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Histoire abrégée de l'île Bourbon/XXVI

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Anonyme
Imprimerie de Gabriel & Gaston Lahuppe (p. 175-184).

CHAPITRE XXVI

M. Dupré, gouverneur, ses précédents — Les écoles — Plaines — Crédit foncier — Impôt — Famine de l’Inde — Contre-Amiral Dupré — M. Drouhet — Sénatus-consulte — Budget — Guano — Améliorations — Traitements — Cadre d’enseignement — Octroi — Marqués — Fièvre — 2 décembre — Ouragan — Suppressions — Solidarité — Assistance — Messe au Piton des Neiges.
Contre-Amiral Dupré — 1865 à décembre 1869

M. Dupré avait été l’émule du baron Darricau, dans la guerre de Crimée ; il fut l’un des inspirateurs de nos batteries flottantes que l’on a prises pour modèle des gros navires cuirassés. L’honneur de l’essai lui revenait de droit ; aussi les trois premières batteries, la Tonnante, la Lave et la Dévastation obéissait à ses ordres, enlevèrent le fort de Kilbourn sur le Dnieper après trois heures de bombardement, n’ayant perdu qu’un seul homme.

Chargé ensuite des opérations navales dans la mer des Indes, M. Dupré fit reconnaître à Madagascar les droits de la France et ceux de M. Lambert, duc d’Emirne ; il i négocia le traité d’alliance et de commerce avec le roi Radama II, traité qui établissait le libre échange des produits et l’exploitation des richesses indigènes. Mais la jalousie de nos ennemis ne devait point laisser subsister une œuvre aussi contraire à leur politique : l’assassinat du roi venait de ruiner toutes nos espérances, lorsque M. Dupré reçut le titre de Gouverneur de la Réunion.

80. Débarqué le 5 janvier, M. Dupré rendit applicable dans la Colonie la législation métropolitaine relative à la Caisse des dépôts et consignations, suivant laquelle les employés du service de la marine pouvaient placer des valeurs à intérêts sous la garantie du gouvernement.

81. Dans la tournée traditionnelle, le Gouverneur remarqua spécialement la bonne tenue des écoles ; il en félicita publiquement le Visiteur des Frères et la Supérieure des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny.

82. Le télégraphe fonctionna pour la première fois le 30 juillet 1870. Malheureusement le cyclone de ! 879 a détruit l’embranchement de Saint-André à Hell-Bourg.

83. Par une convention passée entre le ministre de la marine et le Crédit foncier, ce dernier éleva le minimum de ses prêts à vingt millions, moyennant une garantie par la Colonie de 500,000 francs par an.

84. Décembre. Le Conseil général, réuni en session ordinaire, arrêta le budget des dépenses facultatives et obligatoires et celui des recettes pour l’année 1866. Les dépenses étaient portées à la somme de 5,429,625 francs, et les recettes, à 5,565,441 francs.

85. Pendant l’année 1865, la Réunion ne fut point dévastée par les cyclones, mais notre colonie de Sainte-Marie de Madagascar eut le triste privilège d’être ravagée par un de ces météores, pendant la nuit du 11 au 12 janvier. La ville de Port-Louis (île Maurice) eut, dans le même temps, à déplorer des pertes sérieuses causées par l’inondation.

86. Avec l’année 1866, commença l’impôt de 0 f. 50 pour 100 francs d’estimation sur les maisons situées dans toute l’étendue de l’île, à l’exception des bâtiments d’exploitation agricole. Cette contribution modérée ne souleva point de réclamation, malgré l’excessive cherté des riz.

87. Les effets de la famine dans l’Inde s’étant vivement fait sentir sur le prix des denrées alimentaires de la Colonie, le Directeur de l’intérieur préleva sur la caisse de réserve une somme de 50,000 francs pour maintenir, en faveur des indigents, les riz à un prix moins élevé que le prix courant, lequel montait de 27 à 30 francs les 75 kilos. Les riz, blés, farines, et tous les grains alimentaires reçurent franchise de droits et de taxes quelconques, sans distinction de pavillons ni de provenances, et à dater du mois de novembre, les navires étrangers jouirent des mêmes droits que les navires français.

88. 3 août. M. Dupré reçut sa nomination au grade de coutre-amiral en récompense de ses 37 ans de services effectifs. La Colonie craignit de perdre un chef dont les débuts administratifs excitaient la satisfaction générale ; aussi se montrât-elle reconnaissante, en apprenant que l’avancement du Gouverneur ne serait point pour lui une cause de départ.

89. 3 octobre, nomination de M. Théodore Drouhet aux fonctions d’Inspecteur d’Académie.

