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Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 164

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 360-362).

164.

LAGRANGE À D’ALEMBERT.

Berlin, ce 1er janvier 1781.

Permettez-moi, mon cher et illustre ami, de vous écrire pour vous présenter, dans ce renouvellement de l’année, l’hommage de tous les vœux que l’amitié la plus tendre et la plus vraie me dicte pour vous, et pour vous demander en même temps la continuation de la vôtre, que je regarde comme le plus grand avantage que la Géométrie m’ait procuré. M. Bitaubé, en m’apportant de vos nouvelles, m’a dit de votre part bien des choses flatteuses, dont le seul désir de les mériter peut me rendre digne. Il m’a annoncé aussi un de vos Ouvrages, que j’attends avec impatience, et dont je vous fais d’avance mes remercîments, en vous assurant de tout l’intérêt avec lequel je le lirai, quel qu’en puisse être le sujet. Tout ce qui vient de vous m’est également précieux, et j’en fais toujours mon profit. Je n’ai rien de nouveau à vous mander sur ce qui me regarde ma santé se soutient assez bien, et mes occupations se réduisent à faire de la Géométrie tranquillement et dans le silence. Comme je ne suis pas pressé et que je travaille plus pour mon plaisir que par devoir, je fais comme les grands seigneurs qui bâtissent : je fais, je défais et je refais plusieurs fois, jusqu’à ce que je sois passablement content de mon travail, ce qui néanmoins arrive très-rarement.

J’ai été occupé presque toute l’année de quelques nouvelles recherches sur la libration de la Lune, dont il est résulté deux Mémoires assez longs que je viens de lire à l’Académie[1]. Je suis parvenu à intégrer complétement les deux équations différentielles qui donnent les mouvements de l’axe lunaire, et ces intégrales m’ont donné une explication si naturelle et si directe de la coïncidenceconstante des nœuds moyens de l’équateur de la Lune avec les nœuds moyens de son orbite, que j’aurais découvert ce phénomène par la théorie s’il ne l’avait pas déjà été par les observations. J’ai examiné aussi d’une manière plus exacte que je ne l’avais fait autrefois l’effet de la non-sphéricité de la Lune sur son mouvement autour de la Terre, et j’ai trouvé deux nouvelles équations, l’une dans le mouvement en longitude et l’autre dans le mouvement en latitude, dont les coefficients sont arbitraires et dont les arguments sont inconnus, mais doivent être très-lents si la Lune diffère, très-peu d’une sphère ces deux équations forment donc des espèces d’équations séculaires, et la première répond très-bien à l’équation séculaire connue de la Lune.

Je vous prie de faire tous mes compliments au marquis de Condorcet et à M. de la Place, et de dire au premier que je viens d’apprendre que sa pièce sur les comètes est imprimée ; lorsqu’on la distribuera à l’Académie, je m’en ferai remettre un exemplaire pour lui et je saisirai la première occasion qui se présentera de la lui faire parvenir[2]. Je ne lui ai pas envoyé notre dernier programme, parce que M. Formey m’avait dit qu’il comptait le lui envoyer lui-même j’ignore s’il l’a fait, mais à l’heure qu’il est il se trouve dans tous les journaux.

Notre Volume de 1778 a paru il y a deux ou trois mois dites-moi si vous avez celui de 1777, afin que vous receviez à la fois tout ce qui vous manque. Je joindrai à l’envoi les deux derniers Volumes de Göttingue.

Ayez la bonté de me donner des nouvelles du marquis Caraccioli. Est-il parti ? est-il déjà installé dans sa vice-royauté[3] ? Dès que je le saurai arrivé en Sicile, je lui écrirai pour le complimenter.

J’ai depuis quelque temps une velléité de faire un voyage en Italie, et vous jugez bien que je passerai par Paris à mon retour ; mais je n’ai encore pris aucune résolution. S’il était vrai que vous voulussiez venir à Berlin cet été, comme on le dit, ce serait une raison de ne pas penser à ce voyage pour cette année.

Adieu, mon cher et illustre ami ; vous connaissez assez les sentiments par lesquels je vous suis attaché depuis longtemps pour que je n’aie pas besoin de vous en renouveler les assurances. Je compte toujours de mon côté sur votre sincère amitié, et je vous embrasse de tout mon cœur.


  1. Théorie de la librationde la Lune et des autres phénomènes qui dépendent de la figure non sphérique de cette planète, année 1780, p. 203-209. (Voir Œuvres, t. V, p. 5.)
  2. Le Mémoire de Condorcet qui, comme on l’a vu plus haut, avait remporté le prix proposé par l’Académie de Berlin pour l’année 1778, est intitulé Essai sur la théorie des comètes et fait partie d’un recueil des Dissertations qui avaient concouru pour le prix (Utrecht, 1780, in-4o). L’auteur en avait fait faire un tirage à part.
  3. Il avait été nommé vice-roi de Sicile.