Doutes sur la religion/03

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Anonyme
(p. 9-16).


CHAPITRE III.

Sur l’Ecriture-Sainte.

§. I.

L’Ecriture eſt la parole de Dieu, donc elle doit être digne de Dieu. Mais, dit-on, Dieu s’eſt accommodé à la foibleſſe des hommes : misérable faux-fuyant ! Dieu ne peut-il s’énoncer autrement que les hommes ?

Les incrédules, dira-t-on, croyent ſans difficulté les faits contenus dans les hiſtoires profanes, pourquoi refuſeroient-ils d’ajouter foi à la plus ancienne des hiſtoires ? c’eſt qu’il eſt aisé de croire des faits vraiſemblables, conformes à l’ordre de la nature & indifférens au bonheur, au lieu qu’il eſt impoſſible de croire des abſurdités d’où l’on fait dépendre le bonheur éternel.

§. II.

L’Ecriture eſt la régle de la Foi, donc elle doit être incorruptible. Eſdras a changé l’Ancien Teſtament, St. Jérôme a altéré le Nouveau. Tout le monde eſt obligé de convenir qu’un grand nombre de paſſages ont été altérés & corrompus. La Vulgate differe de la traduction des Septante, &c. faut-il sçavoir l’hébreu pour être ſauvé ?

§. III.

Moyſe & Mahomet ont écrit ; Jéſus-Chriſt n’a rien écrit. Aucun des livres de ſa Religion n’a été même commencé de ſon vivant. Il étoit pourtant important que celui qui venoit abroger la Loi, eût fixé nos incertitudes, & n’eût pas ſoumis ſes préceptes aux incorrections des Copiſtes. Cela étoit plus néceſſaire aux hommes que de faire des miracles, qui ne pouvoient être utiles qu’à ceux qui les ont vus.

§. IV.

Quelques livres de l’Ecriture ſont canoniques ou inſpirés, d’autres ſont apocryphes. Ce ſont les hommes qui ont décidé s’ils venoient du ciel ; qui leur a donné ce droit ? C’eſt un sûr moyen de ſe rendre maître de l’univers que d’avoir le droit de ſe faire des titres au beſoin. Il n’y a ici-bas d’autorité inconteſtablement divine qu’un bon raiſonnement en forme.

§. V.

Pourquoi dans l’Ecriture toujours des myſteres, des allégories, des paraboles ? C’eſt le ſtyle des Orientaux, Le St. Eſprit n’eſt-il que d’Orient ? L’Ecriture n’eſt-elle que pour les Orientaux ?

§. VI.

L’Ecriture n’eſt remplie que de contradictions & d’abſurdités ridicules. Dieu cherche Adam dans le Paradis, il choiſit & rejette Saül, il ordonne à Ezéchiel de manger de la matière fécale, & de la fiente de cheval par compoſition, il s’entretient avec le Diable dans le livre de Job &c. C’eſt le ſtyle des Orientaux ? en vérité il eſt bien abſurde pour les Occidentaux ! Un Evangéliſte dit que Jéſus-Chriſt eſt mort à 3. heures, un autre dit que c’eſt à 6. : Erreur de copiſte, dit-on. Un Evangéliſte fait ſa généalogie d’une façon, l’autre d’une autre : eſt-ce encore une faute de copiſte ? Si ce copiſte a erré ſur ce fait, qui l’a empêché d’errer ſur un dogme ? Ma foi eſt à la merci d’un Frère Bénédictin du XIe. ſiecle !

§. VII.

Pater major une eſt, dit Jéſus-Chriſt ; on ſeroit cependant bien reçu à dire que le Fils n’eſt point Dieu égal à ſon Pere. Ego & Pater unum ſumus.

§. VIII.

L’Ecriture a été divinisée par des Conciles intéreſſés à le faire. Les Paſteurs de l’Egliſe ont intérêt que l’Ecriture ne ſoit point un livre humain. Tout Juge intéreſſé eſt récuſable. N’y a-t-il que dans l’affaire du ſalut éternel où l’on ne doive point avoir égard aux régles les plus ſimples du droit & du bon ſens ?

