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Histoire abrégée de l'île Bourbon/XII

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Anonyme
Imprimerie de Gabriel & Gaston Lahuppe (p. 78-88).

CHAPITRE XII

Savournin, de Steinaner, de Souillac, de Saint-Maurice, de Souville, Dioré, de Cossigny, gouverneurs — Commutation — Saint-Leu — Révoltes — Zélindor — 200 noirs choisis — Volontaires — Ateliers — Poste — Tour de l’île — Saint-Joseph — Muscade et girofle — Canal Beaulieu — Produits — Sainte-Rose — Élections de 1789.
Savournin — octobre 1772 à mars 1773.

15. De Bellecombe fait une absence pendant laquelle l’intérim est confié à M. Savournin. Il n’y eut rien de remarquable, ni même un seul acte à signer pendant ce temps ; de sorte que l’administration de l’intérim est absolument dépourvue de faits historiques. M. de Bellecombe reparut pour trois mois seulement, puis il rentra en France.

De Steinauer — 1773 à 1776.

16. Ainsi qu’on l’a vu, M. Poivre avait donné un grand essor à l’agriculture dans les deux îles ; Bourbon, plus favorable que l’île de France pour les céréales, était devenu, selon le désir du Gouverneur général, un point de ravitaillement, un grenier d’abondance, que l’on s’estimait heureux de mettre à contribution. De 1773 à 1785, les escadres françaises, commandées par Suffren et le maréchal Duchemin avaient doublé en raison de la guerre avec les Anglais.

Malgré ce surcroît de bouches, Bourbon leur fournit pendant ces dix années le blé et autres grains nécessaires, indépendamment des provisions pour l’île de France et de sa propre consommation, alors considérable ; la population était de 34,939 individus.

17. De Steinauer continua l’œuvre de M. Poivre ; il favorisa de tout son pouvoir la production des grains, la culture et la propagation des épices ; il s’appliqua également à la destruction des animaux nuisibles qui étaient très nombreux et causaient des dégâts considérables aux plantations.

18. Les noirs esclaves dont le marronnage dépassait un mois devaient être punis de mort ; le Gouverneur commua cette peine en celle de la chaîne perpétuelle et l’empreinte d’une fleur de lys au visage.

François de Souillac — 1776 à 1779.

19. La population du Repos Laleu s’était considérablement accrue ; le Gouverneur, de concert avec l’Ordonnateur, établit une division territoriale dont les limites sont encore aujourd’hui les mêmes ; il fonda une paroisse en prévision d’un quartier, appelé depuis Saint-Leu (décembre 1776).

Saint-Leu a conservé pendant un siècle le nom de Boucan Laleu, Repos Laleu, du premier habitant qui alla s’y fixer au temps de Regnault.

Le territoire qui s’étend de la ravine des Trois-Bassins à celle des Avirons fut concédé à Pierre Hibon en 1693 par Michel Firelin. Sa famille devint ainsi la souche d’une localité qui prit bientôt de l’importance.

47 ans après sa fondation, Saint-Leu possédait un plan partiel, mais régulier, de la division des propriétés. Ce travail, dû au sieur Panon, est le premier de ce genre qui ait existé dans la Colonie.

En 1777, la quartier put constituer un atelier de 80 hommes, tandis que ceux de Saint-Pierre et Saint-Benoit n’en avaient que 60. « Ses habitants, les plus nombreux et les plus aisés de toute l’île, fournirent durant 3 ans une taxe de 30 sous par tête d’esclave en sus de l’impôt de capitation. » [1]

Saint-Leu reçut un prêtre titulaire en 1776 ; il fut séparé de la commune de Saint-Paul en 1789. Cette même année, si féconde en souvenirs politiques, vit l’inauguration de l’église. Au banquet de circonstance, on but à la conservation de l’édifice ; à la santé du curé, des convives, à la prospérité de la France, à la République, à tout l’Univers !

20. De Souillac entra dans les vues de son prédécesseur au sujet des abus exercés sur les noirs marrons ; il prescrivit même des peines contre ceux pour qui cette véritable chasse était une occasion d’atrocités.

