Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Des basaltes, des laves et des laitiers volcaniques

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DES BASALTES, DES LAVES ET DES LAITIERS VOLCANIQUES

Comme M. Faujas de Saint-Fond est de tous les naturalistes celui qui a observé avec le plus d’attention et de discernement les différents produits volcaniques, nous ne pouvons mieux faire que de donner ici, par extrait, les principaux résultats de ses observations. « Le basalte, dit-il, se présente sous la forme d’une pierre plus ou moins noire, dure, compacte, pesante, attirable à l’aimant, susceptible de recevoir le poli, fusible par elle-même sans addition, donnant plus ou moins d’étincelles avec le briquet et ne faisant aucune effervescence avec les acides.

» Il y a des basaltes de forme régulière en prisme, depuis le triangle jusqu’à l’octogone, qui forment des colonnes articulées ou non articulées, et il y en a d’autres en forme irrégulière. On en voit de grandes masses en tables, en murs plus ou moins inclinés, en rochers plus ou moins pointus, et quelquefois isolés, en remparts escarpés et en blocs ou fragments raboteux et irréguliers. Les basaltes à cinq, six et sept faces, se trouvent plus communément que ceux à trois, quatre ou huit faces ; ils sont tous de forme prismatique, et la grandeur de ces prismes varie prodigieusement, car il y en a qui n’ont que quatre à cinq lignes de diamètre sur un pouce et demi ou deux pouces de longueur, tandis que d’autres ont plusieurs pouces de diamètre, sur une longueur de plusieurs pieds.

» La couleur des basaltes est communément noire, mais il y en a d’un noir d’ébène, d’autres d’un noir bleuâtre, et d’autres plutôt gris que noirs, d’autres verdâtres, d’autres rougeâtres ou d’un jaune d’ocre ; les différents degrés d’altération de la matière ferrugineuse qu’ils contiennent leur donnent ces différentes couleurs ; mais en général, lorsqu’ils sont décomposés, leur poudre est d’un gris blanchâtre.

» Il y a de grandes masses de basalte en tables ou lits horizontaux : ces tables sont de différentes épaisseurs ; les unes ont plusieurs pieds et d’autres seulement quelques pouces d’épaisseur ; il y en a même d’assez minces pour qu’on puisse s’en servir à couvrir les maisons. C’est des tables les plus épaisses que les Égyptiens, et après eux les Romains, ont fait des statues dans lesquelles on remarque particulièrement celles du basalte verdâtre[1].

» Les laves diffèrent des basaltes par plusieurs caractères, et particulièrement en ce qu’elles n’ont pas la forme prismatique, et on doit les distinguer en laves compactes et en laves poreuses : la plupart contiennent des matières étrangères, telles que des quartz, des cristaux de feldspath, de schorl, de mica, ainsi que des zéolithes, des granits, des chrysolithes, dont quelques-unes sont, comme les basaltes, susceptibles de poli ; elles contiennent aussi du grès, du tripoli, des pierres à rasoir, des marbres et autres matières calcaires.

» Le granit qui se trouve dans les laves poreuses a subi quelquefois une si violente action du feu qu’il se trouve converti en un émail blanc.

» Il y a des basaltes et des laves qui sont évidemment changés en terre argileuse, dans laquelle il se trouve quelquefois des chrysolithes qui ont perdu leur brillant et leur dureté, et qui commencent elles-mêmes à se convertir en argile.

» On trouve de même, dans les laves, des grenats décolorés et qui commencent à se décomposer, quoiqu’ils aient encore la cassure vitreuse et qu’ils aient conservé leur forme ; d’autres sont très friables et approchent de l’argile blanche.

» Les hyacinthes accompagnent souvent les grenats dans ces mêmes laves, et quelquefois on y rencontre des géodes de calcédoine qui contiennent de l’eau et d’autres agates ou calcédoines sans eau, des silex ou pierres à fusil et des jaspes de diverses couleurs ; enfin on a rencontré dans les laves d’Expailly, près du Puy en Velay, des saphirs qui semblent être de la même nature que les saphirs d’Orient. On trouve aussi dans les laves du fer cristallisé en octaèdre, du fer en mine spéculaire, en hématite, etc.

» Il y a des laves poreuses qui sont si légères qu’elles se soutiennent sur l’eau, et d’autres qui, quoique poreuses, sont fort pesantes ; la lave plus légère que l’eau est assez rare[2]. »

Après les basaltes et les laves se présentent les laitiers des volcans : ce sont des verres ou des espèces d’émaux qui peuvent être imités par l’art ; car, en tenant les laves à un feu capable de les fondre, on en obtient bientôt un verre noir, luisant et tranchant dans sa cassure ; on vient même, dit M. Faujas, de tirer parti, en France, du basalte en le convertissant en verre. L’on a établi, dans les environs de Montpellier, une verrerie où l’on fait, avec ce basalte fondu, de très bonnes bouteilles.

