Aller au contenu

L’Étape (Bourget, 1902)/XII

La bibliothèque libre.
Librairie Plon (p. 420-467).

XII
le père et le fils

Les hymnes révolutionnaires pouvaient retentir, plus féroces encore et plus menaçantes que la hideuse Carmagnole ; Riouffol et ses sicaires injurier le prêtre inoffensif, dont la seule faute était de croire à la bonne foi de ses ennemis ; toute l’Union Tolstoï révéler enfin l’insanité de son principe et présenter le sauvage aspect réservé à notre malheureux pays, si jamais les enfantines doctrines du socialisme y triomphent, celui d’un asile d’aliénés, débarrassé de ses gardiens ; Jean n’entendait plus les vociférations. Il ne voyait plus l’endroit où il était, incapable de penser à rien, qu’aux mots de ce terrible billet. Il les relut une seconde fois ; puis, réalisant enfin leur sinistre signification et l’urgence de cet appel :

— « Le médecin est dans la voiture ? » demanda-t-il au domestique.

— « Oui, » répondit celui-ci. « Le docteur Graux. »

Ce M. Graux était un praticien de quartier, qui suivait la santé de la mère de Rumesnil d’une surveillance quasi quotidienne. Il se rencontre encore à Paris, à côté des professeurs justement illustres auxquels le temps manque, et des charlatans sans conscience que l’on doit supplier pour en obtenir des consultations de cent francs, de modestes docteurs qui tiennent le rôle, autrefois si fréquent, aujourd’hui si rare, du médecin de famille, toujours à portée et cependant discret, et qui, connaissant ses clients depuis des années, devenait naturellement leur ami et leur conseiller. « Graux de Lourdes, » comme Rumesnil appelait cet excellent homme à cause de sa dévotion, faisait l’objet habituel des moqueries du jeune noble, qui avait dit à Jean, — combien de fois ! — « Il n’y avait dans tout Paris qu’un médecin qui fût un catholique pratiquant, ma mère a mis la main dessus… » Cette plaisanterie de libre penseur (Adhémar ne se fût pas estimé de ne pas se distinguer des siens par ce trait d’intellectualité) n’empêchait pas qu’ayant eu besoin, dans une crise, d’un homme sur qui compter absolument, il avait choisi ce bon chrétien, de préférence aux camarades complaisants qu’il connaissait parmi les internes d’hôpitaux, voire dans les groupes socialistes, ainsi Bobetière. Par un hasard auquel il n’avait certes pas songé, ce choix se trouvait être dans la circonstance une charité pour Monneron. Préoccupé comme il l’était de questions religieuses, Jean avait eu, l’hiver précédent, avec M. Graux, et précisément chez Rumesnil, une de ces conversations d’idées qui créent entre deux hommes un secret lien spirituel. Au lendemain de cet entretien, le médecin lui avait fait tenir, en confirmation de la thèse par lui soutenue, une petite brochure parue à cette date sur la vie d’un de ses confrères, le docteur Clermont. Ce nom d’un des élèves inconnus du grand Potain mérite d’être sauvé de l’oubli, non seulement parce que ce fut celui d’un Juste dans toute la force de ce beau mot, mais aussi parce que cet humble savant a composé sur son lit de mort une méditation, imprimée dans cette brochure et qui contient une des lignes les plus fières qu’ait tracées jamais une main humaine : Où descendrions-nous sans la noble douleur ?… Admirable phrase et que Jean s’était répétée bien souvent, depuis qu’elle lui était tombée sous les yeux, avec une émotion de lettré d’abord et uniquement, sans se douter que l’intime ami de celui qui l’avait écrite serait mêlé à l’heure la plus cruelle de sa jeunesse. Il ne se rappela pas distinctement ce détail quand le vieux concierge de Rumesnil lui eut mentionné la présence de M. Graux dans la voiture ; mais le souvenir de ce médecin était associé pour lui à des pensées si élevées qu’il ressentit un soulagement à savoir qu’il aurait affaire à lui et non à un autre, dans une aventure dont il ne connaissait encore que le tragique résultat, et peut-être pas tout entier !… Mais, il eût été attendu en bas par un inconnu, par un ennemi, qu’il n’eût pas mis moins de précipitation à s’élancer par le petit couloir, tête nue, fendant le flot des braillards qui continuaient à encombrer de leur tumulte l’étroit escalier, n’écoutant pas les outrages que provoquait sa bousculade parmi des gens dont quelques-uns le reconnaissaient pour être arrivé une demi-heure plus tôt avec l’abbé Chanut… Enfin il était sous le porche et dans la rue. Il entendit le domestique de Rumesnil crier par trois fois hâtivement un numéro de fiacre. Il vit la voiture s’avancer, la portière s’ouvrir, et il se trouva assis à côté du docteur Graux, tandis que le concierge grimpait sur le siège et donnait une adresse au cocher, dont le cheval partit à grandes allures.

— « Ma sœur n’est que blessée ?… » demanda-t-il en regardant fixement son compagnon, de ce regard que tous les médecins consultants ont dû affronter, et qui va, épiant la vérité dans les plis les plus imperceptibles de leur visage.

— « Elle n’est que blessée… » répondit le docteur, et devinant l’atroce appréhension du frère : « je vous en donne ma parole d’honneur… Elle a voulu se tuer, » continua-t-il, comme s’il eût désiré devancer toutes les questions. « Adhémar (il donnait ce prénom au fils de sa vieille cliente, l’ayant connu enfant) a essayé de la désarmer. Une balle est partie, qui lui a fracassé la main gauche et le poignet. Il n’a plus eu la force d’empêcher la malheureuse d’exécuter son projet. Elle s’est tiré un coup de pistolet, là… (Il montra sa poitrine à gauche…) J’ai la conviction que la blessure n’aura pas de conséquences graves. J’ai senti la balle dans la région de l’omoplate, où elle s’est logée. Le projectile a dû frapper obliquement, sur la cinquième ou la sixième côte, et glisser le long de la paroi thoracique. Il n’y a eu jusqu’ici qu’une abondante hémorragie, sans crachements ni vomissements de sang. Il s’agit donc, selon toute vraisemblance, d’une plaie non pénétrante… Du moins, c’est ma conviction, je vous le répète… La blessée a eu une violente crise nerveuse quand elle a repris connaissance, et elle est très affaiblie. Je suis presque plus inquiet d’Adhémar, qui s’est refusé à tous les soins, sauf à un léger pansement, et même à rentrer chez lui avant que l’on ne vous eût trouvé et amené… Il vaut mieux que sa vie, monsieur Monneron, je vous l’affirme… »

