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L’Âme qui vibre/La Tempête

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E. Sansot et Cie (p. 22-25).

LA TEMPÊTE

Avant que le ciel eût son crêpe, une heure avant,
J’avais mis ma chaloupe à la merci du vent.
Je m’en étais allé sur la mer incertaine
Pensant voir assez d’eau pour y noyer ma peine.
Indifférent au sort qui me guettait dans l’air,
Je me laissais chanter la chanson de la mer.
J’ignorais le chemin parcouru par ma barque,
Sur l’eau verte, mes yeux ne suivaient pas la marque
Qu’en glissant lui laissait mon cercueil découvert.
Et j’écoutais toujours la chanson de la mer !

Comme en ce temps mon âme était une âme grise,
Elle eut, en s’éveillant, la mauvaise surprise
De voir au-dessus d’elle un ciel encor plus gris.
La mer, traîtreusement, en ses bras m’avait pris
Pendant que sa chanson me faisait rêver l’âme.
D’un bond, je me dressai pour lui jeter mon blâme…
Mais, la lutteuse, alors, d’une caresse d’eau,
Me coucha durement au creux de mon bateau.

Grêle, froide et sifflante, enfin tomba la pluie.
Le ciel, subitement, s’étant plaqué de suie,
Versait, à larges bords, sa nuit sur l’horizon
Qu’un éclair balafra du feu de son tison.
Soudain la voix d’En-Haut remplit la mer obscure,
Et, bientôt, cette voix qui n’était qu’un murmure,
Devint un roulement sinistre de tambours ;
Et les fifres des vents apportaient leur concours
Au concert infernal des éléments en rage.
Ma vie eut à tourner sa plus terrible page,
Car, les genoux raidis et les yeux pleins de sang,
Les doigts crispés au bord de ma barque dansant,
Et ma tête émergeant à peine des épaules,
Et mes cheveux dressés par le vent des deux pôles,
Je voyais, au milieu de ce second enfer,
Ma raison s’en aller devant moi sur la mer.

Cependant, par instants, aux sursauts de la vie,
Je sentais qu’une main berçait mon agonie ;
J’entendais qu’une voix m’endormait dans la mort.
Alors, arquant mes reins, d’un monstrueux effort
Je me dressai, haineux, tout droit dans la tourmente,
Mais le bruit de la mer couvrit ma voix râlante,
Tandis qu’un vent nerveux, vieux coureur de dangers
M’abattait, en passant, sur les flots enragés.

La vague qui me prit m’entraîna dans sa fuite ;
On eût dit, telle était l’effrayante poursuite
Que lui donnait derrière une autre trombe d’eau,
Que chacune voulût devenir mon tombeau.
Émergeant par secousse, écumeuse, ma tête
Semblait une bouée au gré de la tempête ;
Et mon corps qui suivait les hoquets de la mer
Dansait lugubrement au sifflement de l’air,
Quand la vague, soudain, s’élevant d’un coup d’aile,
Jaillit, haut dans la nuit, m’entraînant avec elle.
Un instant, soutenu par son terrible jet,
Je planai, ruisselant, dans l’espace outragé.
Je planais, quand un souffle, envolé d’un cratère
Pour mêler sa révolte à celle de la terre,
Vint me prendre à la vague agonisante et vint
Me lancer d’un coup droit vers le dôme divin.
Des nuages à peine avais-je atteint la couche
Que, projeté, sifflant comme un plomb de cartouche,
Coupant l’air, je m’en fus, en me brisant les reins,
Donner brutalement contre un rocher marin.

L’ouragan n’avait pas épuisé sa furie.
Les vents, dont il cinglait ma chair endolorie,
Et les flots révoltés, luttaient encore entre eux ;
Le bronze du seigneur tonnait toujours plus creux,

Et la voûte, de plomb et de poudre alourdie,
S’éclairait, par moments, d’un immense incendie.
Battu de toutes parts, je pus me raccrocher
Malgré le flot contraire au dos de mon rocher.
Mais je fus, même ici, loque humaine et sans vie,
Le jeu de la tempête encore inassouvie.
Ramené par le vent et repoussé par l’eau,
Mon front contre le roc battait comme un marteau.
Dans sa fureur le vent retournait mes oreilles ;
Et je sentis, alors, que mes côtes, pareilles
À des cercles de jonc, se courbaient lentement.

Le ciel s’illumina pour mon dernier moment.
La mer se souvenant qu’elle était bonne amante
Reprit pour m’endormir sa chanson précédente.
Les souffles qui m’avaient flagellé tout le jour
Me caressaient la chair de leur plus doux velours.
Je m’en allais bercé par des mains assassines.
Mais, avant que la mort eût coupé les racines
De ma vie en délire et de mon âme en croix,
Je vis sur le rocher, l’empreinte de mes doigts.