Aller au contenu

L’Âme qui vibre/Mélopée pour Vendredi-Saint

La bibliothèque libre.
E. Sansot et Cie (p. 26-28).

MÉLOPÉE POUR VENDREDI-SAINT

L’enfant du pauvre a les pieds nus sur le sol nu,
Beaucoup de gens trouvent le fait fort saugrenu,
Il a les pieds nus, l’ingénu !

Pourtant, l’enfant médite, en secret, le dessein
De baiser la croix que l’on met sur un coussin,
Le saint jour du Vendredi-Saint.

« Repos et sommeil au plaisir, blâme aux joyeux,
Nous pleure un vent venu pour ce jour des Saint,
Ce vent est une voix des cieux.

L’enfant s’effraie en écoutant pleurer le vent,
Le vent devient plus grave encor qu’auparavant,
Le vent se fait plus émouvant.

« J’étais, dit-il, au cyclone du Golgotha.
« Pleurant Jésus, tout l’univers y sanglota.
« Jésus fit un beau coup d’État ! »

Ô vent ! donnez plus de douleur et moins de mots,
Aujourd’hui, pour pleurer, tous les cœurs sont jumeaux,
Les mots ne calment pas les maux !

Vos pleurs ne calment pas nos pleurs, même l’airain
Ne pourrait étouffer nos pleurs de pèlerin.
Nos pleurs sont des fleurs de chagrin.

L’enfant du pauvre aima cette voix de la foi.
Et la voix, derrière elle, avait mis en émoi
D’autres voix suivant en convoi ;

« Que nos cœurs soient percés par le fer du remords,
« Que le remords tourmente encor les pêcheurs morts.
« Qu’il soit un fou coursier sans mors. »

Et l’écho de ces voix résonna dans le soir !

L’Église, en ce jour saint, devient un reposoir,
Où vont les fidèles en noir.

Au chemin de la croix, ils s’en vont les chrétiens,
Qu’ils sont beaux ! quand ils vont, robustes de soutiens,
Pleurer, mon Dieu ! sur l’un des tiens !

Mais le vent les poursuit de son souffle mauvais,
Et les voiles de deuil, par moments soulevés,
Dansent comme des réprouvés.

(Oh ! la danse du crêpe au long du corps des veuves !
Oh ! la dernière et la plus triste des épreuves
Pour des veuves aux douceurs neuves !)

Le sable du chemin et les feuilles aussi,
Dansent païennement, sans honte et sans souci
De profaner ce saint jour-ci.

(En un Vendredi-Saint, oh ! l’horreur de la danse !
Oh ! la nature en fête un jour de pénitence
Et de contrition intense !)

Mais ils n’ont point vu ces gaîtés les pénitents ;
Les pénitents n’ont vu que des deux éclatants
La porte ouverte à deux battants.

Le pauvre enfant du pauvre est là sur le sol nu,
Et, suivant les chrétiens, tremblant et méconnu,
L’enfant ne s’est plus contenu :

Il partit, malgré soi, baiser Jésus-Christ nu.