Jean ne répondit pas. À travers tant d’émotions et de si poignantes, cette défense discrète de l’infâme ami, auteur de la perte de sa sœur, l’indignait, sans qu’il pût protester, dans cette voiture et devant le médecin que l’autre lui avait envoyés ! Il n’osait pas non plus demander un renseignement sur un point, énigmatique à la fois et trop clair. Le drame n’avait pas eu lieu à l’hôtel de la rue de Varenne. Où donc s’était-il passé ? Où allait ce fiacre lancé à toute vitesse, qui suivait maintenant un large boulevard ? Lequel ?… Jean avait trop erré, depuis des années, dans le quartier qui s’étend des Invalides au Pays-Latin, pour ne pas reconnaître au passage l’angle de la rue Campagne-Première à gauche, à droite celui de la rue Vavin, la gare ensuite et la rue de Rennes. Le coupé descendait le boulevard Montparnasse. Il prenait le boulevard des Invalides, le chemin même que la pauvre Julie avait suivi, quand elle rentrait rue Claude-Bernard, il n’y avait pas beaucoup plus de vingt-quatre heures. Jean ignorait ce détail qui eût encore ajouté à sa mélancolie ; mais il devinait trop où le conduisait le docteur Graux, et que le suicide de sa sœur avait eu pour théâtre un appartement de rendez-vous. La physionomie du médecin, gaie et vaillante d’ordinaire, était toute sombre à cette minute. Son visage, où des yeux bruns brillaient sur un teint pâle de Méridional, encadré de cheveux jadis très noirs, aujourd’hui tout blancs, avait dû se pencher sur bien des misères, depuis plus de trente ans qu’il était entré pour la première fois dans un hôpital. Son dévouement professionnel l’avait fait le confident de bien des fautes. Cette misère-ci était trop exceptionnelle, et cette faute, commise par quelqu’un qu’il avait vu grandir et soigné tout petit garçon, trop révoltante. En vain cherchait-il des mots pour soulager la souffrance dont devait être déchiré le jeune homme assis à son côté. Il l’avait à peine entrevu depuis leur dernière conversation, celle qu’avait suivie l’envoi de la biographie d’Abel Clermont ; mais à l’époque, il avait interrogé Rumesnil. Celui-ci avait fait un éloge enthousiaste de son ami, en ajoutant, avec sa raillerie habituelle : « J’espère que vous ne le verrez pas trop souvent, vous essaieriez de le rendre dévot. Il ne penche que trop de ce côté-là… » Cette parole revint à la pensée de M. Graux comme la voiture passait devant l’église Saint-François-Xavier. Il eut donc l’idée de s’adresser, dans ces instants de trouble affreux, à ces tendances religieuses, en sorte que ce fut un appel après tant d’autres, un signe ajouté à tous ceux qui se multipliaient autour du jeune homme pour hâter son arrivée au point mystérieux vers lequel il était aiguillé. Ce véritable miracle moral qui s’appelle une conversion est l’œuvre le plus souvent de toute une série de petits événements, produits eux-mêmes par notre disposition intérieure. Si M. Ferrand, par exemple, n’eût pas su les nostalgies chrétiennes de l’amoureux de sa fille, il n’eût jamais songé à écrire sur l’enveloppe où il enfermait un prêt d’argent, la phrase de saint Augustin, ce « Perdidistis… » gros pour son élève de tant de réflexions. Si Jean ne les eût pas promenées, ces nostalgies, dans toutes les compagnies, il n’eût pas interprété, comme il avait fait tout à l’heure, le méditatif héroïsme de l’abbé Chanut. S’il ne les eût pas laissé deviner, même à Rumesnil, ces tourments de sa pensée, le docteur Graux ne les aurait jamais connus, et il ne se serait pas avisé de lui parler, sur le seuil de la funeste maison de la rue d’Estrées, exactement du ton qu’aurait employé M. Ferrand. Ces additions d’impressions successives achèvent de déterminer le grand travail intérieur, mais elles en résultent d’abord. Pascal disait : « Tu ne me chercherais pas, si tu ne me possédais, » et Gœthe : « Ce que l’on ne porte pas en soi, on ne saurait le recevoir. » C’est en ce sens que la foi est une vertu, la construction personnelle et secrète de notre volonté, même quand les circonstances extérieures semblent seules nous conduire où nous n’irions pas nous-mêmes. Elles n’auraient pas eu lieu, si nous ne les avions pas préparées en nous préparant. Nous ne nous rendons pas compte de la part effective que nous y avons, et nous en demeurons saisis comme d’un avertissement. C’est ainsi qu’au moment où il descendait du fiacre enfin arrêté, le jeune homme tressaillit tout entier à entendre le médecin lui dire, en lui prenant la main :

— « Monsieur Monneron, vous allez vous trouver bien près d’un ancien ami, de qui vous avez cruellement à vous plaindre. Je sais que vous n’êtes pas tout à fait un incroyant… Je vous demande de vous souvenir du mot de l’Écriture : « C’est moi qui rétribuerai. » Laissez la vengeance à Dieu. Dès maintenant vous pouvez constater qu’il ne s’en charge que trop… »

Ce texte sacré, si étrangement rappelé à cette minute et à cette place, avait son commentaire éloquent dans l’aspect du petit appartement, jadis arrangé pour la débauche clandestine, où les deux visiteurs entraient, précédés par le domestique. Disons tout de suite que Rumesnil n’avait pas avoué la vérité au médecin. Il n’avait pas été blessé par hasard et en essayant d’empêcher le suicide de Julie Monneron. C’était elle qui, dans le délire du désespoir et au cours d’une explication violente, avait voulu le tuer et se tuer ensuite. Comme elle dirigeait l’arme contre lui, il avait, d’un mouvement instinctif de défense, jeté sa main gauche en avant pour la désarmer. Le coup était parti, et la balle lui avait déchiré la paume en lui cassant le poignet. La douleur avait été si aiguë qu’il s’était affaissé, pour se relever dans l’épouvante, au bruit du second coup que Julie, croyant l’avoir tué, s’était tiré à elle-même en pleine poitrine. Devant la jeune fille étendue à terre, sans connaissance et couverte de sang, le suborneur s’était retrouvé l’homme de bonne race et qui se comporte fermement dans le danger. Il avait eu l’énergie de bander lui-même avec son mouchoir sa main brisée, de sortir, de héler un fiacre, de se faire ramener chez lui, où il avait pris le seul de ses gens dont il fût sûr. Il l’avait envoyé tout droit chez le docteur Graux, avec un premier billet. Il était retourné aussitôt rue d’Estrées, où, un quart d’heure après, le médecin, rencontré par bonheur à sa maison, était venu le rejoindre. Rumesnil s’était retrouvé gentilhomme encore en se taisant absolument sur la tentative d’assassinat dont il avait été la victime, et en expliquant, comme il avait fait, sa blessure à la main. Il l’était resté en ayant le courage, — c’en était un, — d’envoyer chercher son camarade si indignement trahi, afin que la malheureuse Julie eût auprès d’elle son seul protecteur naturel, dès ces premières heures. Maintenant, il se tenait dans une petite pièce qui servait de salle de bains et de cabinet de toilette, derrière la chambre à coucher, pour que sa vue n’ajoutât pas à la dureté de l’épreuve, et aussi par impossibilité d’affronter le regard du frère de sa maîtresse. Il était là, assis sur une chaise, dans l’ombre, supplicié par sa blessure mal bandée, l’oreille aux aguets, et vraiment un exemple vivant de la vérité du mot de l’apôtre cité par le médecin. Dans la chambre à coucher, Julie était étendue sur le lit. Le docteur avait coupé son corsage par pièces, pour l’examiner sans la dévêtir, à cause de la souffrance qu’occasionnait le moindre mouvement. Les morceaux déchirés avaient été jetés de-ci de-là, dans la hâte du pansement. Des instrumens d’acier luisaient sur la table, à côté d’une trousse ouverte, avec toutes sortes d’objets nécessaires à ces premiers soins : des bandes à demi déroulées de gaze, du taffetas gommé, de l’ouate, de la charpie, des flacons à étiquette rouge. L’odeur de l’acide phénique se mélangeait à celle de l’éther, que l’on avait dû employer pour combattre la crise nerveuse dont le docteur avait parlé. Les meubles avaient été repoussés au hasard, quelques-uns mis par-dessus les autres. La balle tirée sur Rumesnil avait ricoché dans l’armoire à trois panneaux, destinée à servir de psyché, et dont une des glaces avait volé en éclats. On l’avait ouverte pour y prendre des serviettes. Mal refermée, elle laissait voir, suspendue à des crochets, une robe de chambre de soie chinoise, brochée de fleurs, un peignoir souple, des chemises de soie, de fines mules. La lumière maigre et crue de plusieurs bougies, mariée à la clarté d’une lampe à globe rose, donnait un caractère fantastique à ce mauvais lieu, transformé sinistrement en chambre d’hôpital. C’était là, parmi ces tentures rouges, ces meubles capitonnés, ces rideaux lourds, que s’était perdue la jeune fille, qui maintenant reposait, pâle, les yeux fermés, comme si elle était en train de dormir. À l’approche de son frère, bien qu’il n’eût échangé que quelques mots, et à voix basse, avec le docteur, un mouvement convulsif de ses mains témoigna qu’elle était éveillée. Jean vint à elle et il vit qu’elle avait les yeux ouverts. Elle le contemplait avec une profondeur passionnée dans son regard. Elle fit le geste de lui prendre la main et poussa un léger gémissement. Il se pencha pour mettre un baiser sur ses pauvres yeux. La douceur de cette caresse, sous laquelle elle dit un « merci » tellement faible qu’il fut seul à l’entendre, mit un frémissement sur ses lèvres, qui s’ouvrirent de nouveau pour implorer, d’une voix étouffée, à peine distincte :

— « Fais-les s’en aller… Je veux te parler seul… » Puis, lorsque Jean eut transmis ce désir au docteur qui se retira avec le domestique dans l’autre pièce : « Il est mort, n’est-ce pas ?… » demanda-t-elle. « Ne mens pas…»

— « Non, » répondit le frère, « il n’est que blessé… » Et comme elle semblait douter encore : « Il a eu la main déchirée et le poignet brisé… C’est très douloureux, m’a dit le docteur, mais ce n’est rien… »

— «  Ah !… » gémit-elle, « me pardonnera-t-il jamais ? »

— « Calme-toi, » reprit-il, « tu n’as rien à te reprocher. Ce n’est pas ta faute. »

— « Tu ne sais donc pas que j’ai voulu le tuer ?  » dit-elle.

