ! qu'il s'en revienne autant guéri que moi, désormais, par la même grâce ! Mais, soleil, vous n'êtes pas encore assez pesant sur nos têtes ; montée, vous n'êtes pas assez rude ; ni vous, cailloux, assez aigus à nos pieds ; car il faut que notre sueur découle aujourd'hui comme du sang, il faut qu'elle pleuve le long des vieilles traces jusqu'à les féconder comme des sillons !

Arrivés au sommet, le plus grand spectacle et, depuis tant de temps, inaccoutumé, s'ouvrit à nous, une bruyère parfumée et fleurie, bourdonnant de mille bruits dans la chaleur, un ciel immense et pur encadrant une mer brillante, et tranchant net sur le noir des rochers anfractueux qu'il continuait comme une bordure glorieuse. Tout jusqu'alors à Couaën, autant que j'avais eu attention de le remarquer, m'avait paru plus petit, plus abrégé qu'auparavant ; ici seulement je retrouvais la même éternelle grandeur. Ainsi, pensai-je, cette montée d'où nous sortons ressemble à la vie ; au-delà et au sommet, voilà ce que découvre l'âme. Mais l'âme qui découvre ces choses en Dieu dès cette vie, doit marcher encore, comme nous faisons, sous la fatigue du jour et du soleil, tandis que l'âme sainte des morts a passé les fatigues et la peine. Et je priais, tout en marchant, pour celle dont l'esprit habitait si volontiers cette bruyère au temps de la terrestre patrie, et qui, planante et délivrée, y revenait en ce moment autour de nous.

A l'intérieur de la chapelle tout avait été préparé. On n'eut qu'à descendre le corps sous la dalle du milieu, dans une espèce de petit caveau, et la terre fut jetée dessus.

Mais, à cet aspect, les pleurs et les pensées m'assaillirent.

Avec l'agrément du recteur, je m'avançai au seuil, et devant les assistants en cercle, devant cette mer et ce ciel majestueux, non loin de la guérite en pierre, dans une langue à être compris de tous, je m'écriai :

« Vents de l'Ouest, soupirs de l'Océan, soufflez sans trop de colère, apportez quelquefois dans vos orages une brise qui soit celle de sa patrie !

« Flots de la mer, ne rongez plus si furieusement cette falaise et n'y renversez rien ! “ Alcyons, corneilles, goélands, oiseaux qui partez en automne pour les grandes rives, posez-vous ici dans vos rassemblements ; Dieu bénira votre traversée et fortifiera vos ailes !

« Vaisseaux, voiles en détresses, ayez confiance ; faites à Dieu, qu'aucun ne se brise plus à ce golfe hérissé, et que le phare qui va se dresser en ces lieux ne soit pas trompeur ! “ Mon Dieu qui êtes dans les vents, dans les flots, dans les éléments, qui présidez aux lois des choses et aux destinées des hommes, faites qu'il n'arrive rien que de bon, de clément et de béni, autour des restes mortels de celle si bonne et si éprouvée et si pénitente, pour le repos de laquelle nous vous prions ! ” Et, me retournant vers la foule, je la congédiai ; tous se rompirent en silence. Nous cheminions derrière, le marquis, le recteur et moi, sans engager d'entretien.

La journée se passa pour chacun de nous dans sa chambre, à vaquer aux blessures et à la douleur. J'avais vu le marquis attendri, j'avais entendu son gémissement le matin, j'avais saisi des pleurs à ses joues quand j'avais parlé hors de la chapelle ; j'avais senti, au retour, son bras qui tremblait en s'appuyant sur le mien : j'attendais avec anxiété le moment de nous trouver seuls, et naturellement en conversation, pour frapper sur lui les derniers coups, selon mon devoir et selon mon cœur. Après le dîner, qui eut lieu pour la forme, et très tard étant sortis par les jardins, lui, la jeune Lucy et moi, nous nous vîmes, sans y avoir pris garde, arrivés à l'avenue de la montagne. Le marquis renvoya amicalement sa fille, et nous continuâmes de marcher. C'est alors qu'après quelques minutes de lutte secrète et d'hésitation, vers le milieu de la montée, je commençai brusquement.

“ Marquis, lui dis-je, permettez-moi de vous parler une fois en ces lieux avec l'autorité de celui qui m'a consacré et du haut du révéré souvenir de ceux qui ne sont plus. Dites, qu'avez-vous senti durant ces derniers et tristes jours ? Que sont devenus, noyés dans une vraie affliction, vos soucis de la veille, les ambitions de cette terre, ces âpretés insurmontables où vous vous butiez, ces duels inégaux contre les puissants ? Les victoires de demain, qui démentiront encore vos espérances, pourraient retentir à votre oreille en ce moment, sans que vous entendiez moins le silence de la mort, le mugissement solennel et infini des flots. Ce pouvoir inique qui vous blesse et que remplacera, lorsqu'il va tomber (car il tombera à la fin, je le sais bien), un autre pouvoir qui sera bientôt une iniquité à son tour, dites, en sentez-vous votre orgueil froissé en cet instant, et songez-vous à vous en ulcérer et à le maudire ? Que les vraies douleurs aient cela du moins de fécond en nous, de nous guérir des fausses et des stériles !

