Aller au contenu

Esprit des lois (1777)/L21/C15

La bibliothèque libre.
◄  Livre XXI
Chapitre XIV
Livre XXI Livre XXI
Chapitre XVI
  ►


CHAPITRE XV.

Commerce des Romains avec les barbares.


Les Romains avoient fait de l’Europe, de l’Asie & de l’Afrique, un vaste empire : la foiblesse des peuples & la tyrannie du commandement unirent toutes les parties de ce corps immense. Pour lors la politique Romaine fut de se séparer de toutes les nations qui n’avoient pas été assujetties : la crainte de leur porter l’art de vaincre, fit négliger l’art de s’enrichir. Ils firent des lois pour empêcher tout commerce avec les barbares. « Que personne, disent[1] Valens & Gratien, n’envoie du vin, de l’huile ou d’autres liqueurs aux barbares, même pour en goûter ; qu’on ne leur porte point de l’or[2], ajoutent Gratien, Valentinien & Théodose, & que même ce qu’ils en ont, on le leur ôte avec finesse ». Le transport du fer fut défendu sous peine de la vie.

Domitien, prince timide, fit arracher les vignes[3] dans la Gaule, de crainte sans doute que cette liqueur n’y attirât les barbares, comme elle les avoit autrefois attirés en Italie. Probus & Julien, qui ne les redouterent jamais, en rétablirent la plantation.

Je sais bien que dans la foiblesse de l’empire, les barbares obligerent les Romains d’établir des étapes[4] & de commercer avec eux. Mais cela même prouve que l’esprit des Romains étoit de ne pas commercer.


  1. Leg. ad Barbarium, cod. quæ res exportari non debeant.
  2. Led. II. cod. de commerc. & mercator.
  3. Leg. II. quæ res exporti non debeant ; & Procope, guerre des Perses, liv. I.
  4. Voyez les considérations sur les causes de la grandeur des Romains & de leur décadence. Paris, 1755.