— « Tu as voulu le tuer ?… » répéta-t-il.

— « Oui, » reprit-elle. « J’ai été folle… Je t’avais parlé. Pourquoi ? Je ne comprends pas encore. Tu savais tout. Tu étais parti pour aller le rejoindre, le provoquer peut-être… Il était perdu pour moi, s’il ne me prenait pas avec lui pour toujours, comme sa femme ou comme sa maîtresse, que m’importait ?… Je lui ai écrit pour le prévenir et avoir un rendez-vous ici. Je voulais lui demander de m’emmener, et, s’il me refusait, mourir devant lui. Je ne pensais pas à me venger, ni à le menacer, je te le jure… Et puis, il m’a traitée trop durement !… C’était si naturel. Je l’avais livré à toi, et il y avait cette nouvelle lettre d’Antoine… Tu la liras. Elle est dans la poche de ma robe. Ils ne me l’ont pas prise. Je l’ai tâtée, à travers l’étoffe, encore tout à l’heure… Alors, j’ai perdu la tête… Mais il n’est pas mort ! Il n’est pas mort ! Ah ! c’est moi qui peux mourir !… »

— « Tu ne mourras pas, » répondit Jean qui l’embrassa de nouveau. L’amour que la blessée témoignait pour celui qu’elle avait voulu assassiner lui faisait moins de mal encore que la générosité dont le misérable avait fait preuve en taisant la vérité du drame, même à son médecin. Cette générosité se doublait-elle d’une autre ? Leur indigne frère avait-il eu de nouveau recours à la bourse de l’amant de sa sœur ? Avait-il essayé d’un chantage ? Jean n’eut pas longtemps à se poser ces questions, car ayant ajouté : « Tu dis qu’il y a une seconde lettre d’Antoine ?… » la jeune fille eut la force de se retourner un peu, et elle lui fit signe de chercher où elle avait dit. Il prit la lettre qu’elle avait froissée, évidemment dans la violence de la scène d’explication. Ce billet allait lui rappeler d’une dure manière ce qu’il oubliait depuis le moment où, sur l’estrade de l’Union Tolstoï, le messager de Rumesnil était venu l’avertir, qu’il avait un père, — ce père au repos duquel il avait tout sacrifié si longtemps, — et que la période des mensonges de pitié était vraiment, irrévocablement close. Le heurt du chef de famille optimiste et illusionné contre les réalités cruelles de son milieu était définitif, maintenant, et le billet d’Antoine à Rumesnil disait que, sur un point, ce heurt avait déjà produit son terrible effet. Il était ainsi conçu : « Mon cher ami, je me vois obligé d’avoir recours une seconde fois à ton obligeance. Je t’avais parlé d’une petite irrégularité dans les comptes de mon bureau. Mon chef, qui avait paru comprendre que cette misère ne valait pas la peine d’être même mentionnée, du moment que tout était de nouveau en ordre, est revenu, je ne sais pourquoi, sur cette décision. Il a cru devoir parler à mon père, qui a eu avec moi la scène la plus pénible. Bref, j’ai quitté la maison, et je suis à l’hôtel Gallia, boulevard Saint-Germain, sous le nom de Monsieur de Montboron. J’ai déjà une affaire assez importante en perspective qui m’assurera de très gros bénéfices, à très court délai. Il me faudrait un petit capital pour l’entreprendre. J’ai compte que tu ne me refuserais pas de m’avancer cinq autres mille francs, ce qui fera, avec les précédents, une somme ronde. Le tout te sera restitué au premier argent que je toucherai dans cette affaire. Aussitôt que tu m’auras envoyé la chose, tu recevras quelques lettres, assez intéressantes pour toi, que le hasard a mises en ma possession. Tout à toi et merci d’avanceAntoine Monneron… »

— « Ce sont des lettres qu’il a volées dans mon secrétaire, sans doute, » dit Julie, comme Jean demeurait atterré, ce papier entre les mains… « J’avais l’air d’être sa complice. Adhémar l’a cru… Je n’ai pas su me justifier… J’étais à bout… »

— « Mais cette histoire, que M. Berthier est revenu sur sa première décision et a parlé à notre père, elle n’est pas vraie, n’est-ce pas ?… »

— « Je crois que si, » répondit la jeune fille. « Antoine a déjeuné ce matin, par exception, et il avait l’air très affecté… Quand je suis sortie de la maison, M. Berthier était bien là. Je l’ai croisé, comme je quittais ma chambre… Sans cette lettre, je n’aurais même pas mis ces deux faits ensemble… J’étais si troublée… »

— « Alors, c’est vrai !… » dit le jeune homme, puis avec un accent d’épouvante, il ajouta, confondant, pour une seconde, son père et sa mère dans une même pitié : « Et maintenant, il faut qu’ils apprennent le reste, quand je vais te ramener tout à l’heure… Comment expliquer ta blessure ?… Et plus tard ?… »

— « Me ramener ? » s’écria Julie, dont la voix retrouva sa force pour protester contre ce projet. « Tu vas me ramener chez eux ?… Je ne veux pas, entends-tu, je ne veux pas !… Ne me fais pas cela, Jean. Je t’en conjure. Je ne le supporterais pas ! Non ! non ! non !… »

Elle s’était relevée de son lit de douleur, en parlant ainsi, d’un geste violent qui déplaça le pansement et lui arracha un cri, assez aigu pour que le médecin se crût autorisé à revenir auprès du lit. Il avait suivi cette scène d’explication, du fond de l’autre chambre, par l’entre-bâillement de la porte, avec l’inquiétude que lui donnaient les phénomènes observés précédemment chez la jeune fille. Aidé par le frère, il la recoucha sur les oreillers. Il put constater à son pouls qu’elle était de nouveau dans une crise d’extraordinaire nervosisme, et lorsque Jean lui eut, sur sa demande, rapporté l’incident de conversation qui avait provoqué cet accès :