21. (1777) Le chevalier Banks, ingénieur colonial, exécuta le plan de Saint-Denis qui avait été arrêté en 1742 ; il comprenait douze rues de l’Est à l’Ouest, sept du Nord au Sud et cinq places publiques.[2]

22. Pendant les années 1778, 1779, la Colonie fut éprouvée par de violents ouragans et par deux révoltes de noirs, à Sainte-Suzanne et à Saint-André. Des arrestations nombreuses en prévinrent les suites redoutables ; les principaux coupables avouèrent un complot organisé pour le massacre général des blancs. Leur chef, Zélindor, condamné à être roué vif, fut exécuté le même jour.

Malgré la dévastation et les ruines occasionnées par les deux derniers cyclones, M. de la Brillaune, gouverneur particulier de l’île de France, fit élever son traitement à 50,000 francs et celui de son secrétaire à 6,000 francs. Le dernier mémoire de M. Mahé de Labourdonnais établissait le traitement du Gouverneur à 6,000 francs. Quelle différence !

De Saint-Maurice — 1779 à 1781

23. Un nouveau complot formé entre les esclaves fit remettre en vigueur les supplices mitigés par de Souillac et Steinauer ; l’horreur des tourments, paraît-il, était l’unique moyen d’intimider ces malheureux.

24. M. de Souillac laissa l’administration de Bourbon à son successeur pour prendre le gouvernement des deux îles. Voulant imiter la tactique de Mahé de Labourdonnais, il exigea l’envoi à l’île de France de 200 des meilleurs noirs qui se trouvaient dans les ateliers, et cela, lorsque Bourbon en avait le plus grand besoin pour améliorer ses chemins.

23. Cependant, la reprise fréquente des hostilités dans les Indes appelait de nouveau les volontaires pour défendre nos possessions du continent asiatique. En 1780, 50 hommes partirent, sous la conduite de Givran Fondaumière, sur la flûte les Bons Amis ; l’année suivante, un second détachement se dirigea sur Pondichéry. Tous combattirent avec honneur sous les ordres du nabab Ayou-Ali-Kan ; ils prirent également une part glorieuse aux journées des 13 et 20 juin 1783.

Le corps des volontaires créé en 1758, reconstitué en 1779, licencié en 1789, fut réorganisé par le Gouverneur Duplessis, en 1793.

De Souville — 1781 à 1785

26. M. de Souville résolut d’empêcher un nouveau prélèvement des noirs en faveur de l’île de France. À cet effet, il persuada aux habitants la création d’ateliers communaux destinés à l’entretien des chemins et à l’embarquement des denrées. En visant à cette création, le Gouverneur, aidé de M. Motais de Narbonne, avait en même temps l’intention de faire disparaître les corvées, imposition que les habitants supportaient avec peine et qui étaient une source de désagréments pour les propriétaires, aussi bien que pour l’Administration. Saint-Pierre avait alors son atelier de 64 hommes ; ceux de Saint-Denis, Sainte-Suzanne et Saint-Benoit se composaient chacun de 60 hommes. Saint-Paul et Saint-Leu pouvaient fournir des ateliers de 80 hommes (1784).

27. L’importance des quartiers commençait à faire sentir la nécessité de relations régulières ; on établit le service des lettres, lequel se faisait par deux noirs allant, l’un dans la Partie du Vent, et l’autre dans la partie Sous-le-Vent.

« Les malles partaient deux fois par semaine de Saint-Denis pour Saint-Pierre et Saint-Benoit, et revenaient deux fois par semaine également. Le port de la lettre simple était de 30 centimes. Cette branche de service n’a marché longtemps que péniblement. Les recettes étaient insignifiantes. Les habitants, préférant de beaucoup pour la sûreté et la célérité, échanger leur correspondance au moyen de courriers particuliers. »

28. « En 1785, la Colonie comptait 44,717 habitants, et le personnel des diverses branches de l’administration civile et religieuse coûtait 146,000 francs. » [3]

29. M. de Souville est le premier Gouverneur qui ait fait le tour de l’île. Il détermina les limites qui devaient former la paroisse de Saint-Joseph (1784).

