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Histoire abrégée de l'île Bourbon/XXVII

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Anonyme
Imprimerie de Gabriel & Gaston Lahuppe (p. 185-194).

CHAPITRE XXVII

De Lormel, commissaire-général, gouverneur — Canal de Suez — Mesures diverses — Plébiscite — République — Guerre, désastres, soldats créoles — Députés — Suffrage universel — Conseil général — M. Laugier — Décentralisation — École normale — M. Drouhet — Paix — Mgr Maupoint — Locomotive — Escouade typographique — Les Antilles — Réparations — Centimes additionnels — Aurore australe — Ouragan.
De Lormel — 1870 au 18 septembre 1875
Interruption du 21 septembre 1872
au 22 novembre 1873

106. Depuis le départ de M. Dupré jusqu’à l’arrivée de son successeur, M. de Lormel (27 novembre), le gouvernement de la Colonie fut confié à de M. Laborde, commissaire-ordonnateur de la marine.

M. de Lormel ouvrit la liste des Gouverneurs civils ; les pouvoirs de ces derniers différant de ceux des gouverneurs militaires, et à cause sans doute de leurs nombreuses occupations, les signatures des pièces destinées à l’extérieur commencèrent à être légalisées par le secrétaire du gouvernement, qui reçut délégation à cet effet.

107. L’inauguration du canal de Suez a été l’un des grands événements de l’année 1869. La Réunion avait, comme tant d’autres pays ; son intérêt au percement de l’isthme ; à ce titre elle devait participer à la fête universelle qui couronna une entreprise à laquelle les Anglais avaient renoncé et que les anciens considéraient comme impossible. Dans ce but, la Chambre de commerce délégua M. Thomy Lahuppe, qui fut accrédité par le Gouverneur auprès de M. de Lesseps et du vice-roi d’Égypte.

108. (1870) Le choléra sévit de nouveau à Zanzibar. L’Administration, instruite par l’expérience de 1851 et de 1859, imposa une quarantaine rigoureuse aux provenances de l’Ouest ; ces sages mesures, gardées jusqu’au 2 août 1871, préservèrent la Colonie du fléau.

109. En février, on rendit applicable au pays la loi qui supprime la contrainte par corps en matière civile, commerciale et contre les étrangers. Le mois suivant, on établit les bourses communales pour le Lycée ; ce moyen ouvrait la voie à toutes les aspirations. Le gouvernement de Madras nous traitait avec moins de libéralité, car il augmenta de 50 % les conditions d’engagement de ses immigrants.

110. Le plébiscite du 8 mai 1870 donna lieu à la Constitution impériale, acceptée par la Chambre. Napoléon, se faisant, pour ainsi dire, réélire par plus de 7,000,000 de voix, inaugurait le suffrage populaire. Malgré cette imposante démonstration, la suite des événements vint prouver qu’une grande révolution n’était pas loin du 8 mai.

111. Un télégramme du 20 juillet, arrivé le 5 août, fît connaître la déclaration de guerre entre la France et la Prusse. Le 2 septembre, c’était la nouvelle des premières défaites de l’armée française et de l’invasion étrangère. Le 24, on apprit le désastre de Sedan et la chute de l’Empire.

112. (3 novembre) La République fut proclamée à la Réunion sur la place du Gouvernement, en présence des chefs d’administration, de la milice, de la garnison et d’une foule considérable. M. de Lormel, gouverneur, prononça une allocution par laquelle il faisait un appel à la concorde et au patriotisme.[1] Cet appel fut parfaitement compris ; on n’eut à constater aucune agitation ni le moindre désordre.

113. Le gouvernement de la Défense nationale dispensa les officiers publics de l’obligation du serment politique. Les détenus pour crimes et délits politiques depuis 1852 reçurent l’amnistie pleine et entière.

114. Les désastres de la Mère-Patrie touchèrent profondément les cœurs si français de la jeunesse créole. Nombre de jeunes gens s’enrôlèrent volontairement et allèrent porter au sein de la France le noble exemple du patriotisme et du dévouement. Quelques-uns arrosèrent de leur sang le sol de la patrie ; d’autres méritèrent d’être cités dans les ordres du jour.

Parmi les victimes tombées glorieusement sur le champ de bataille, la Colonie a enregistré les noms suivants : Hyacinthe Rolland, Eugène Desprez, Octave du Mesgnil, Robert Wetch, Charles Routier de Granval, Gabriel Foucault, François Buttié, Ernest-Simon Hoareau, Marie-Jude Hoareau.

115. (2 novembre) Nouvelle de l’investissement de Paris. L’abolition du serment politique est promulguée dans la Colonie.

116. (15 novembre) Apparition des journaux le Courrier de la Réunion, le Progrès colonial et la Réforme libérale.