— « Nous devons lui obéir… » dit-il. « La transporter si loin dans cet état serait trop imprudent… Demain, dès la première heure, je viendrai la prendre, et je la conduirai tout à côté, dans la maison des Dames Augustines, rue Oudinot, ou nous procéderons à l’extraction de la balle… Voyez, elle est déjà plus calme, » continua-t-il, et, entraînant le jeune homme dans la première pièce : « Il est nécessaire que quelqu’un passe la nuit auprès d’elle. C’est votre place. Je me charge d’aller jusqu’à la rue Claude-Bernard prévenir vos parents… Je leur annoncerai qu’elle a été blessée. J’ai déjà mon histoire. Un fait divers de la semaine dernière me la fournit, et vraisemblable. Un fou échappé de Sainte-Anne aura tiré sur les passants et l’aura atteinte… Je dirai que je me suis trouvé là, et que je l’ai fait transporter dans cette maison de santé où j’exerce. C’est assez naturel, et pour que cela le soit plus encore, je mettrai la scène du drame tout près, sur le boulevard du Montparnasse. J’expliquerai par un autre hasard que je vous ai rencontré et que vous êtes auprès d’elle. La mère voudra y courir tout de suite. Je dirai que la maison a une règle stricte et que personne n’y peut entrer après neuf heures. C’est vrai d’ailleurs. En sortant, je passerai rue Oudinot, pour qu’au cas où Mme Monneron y viendrait malgré moi, on ne me démente pas. Nous gagnerons toujours cette nuit. C’est nécessaire. Demain vous déciderez vous-même ce que vous voulez et pouvez dire… Ce soir, un mot d’introduction sur votre carte suffira… Et maintenant, » conclut-il, « j’ai à vous demander d’être vraiment un homme. Adhémar est ici… » Et, sur un tressaillement de Jean : « Il faut que vous me permettiez de l’emmener, sans que vous le regardiez, sans que vous lui parliez. Vous vous tiendrez au chevet de votre sœur… On mettra ce paravent auprès. Il est important qu’elle surtout ne s’aperçoive pas de son passage dans la chambre. Je ne répondrais plus de sa raison, si, dans l’état ou elle se trouve, elle avait de nouvelles secousses. Tout dépend donc de votre calme, monsieur Monneron. J’aurais peut-être le droit de l’exiger de vous. Je me borne à vous rappeler qu’outre le danger d’ordre physique, un scandale ici risquerait de donner, à une épreuve déjà bien cruelle, un épilogue judiciaire. »

— « Il n’était pas besoin de ce dernier argument, » répondit le frère offensé. « Les autres suffisaient. Faites sortir cet homme. Je ne le regarderai ni ne lui parlerai. Il est mort pour moi… » C’était bien vrai qu’en dehors même du souci d’éviter à sa sœur une émotion peut-être fatale, l’honneur voulait que Jean épargnât son ancien ami dans des instants où celui-ci venait d’être blessé par Julie et s’en taisait. Pourtant, de tous les moments si durs traversés depuis ces derniers jours, aucun n’avait été plus pénible au fils de Joseph Monneron, que celui qu’il passa, accoudé près de sa sœur, dont il tenait la main, à la regarder qui, littéralement anéantie par l’effort de leur conversation, fermait de nouveau les yeux, et il écoutait, par derrière le paravent, une porte s’ouvrir, si doucement que la malade, elle, ne l’entendit pas. Il l’entendait, lui, et aussi le pas du traître, étouffé par le tapis, et son souffle retenu, et sa présence !… La sauvage révolte, animale et morale à la fois, d’un homme outragé au plus vif de sa personne morale, le soulevait, et il ne lui était même pas permis de serrer avec plus de force les frêles doigts fiévreux qu’il pressait dans ses doigts ! Si sa rancune contre Rumesnil n’eut été faite que d’orgueil froissé, il eût goûté une joie féroce à penser que ce garçon, si fier, si hautain, s’en allait de son propre appartement comme un voleur, comme un fuyard. Qu’importait à Jean une satisfaction d’amour-propre, quand il avait devant lui un tel spectacle de détresse humaine, et, dans sa pensée, la perspective d’un contre-coup si affreux, là-bas, dans cet intérieur de sa famille, — bien désordonné, certes, bien incohérent ! — Tout de même, ni son père ni sa mère n’avaient mérité qu’un hôte, reçu chez eux avec tant de confiance, les trahît ainsi. Ce matin encore, comme le fourbe avait su trouver des paroles émues pour désarmer ses soupçons ! Et lui, l’ami indignement abusé, ne cracherait jamais sa honte à la face du misérable ! Il le laissait partir sans vengeance, et l’autre se croirait quitte envers sa victime pour avoir essuyé ce coup de feu et l’avoir pardonné !… C’était fini. La porte de l’appartement se refermait, puis celle de la maison. Le bruit d’un fiacre qui roulait annonça au frère que son ennemi lui échappait, pour maintenant et pour toujours. Ce fiacre était celui dans lequel il était venu de l’Union Tolstoï à la rue d’Estrées. Son imagination se peignit Rumesnil, assis dans le même coin à côté du docteur Graux, qui aurait la même expression sévère et triste… Et il se retourna vers sa sœur, dont il caressa la joue creusée avec une tendresse navrée, trouvant dans le sentiment du devoir accompli envers ce pauvre être la force de ne pas éclater en une rage aveugle contre Rumesnil, contre lui-même, contre la vie…