La région qui s’étend de la ravine Manapany au Grand-Brûlé a été l’une des dernières peuplées. Sa proximité du volcan, le peu de terre qui recouvrait les laves de la section du Baril, aujourd’hui Saint-Philippe, l’absence d’eau potable, les remparts si difficiles à franchir de la Basse-Vallée et de Manapany, avaient éloigné les colons du Quartier d’Abord et des Grands-Bois.

Cependant quelques concessions avaient eu lieu en 1735, d’autres vers 1750, 1780 et 1782 ; mais les habitants vivaient disséminés, et pour ainsi dire privés de rapports commerciaux avec les quartiers voisins. On ne pouvait guère alors songer à l’emploi du petit cabotage pour le transport des marchandises ; un sentier conduisant à la rivière d’Abord était donc la seule voie pratiquée. Cet état de chose dura jusqu’en 1783, sans que les habitants pussent espérer une situation meilleure ; ils étaient si peu encouragés à la culture de leurs concessions que l’année suivante, 1784, l’Administration dut en réunir un certain nombre au domaine.

Pour relever l’énergie de ces familles que la misère et la faim décimaient, pour les exciter à la culture, leur créer des relations commerciales, les grouper et former un quartier, il fallait un homme d’un grand dévouement ; cet homme fut Joseph Hubert.

En 1783, il explora cette région dont la fraîcheur et le climat ordinairement pluvieux lui parurent convenir à la culture des épices. Joseph Hubert communiqua son idée à MM. les administrateurs de Souville et Motais de Narbonne, en s’appuyant sur la nécessité où étaient les habitants de faire beaucoup d’argent avec peu de marchandises. « On ne transporte, dit-il, des produits à tête d’homme que lorsqu’ils ont une grande valeur sous un petit volume. J’ai entre les mains des arbres qui donnent des produits de ce genre ; j’offre des plants à cette localité[4].

L’année suivante, 1784, le Gouverneur se transporta sur les lieux, admit en principe la création du quartier et en détermina les limites ; il s’étendait du Grand-Brûlé à la ravine à Panon, puis ensuite jusqu’à la ravine Manapany.

En 1785, M. de Souviile nomma Joseph Hubert commandant du futur quartier ; l’origine officielle de Saint-Joseph remonte à cette nomination.

En désignant Joseph Hubert pour commandant, le Gouverneur avait donné un père aux familles du Baril, du Trou et du Tremblet. En effet, le célèbre naturaliste fit de la localité sa propriété, et des habitants ses propres enfants. Il leur fournit gratuitement des milliers de plants de girofles et de muscades dont le monopole lui était assuré à un prix très élevé ; il fit creuser des puits en grande partie à ses frais ; tracer des chemins, construire le presbytère, l’église, etc. Mais la question qui le préoccupait surtout était le mesurage des propriétés, « afin, disait-il, d’assurer la tranquillité à mes enfants ; ils sont venus parce qu’ils avaient confiance en moi ; c’est à moi de les protéger » [5].

L’abornement promis en 1785 fut négligé ; on y opposa les réserves qui devaient enlever une portion considérable des propriétés. Joseph Hubert se constitua le défenseur de ses enfants. Voyages, correspondances, amis influents, menaces même, tout servit à son œuvre sous chacune des administrations qui se succédèrent depuis 1785 jusqu’à la rétrocession. Enfin, après avoir lutté 31 ans contre d’incessantes difficultés, Joseph Hubert obtint du Gouverneur Bouvet, en 1816, un mesurage complet, avec le plan de toutes les propriétés.

Le quartier des Nouvelles Moluques[6] reçut le nom de Saint-Joseph, en mémoire du Gouverneur Joseph, baron de Souville. Les Anglais Keating et Farquhar voulurent y substituer celui de Saint-Hubert, mais le modeste commandant s’y refusa.

Saint-Joseph ne voulut point prendre part aux troubles qui affligèrent la Colonie de 1790 à 1800.

30. En 1783, M. Joseph Hubert récolte les premières baies du seul giroflier conservé à Bourbon. M. Sicre de Fontbrune tire également de Saint-Benoit la première noix muscade de l’île, l’offre au Gouverneur et en reçoit, selon qu’il avait été promis, deux noirs de choix.

