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Histoire d’une grande dame au XVIIIe siècle, La princesse Hélène de Ligne/12

La bibliothèque libre.
Calmann Lévy (1p. 230-248).

IV


Arrivée du prince évêque à Paris. — Lettres de madame de Pailly. — Lettres de la princesse de Ligne Lichtenstein. — L’abbé Bauceau à Bel-Œil. — Arrivée des Ligne à Paris. — Mariage d’Hélène et du prince Charles. — Départ pour Bruxelles.



Le prince évêque s’était enfin décidé à partir pour Paris. À peine arrivé, il reçut la visite de madame de Pailly, qui vint le mettre au courant des dispositions de sa nièce et de l’état des négociations. L’évêque demanda instamment à voir la princesse de Ligne-Luxembourg elle-même ; mais elle était en ce moment au château de Limours chez madame de Brionne. Madame de Pailly reprend aussitôt sa correspondance :

« Le prince évêque me demande toujours si vous êtes de retour, Madame ; il désire fort d’avoir l’honneur de vous voir, et, moi, je serais fort aise que vous commençassiez à traiter sérieusement avec lui.

» Les occasions de vous prouver mon zèle et mon entier dévouement ne manqueront pas, avec cette tête vacillante ; vous ferez passer par moi tout ce que vous voudrez ; je veillerai à tout, et vous rendrai fidèle compte. Mais il me semble que c’est entre nous que vous devez dire les choses qui fixeront le point d’où on partira. Il m’a reparlé plusieurs fois de cet état de biens, surtout du bien présent ; en lui en présentant un, cela accélérera la négociation, ce qui sera sagement fait.

» Les émissaires du prince de Salm agissent vivement ; il m’en parle sans cesse, et il écoutr toujours mes réponses comme si elles étaient toutes nouvelles ; il continue à me confier les propositions qu’on lui fait, nous avons trois concurrents nouveaux, qui ne me font pas peur pour ie présent. »

Les éclaircissements désirés arrivèrent enfin de Bruxelles, dans la lettre que voici :


LA PRINCESSE DE LIGNE LIGHTENSTEIN
À LA PRINCESSE DE LIGNE LUXEMBOURG


« Vous ne doutez pas j’espère, princesse, des tendres sentiments que je vous ai voués ; ceux de la reconnaissance que je vous dois en ce moment-ci ne peuvent qu’y ajouter.

» J’ai l’honneur de vous envoyer l’état des biens de M. de Ligne. Comme il a remis, depuis un an passé, ses affaires entre mes mains, que c’est moi qui signe tout, qui tire tous les revenus, que M. de Ligne même me donne la quittance pour tout l’argent qu’il touche de ses terres, je peux vous garantir l’exactitude de cet état.

» Je connais trop la tendresse et la confiance de mon mari pour vous, princesse, pour ne pas assurer qu’il souscrira à tout arrangement que vous voudrez bien faire, relativement à son fils, J’ose vous conjurer, Madame, si vous croyez que vingt-cinq mille livres de rente ne suffiraient pas pour l’établissement actuel, de vouloir vous-même fixer la somme ; car, comme je ne demande plus qu’une année pour remettre les affaires de notre maison en ordre (le public s’est plu à les faire beaucoup plus dérangées que je ne les ai trouvées effectivement), je peux vous promettre de faire honneur aux arrangements et aux engagements que vous prendrez pour nos jeunes gens. Ils n’auront d’autre embarras pour tirer leur revenu ous les trois mois que de donner leur signature. Je me suis fait une loi, dans la règle des affaires, de regarder comme sacrés les termes fixés pour paiement de rente ou de pension.

» Il me siérait mal, ma tendresse pour mes enfants pouvant m’aveugler, de vous faire l’éloge de notre fils ; mais j’en crois ceux qui l’ont vu pendant plusieurs années à Strashourg et, à cette heure, à l’armée, nous avons tout lieu d’être contents de son caractère.

» Daignez donc ne pas ralentir les bontés que vous avez pour lui et contribuez à son bonheur ; vous ferez aussi le mien, car je regarde comme tel son établissement et d’être entourée de mes enfants.

» Recevez, princesse, mes hommages et l’assurance de mon respect, etc., etc. »


Cette lettre fit merveille auprès de l’oncle, mais n’ébranla pas sa nièce.

« La jeune personne, écrit madame de Pailly, est entêté de M. de Salm ; il a auprès d’elle quelque émissaire qu’on ne connaît pas, qui a détruit d’avance tout ce qu’on pouvait dire contre lui. On n’a pas même oublié le comte de Horn, dont on se fait honneur à cause du mot du régent[1].