Cruel commencement d’une veillée déjà si pénible, dans cet endroit, parmi ces meubles, et qui devait se consumer tout entière dans des méditations encore enfiévrées par l’angoisse de ce qui se passait maintenant rue Claude-Bernard, par la terreur de ce qui s’y passerait demain !… Les heures s’en allaient, et leur fuite était comme rendue palpable par le battement de l’horloge placée sur la cheminée où le feu se mourait. Le souffle léger de Julie, enfin endormie d’un sommeil véritable, se mêlait à ce bruit monotone, et aussi, — détail trivial qui augmentait la mélancolie de Jean Monneron en lui rappelant, d’une manière brutale et presque grotesque, à quelles discrétions mercenaires l’honneur des siens était confié, — le ronflement du domestique de Rumesnil, installé dans l’autre chambre, par une précaution du médecin. Au dehors, les voitures se succédaient, filant vers le dépôt de Grenelle, et menées rondement sur les pavés par des cochers pressés de rentrer au gîte. Elles ébranlaient les vitres de ce rez-de-chaussée, situé presque à même la rue. Puis elles s’espacèrent. Ce fut le tour des promeneurs tardifs, dont les voix résonnaient claires, dans le silence de plus en plus vaste. Une seule bougie brûlait. Jean l’avait placée derrière le rideau du lit, de façon à ne pas incommoder le repos de la malade. Cette lueur modelait le visage pâle et amaigri de la pauvre fille en méplats où le frère pouvait lire tant de tristesses qui leur avaient été communes sans être partagées ! C’était le silence vis-à-vis l’un de l’autre qui les avait conduits tous deux à cette nuit douloureuse où il la veillait ainsi. Allait-il le continuer, ce lâche silence, à l’égard de leur père, quand il le reverrait, à un moment bien proche et que rapprochait encore chacun de ces battements de la pendule, chacun de ces soupirs de Julie, chacun de ces ronflements du concierge de Rumesnil ? Ou bien inaugurerait-il ce parti pris de vérité dont il avait proclamé la bienfaisance, en face de sa sœur, le matin de la journée précédente, et dans son court entretien avec Crémieu-Dax, le soir ? S’il se posait ces questions, c’est que le caractère ne se trempe pas d’un coup, chez un homme habitué depuis tant d’années à reculer devant la sensibilité d’un autre. La réponse ne variait pas. Coûte que coûte, Jean parlerait, il se mettrait, et il mettrait son père avec lui, devant la réalité vraie. Elle s’impose toujours, à un moment, cette réalité. On ne s’y dérobe, et on n’y dérobe ceux qu’on aime, que pour la subir et pour la leur faire subir, plus brutale, plus dure. L’histoire d’Antoine en était une preuve. N’eût-il pas mieux valu qu’elle fût connue aussitôt du père, au lieu de lui être apprise ainsi ? M. Berthier, tout comme Jean, avait voulu se taire, pour ménager le professeur, et sans doute quelque incident avec lequel il n’avait pas calculé l’avait obligé à tout révéler. À quoi bon reculer des déclarations tôt ou tard inévitables ? Oui. Jean parlerait. Il demanderait à leur père d’exécuter le projet formé déjà par Julie, mais avec le consentement du professeur. Il partirait à l’étranger avec elle, et présiderait à sa délivrance. Quel autre but avait-il à présent, dans la vie, que cette sœur malheureuse ? Le pacte que lui avait offert M. Ferrand et auquel il avait secrètement suspendu tant d’espérances aussitôt comprimées, depuis ces sept jours, n’existait plus. Jamais ce grand bourgeois français n’aurait promis Brigitte, sa Brigitte, sous la seule condition d’une profession de foi religieuse, au frère d’une fille séduite, coupable d’une tentative d’assassinat sur son amant et de suicide sur elle-même. Quand l’autre frère était un employé de banque voleur et faussaire ! Jean ne pouvait plus, sans déloyauté, se réclamer de la promesse de jeudi dernier, aller à cet homme si bon, à ce maître vénéré, et lui dire : « J’accepte d’être catholique, appelez-moi votre fils, » en se taisant du reste. C’était là que le devoir de la vérité absolue s’imposait. Mais un autre devoir, non moins absolu, exigeait le silence sur les hontes secrètes de sa famille. C’en était donc fait de ce rêve d’amour et de mariage, caressé dans la pénombre de sa pensée, comme une consolation possible, certaine, de tant d’amertumes !… La nuit avançait, avançait toujours, parmi ces déchirantes réflexions, rendues plus aiguës par l’énervement de l’insomnie, et, au milieu de cette infinie détresse, le travail de la conversion achevait de s’accomplir dans cette âme, cet indicible et inexplicable retournement de l’être dont le Docteur de la grâce a donné la plus complète définition lorsque, après avoir rapporté le verset de l’Évangile : « Jésus et la femme adultère demeurèrent seuls, » il ajoute : « seuls l’un en face de l’autre, — miseria et misericordia… » Oui, quand nous ne sentons plus en nous que la misère, il est bien vrai qu’alors la miséricorde apparaît, si vraiment nous l’avons appelée par le seul mérite qui la suscite : le tourment de son absence ! Cet état de sécheresse, qui faisait de la foi, pour Jean Monneron, suivant son mot expressif, « une probabilité morte, » s’attendrissait, se fondait durant cette veillée fraternelle. Pour la première fois peut-être, il ne résistait pas à cette action de Dieu, si souvent ébauchée en lui, et elle s’achevait en un appel vers une consolation qui ne pouvait lui venir ni des autres ni de lui-même. Il ne se heurtait plus à aucun raisonnement critique, à aucun morbide scrupule, comme il en avait tant eu, quand, par exemple, derrière son besoin de croire, il devinait un désir caché d’épouser celle qu’il aimait. Sa volonté, brisée et vaincue, s’abandonnait à l’inconcevable puissance, principe de tout l’univers et de notre cœur aussi, puisque ce cœur est un fait au même titre qu’un autre. Jean la sentait vivante, cette puissance, puisque notre vie y plongée, — intelligente, puisque la pensée en sort, — pitoyable, puisque la pitié en émane… Et à un moment de cette longue nuit, sa sœur, réveillée de son sommeil, put le voir qui s’était mis à genoux au pied de ce lit, théâtre des irrémissibles fautes qu’elle n’était pas seule à expier. Jean avait le front appuyé contre les draps où se voyaient les traces du sang de la blessée, et il priait… Bien vague et bien obscure prière ! Inarticulée et informulée, elle ressemblait au balbutiement d’un enfant à peine né à la conscience. Ce civilisé n’avait-il pas été élevé comme un barbare par un père que l’idolâtrie du sens propre ramenait, et avec lui tous les siens, à une mentalité de sauvages, pour ce qui touche à la vie intime de l’âme ? Cet appel à un secours d’ailleurs était pourtant une prière, la première qu’un Monneron eût prononcée depuis que le fonctionnaire, déraciné d’idées autant que de mœurs, avait fondé cette famille sans milieu et sans passé. La sœur, qui conservait, même dans la tragédie où sa folie, de révolte l’avait précipitée, l’orgueilleux nihilisme de l’éducation paternelle, resta saisie d’un étonnement voisin de la stupeur, devant ce signe d’un état de l’esprit, nouveau pour les siens jusqu’à en être miraculeux. Par un involontaire respect où il entrait bien de la tendresse pour ce frère qui, seul, avait su un peu comprendre son cœur, elle se retint de bouger, et elle referma ses yeux, pour qu’il ne sut pas qu’elle l’avait surpris, pour ne pas toucher à la pudeur de sentiments naissants dont cet agenouillement était le premier et encore timide symbole !…

Qu’il y ait dans la prière un emprunt de force réelle à la source infinie de tout amour et de toute volonté, comme l’enseigne la foi, ou que l’on explique ses résultats, avec les psychologues contemporains, par un simple phénomène d’autosuggestion, il est certain qu’elle raffermit, qu’elle tend les fibres de notre énergie intime d’une façon singulière. Elle nous donne un pouvoir d’endurance que nous ne nous soupçonnions pas. Ce fut le cas pour Jean Monneron, quand, au lendemain de cette nuit ainsi passée, il se retrouva, vers les dix heures et demie du matin, dans l’appartement de la rue Claude-Bernard, en face de son père. Voici dans quelles conditions : — Le docteur Graux était arrivé rue d’Estrées dès la première heure, comme il avait été convenu, pour présider au transport de Julie et à son installation dans la maison religieuse de la rue Oudinot. Là il avait procédé, en présence du frère, à un nouvel examen et conclu de nouveau à un pronostic rassurant. La balle avait bien suivi le tracé diagnostiqué la veille. Aucun organe essentiel n’étant atteint, il avait aussitôt tenté et réussi l’extraction. Dans l’intervalle, et sur le conseil du médecin, le jeune homme avait envoyé un mot à ses parents par un commissionnaire, donnant de la jeune fille les nouvelles les plus satisfaisantes, et disant qu’elle ne pourrait cependant recevoir qu’une personne à la fois, après dix heures. Il avait attendu auprès d’elle jusqu’à ce moment-là, et, un peu auparavant, il s’était retiré au parloir. Il espérait que la première personne à profiter de cette permission serait son père. Il avait vu arriver sa mère. Mme Monneron s’était aussitôt répandue, avec sa fougue méridionale, en exclamations sur leurs inquiétudes de la veille, à elle et à son mari, puis en questions interrompues heureusement par l’arrivée du docteur Graux. Le médecin l’avait introduite auprès de sa fille en lui interdisant de faire causer la malade, et Jean s’était échappé, décidé à saisir cette occasion de parler à fond avec son père. Il avait trop senti que toute ouverture de cœur lui était impossible avec sa mère. Il avait trouvé Joseph Monneron au logis, rentrant du lycée. Il y a du soldat dans tout vrai professeur, fût-il un ennemi aussi déclaré des prétoriens que celui-ci, et un partisan aussi convaincu du vieux programme étonnamment résumé à la tribune par un célèbre universitaire républicain : « une armée de citoyens qui n’aient à aucun degré l’esprit militaire !… » Dans son exactitude à exécuter sa consigne avec une ponctualité qui n’admettait pas de compromis, le père de Julie était monté, ce matin-là, dans sa chaire de Louis-le-Grand, comme d’habitude. Il devait y faire une conférence, et il l’avait faite. Il avait interrogé ses élèves, dirigé une explication de textes, comme s’il n’eût pas eu le désespoir au cœur, à cause de cette double catastrophe : son fils aîné chassé de son administration pour un faux et pour un vol, sa fille blessée dans des circonstances qu’il croyait dues au hasard, sur la foi du docteur Graux. Mais comment n’eût-il pas été mortellement inquiet sur la gravité de cette blessure ?… Pour ce qui concernait son fils, hélas ! il n’en était plus à l’inquiétude. La révélation avait eu lieu très simplement : M. Berthier, après avoir, comme on se rappelle, pardonné à Antoine, en était resté préoccupé. Il avait interrogé sur lui ses autres employés. Un d’entre eux lui avait appris qu’Antoine fréquentait une demi-mondaine très élégante du nom d’Angèle d’Azay, — le drôle n’eut pas été complet s’il n’avait pas joint à ses autres vices la vantardise et la fatuité. — M. Berthier avait su aussi que le jeune homme jouait aux courses et de grosses sommes. Des doutes lui étaient venus sur la véracité d’un garçon déjà coupable d’une grande indélicatesse.