“Tout ce désordre dans les résultats humains, cette inégalité dans les sorts et dans les chances, ce guignon du hasard que vous accusiez ici, il y a sept ans, tout cela n'est tel que parce que la révolte de la volonté le crée et l'entretient. Je ne voudrais d'autre preuve que le mal a été pour la première fois introduit au monde par la volonté en révolte de l'homme, que de voir combien ce mal, tout en persistant dans son apparence, cesse en réalité, se convertit en occasion de bien, s'abaisse à portée de la main en fruit de mérite et de vertu, sitôt que le front foudroyé s'incline, sitôt que la volonté humaine se soumet. Le complément universel de toutes nos insuffisances, le correctif de toutes les inflictions, la concordance de tout ce qui jure et crie, la lumière dans le chaos, c'est de vouloir en un sens et non dans un autre, c'est d'accepter ; - oui, c'est de vouloir la douleur, la mort, et ce qui est pire pour certaines âmes, l'obscurité, l'injustice, la méconnaissance. Tous ces maux n'existent véritablement plus dès qu'on les veut, ou du moins ils n'existent que pour devenir des sources guérissantes dans leur amertume. Rendez-vous un peu compte, marquis, et voyez si, à le bien prendre, vous n'auriez pas lieu de bénir et de louer peut-être, précisément pour n'avoir pas réussi au gré de vos désirs. Car, que seriez-vous vraiment, si vous aviez réussi et surgi, si ce monde où vous vouliez mettre le pied s'était laissé aborder par vous, si vous y aviez saisi le rôle important que rêvait votre jeunesse ? L'écueil de tous les grands caractères de votre sorte, une fois engagés dans la pratique, quel est-il ? La duplicité forcée envers les hommes, l'astuce dans les moyens, l'excès par enivrement, le prétexte des raisons d'Etat. Vous rougissez, pardon ! c'est qu'au lieu de cela vous avez gardé la grandeur et la simplicité des voies non fréquentées, une sorte d'ingénuité antique, compagne fidèle de votre désespoir. Oh ! il n'y a de trop en vous et je n'y voudrais retrancher que la haine ; ” Et je poursuivais encore, le voyant sous ma prise et m'écoutant : “ Oh ! si vous introduisiez en vous ce seul élément qui manque, le souffle de fraîcheur qui n'arrive jamais trop tard la rosée qui trouve à féconder jusque dans les rocs et dans les sables (et je lui montrais un endroit de sable mêlé de verdure, une espèce de garenne parfumée où nous marchions) - Que ces morts qui vous sont chers enlèvent une part de vos nuits, une part de votre âme, à ces haines d'ici-bas et à ces émulations prolongées qui attestent une grande nature, mais qui aussi la précipitent, qui l'emprisonnent dans les cavernes féroces, qui l'aigrissent dans les ronces. La jeune fille, si grave déjà, si frappée, qui est toute votre image, est-elle destinée à achever de mûrir enveloppée par vous d'une ombre plus dure que celle des cyprès ? - Sachez accepter en esprit ce qui est, veuillez-le ; priez seulement, priez ; donnez cours en vous à cette simple pensée. Je vous dirai aussi : Noble Sicambre, à demi dépouillé au milieu de l'âge, courbez-vous ! faites-vous un de nous tous, un homme veuf, un père navré, un enfant des misères mortelles ! Une larme longtemps niée et dévorée qui tombe enfin, humble et brûlante, d'une prunelle de pierre, compte plus devant Dieu que les torrents épanchés par des tendresses faciles ; un genou de fer qui se met à plier, arrache en s'abaissant la voûte des cieux ! ” Il se taisait toujours, et comme nous en étions à redescendre, j'aperçus l'étoile dans le ciel, au même endroit que lors de l'ancienne et dernière promenade. Près de la tourelle, sur la terrasse, sa fille, reconnaissable à son chapeau de paille, semblait nous attendre, comme jadis faisait la mère. Je montrai du doigt l'étoile : " Ainsi des âmes des morts, lui dis-je ; on les quitte à l'Occident parmi la poussière de la tombe, et voilà qu'on les retrouve en étoile à l'Orient ! ” - " Ah ! oui, s'écria-t-il alors en éclatant et s'abandonnant, vous l'avez dit, mon ami : Lucia nimica di ciascun crudele, j'ai trop vécu jusqu'ici de haine ” ; et nous tombâmes dans les bras l'un de l'autre, à ce nom de Lucy, y demeurant quelque temps muets, hormis par nos sanglots. - Sa fille nous vit-elle ainsi embrassés, du haut de sa terrasse ? Que conçut-elle à cette vue ? En resta-t-elle occupée dans la suite ? Je l'ignore.

Savons-nous ce que pensent en leur cœur les filles de celles que nous avons aimées ?

A partir de ce moment, le marquis ne fut pas guéri de son mal sans doute ; on ne se sèvre pas en un jour de l'ambition non plus que des plaisirs. Mais un nouvel et pacifique élément fut introduit en lui : un effort salutaire s'établit alors, et de plus en plus avec l'âge se régularisa en cette grande âme ; le sens de sa Croix lui était donné : il eut désormais le mérite de ses souffrances.

Moi, j'avais accompli ce que je devais à mon ministère ; mais j'étais à bout de ma force ; l'affection tant refoulée avait son retour, et je n'allais plus pouvoir suffire au-delà ; il était temps de me dérober. Le lendemain donc de cette journée des funérailles, de grand matin, je descendis, je sellai moi-même mon cheval et le fis sortir au pas, doucement, jusqu'au-delà des cours et des barrières, quittant sans adieux le château, - et puis la Bretagne incontinent, et, quelques jours après, la France.