» Le bon oncle sent sa faiblesse et se gardait des portes de derrière pour pouvoir la cacher ; il est tombé d’accord de tout avec moi, et, comme j’ai le bonheur de le persuader, il ne doute pas que j’aie le même avantage sur sa nièce, comme s’ils étaient dans les mêmes dispositions. Il va tenter aujourd’hui les plus grands efforts sur elle et la prévenir de la visite qu’il désire que je lui fasse et de l’entière confiance qu’il exige qu’elle ait en moi. Je me prêterai à tout ce qu’il voudra et j’aurai l’honneur de vous rendre comple de cette entrevue. Daignez recevoir, etc. »

L’oncle n’eut pas le moindre succès dans ses effort is pour vaincre la résistance de sa nièce ; madame de Pailly dut l’avouer à sa correspondante : « Il y a une condition, Madame, à laquelle je ne crois pas que vous puissiez vous empêcher de souscrire : c’est que l’évêque prétend qu’il ne peut vaincre la passion de sa nièce pour être mariée à Paris qu’en lui donnant sa parole qu’elle y passera trois hivers sous votre conduite, pour se former à l’usage du grand monde ; il me paraît fort attaché à cette promesse, il sent l’avantage qui en peut résulter pour sa nièce. Vous aurez le temps, Madame, de prendre vous-même vos mesures là-dessus, nous débatterons les autres prétentions qu’il peut avoir, que je réserve à vous détailler de vive voix… »

La princesse de Ligne tenait son neveu au courant des négociations ; quant au prince père, il était toujours retenu à l’armée en attendant la signature de la paix. Le prince Charles écrivit à sa tante un petit billet très froid, dans lequel il ne dit pas un mot de son mariage.


« Ma chère tante,


» Quoique la paix soit faite, le congrès ne finit point ; mon père en est très fâché, il est toujours dans un mauvais village à s’ennuyer, n’ayant rien à faire.

» Sûrement il ira à Paris dès qu’il le pourra ; j’envie le bonheur qu’il aura de vous voir, ma chère tante.

» Permettez-moi de vous assurer de temps en temps des sentiments tendres et respectueux avec lesquels je serai toute ma vie, etc., etc. »

La froideur marquée que témoigne le prince s’expliquera facilement, lorsqu’on saura qu’il éprouvait dès lors, pour une amie d’enfance, un sentiment profond qui ne devait jamais s’effacer tout à fait. Mais, habitué à un respect absolu de la volonté paternelle, ou plutôt maternelle, il ne lui vint pas à la pensée de résister un instant. Sa mère avait accueilli avec grand empressement les projets de leur cousine. La fortune considérable d’Hélène, l’isolement dans lequel se trouvait la jeune fille, qui lui ferait adopter comme sienne la famille de son mari, avaient séduit tout à fait la princesse, qui ignorait, ou voulait ignorer la secrète affection de son fils. Elle poursuivit donc avec persévérance une affaire dont elle désirait la réussite, mais qu’il n’était point facile de mener à bien.

L’êvêque de Wilna était gagné à la cause des Ligne, mais il avait de rudes combats à soutenir ; car une circonstance imprévue était venue fortifier encore la résolution d’Hélène de ne point quitter Paris. Son amie mademoiselle de Lauraguais avait épousé le duc Auguste d’Aremberg, cousin des Ligne, qui résidait comme eux une partie de l’année à la cour de Bruxelles. La jeune duchesse revint pour quelque temps à Paris, et s’empressa de rendre visile à ses compagnes del’Abbaye-aux-Bois ; elle savait les projets de mariage du prince Charles, et fit à Hélène la peinture la plus triste du séjour de Bruxelles. Celle-ci s’empressa de tout raconter à son oncle, en forçant encore les ombres du tableau. Le pauvre évêque ne savait plus auquel entendre. Il résolut, au milieu de ses perplexités, d’expédier à Bel-Œil[2] l’abbé Baudeau, qu’on avait toujours sous la main ; il devait traiter de vive voix avec la princesse de Ligne la question délicate du séjour à Paris, et préciser les questions d’argent ; on lui laissa sur ce dernier chef une grande latitude et il partit.

Madame de Pailly ne perdait jamais son temps, et écrivait à la princesse de Ligne-Luxembourg :

« On a eu des nouvelles du plénipotentiaire. Madame ; il est très content de tout ce qu’il voit ; mais il mande que madame la princesse de Ligne Ne veut pas entendre, à trois ans de séjour à Paris.