Le 17, nouvelle de la capitulation de Metz et de la reddition de l’armée de Bazaine.

117. MM. Robinet de Laserve (Alexandre) et de Mahy (François-Césaire) élus représentants du peuple à l’Assemblée nationale par le suffrage universel direct, le 20 novembre, arrivèrent en France au mois de janvier 1871.

C’est par l’intervention de M. Imhaus que le suffrage universel avait été accordé à la Colonie, et les élections eurent lieu en vertu d’un décret présidentiel daté du 4 octobre 1870.

M. de Laserve avait longtemps combattu en faveur de certaines opinions ; après le 20 novembre, elles devinrent l’idéal des élus du peuple. Émancipation politique, assimilation à la métropole, autonomie administrative, droits pour la Colonie de choisir librement ses mandataires, d’élire son Conseil général ; restitution à cette Assemblée des attributions que lui conférait la loi de 1833, tel est le programme que MM. Laserve et de Mahy ont exposé à la Chambre et qu’ils ont finalement réalisé.

118 (1871) Le décret qui appliquait le vote universel à l’élection des membres du Conseil général et des conseils de commune arriva le 19 janvier 1871 ; il fut publié le 9 février suivant et appliqué le lendemain par un arrêté en vertu duquel le mode des élections était déterminé. Les localités furent divisées en sections représentées chacune par un bureau où les scrutins étaient déposés. Le bureau se composait, comme aujourd’hui encore, de six scrutateurs, adjoints et conseillers, ou des trois plus anciens et des trois plus jeunes présents à l’ouverture de la séance et sachant lire et écrire. Quatre membres au moins doivent être présents pendant tout le cours des opérations.

119. Les conseillers généraux à élire, au nombre de 24, étaient répartis proportionnellement à la population des cantons. Saint-Denis en fournit 5, Saint-Pierre 4, Saint-Paul 3, Saint-Benoit 3, Saint-André 3, Saint-Louis 2, Sainte-Suzanne 2, Saint-Joseph 1, Saint-Leu 1. La population de l’île était évaluée au chiffre approximatif de 211,525 habitants ; mais une statistique, dressée avec soin en 1873, fixait le dénombrement à 182,676 habitants, dont 31,995 chefs de famille, 79,335 personnes de tout âge, 11,206 domestiques, hommes, femmes et enfants et 60,140 travailleurs immigrants. La ville de Saint-Denis en particulier donna un chiffre total de 32,452 habitants.

120. (4 février) Quelques propriétaires, ayant voulu se livrer à la spéculation des fibres d’aloès, l’Administration en fixa le tonneau à 600 kilos. Cette industrie a pris une grande extension à Maurice, tandis qu’à la Réunion elle est tombée, comme tant d’autres essais, dans l’ornière de l’indifférence. Cependant elle paraît vouloir renaître aujourd’hui (1882).

121. Le 9 mars, M. Laugier, secrétaire-général en Cochinchine, fût nommé directeur de l’intérieur à la Réunion. Entré en fonctions le 29 septembre, il succédait à MM. le baron de Keating et Louis Morel, qui avaient fait l’intérim depuis le départ de M. de Lagrange pour la Martinique. L’administration ferme et intelligente de M. Laugier lui mérita le grade de Gouverneur des Antilles en 1878.

122. (8 mars) Le Conseil général élu le 19 février par les suffrages du peuple se réunit en session. Ses pouvoirs, augmentés une seconde fois par la métropole, lui permirent de voter l’autonomie financière des communes et, conséquemment, la décentralisation des services concernant les vieillards et infirmes, les malades, le traitement des agents de police, des instituteurs et des institutrices. Ensuite, le Conseil général supprima les allocations de dix bourses pour le noviciat des Frères et de cinq bourses pour le noviciat des Sœurs.

On ne fit rien pour suppléer au noviciat des Sœurs ; mais celui des Frères fut remplacé par une école normale annexée au collège de Saint-Paul. Cette institution ouverte en 1877, expira en 1880, après avoir donné trois instituteurs au pays[2].

123. M. Drouhet, nommé inspecteur du service de l’Instruction publique en 1866, avait été mis à la retraite en 1869. Nommé conseiller général, il joua un grand rôle dans la suppression des noviciats et de plusieurs allocations destinées au recrutement des instituteurs et institutrices congréganistes ; il fut l’inspirateur et le plus ardent promoteur de la décentralisation. Plus tard le Département de la marine le nomma Directeur de l’intérieur à la Guyane, et enfin Gouverneur général de l’Inde française.

124. (15 mars) Nouvelle de la paix avec la Prusse ; le 14 avril on apprit que Paris était au pouvoir de la Commune, et le courrier du 9 juin apportait la nouvelle de sa délivrance.