Nous avons déjà dit qu’on appelle pierre de gallinace, au Pérou, le laitier noir des volcans ; ce nom est tiré de celui de l’oiseau gallinazo, dont le plumage est d’un beau noir. On trouve de ce laitier, ou verre noir, non seulement dans les volcans des Cordillères, en Amérique, mais en Europe dans ceux de Lipari, de Volcano, de même qu’au Vésuve et en Islande, où il est en grande abondance.

Le laitier blanc des volcans est bien plus rare que le noir. M. Faujas en a seulement trouvé quelques morceaux dans le volcan éteint du Couerou, en Vivarais, et en dernier lieu à Staffa, l’une des îles Hébrides ; et d’autres observateurs en ont rencontré dans les matières volcaniques en Allemagne, près de Saxenhausen, aussi bien qu’en Islande et dans les îles Féroé. Ce verre blanc est transparent, et le noir le devient lorsqu’il est réduit à une petite épaisseur ; et, quand les éléments humides ont agi pendant longtemps sur ces verres, ils s’irisent comme nos verres factices, ce qui les rend chatoyants[3].

M. de Troïl dit que, indépendamment du verre noir (fausse agate d’Islande), on trouve aussi en Islande des verres blancs et transparents, et d’autres d’un assez beau bleu qui sont les plus rares de tous. Il ajoute qu’il y en a qui ressemblent, par leur couleur verdâtre et par leur pâte grossière, à notre verre à bouteilles[4].

Ces laitiers de volcans, et surtout le laitier noir, sont compacts, homogènes et assez durs pour donner des étincelles avec l’acier : on peut les tailler et leur donner un beau poli, et l’on en fait d’excellentes pierres de touche en les dégrossissant sans leur donner le dernier poli[5].

Lorsque les laves et les basaltes sont réduits en débris et remaniés par le feu du volcan, ils forment avec les nouvelles laves des blocs qu’on peut appeler poudingues volcaniques ; il y en a de plus ou moins durs, et si les fragments qui composent ces poudingues sont de forme irrégulière, on peut les appeler des brèches volcaniques. M. Faujas a observé que l’église cathédrale du Puy en Velay a été construite d’une pierre dont le fond est une brèche volcanique noire dans un ciment jaunâtre[6].

Les unes de ces brèches volcaniques ont été formées par la seule action du feu sur les anciennes laves, d’autres ont été produites par l’intermède de l’eau et dans des éruptions que M. Faujas appelle éruptions boueuses ou aqueuses : elles sont souvent mélangées de plusieurs matières très différentes, de jaspe rouge, de schorl noir, de granit rose et gris, de pierre à fusil, de spath et pierre calcaire, et même de substances végétales réduites en une sorte de charbon.

Toutes ces matières volcaniques, basaltes, laves et laitiers, étant en grande partie d’une essence vitreuse, se décomposent par l’impression des éléments humides, et même par la seule action de l’acide aérien. Les matières autrefois volcaniques, maintenant argileuses, dit M. Ferber, molles comme de la cire ou endurcies et pierreuses, sont blanches pour la plupart ; mais on en trouve aussi de rouges, de grises cendrées, de bleuâtres et de noires : on rencontre des laves argileuses dans presque tous les volcans agissants et éteints, et cette altération des laves peut s’opérer de plusieurs manières. Il y a de ces laves altérées par l’acide sulfureux du feu des volcans, qui sont presque aussi rouges que le minium ; il y en a d’autres d’un rouge pâle, d’un rouge pourpre, de jaunes, de brunes, de grises, de verdâtres, etc.

M. Faujas divise les produits volcaniques altérés :

En laves compactes ou poreuses qui ont perdu simplement leur dureté en conservant leurs parties constituantes, à l’exception du phlogistique du fer qui a disparu ;

Et en laves amollies et décolorées par les acides qui ont formé, en se combinant avec les diverses matières qui constituent ces mêmes laves, différents produits salins ou minéraux, dont l’origine nous serait inconnue si nous n’avions pas la facilité de suivre la nature dans cette opération.

Il en décrit plusieurs variétés de l’une et l’autre sorte : il présente, dans la première de ces deux divisions, des basaltes et des laves qui, ayant conservé leur forme, leur nature et leur dureté sur une de leurs faces, sont entièrement décomposés sur l’autre, et convertis en une substance terreuse, molle, au point de se laisser aisément entamer, et l’on peut suivre cette décomposition jusqu’à l’entière conversion du basalte en terre argileuse.