» L’évêque m’a paru effrayé de l’effet que cette difficulté ferait sur sa nièce, qui ne s’est jamais départie de cette condition. Vous savez qu’il n’y a rien de si difficile à vaincre que’les fantaisies chez une jeune personne, et, par malheur, celle-ci lui a été confirmée par ce que lui a dit madame d’Aremberg de Lauraguais. L’abbé arrivera peut-être aujourd’hui, je me trouverai là, et nous travaillerons d’abord sur l’oncle, pour le disposer à travailler sur la nièce.

» M. de Salm ne lâche point prise, il a fait placer son portrait chez l’amie qu’il a dans le couvent, qui a invité la princesse Hélène à une collation, dans une chambre dont le portrait fait l’ornement.

» Je fus à l’Opéra, avec une femme qui s’intéresse beaucoup pour ce beau seigneur, elle me disait : « Qu’importe d’être bon ou mauvais sujet, » quand on a un nom et une grande fortune ? vous n’avez qu’à voir tel et tel, etc. »

» Dieu nous garde que cette moralité entre dans a tête de notre prélat et de sa nièce, En attendant, je me suis amusée, hier au soir, à provoquer sans affectation ma jeune libertine à conter toutes les vilaines histoires du charmait prince. Le bon évêque l’a enduré avec un petit air confus qui m’a fait plaisir.

» J’aurai l’honneur, Madame, de vous rendre compte du retour du plénipotentiaire, et de toutes ses suites, je vous prie de ne vous point impatienter et de vous reposer sur mon zèle et sur ma passion de faire ce qui vous est agréable.

» Daignez, etc. »

Le retour de l’abbé ne tarda pas, et, quoiqu’il n’eût pas réussi à obtenir la promesse du séjour à Paris, il avança beaucoup les choses. Il rapporta à la jeune princesse des fruits et des fleurs superbes de Bel-Œil ; dans la description qu’il lui fit de cette demeure presque royale, il n’épargna aucun des détails qui pouvaient la charmer et flatter son amour-propre. Il avait accordé de très larges conditions pécuniaires, et la princesse de son côté s’était montrée disposée à accepter le projet de contrat proposé par l’abbé.


MADAME DE PAILLY
À LA PRINCESSE DE LIGNE-LUXEMBOURG


« Tout va à merveille, Madame ; vous trouverez le prince et son plénipotentiaire très contents. Nous avons mangé à diner du melon de Bel-Œil, et on a envoyé des pêches à la princesse Hélène, J’ai porté la santé du seigneur du jardin, ils vous diront le reste, et, moi, je me réjouis de l’état où je vois les choses.

» L’abbé aura tous les défauts qu’on voudra, mais il me confirme qu’on ne fait rien des sots, et tout des gens d’esprit. La jeune princesse est convertie et son bon oncle dit, en se prêtant aux expédients de l’abbé : « I] m’en coûtera trente mille livres de rente de plus, pour rendre ma nièce heureuse. Je le ferai, Madame, si vous êtes heureuse et contente. »

La princesse de Ligne-Luxembourg écrivit à sa cousine pour lui donner ces bonnes nouvelles et l’engager à arriver à Paris le plus tôt possible ; mais celle-ci ne se pressait pas, et voulait, en mère prudente, régler avant tout les questions d’intérêt et d’intérieur du futur jeune ménage, pour lequel elle redoutait certains entraînements, dont elle avait beaucoup souffert. Elle envoya de nouveau son intendant à Paris avec deux lettres, dont une confidentielle pour sa cousine.


« Bel-Œil, 19 juin 1779,


» J’envoie, princesse, l’intendant de notre maison, qui aura l’honneur de vous remettre cette lettre, et à qui j’ai donné ordre de suivre en tout ce que vous aurez la bonté de lui dicter. » Comme le prince est arrivé à Vienne le 5 de juin, je crois qu’il ne tardera pas à revenir, en quel cas je ne viendrai qu’avec lui, ou une couple de jours après lui à Paris, s’il est possible que je puisse me dispenser de venir avant.

» Au reste, princesse, j’attendrai vos ordres ; je me réserve de vous témoigner de vive voix toute ma reconnaissance, je n’ai jamais douté du succès d’une chose que vous avez la bonté d’entreprendre.