90. L’année 1867 demeure une des dates les plus mémorables du pouvoir administratif par suite de la promulgation du sénatus-consulte du 4 juillet 1866 qui eut lieu le 18 janvier suivant. Cette nouvelle constitution des colonies détermine les attributions du Conseil général, lequel suivant les matières, statue définitivement, délibère, donne un vote soumis à l’approbation supérieure, ou émet simplement un avis. Le budget de la Colonie, modifié selon ses pouvoirs, est divisé en deux sections, l’une comprenant les dépenses obligatoires, l’autre les dépenses facultatives ; les deux réunies présentent une moyenne de 5,350,000 francs environ, et la moyenne des recettes s’élève à la somme de 5,500,000 francs.

91. La promulgation du sénatus-consulte amena la dissolution du Conseil général, attendu les nouveaux pouvoirs conférés à cette assemblée. Les conseils de commune reçurent la même transformation. Auparavant la nomination des membres du Conseil général appartenait au Gouverneur qui les choisissait à son gré ; il en fut ainsi jusqu’à l’élection par le suffrage universel.

92. Les assemblées coloniales ayant exposée là Métropole l’état d’épuisement où se trouvaient les terres cultivées, la France conclut avec le Pérou un traité en vertu duquel le guano de cette contrée serait exporté à raison de 300 francs le tonne. Son emploi a énergiquement stimulé le sol pendant quelque temps, mais il n’a pas été un engrais, comme on l’avait supposé.

93. Au mois de mars une épidémie, dite fièvre de Bombay, sévit à Maurice ; elle ne fut point passagère comme la variole, le typhus et le choléra. Après avoir enlevé près de 30, 000 personnes dans la seule ville de Port-Louis, elle s’étendit sur toute l’Île qui devint en peu de temps un pays malsain.

94. Pendant que l’Île-Sœur était en proie à ce fléau, la Réunion s’occupait de diverses réformes d’intérêt général ; des comices agricoles étaient institués dans les communes ; les étrangers immigrants reçurent l’autorisation de se marier ; l’octroi de mer fut établi par les votes du Conseil général et les chèques mis en circulation d’après la loi du 14 juin 1865.

Le chèque est une sorte de mandat qui sert au porteur à effectuer le retrait, à son bénéfice ou à celui d’un tiers, de la somme totale ou partielle des fonds placés au crédit de son compte, à l’établissement qui a délivré le chèque. Le paiement doit être réclamé dans les 5 jours ou les 10 jours, selon les distances.

95. Application de la loi métropolitaine du 14 juillet 1865 sur la mise en liberté des prévenus en toutes matières, sauf caution facultativement ordonnée. Les personnes appelées comme témoins reçoivent à titre d’indemnité pour frais de route et de séjour une quotité variant de 1 à 5 francs par jour.

96. 1868. On rendit exécutoire le tarif des douanes. C’est à partir de cette date (15 avril) que l’octroi de mer est devenu légal. Le Conseil, en l’établissant, usait d’un droit nouvellement acquis ; mais les tarifs précédemment votés furent frappés d’illégalité par décision judiciaire. En conséquence, les communes et la Colonie restituèrent des sommes considérables comme indûment perçues.

97. La loi du 8 mars 1852 qui prescrivait la substitution de la monnaie de bronze aux pièces de cuivre fut publiée le 13 juillet. L’introduction des pièces françaises de 5 et de 10 centimes n’empêcha point l’usage des anciennes pièces de 7 centimes 1/2 et de 10 centimes ; toutefois les marqués ne tardèrent pas à disparaître définitivement. Les monnaies divisionnaires, au titre de 900 millièmes, retirées de la circulation, y reparurent après leur conversion au titre de 835 millièmes.

98. (12 et 13 mars) Ouragan terrible soufflant dans la direction du Sud-Est ; il fit subir aux deux îles des pertes considérables. Les eaux pluviales augmentèrent les dégâts, notamment du côté de Saint-Pierre. Le lit de la rivière d’Abord, qui demeure quelquefois à sec pendant plusieurs années consécutives, fut rempli jusqu’à la hauteur de vingt pieds. Le baromètre descendit à 719 m/m.

Deux années de quarantaine sur les provenances de l’île Maurice avaient préservé la Réunion de l’endémisme paludéen qui dépeuplait la ville de Port-Louis ; on crut pouvoir rétablir les communications, mais cette tolérance causa le malheur du pays. Bientôt après, la fièvre se déclara aux environs du Quartier-Français, puis au Champ-Borne, à Saint-André, au Bras-Panon, à Sainte-Suzanne et ensuite sur tout le littoral. Le corps médical de la Colonie s’est épuisé en essais de toute sorte, dans le but d’arrêter le cours du fléau, mais la fièvre n’en continue pas moins d’enlever ses victimes, après les avoir minées par un dépérissement difficile à conjurer.


À dater de cette époque l’histoire de la Colonie présente une succession de faits dont la plupart ne peuvent qu’être indiqués ; leur développement et leur appréciation appartiennent aux historiens de l’avenir.