Cette histoire Montboron était-elle exacte ? Le chef du bureau C du Grand Comptoir s’était avisé d’une ruse : il s’était muni d’une photographie d’Antoine que celui-ci lui avait donnée au temps de sa faveur. Il était allé au bureau du Crédit départemental, où le pseudo-Montboron était accrédité, et là, sous le prétexte de prémunir le directeur contre un dangereux aventurier, il lui avait montré ce portrait, que celui-ci avait reconnu. Antoine et M. de Montboron ne faisaient qu’un ! Dans son indignation d’avoir été bafoué avec cette audace, M. Berthier avait mis le faussaire en demeure de démissionner. Cette exécution avait eu lieu le mercredi à onze heures, et, à deux, M. Berthier était chez Joseph Monneron. Le reste avait été rapporté exactement dans le billet que le maître chanteur avait aussitôt expédié à Rumesnil. L’irréprochable probité de l’universitaire s’était révoltée contre l’infamie de son fils. Une explosion de fureur avait suivi, durant laquelle il l’avait maudit et chassé, sans vouloir entendre aucune explication. Ces hommes abstraits et que l’on croit débonnaires, ont de ces rigueurs implacables, quand ils se décident à frapper un coupable. Le justicier familial n’avait pas voulu davantage écouter les plaintes de sa femme, à laquelle il avait parlé en maître qui n’admet pas la discussion. Pour Jean, qui connaissait chaque nuance de cette physionomie, le premier regard révéla combien le pauvre homme avait souffert. L’agonie morale était visible dans la contraction de ce maigre visage ravagé, dans cette bouche frémissante, dans ces yeux surtout, dont le bleu, si tendre d’ordinaire, si noyé de rêve, avait un éclat de fièvre, fixe et dur. Les gestes aussi, saccadés, à peine dominés, dénonçaient l’excès de la douleur. Le professeur était dans son cabinet quand son fils cadet arriva, marchant de long en large, d’un pas impatient et qui, tout à l’heure, si sa femme ne rentrait pas, se précipiterait vers la maison de santé où était Julie. D’après le billet reçu ce matin, les deux époux étaient convenus que la mère partirait pour cette première visite et reviendrait aussitôt en rendre compte. Comme elle tardait !… Durant cette crise où son esprit de chimère et d’optimisme était bien contraint de subir l’acre morsure des faits, Joseph Monneron trouvait le moyen cependant de rester pareil à lui-même : son déplorable irréalisme et son admirable pureté de conscience se manifestaient à la fois, par la prédominance qu’il laissait prendre en lui, dans ce moment, au souci que lui donnait Antoine. L’accident de sa fille, cette blessure extraordinaire qui aurait dû commencer d’éveiller ses soupçons, c’était un malheur de l’ordre simplement physique. Qu’un fou, lâché dans une rue, tire des coups de revolver sur des passants, cela arrive tous les jours. Le père admettait cette possibilité sans la critiquer. Il ne critiquait pas davantage un hasard autrement étrange, à savoir que Jean se fût rencontré là, juste à point pour soigner sa sœur. Sa femme et lui avaient accepté le récit du docteur Graux, la veille, avec une docilité presque ahurie, tant ils étaient, l’un et l’autre, affolés à l’idée de leur fils aîné, — Mme Monneron, parce qu’elle l’aimait de cette passion maternelle, instinctive, animale, prête à toutes les indulgences comme à toutes les complicités ; — le professeur, parce qu’il eût, sincèrement, dans la farouche délicatesse de sa nature si intacte, si peu touchée par le vice, préféré, pour un de ses enfants, la mort au déshonneur. Ce fut ce sentiment qu’il montra aussitôt à Jean, lorsque celui-ci entra dans la pièce où ils avaient lu ensemble, si peu de jours auparavant, le morceau d’Eschyle sur Hélène : Âme sereine comme le calme des mers !… et la strophe sur Ménélas abandonné parmi les belles statues qui n’ont pas d’yeux pour regarder et consoler. Les plus beaux livres des plus grands écrivains ressemblent à ces statues, quand on souffre trop. Eux non plus n’ont pas de voix pour parler, pas de mots que le cœur puisse recevoir. Le malheureux humaniste était à une de ces minutes ou l’enchantement littéraire est aboli. Le retrouverait-il jamais maintenant ? Serait-il de nouveau quelque jour l’homme que son fils préféré avait vu tant de fois, interposant, entre sa destinée et lui, le magnifique rideau de la poésie grecque et latine ? Retrouverait-il le pouvoir de « fermer les yeux intellectuellement », dont avait parlé Jean lors de sa conversation avec M. Ferrand ? Le « consolateur » allait-il essayer de prolonger du moins celle de ses illusions qui n’avait pu encore être dissipée, sur l’aventure de Julie ? Il n’en fut même pas tenté un seul instant. Certes il souffrait cruellement de voir son père dans cet état de désespoir. Il lui était horrible de penser qu’il allait lui porter un coup plus meurtrier encore, en lui apprenant la vérité sur sa sœur. Mais il sentait que c’était son obligation absolue, comme fils, de ne pas mentir au chef de famille, dans des heures si tragiques qu’elles en étaient solennelles. C’était le père qui devait décider de l’avenir de sa fille, et le fils n’avait pas le droit d’empêcher qu’il exerçât cette magistrature paternelle gravée sur la pierre même du foyer :

— « Hé bien ? » avait demandé le professeur, « tu as vu ta mère ? Comment est Julie ? »

— « Aussi bien que possible, » répondit Jean. « J’ai laissé maman auprès d’elle. On a extrait la balle ce matin… » En quelques mots, il expliqua la nature superficielle de la blessure, et les raisons que le docteur Graux avait de croire à une guérison prochaine.

— « Ah ! quel poids tu m’enlèves de dessus le cœur ! » s’écria Joseph Monneron. « La savoir en danger et en ce moment, c’était trop dur ! Tu ignores encore le malheur qui nous frappe, mon brave Jean. Ton frère Antoine… »

— « Tu l’as chassé, » interrompit le fils dévoué, qui, sur le point de faire tant de mal à son père, voulait ne pas prolonger l’attente, et aussi lui épargner cet inutile et pénible récit. « Je le sais, et je sais pourquoi…  »

— « Tu l’as vu ? » interrogea le professeur, et, malgré lui, anxieusement.

— « Non, mais j’ai lu une lettre où il racontait cette scène que vous avez eue et demandait qu’on lui prêtât de l’argent… »

— « Une lettre où il racontait cette scène ?… » répéta le père. « Ou il demandait de l’argent ? Ah ! Quelle impudence ! Mais à qui ?… »

— « À Rumesnil. »

— « Rumesnil ne lui en a pas prêté, j’espère ? Tu l’en as empêché ? Il faut que tu le revoies, mon Jean, et que tu insistes en mon nom pour que ton ami ne lui donne jamais d’argent, jamais, quand il saurait que l’autre meurt de faim. Je veux qu’Antoine mange de la vache enragée. C’est la nourriture qui lui a manqué jusqu’ici. Elle est excellente pour la jeunesse. (L’universitaire se croyait énergique en employant cette métaphore et cette formule de l’argot pédagogique de sa jeunesse !) Promets-moi que tu verras Rumesnil aujourd’hui… »

— « Je ne reverrai Rumesnil ni aujourd’hui, ni jamais, » répondit Jean. Il avait trouvé le joint pour dire aussitôt ce qu’il avait à dire, et devant l’étonnement peint sur le visage de son père, il continua : « Non, jamais. Antoine a commis des faux. Il a volé. C’est horrible. Ce n’est rien auprès de ce qu’a fait Rumesnil… Le docteur Graux t’a menti, mon père. Il a dû te mentir, parce qu’il fallait vous ménager, toi et maman, ménager surtout Julie, qui n’aurait pas supporté, dans l’état où elle était hier, d’être amenée ici, ni de vous voir. Moi, je ne te mentirai pas… Julie n’a pas été la victime d’un accident. Elle a voulu se tuer après avoir essayé de tuer Rumesnil. Elle n’a fait que le blesser à la main. Quant à sa blessure à elle, je t’ai dit ce qu’il en était. Le coupable, le criminel c’est lui. Il est son amant. Il l’a séduite. Elle est enceinte, et non seulement il lui a refusé de l’épouser, mais il voulait qu’elle se fît avorter… L’indignation et le désespoir l’ont rendue folle. Elle a voulu se venger et mourir… Tu sais la vérité, maintenant… »