§. IX.

Je ſerai damné ſi je n’obſerve point les commandemens : mais puis-je les obſerver ? oui, avec la grace : mais l’aurai-je quand je voudrai ? Non, il faut la demander : mais puis-je la demander quand j’en aurai beſoin ? Non, il faut que Dieu vous donne la grace pour lui demander ce dont vous avez beſoin, le don de la prière eſt une grace. Si je prie, ou Dieu veut m’accorder ce que je demande, ou il ne le veut pas ; s’il le veut, ma priere ne hâtera point ſa volonté, elle eſt donc en pure perte ; s’il ne le veut pas, elle eſt inutile. Que dit l’Ecriture ? Sine me nihil poteſtis facere : mais elle dit auſſi perditio tua ex te ô Iſraël ! Mais, dira Iſraël, ma damnation n’eſt point ex me ; car pourquoi ſuis-je damné, ô mon Dieu ? parce que je ne vous ai pas demandé des grâces ; mais ne m’avez-vous pas dit ſine me &c ? Si j’avois osé vous demander, j’aurois été Pélagien & par conséquent je vous aurois déplu & vous m’auriez également damné ; après cela vous venez me faire ce tendre reproche, quid potui tibi facere, vinea mea, & non feci ? Ce que vous avez pu faire & que vous n’avez point fait, le voici, me donner la grace de la priere. Les Théologiens répondront pour Dieu en diſant qu’il a donné des ſecours ſuffiſans. Iſraël répliquera ; ſans examiner ce que vous étiez obligé de faire pour moi, & ſi m’ayant créé pour votre gloire, pour vous aimer, vous ſervir, vous adorer, vous n’étiez pas obligé de me donner des ſecours efficaces, puiſque ſans eux je ne vous ai ni aimé, ni adoré, ni glorifié, but que vous aviez pourtant en me créant ; cependant ſans, dis-je, examiner cela, qu’appellez-vous des ſecours ſuffiſans ? des ſecours qui n’ont point ſuffi : Mais, mon Dieu, vous me jouez ; vous ne me donnez pas la moitié de ce qu’il me faut, ce n’eſt pas moi, c’eſt vous qui me tuez.

Ces ſecours n’ont été inſuffiſans que parceque vous les avez négligés, o Iſraël ! Mais je ne les ai négligés que parceque je ne les ai point employés ; je ne les ai point employés que parce que je n’ai point en la grâce qui ne dépendoit point de moi : mon Dieu, en me créant, vous avez eu mon ſalut pour but, je n’ai pû être ſauvé ſans une grâce efficace, vous êtes donc obligé de me la donner ; ſi je ſuis damné, c’eſt votre faute & non la mienne.

§. X.

Dieu n’a parlé aux hommes que pour leur apprendre ce qu’ils ne pouvoient ſavoir par eux-mêmes & ce qui eſt néceſſaire à leur ſalut. Or l’Ecriture eſt obſcure & inintelligible, donc elle n’eſt point la parole de Dieu, donc elle a beſoin d’être commentée par les hommes, donc ce ſont les hommes qui nous inſtruiſent.

§. XI.

Quelles idées l’Ecriture nous donne-t-elle de Dieu ? il eſt aveugle, colere, moqueur, ignorant, cruel ; il eſt toujours en querelle avec le Diable qui eſt incomparablement plus fort que lui, qui lui débauche une partie de ſa cour, qui a beaucoup plus d’autels que lui, qui damne les trois quarts & demi de la Terre, qui fait échouer l’œuvre de la rédemption. Pourquoi ne point anéantir le Diable ? pourquoi s’amuſer à des jeux qui font frémir l’humanité ? pourquoi punir ceux qui ont ſervi à ſes amuſemens ? &c.

§. XII.

Mais, dira-t-on, il ne faut point s’arrêter au ſens littéral, ce ſont-là des allégories. Pourquoi donc les Chrétiens appuient-ils leur religion ſur ce ſens littéral ?