Il y a des basaltes devenus argileux, qui sont d’un gris plus ou moins foncé ; d’autres d’une teinte jaunâtre et comme rouillés ; d’autres dont la surface est convertie en argile blanche, grise, jaunâtre, violette, rouge. Plusieurs de ces basaltes décomposés contiennent des prismes de schorl qui ne sont point altérés, ce qui prouve que les schorls résistent bien plus que les basaltes les plus durs aux causes qui produisent leur décomposition.

Ce savant naturaliste a aussi reconnu des laves décomposées en une argile verte, savonneuse et qui exhalait une forte odeur terreuse ; et, enfin, il a vu de ces laves qui renfermaient de la chrysolithe et du schorl qui n’était pas décomposé, tandis que la chrysolithe était, comme la lave, réduite en argile, ce qui semble prouver que le quartz résiste moins que le schorl à la décomposition.

Dans la seconde division, c’est-à-dire dans les laves amollies et décolorées par les acides, qui ont formé différents produits salins ou minéraux, M. Faujas présente aussi plusieurs variétés dans lesquelles il se trouve du sel alumineux, lorsque l’acide vitriolique s’unit à la terre argileuse ; ce même acide produit le gypse avec la terre calcaire, le vitriol vert avec la chaux de fer, et le soufre avec la matière du feu.

Les variétés de cette sorte, citées par M. Faujas[7], sont :

1o Un basalte d’un rouge violet, ayant la cassure de la pierre calcaire la plus dure, quoique ce basalte soit une véritable lave et d’une nature très différente de toute matière calcaire[8] ;

2o Une lave d’un blanc nuancé de rouge ;

3o Une lave dont une partie est changée en une pierre blanche tendre, tandis que l’autre partie, qui est dure et d’un rouge foncé, a conservé toute sa chaux ferrugineuse changée en colcothar ;

4o Une lave décomposée, comme la précédente, avec une enveloppe de gypse blanc et demi-transparent ;

3o Une lave poreuse d’un blanc jaunâtre avec des grains de sélénite : la terre argileuse qui forme cette lave se trouve convertie en véritable alun natif ; l’acide vitriolique, uni à la terre argileuse, produit, comme nous venons de le dire, le sel alumineux et le véritable alun natif ; lorsqu’il s’unit à la base du fer, il forme le vitriol vert ; en s’unissant donc dans de certaines circonstances à la terre ferrugineuse des laves, il pourra produire ce vitriol, pourvu qu’il soit affaibli par les vapeurs aqueuses ; et cette combinaison est assez rare, et ne se trouve que dans les lieux où il y a des sources bouillantes. On en voit sur les parois de la grotte de l’île de Volcano, où il y a une mare d’eau bouillante, sulfureuse et salée.

On trouve aussi du sel marin en grumeaux, adhérents à de la lave altérée ou à du sable vomi par les volcans : ce sel marin ne se présente pas sous forme cubique, parce qu’il n’a pas eu le temps de se cristalliser dans l’eau marine rejetée par les volcans. Il se trouve de même de l’alcali fixe blanc dans les cavités de quelques laves nouvelles ; et, comme on trouve encore du sel ammoniac dans les volcans, cela prouve que l’alcali volatil s’y trouve aussi, sans parler du soufre qui, comme l’on sait, est le premier des produits volcaniques, et qui n’est que la matière du feu saisie par l’acide vitriolique.

Quelquefois le soufre s’unit dans les volcans à la matière arsenicale, et alors de jaune il devient d’un rouge vif et brillant ; mais, comme nous l’avons dit[9], le soufre se produit aussi par la voie humide : on en a plusieurs preuves, et les beaux cristaux qu’on a trouvés dans la soufrière de Conilla, à quatre lieues de Cadix, et qui étaient renfermés dans des géodes de spath calcaire, ne laissent aucun doute à ce sujet : il en existe d’ailleurs de pareils dans divers autres lieux, tantôt unis à la sélénite gypseuse, tantôt à l’argile, ou renfermés dans des cailloux ; nous savons même qu’on a trouvé, il y a six ou sept ans, du soufre bien cristallisé et formé par la voie humide dans l’ancien égout du faubourg Saint-Antoine ; ces cristaux de soufre étaient adhérents à des matières végétales et animales, telles que des cordages et des cuirs.


Notes de Buffon
  1. Minéralogie des volcans, par M. Faujas de Saint-Fond ; Paris, in-8o, ch. x et xi.
  2. Minéralogie des volcans, par M. Faujas de Saint-Fond ; Paris, in-8o, ch. xiii et xiv.
  3. Minéralogie des volcans, par M. Faujas de Saint-Fond ; Paris, in-8o, ch. xvi.
  4. Lettres sur l’Islande, p. 337.
  5. Cette matière a été indiquée par Pline, sous le nom de lapis lydius.
  6. Minéralogie des volcans, ch. xvi.
  7. Minéralogie des volcans, ch. xvii.
  8. Idem, ch. xix, variété xx, p. 407.
  9. Voyez l’article du Soufre.