— « Ma fille ! » s’écria Joseph Monneron, « ma fille a fait cela ! Ma fille, un amant ! Ma fille, enceinte ! Ma fille !… Ma… Une tentative d’assassinat ?… Un suicide ?… Voyons, j’ai mal entendu, ce n’est pas possible… » Il passa ses mains sur son front avec égarement… « Jean, mon Jean, dis-moi que ce n’est pas vrai !… »

— «  C’est vrai comme je suis ici, » dit le jeune homme. « Le drame s’est passé hier, vers les six heures du soir, rue d’Estrées, dans un appartement où ils avaient leurs rendez-vous. Rumesnil a eu un dernier reste d’honneur : il a raconté au médecin qu’il avait été blessé par hasard, en essayant de la désarmer. Il m’a envoyé chercher à l’Union Tolstoï, où j’étais. C’est par Julie que j’ai appris la scène. Le reste, je le soupçonnais depuis longtemps. Mais j’étais comme tu es en ce moment, je ne voulais pas y croire… »

— « Ainsi, » gémit le père, — et à mesure qu’il parlait, sa voix accusait le grandissement d’une colère qui, peu à peu, s’exaltait jusqu’au paroxysme, — « ainsi, voilà ce qui se passait dans ma maison, tandis que leur mère et moi nous avions en eux cette confiance qui aurait dû pourtant les toucher, elle surtout ! … Elle, c’est pire que lui. Un faux et un vol, ce sont des actions. Elles sont abominables. Elles durent un instant. Ce n’est pas ce mensonge continu, cette hypocrisie quotidienne qu’elle a dû avoir. Oui, il a fallu qu’elle nous mentît tous les jours, toutes les heures, pendant des semaines ! Et elle venait m’embrasser embrasser sa mère, après ces rendez-vous avec… Non. C’est trop horrible !… Encore hier, quand je la conduisais à son cours, je lui parlais de ce dernier devoir que je lui ai corrigé. Elle m’écoutait, attentive… Elle avait l’air de ne penser qu’à son examen. Je le croyais. Je l’en estimais tant ! Je le disais à ta mère, l’autre jour : « Elle veut se suffire !» Je lui vantais son esprit de famille !… Et, pendant ce temps-là, elle nous déshonorait ! Ni le chagrin qu’elle me causerait, si j’apprenais sa faute, ni celui de ta mère, ni l’affection que nous lui avons montrée, ni le respect de notre nom, rien n’a tenu, et devant quoi ?… Qu’a-t-il donc pour lui, ce voleur d’honneur ? D’être titré et d’avoir des chevaux ? Si c’est cela qui l’a séduite, ah ! c’est abominable !… Je ne veux plus la voir, elle, non plus. Je ne veux plus. Je ne veux plus… Qu’elle ne revienne pas ici, quand elle sera guérie ! Je la chasserai, comme j’ai chassé Antoine !… Je défendrai à ta mère de la voir. Je te le défendrai, entends-tu. Puisqu’elle a le goût de la boue, qu’elle y reste !… Ai-je mérité, mon Jean, je te le demande, que des enfants pour qui j’ai tant travaillé, à qui je n’ai jamais donné un mauvais exemple, soient devenus, lui, un faussaire, et elle, une coquine ? M’as-tu jamais vu manquer à des obligations de mon métier ? Prendre un plaisir ? Quand je me privais de tout, d’une voiture pour me rendre au lycée et pour en revenir par les mauvais temps d’hiver, d’aller me coucher quand j’avais mes copies à corriger, du Théâtre-Français que j’aime tant, d’un bouquin rare sur les quais, d’une pipe de tabac quelquefois, — car c’était ainsi, du petit au grand, — je me disais : Mes enfants me voient. Ils me paieront au centuple en apprenant à tout exiger d’eux, à se passer de luxe, à vivre de travail comme leur père… Et ils sortaient d’ici pour aller, lui, manger l’argent du vol, sous un faux nom ! — et quel faux nom, avec une drôlesse, et elle, dans un bouge, auprès d’un amant que nous recevions comme un de tes amis, à qui je serrais la main devant elle, que ta mère accueillait. Je n’avais rien dans la vie, rien que ma femme et que mes enfants. J’en ai perdu deux, et comment ! J’aimerais mieux les savoir sous terre… Ah ! mon fils, mon cher fils, je suis trop, trop malheureux !… » Il tordit ses bras une minute, enjoignant ses vieilles mains d’honnête homme, désespérément ; puis, le stoïcien qu’il y avait en lui eut honte de cette faiblesse. Son visage creusé se tendit tout d’un coup dans une expression de farouche énergie, et il dit : « Je les ai perdus. Soit. Vous me restez, toi et Gaspard, je vivrai pour vous deux, » puis, sans se douter des souvenirs que ce mot éveillait chez celui auquel il l’adressait : « Vous serez mes consolateurs… » Et le pli professoral est si fort, qu’à cette seconde d’une tension presque surhumaine pour se reprendre et ne pas donner à son fils le spectacle de sa faiblesse, le vieux lettré ramassa sa résolution de ne pas se plaindre dans deux mots empruntés à un auteur ancien, qu’il cita sans plus gémir et presque à voix basse : « Δουλεία στενόντων… »

Cet « esclavage de ceux qui gémissent », que l’universitaire condamnait en lui-même avec cette formule prise à un disciple de Zénon, Jean non plus ne s’y était pas abandonné, en écoutant gronder, dans cette voix si chère, une douleur que sa tendresse filiale n’eût jamais supportée autrefois. C’est que les événements de ces derniers jours l’avaient virilisé en le contraignant d’agir, d’interrompre l’éternel soliloque intérieur où s’affinait et se paralysait sa sensibilité. C’est aussi qu’il venait d’entrer avec son père sur un chemin de vérité et que l’on ne s’arrête pas sur cette route. On ne fait pas plus sa part à la franchise qu’au scepticisme. Elle vous prend tout entier. C’est un invincible besoin pour l’âme, quand elle s’est mise vis-à-vis d’une autre âme dans une relation réelle, de ne plus admettre les équivoques, de secouer l’incertitude et l’à-peu-près. Et puis, si Jean chérissait son père d’une affection passionnée, il avait une affection bien profonde pour sa sœur Julie. Il venait, durant toute cette semaine et cette nuit surtout, de tellement reconnaître les qualités de cette nature, déraisonnable mais si sincère, égarée mais si généreuse, impulsive mais si délaissée, si privée des appuis qui l’eussent préservée. Comment aurait-il pu ne pas protester contre cet arrêt sans recours par lequel leur père la condamnait, dans le premier sursaut de l’affreuse révélation, alors surtout que le pauvre homme, trop injuste à force d’aveuglement comme il avait été trop faible, avait lui-même sa part de responsabilité dans les défaillances de son fils aîné et surtout de sa fille ? Et, sans mesurer la portée de sa réponse, aussi instinctivement qu’il se fût précipité pour détourner l’arme fatale, s’il se fût trouvé là lors du suicide de sa sœur, Jean s’écria :

— « Ne parle pas ainsi, mon père. Ne dis pas que tu as perdu deux de tes enfants, elle surtout. Ne dis pas que tu la chasseras, que tu ne veux plus la voir, que tu l’abandonneras… Ni même lui… Tu n’en as pas le droit. Tu es leur père. Ils seraient plus coupables encore que tu leur devrais de les soutenir, de ne pas les jeter, lui à tous les hasards de Paris, à d’autres vols, à pire peut-être, et elle, au désespoir, et à quoi !… Non, tu ne peux pas vouloir cela sincèrement, j’en appelle à ton grand cœur, mon père. Je te le jure, » ajouta-t-il, d’un accent profond et ferme, mais en baissant les yeux, tant les mots qu’il osait proférer étaient graves : « ce n’est pas juste. »