» Comme nos jeunes gens n’ont aucune représentation à faire et que le courant de leur ménage ne pourrait pas absorber leurs revenus, je crains qu’une trop grande aisance ne leur soit préjudiciable et n’entraîne peut-être la passion du jeu ou autre dépense qui leur ferait beaucoup de tort et qu’ils se croiraient obligés d’augmenter toujours selon l’augmentation de leur revenu, surtout se voyant à la tête de tous leurs biens réciproques. C’est une réflexion que je fais comme mère, et qui ne doit se communiquer qu’entre nous parents, je vous prie. »

La princesse de Ligne-Luxembourz fit part à l’évêque des sages réflexions de sa cousine, mais on n’y eut pas égard.

Le congrès de Teschen était terminé, et le prince de Ligne revenait en effet, mais sans se presser ; car il avait toujours de nombreuses affaires qui l’arrêtaient en route. Nous n’approfondirons pas de quel genre elles étaient ; elles lui laissèrent cependant le temps d’écrire quelques lignes de Vienne à sa cousine et à l’évêque de Wilna ; ce qu’il oubliait depuis deux mois.


À LA PRINCESSE DE LIGNE LUXEMBOURG


« On dit, princesse, que tout va à merveille, grâce à vos bontés. On dit que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire ?… Je n’ai rien reçu. On dit qu’il faut que j’écrive à l’évêque. Je vous supplie de lui faire remettre cette lettre-ci.

» Si vous avez quelques ordres à me donner, envoyez-les-moi à Munich, poste restante, je les recevrai en passant.

» Toutes les informations que je prends sur la Pologne paraissent conformes à nos vues. » Je me mets à vos pieds, princesse, et vous prie d’être persuadée que ma reconnaissance égalera mon tendre et respectueux attachement.


» le prince de ligne. »


Peu de jours après la réception de cette lettre, on tomba d’accord sur tous les points ; le projet de contrat fut rédigé, et la princesse de Ligne et son fils annoncèrent leur arrivée.

Malgré le peu d’entrainement que ressentait le jeune prince pour ce mariage, il éprouvait cependant une certaine curiosité de voir celle qui lui était destinée ; quant à Hélène, elle était beaucoup plus occupée de son trousseau, de sa corbeille et de ses diamants, que de son mari. On lui avait annoncé entre autres « certaines girandoles[3] et certains bracelets en diamants d’une beauté singulière, anciens bijoux de famille qu’elle brûlait de voir, et elle se mourait de peur qu’on ne les laissât à Bruxelles ». Sa future tante se chargea d’exprimer cette inquiétude d’enfant à la femme de l’intendant, pour qu’elle fit ressouvenir la princesse d’apporter ces précieux bijoux. Elle répondit :

« Princesse,

» À mon retour chez moi, j’ai trouvé une lettre de la princesse, qui me marque qu’elle arrive incessamment et qu’elle apportera avec elle les girandoles et les bracelets ; ainsi, la princesse Hélène doit être tranquille. Je dois avoir l’honneur de lui rendre mes devoirs lundi. Nous avons aussi appris par M. le comte Tasson que M. le prince de Ligne doit arriver lundi, au plus tard, à Bruxelles ; je m’empresse d’en faire part à Votre Altesse et la prie d’être assurée du profond respect, etc. »

La première visite de la princesse de Ligne fut pour sa cousine ; elle y trouva le prince évêque, qui l’attendait. Après une conversation assez longue et d’interminables compliments de part et d’autre, il fut décidé que l’évêque conduirait à l’Abbaye-aux-Bois la princesse et son fils.

Hélène, prévenue depuis la veille, était assez contrariée de se montrer, pour la première fois, dans son habit de pensionnaire, mais la règle était inflexible. Elle descendit au parloir, accompagnée de madame de Sainte-Delphine, et s’aperçut bien vite que la simplicilé de son costume n’empêchait pas le prince de la trouver fort jolie, et, quoiqu’elle affectât pendant la visite de tenir les yeux modestement baissés, elle trouva moyen de voir assez bien son futur mari pour dire en entrant à ses compagnes : « Il est blond, sa taille est élancée, il ressemble à sa mère, qui est fort belle, il a grand air, mais il est trop sérieux et a je ne sais quoi d’Allemand ! »

Le prince père arriva trois jours après. « Je livre M. de Ligne à votre colère, princesse, écrit sa femme à leur cousine, vous pouvez la préparer pour son arrivée qui sera sûrement aujourd’hui ou demain, j’en suis d’une joie inouïe ! » Le prince père eut la tête tournée de sa future belle-fille qui ne négligea rien pour lui plaire, sentant instinctivement que c’était avec lui qu’elle sympathiserait le plus.

