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Histoire abrégée de l'île Bourbon/XIX

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Anonyme
Imprimerie de Gabriel & Gaston Lahuppe (p. 126-134).

CHAPITRE XIX

Duval d’Ailly, Cuvillier, de Hell, Bazoche, gouverneurs — 1830 — Drapeau tricolore — Sources thermales de Salazie — Égalité — Saint-Philippe — Travaux publics — Mme Cuvillier — Répartition du pouvoir — Salazie — Entre-Deux — Hell-Bourg — Hell-Ville — Système, métrique — Déboisement — Rachat, patronage des noirs — Tamatave.
Duval d’Ailly — 1830 à 1832

33. Placé à la tête de l’île Bourbon par la Restauration, M. Duval d’Ailly vit avec regret les événements de 1830 et surtout les troubles qui menacèrent la tranquillité publique. Le drapeau tricolore arboré au milieu d’une frénétique agitation fit naître la défiance, des craintes sur l’avenir et une interruption préjudiciable dans les opérations commerciales. Le Gouverneur dut céder à la pression de quelques ultra-libéraux, qui avaient pris le nom d’Assemblée coloniale ; il créa un Conseil général auquel succéda, en 1833, le Conseil colonial dont les fonctions cessèrent en 1848.

34. L’arrêté du 29 juin 1850 porte l’établissement des gardes-champêtres dans toutes les communes ; ils devaient être français, âgés de 25 ans au moins.

Cet arrêté ne reçut point d’application ; il parut préférable de confondre le service de la garde des propriétés avec la surveillance des villes. Les vols n’en furent ni moins audacieux, ni plus recherchés qu’auparavant.

35. Les sages mesures de l’ordonnance organique de 1825 concernant le commerce favorisaient son extension ; aussi prit-il en peu de temps un développement considérable qu’il importait de diriger et de maintenir. À cet effet, la Chambre de commerce fonctionna dès 1831.

36. L’égalité de toutes les classes de la population libre devint pour la Colonie une des principales conséquences de l’égalité politique, qui allait permettre aux libres ou affranchis d’entrer en possession de tous les droits de citoyen français.

37. À la même époque, la section du Baril, faisant partie du quartier de Saint-Joseph, servit à former la commune de Saint-Philippe.

Saint-Philippe ; ainsi nommé en mémoire de Louis-Philippe Ier, roi des Français, eut des habitants vers 1750. On cite un Ducheman et un Guichard d’Arzul ; toutefois il ne dut sa population qu’au dévouement persévérant de Joseph Hubert qui y propagea la culture des épices et des arbres fruitiers.

Cette localité n’a pas su se garantir de l’invasion de la canne ; pour cette plante, on a détruit les belles girofleries de Joseph-Hubert ; mais avec ceiles-ci a disparu le bien-être de la population.

Saint-Philippe est le seul quartier dont la commune a devancé la paroisse ; cette dernière fut érigée en 1838, sept ans après la commune.

Cuvillier — 1832 à 1838

38. Les événements de 1830 ne nuisirent pas seulement aux opérations commerciales, ils arrêtèrent pour quelque temps l’impulsion si heureusement donnée aux travaux d’utilité publique par M. de Lancastel, et, comme il arrive ordinairement, ceux qui avaient contribué le plus à ces événements, furent les premiers à souffrir du manque de travail.

Le contre-amiral Cuvillier s’efforça de ranimer la confiance, le mouvement des affaires et de rendre à la confection des routes les bras nécessaires. Bon, affable, il sut établir sa popularité et faire apprécier la sollicitude qu’il témoignait à toutes les œuvres du pays. Sous ce rapport, Madame Cuvillier le secondait admirablement ; elle prêta une assistance généreuse à Mgr Dalmont, fondateur de l’Orphelinat. C’est à ses pieuses libéralités que 60 orphelines doivent en grande partie les soins affectueux des Filles de Marie, qui les gardent jusqu’au moment où elles sont en état de travailler. Mme Cuvillier, morte en 1867, a laissé un legs considérable à l’Orphelinat, qu’elle n’avait cessé d’entourer de sa plus vive affection.