125. (10 juillet) Mgr Maupoint, second évêque de la Réunion, mourut à St-Denis laissant après lui d’unanimes regrets. Il fut inhumé dans le chœur de la Cathédrale, d’après une décision spéciale du Gouverneur en date du 11 juillet 1871.

Mgr Maupoint déploya un zèle infatigable pour le bien de son diocèse ; il mit tout en œuvre pour faciliter aux fidèles l’accomplissement de leurs devoirs religieux et pour procurer à la jeunesse une éducation morale et chrétienne. À cet effet, il fit augmenter le cadre du clergé, le nombre des paroisses, les écoles chrétiennes des deux sexes ; il rappela les Lazaristes dont le pays était privé depuis 1841 ; les Filles de la Charité, 1860, et les Sœurs de la Réparation, 1834, lui apportèrent le concours de leur dévouement.

Les regrets que ce digne évêque a emportés dans la tombe, témoignent hautement de l’affection des ouailles pour leur premier Pasteur ; mais il convient de dire que lui aussi avait donné son cœur tout entier à son cher troupeau : « Je suis heureux, disait-il, dans l’une de ses nombreuses tournées, d’être le deuxième évêque de la Réunion, il me semble que j’aurais à regretter d’avoir été le premier ou le troisième, car dans l’un et dans l’autre cas, il ne m’eût pas été donné d’exécuter autant de travaux pour le bonheur de mes bien aimés diocésains. »

Mgr Maupoint a laissé des écrits dans lesquels l’érudition le dispute à l’élévation de la pensée ; il terminait l’histoire de Bourbon en plusieurs volumes in 8° lorsque la mort est venue le frapper. L’année précédente, 1870, Sa Grandeur eut la satisfaction de rendre à la jeunesse créole un service fort apprécié en obtenant l’équivalence entre les brevets de capacité délivrés dans la Colonie et les diplômes de baccalauréats délivrés par les Facultés de France.

126. (Septembre) M. Miot, ingénieur civil, établit un service de locomotives routières destinées à transporter les marchandises et les voyageurs sur le parcours du littoral. L’essai eut lieu entre Saint-Denis et Sainte-Marie ; il ne réussit pas.

127. (26 octobre) Création d’une Bourse de commerce ayant pour but principalement la vente et l’achat des effets publics et l’établissement régulier de leurs cours. Cette tentative n’eut pas un meilleur résultat.

128. Pendant le mois de novembre, l’Administration locale institua une escouade topographique chargée du mesurage, de la délimitation et levée des plans des terrains réservés pour le Domaine de la Colonie. Un travail analogue avait été exécuté de 1845 à 1852 par l’ingénieur M. Maillard, suivant la triangulation Schneider et le relevé des côtes par MM. Cloué et Diomat. C’est en se guidant sur les opérations de ces trois savants ingénieurs que M. Maillard dressa la carte de la Réunion.

129. En 1869, l’incendie exerça des ravages considérables dans les communes de Saint-Paul et de Salazie. À la nouvelle de ce désastre les colonies de la Guadeloupe et de la Martinique vinrent en aide aux familles éprouvées en faisant parvenir au Gouverneur un secours de 18, 361 francs qui fut reçu avec reconnaissance.

130. (1872) Dans les deux sessions de l’année précédente le Conseil général s’était occupé sérieusement de l’entretien des routes, ponts et canaux ; à cet effet l’exercice de 1872 appliqua 334,300 francs et 38,000 journées en réparations, 250,950 journées et 156,000 francs aux travaux neufs, soit un total de 490,300 francs et 288,950 journées. Saint-Gilles (route neuve), les Avirons, Saint-Louis, la Plaine des Palmistes et la route Henry-Delisle furent l’objet d’améliorations importantes.

131. À la fin de janvier, le Gouverneur reçut un décret présidentiel annulant une décision par laquelle le Conseil général, donnait aux communes le droit de fixer le maximum des centimes additionnels.

132. Le soir du 4 février, apparition d’une aurore australe jusqu’à la hauteur de 25 à 30 degrés ; elle avait lieu simultanément avec une aurore boréale, concordance assez singulière, et qui prouverait, s’il en était besoin, que ces phénomènes n’ont d’autre principe que l’action de l’électricité.

133. (16 février) Ouragan du Sud-Est qui atteignait son maximum d’intensité à 2 heures de l’après-midi. Les dégâts dus à la durée du cyclone, plutôt qu’à la force du vent, furent néanmoins considérables. Les rivières avaient pris l’aspect des grands fleuves de la France, à la limpidité près.

  1. Voir le Journal Officiel du 5 novembre 1870.
  2. Une nouvelle école normale a été ouverte plus tard à Saint-Denis.