Hélène n’ayant pas de famille à Paris, il fut décidé que le mariage serait célébré dans la chapelle de l’Abbaye-aux-Bois, à la grande joie des pensionnaires. L’évêque fit cadeau à sa nièce d’un trousseau de cent mille écus[4] ; la corbeille offerte par les Ligne sortait de chez Léonard ; les dentelles, commandées à Bruxelles et à Malines, étaient des chefs-d’œuvre. Les bijoux offerts en outre des diamants de famille et des fameuses girandoles furent choisis, par Hélène, chez Barrière et chez Drey. Elle offrit un bijou à chacune de ses compagnes de la classe rouge, et un magnifique goûter, avec glaces, fut donné par le prince évêque à toutes les pensionnaires réunies, y compris les petites bleues, qui reçurent chacune en plus un sac de bonbons.

Le contrat fut signé à Versailles, par leurs Majestés et la famille royale, le 25 juillet 1779. Le mariage eut lieu le 29 à l’Abbaye-aux-Bois.

Il ne faut pas demander si la bonne d’Hélène, mademoiselle Bathilde Toutevoix, prit part à la fête, et si elle para de son mieux sa jolie maîtresse ; la pauvre fille avait la tête perdue de joie, elle en oublia même ses cocardes[5] et descendit au parloir à la suite de la mariée, se cachant modestement dans le fond. Le prince Charles s’approcha d’elle, et lui glissa dans la main son cadeau de noces, c’était une rente viagère de six cents livres. Hélène fut touchée de cette attention, « Je l’en remerciai, dit-elle, par un sourire et un serrement de main, le premier que je lui accordai. »

La mariée fut conduite à l’autel par son oncle et par la marquise Wielopolska, qui lui servait de mère. Les duchesses de Choiseul, de Morlemart, de Châtillon, de la Vallière, etc., assistaient à la cérémonie. La jeune princesse, adorablement jolie dans sa toilette de mariée, satisfit pleinement l’assistance par « son attitude décente et pleine de sensibilité » (style du temps). Après avoir reçu les félicitations de cette brillante assemblée, Hélène monta dans son appartement, pour changer de toilette ; mais, au lieu de redescendre au parloir après s’être habillée, elle se dirigea rapidement vers la chapelle du chœur, où reposait madame de Rochechouart et, agenouillée sur la tombe de celle qui avait remplacé sa mère, elle adressa à Dieu sa dernière prière de jeune fille. Quand elle arriva au parloir, elle était un peu pâle et quelques larmes s’échappaient encore de ses yeux ; mais à la porte de l’Abbaye attendait une chaise de poste attelée de six chevaux fringants, les postillons à la livrée rose et argent du prince les retenaient à grand’peine, et, après de rapides adieux, Hélène, entraînée par son jeune mari, monta légèrement dans la voiture, qui partit au triple galop pour Bruxelles[6].

    D’autre part, le prince de Ligne s’engageait à donner à son fils, le jour de son mariage, trente mille livres de rente, en outre à loger les deux époux à Bruxelles, à Bel-Œil ou à Vienne dans un de ses palais ou châteaux. Si, au bout de quatre ans, le jeune ménage avait des enfnts, le prince s’engageait à doubler la somme.

  1. Le comte de Horn, parent du régent, par la princesse palatine sa mère, fut condamné à mort pour assassinat. Sa famille sollicita sa grâce en invoquant auprès du régent leur parente. « Quand j’ai du mauvais sang, répondit celui-ci froidement, je me le fais tirer, » et la grâce fut refusés. Il est probable qu’on faisait valoir auprès d’Hélène l’alliance des de Horn avec les d’Orléans sans s’occuper du crime du comte.
  2. Le château de Bel-Œil était la résidence d’été des princes de Ligne, il sera souvent question plus tard de cette magnifique demeure.
  3. Grandes boucles d’oreilles de diamants qui se portaient avec le grand habit de cour.
  4. La princesse Hélène recevait en dot : Mogylani, terre avec château et maisons de campagne, deux palais, à Cracovie, un palais à Varsovie, Le prince Radzivill était redevable aux Massalski d’un million, 800 mille florins polonais, héritage de la mère d’Hélène. Il leur avait délaissé, pour les intérêts, trois terres considérables et la moitié du revenu de ces terres appartenait à la princesse, l’autre moitié à son frère. Le prince-évêque s’engageait à fournir et à garantir à la princesse, dès le jour de son mariage, un revenu quitte et net de soixante mille livres de rente, rendues à Paris et da les défrayer de tout en cas de séjour dans cette ville.
  5. Elle avait l’habitude de s’en chamarrer et Hélène ne manque pas de consigner dans ses notes, qu’elle les oublia ce jour-là.
  6. Voir l’appendice no 3