39. (1833) Une ordonnance, modifiant celle de 1825, définit explicitement les attributions du Gouverneur, du Directeur de l’intérieur et du Procureur général, chargé de l’administration de la justice. La Cour royale est transférée de Saint-Paul à Saint Denis. Salazie est érigée en agence (1836).

40. Le service de la police intérieure avait été confié, en 1825, à la troupe de ligne, sous le nom de Compagnie d’ordre du bataillon. Cette Compagnie, supprimée en 1833, était remplacée par des officiers et agents de la force publique, qui demeurèrent chargés de tout ce qui concerne la police administrative et judiciaire.

De Hell — 1838 à 1841

41. M. de Hell débuta dans son administration par un arrêté qui érigeait l’Entre-Deux en section principale de la commune de Saint-Pierre ; un autre arrêté, rendu en 1839 est relatif à la colonisation du cirque de Cilaos, dans le but de faciliter l’usage des eaux thermales, situées au pied du Piton des Neiges. Des encouragements de colonisation furent donnés en même temps pour le plateau de Bémaho, qui avoisine la source du Bras-Sec.

L’Entre-Deux tire son nom de la situation qu’il occupe entre les bras de Cilaos et celui de la Plaine. Ce lieu était, avec le cirque de Salazie et Cilaos, un des principaux centres de refuge des noirs marrons. Les hautes montagnes situées au Nord, les rivières à l’Est et à l’Ouest, leur jonction au Sud, constituaient une sorte de retranchement, un véritable camp fortifié.

L’étang qui se trouvait au centre du plateau, et dont on voit encore des traces, donnait, par la pêche, de faciles moyens d’existence aux brigands réfugiés dans les environs. Leurs camps, établis sur deux points rapprochés l’un de l’autre, à l’entrée des gorges du Bras-Court, ont conservé les noms de Trou du Magasin et Trou du Cochon, indiquant ainsi la nature des dépôts qu’ils recevaient.

Tout fait présumer que l’îlet de l’Entre-Deux a été l’un des premiers repaires de nos habitants des bois, en 1720 ; la forêt qui recouvrait son territoire était infestée à ce point que, sept ans après, les colons ne jugèrent pas opportun de s’écarter des deux confluents qui forment la rivière Saint-Étienne.

La concession de l’Entre-Deux date de 1727. Les sieurs Jean Houareau et Joseph Lauret l’obtinrent au titre onéreux de cent livres de bled et de quatre onces de caffé par arpent de terres défrichables, le tout livré annuellement par semestre. De plus le gouverneur Dumas y réserva pour la Compagnie les droits de banalité[1], la coupe des bois, la chasse et la pêche.

Les nouveaux propriétaires s’établirent à la Pointe ; Jean Houareau eut pour sa part la moitié de l’îlet, située à l’Ouest, Joseph Lauret reçut les terres qui avoisinent le Bras de la Plaine. En 1737, la famille Técher vint les rejoindre ; puis, en 1801, les sieurs Fontaine et Payet. Mais dès 1792 les frères Antoine et Chérisseuil Houareau les avaient devancés sur les bords de la Mare. Ces derniers furent conséquemment les fondateurs du village de l’Entre-Deux.

Cette localité reçut un adjoint spécial en 1839 ; la construction de l’église remonte à 1845 et l’érection de la paroisse à 1853.

La canne pénétra jusqu’à l’Entre-Deux, où de riches caféeries firent place à la culture sucrière. Les plantations parurent en 1848 sur les propriétés de Vital, Michel et Furcy Houareau qui bâtirent une sucrerie en 1853. Le rendement de la canne n’ayant pas justifié leurs prévisions, ils fermèrent l’usine en 1879. La culture du café y reprit faveur et l’Entre-Deux recouvra son ancienne prospérité.

Cilaos était habité au début du gouvernement de Labourdonnais. La chasse aux marrons obligea, plusieurs de ceux-ci à se retrancher dans les lieux inaccessibles de l’intérieur. Le malgache Cilaos, Tsi-Laos, d’après M. Crestien, fixa son camp de retraite sur le plateau qui depuis a porté son nom.

Les eaux thermales furent découvertes en 1815 par Paulin Técher, chasseur de Saint-Louis, et les premiers baigneurs y parurent peu après 1830. Des guérisons nombreuses ont contribué à faire de Cilaos une section importante de la commune de Saint-Louis. Un adjoint spécial y réside depuis janvier 1867.