Élie Dioré — 1785 à 1788

31. Ce Gouverneur était fils du précédent de ce nom, Gouverneur en 1725. Avant sa promotion au premier poste de la Colonie, M. Dioré avait servi sous les drapeaux et obtenu le grade d’officier. Revenu dans son pays natal, il composait, à lui seul, l’état-major de Bourbon.

32. En 1785, M. Duplessis leva le plan du canal qui dessert la sucrerie Beaulieu et une partie du quartier Saint-Benoit. L’année suivante un tremblement de terre se fit sentir à 6 heures du matin, mais on n’eut aucun accident à regretter.

33. La seconde année de son administration, M. Dioré fit faire un relevé statistique des produits agricoles de Bourbon ; le café y figurait pour 1,390,000 kilos, le coton avait donné 169,850 kilos, les graminées, 274,806 hectolitres dans lesquels le blé comptait encore pour 50,000 hectolitres. La culture du café avait amoindri celle du blé ; les épices lui portèrent un nouveau préjudice, et la canne en a fait disparaître les derniers vestiges.

De Cossigny — 1788 à 1790

34. De Cossigny de Palma, maréchal-de-camp, vint prendre l’administration après le départ de M. Dioré. Appelé en 1790 au commandement de l’Île de France, son pays natal, avec le titre de Gouverneur-général, il n’eût guère le temps de s’occuper des intérêts de Bourbon. Il organisa cependant la paroisse de Saint-Leu, lui donna un commandant et en fit un quartier, une commune. Sainte-Rose attira également son attention ; il en désigna les limites actuelles, voulut en faire une paroisse séparée de Saint-Benoit. Baril avait été indiqué comme chef-lieu de la paroisse de Saint-Joseph ; M. de Cossigny choisit l’Angevin, ce choix prévalut par la suite. De retour à l’Île de France, le Gouverneur y fit venir la canne de Batavia ou canne blanche ; c’est de cette souche qu’elle est parvenue à Bourbon.

Le Port-Carron, le quai la Rose, et enfin Sainte-Rose tire son nom du vocable de la paroisse. Sous le gouvernement de Labourdonnais, vers 1740, les Boyer, Plante, Laxalde, Furcy, puis ensuite Collet, Hoareau, Esparon, Duchemann, y firent les premiers essais de colonisation.

En 1750, M. Bouvet de Lozier favorisa leur entreprise en ouvrant une voie ds communication ; Joseph Hubert les seconda plus tard dans la création de caféeries et de girofleries dont les revenus augmentèrent l’importance de cette localité. En 1788, M de Cossigny désigna pour Sainte-Rose un notaire et un commis aux recettes, dans le but d’en faire une paroisse séparée de Saint-Benoit.

Vingt-deux ans plus tard, en 1809, les Anglais y tentèrent à trois différentes reprises une descente qui leur coûta des pertes sérieuses. Un monument funèbre, sans inscription, élevé sur le quai par le gouvernement anglais, rappelle moins la défaite des assaillants que la valeur de M. Hubert Delisle, commandant de Saint-Benoit, de Finette, Bège, Guichard, Desruisseaux et Boyer. Là aussi reposent les cendres du commodore Corbett, le chef des attaques contre Sainte-Rose et le vaincu du contre-amiral Bouvet.

35. À la nouvelle de la convocation des États-généraux (1789) les îles-sœurs voulurent avoir comme la Métropole leur Assemblée générale. On élut 128 députés dans les paroisses ; deux mois après, le nombre en fut porté à 137. L’Assemblée coloniale s’établit sur le pied de l’indépendance : elle accorda au Gouverneur le droit de sanctionner ses délibérations, ne se fit pas faute de déposer, de replacer les chefs d’administration selon son bon plaisir et les dispositions des esprits. Un de ses premiers actes fut la création des municipalités ; ensuite on élut M. Bellier président de l’Assemblée coloniale, pendant que M. Bellier de Villentroy était nommé député à l’Assemblée nationale.

  1. Pajot.
  2. Le plan de la ville de Saint Pierre est dû au même chevalier Banks ; il le fit mettre à exécution après avoir régulalisé la ville de Saint-Denis.
  3. Pajot.
  4. E. Trouette.
  5. Trouette.
  6. Nom donné par Joseph Hubert.