99. Un incident inouï à la Réunion, la révolution du 2 décembre, acheva de rendre l’année 1868 la plus fatale de notre histoire. La polémique religieuse entre certains journaux, et les pamphlets du Cri d’Alarme contribuèrent pendant plusieurs mois à surexciter les esprits. Les motifs apparents étaient une rivalité d’industrie ; le caractère des actes ne tarda pas à démasquer le but réel du mouvement. Le 30 novembre, une troupe des plus mal composées se porta tumultueusement vers les bureaux du journal la Malle, d’où elle se dirigea vers le collège Sainte-Marie que l’on pilla et saccagea. Après le collège des Jésuites, on s’en prit à l’établissement des Pères du Saint-Esprit ; mais là, enfin, l’émeute se heurta à un peloton de soldats et de gendarmes ; elle s’arrêta. Le jour suivant l’agitation recommença. Les chefs de l’émeute organisèrent une assemblée délibérante ; on y vota les résolutions suivantes pour être notifiées au Gouverneur :

1° Renvoi du Directeur de l’intérieur, M. Gaudin de Lagrange ;

2° Expulsion des Jésuites ;

3° Sécularisation de l’établissement de la Providence ;

4° Suffrage universel à être demandé à la métropole dans le plus bref délai ;

5° Paiement de l’impôt par douzièmes ;

6° Relaxation des personnes arrêtées la veille.

Le 2 décembre, sur le refus du Gouverneur d’obtempérer à ces injonctions, on se porta en masse, dès la chute du jour, sur l’Hôtel de Ville, et l’on essaya de renverser la grille. Les autorités présentes sur les lieux voyaient leur caractère méconnu. Les sommations légales de se disperser, renouvelées plus de cinq fois, restaient sans effet. La force publique dut intervenir. Il y eut, hélas ! de nombreuses victimes ; mais les fauteurs du désordre avaient eu soin de se tenir loin de tout danger. La ville, mise en état de siège, ne reprit sa vie habituelle qu’après six mois de ce régime militaire.

100. (1869) Pendant la durée de l’état de siège, la police réussit à découvrir les auteurs du journal clandestin le Cri d’Alarme qui attaquait vivement les actes de l’Administration. Ils furent condamnés à la prison et à une forte amende ; mais l’amnistie accordée en 1869, à l’occasion du centenaire de Napoléon Ier, les remit en liberté.

101. Cependant les résolutions votées par l’émeute ne tardèrent pas à recevoir leur accomplissement. Le Directeur de l’intérieur, M. de Lagrange, partit le 22 décembre pour la Martinique ; l’école de la Providence fut supprimée par délibération du Conseil général en date du 13 février et l’on retrancha la subvention de 4,000 francs accordée au collège des Jésuites[1]. Le pénitencier, transféré à l’Îlet-à-Guillaume, continua d’être dirigé par les Pères du Saint-Esprit jusqu’au 10 octobre 1879, époque de sa laïcisation.

102. Les Pères du Saint-Esprit avec lesquels l’Administration était engagée, se pourvurent devant le Conseil d’État, et obtinrent, le 13 juin 1879, après dix ans de procédure, un arrêt qui condamnait la Colonie à des indemnités. Les Pères se contentèrent finalement d’une somme moindre relativement à celle à laquelle ils avaient droit.

103. (12 mars). Promulgation de la loi du 6 mai 1868 qui prononce la solidarité de tout associé commanditaire qui aurait fait des actes de gestion. Une autre loi du 21 juillet applique également la solidarité contre les actionnaires des sociétés anonymes et en commandite.

104. En avril, le Conseil privé révisa l’organisation de l’assistance publique, et le Gouverneur détermina le nombre des membres du conseil d’administration, par un arrêté qui fut rapporté le 10 novembre 1872. À dater de cette époque, le conseil réduit à 4 membres siège sous la présidence du Directeur de l’intérieur.

M. l’abbé Saissac, curé de Saint-Leu, chargé de réaliser un vœu de Mgr Maupoint fit l’ascension du Piton des Neiges, et célébra le saint sacrifice de la Messe sur le point le plus élevé de la montagne (4 août 1879). Une croix monumentale indique encore le lieu où s’arrêta le vénérable prêtre.

105. (23 octobre). Départ de M. Dupré pour le gouvernement de la Cochinchine, où il organisa l’État civil parmi les indigènes ; mais il fit perdre à la France le Tonkin que le capitaine Francis Garnier avait conquis et organisé en moins d’un mois. M. Dupré, à qui ne revenait point l’honneur de l’expédition, ordonna aux Français l’abandon du territoire, et le roi de Ké-Cho, débarrassé de ses vainqueurs, fit éclater sa vengeance sur les chrétiens que l’on massacra au nombre de dix mille.


  1. Il fut fermé au mois d’août 1869.