42. Tsimékou, reine des Sakalaves, céda au roi des Français tous ses droits de souveraineté sur la côte occidentale de Madagascar et sur Nossi-Bé. Le village le plus considérable de cette île, choisi pour lieu de résidence du personnel administratif fut embelli, augmenté et porta le nom de Hell-Ville, en souvenir du contre-amiral qui avait été chargé, de négocier la cession faite par la reine Tsimékou en 1841.

La même année, le système légal des poids et mesures était adopté dans la colonie et substitué à la gaulette de quinze pieds. Néanmoins, les anciens habitants continuèrent à évaluer en gaulettes la superficie de leurs propriétés ; mais, dans la pratique, le mètre et la chaîne d’arpenteur sont devenus les seuls instruments de mesurage.

Bazoche — 1841 à 1846

43. Franc et loyal, M. Bazoche avait conservé les allures du marin, ce qui, au commencement de son administration, contrasta avec les manières de ses prédécesseurs. Toutefois le Gouverneur, devenu contre-amiral, s’attira bientôt les sympathies de la population ; il poussa vivement les travaux publics repris par M. Cuvillier, favorisa l’agriculture ; malheureusement pour la canne, on sacrifia tout, girofleries, vergers, caféeries, habitations, maisons, jusqu’aux pentes des ravines dont le frais ombrage protégeait si utilement les cours d’eau ; les forêts même ne furent point épargnées, et, pour aller plus vite, on y mit le feu.

44. D’autre part, le Gouverneur ne négligeait rien de ce qui concernait les intérêts généraux du pays ; à cet effet, il ne craignait pas d’engager sa responsabilité, en modifiant les ordonnances ministérielles, lorsqu’elles lui paraissaient contraires au bien général.

M. Bazoche gouvernait la Colonie depuis deux ans, lorsque des chasseurs de cabris découvrirent Mafat, dans les hauts de Saint-Paul. Les eaux sulfureuses de Cette source avaient été remarquées par des Malgaches marrons ; ils croyaient qu’elles contenaient un principe dangereux, capable de donner la mort. Un marron s’y était établi vers 1743 ; sa réputation de sorcier s’augmenta de la mauvaise renommée des sources d’eau chaude, ce qui lui fit donner par ses compagnons le synonyme de Maha-faty (qui conduit à la mort), d’où le nom de Mafat.

45. En 1845, parut la loi préparatoire à l’émancipation ; elle autorisait les esclaves à se racheter, et, par suite, leur conférait les droits de citoyen français. L’idée de l’émancipation prochaine donna lieu au patronage des noirs, œuvre bien utile, puisqu’il s’agissait de donner les premiers soins religieux à ces infortunés.

46. Vers le même temps eut lieu le bombardement de Tamatave, en représailles des cruautés exercées par la reine Ranavalona sur les traitants européens. Le corps expéditionnaire anglo-français, trop faible pour s’emparer de la ville, se retira, laissant une centaine de soldats tués. Le port demeura fermé comme auparavant, et les têtes de nos malheureux soldats fixées à l’extrémité de longues piques, restèrent ignominieusement exposées sur le rivage jusqu’en 1853.

La Colonie eut à enregistrer à cette même époque une perte qui fut profondément sentie, celle de la vénérable Mme Desbassayns. Cette femme, si remarquable à tant de titres, consacra sa vie entière à d’innombrables libéralités, non seulement à Saint Gilles, sa résidence, mais encore en Europe, dans les Indes, et jusqu’en Amérique. La ville le Saint-Paul lui dut de n’être point livrée au pillage en 1809, et la Colonie, la modération dont elle fut l’objet de la part des autorités anglaises. En témoignage de profonde estime, l’un de nos gouverneurs lui décerna le titre de seconde Providence que la ville de Saint-Paul a été jalouse de conserver ; le souverain Pontife, Grégoire XVI, l’honora d’une lettre autographe en reconnaissance du bien opéré par elle dans les missions. Mme Desbassayns termina sa carrière en 1845, après avoir donné l’exemple de toutes les vertus pendant 90 ans !

  1. Droit d’assujettissement.