— « Pas juste ?… » répéta le professeur, avec plus de violence encore. « En effet, je ne suis pas juste !… Si je l’étais, j’aurais demandé à M. Berthier de ne pas ménager Antoine, de le dénoncer au parquet. On condamne chaque jour de pauvres hères qui n’ont pas reçu d’instruction, qui n’ont été entourés que de mauvais exemples, et ils n’ont pas fait ce qu’il a fait, lui à qui toutes les tentations ont été épargnées ! C’est Brutus l’ancien qui a créé Rome. Nous répétons cela couramment dans nos classes. Puis, lorsqu’il s’agit de donner à notre démocratie de ces exemples, et en tout petit, nous reculons… Pas juste ?… Quand nous étions à Versailles, nous avons renvoyé, là, sur place, une bonne qui était devenue grosse. Elle est partie, avec sa malle, en pleurant, pour aller accoucher à l’hôpital. Nous avons trouvé cela juste alors, parce qu’elle recevait son amant chez nous, à notre insu… Et c’était une malheureuse orpheline, qui n’avait rien dans la vie, à qui cet amant avait peut-être dit les seules paroles d’affection qu’elle eût entendues. Au lieu que Julie, de quelle tendresse n’a-t-elle pas été entourée ! De quelle sollicitude ! De quelle protection !… »

— « En es-tu bien sûr ? » interrompit Jean, et comme son père, stupéfié par cette interruption, même dans sa colère, lui demandait : « Que veux-tu dire ? »

— « Je veux dire, » continua le jeune homme, « que tu as cru la protéger, comme tu as cru protéger Antoine… Ce n’est pas ta faute, mon père, mais tu reconnais bien maintenant que tu n’avais pas vu clair dans leurs caractères, puisque tu ne les croyais, ni l’un ni l’autre, capables de ce qu’ils ont fait ?… C’est là leur seule excuse, mais c’en est une, qu’ils ont été exposés à des dangers contre lesquels personne ne les a garantis, pas même toi, parce que tu ne les voyais pas, parce que tu ne pouvais pas les voir… C’est notre famille qui l’a voulu… Nous sommes tous, toi le premier, des déplantés, des déracinés, nous n’avons pas de milieu… Tu ne peux pas empêcher cela. Antoine a été élevé au lycée, lui, pauvre, avec des garçons riches. Il a frôlé le luxe, tout jeune, et les plaisirs. Ils ont d’autant plus agi sur lui qu’ils contrastaient davantage avec notre intérieur, avec la médiocrité de notre existence. Il a pris la débauche pour de la haute vie et le luxe ignoble d’une fille pour de l’aristocratie. Julie, elle, a lu, trop tôt, trop de livres. Ils ont éveillé en elle des appétits d’émotion qui lui ont fait paraître insupportable la carrière d’institutrice à laquelle tu la destinais. Ils étaient entre deux mondes, celui d’en bas où l’on peine, où l’on est à la tâche, où l’on est privé, où l’on supporte, — celui d’en haut, où l’on est libre, où l’on s’épanouit, où l’on jouit. Ils ont été trop tentés. Je t’en conjure, mon père, avant de les condamner absolument, refais en pensée l’histoire de leur caractère, et ne les juge qu’après… »

— « Hé bien ! Et toi ? Et moi ? » dit le père, « N’avons-nous pas été dans la même situation, exactement ? Toutes les familles démocratiques et qui arrivent, comme on doit arriver, par le mérite individuel d’un de leurs membres, ne sont-elles pas aussi entre ces deux mondes dont tu parles ? Précisément parce qu’ils sortent d’en bas, parce qu’ils étaient tout voisins de la glèbe, ils auraient dû avoir, pour leur père qui en a fait des bourgeois, de paysans qu’ils auraient dû être, une telle reconnaissance ! Au lieu de cela, ils déshonorent mes cheveux gris. Si leur infamie était connue, elle rejaillirait plus haut encore. Le fils d’un universitaire et d’un universitaire républicain, faussaire et voleur ! Sa fille séduite et assassinant son séducteur ! Quelle aubaine pour nos ennemis ! À cette conséquence non plus, ils n’ont pas pensé, eux qui savent comme j’aime cet admirable corps auquel j’appartiens ! Et tu veux que j’aie de l’indulgence pour eux, que je les comprenne ? Si je n’ai pas vu ces dangers dont tu parles, c’est que je n’ai pas conçu que mes enfants fussent capables d’une pareille bassesse, c’est vrai… Qu’est-ce que cela prouve, sinon que leur forfait est abominable ? Et quant à ces théories nouvelles sur les gens déplantés, déracinés, déclassés, elles ne signifient rien, absolument rien. Un être humain est une raison, une conscience et une volonté. La raison dit à tous également quel est leur devoir, la conscience les avertit tous également s’ils le font ou s’ils ne le font pas, la volonté sert également à le faire ou à ne pas le faire. Le reste, ce sont des mots, inventés par des philosophes de décadence, pour obscurcir ce qui est très simple. C’est bon pour des casuistes et des jésuites, ces idées-là. Tu cherches des excuses à ton frère et à ta sœur, parce que tu es bon. Ils n’en ont aucune, et je ne leur en accorde aucune, aucune, aucune !… »

— « Il ne s’agit ni de l’Université, ni de la République, mon père, » reprit Jean, « ni des Jésuites… Il s’agit d’une grande loi sociale, qui serait vraie quand nous serions en 1860, sous l’Empire, au lieu d’être en 1900, et quand tu serais ingénieur des ponts et chaussées, ou receveur de l’enregistrement, au lieu d’être professeur, et la Compagnie de Jésus n’aurait jamais existé que cette loi ne serait pas moins vraie : on ne change pas de milieu et de classe sans que des troubles profonds se manifestent dans tout l’être, et nous avons changé de milieu et de classe, c’est un fait, puisque le grand-père Monneron est mort un paysan et que tu en as été un jusqu’à ta dixième année… Tu me réponds : « Et toi, et moi ?… » Toi et moi, nous sommes deux êtres qui aimons passionnément les idées, et nous n’avons connu ni les tentations du luxe, comme Antoine, ni celles des émotions, comme Julie. C’est un bonheur. Ce n’est pas un mérite… Mais si nous ne les avions pas aimées, ces idées, si notre nature avait été tournée vers la jouissance physique, comme celle d’Antoine, ou vers les impressions sentimentales, comme Julie, ne sens-tu pas que cette même fièvre plébéienne que nous avons eue, que nous avons pour nos idées, nous l’aurions dans nos désirs ? Oui. Nous sommes trop voisins du peuple. Nous n’avons pas été assez préparés à ce que nous sommes devenus !… Tu dis qu’ils ont eu la raison pour se diriger, et la conscience. Crois-tu vraiment que ce soient des freins bien efficaces ? La raison ? Mais la raison n’est pas une doctrine. C’est le développement du sens critique, et ce n’est que cela. Le sens critique une fois déchaîné, où s’arrête-t-il ? J’ai causé avec Antoine, ces temps derniers, et avec Julie. J’ai trouvé chez tous deux le même état d’esprit, le doute absolu, fondamental, sur tous les principes, sur le bien et sur le mal, sur le devoir et sur le crime, et je n’ai rien eu à leur répondre. Par la seule raison, tout se justifie et tout se détruit, puisque tout se discute, depuis que le monde est monde, avec des arguments de force pareille… »

— « Où veux-tu en venir, en énonçant ces sophismes ? » interrogea le père, avec une sévérité singulière, « Voici quelque temps déjà que j’ai cru saisir dans tes paroles la trace de sentiments dont j’ai le droit de m’étonner. On dirait que tu as des reproches à m’adresser sur l’éducation que je vous ai donnée… »

— « Mon père !… » supplia le jeune homme.

— « L’autre jour, » continua Joseph Monneron âprement, « quand je te parlais de la solidarité comme de la grande règle de la morale, tu me répondais : « Au nom de quoi ? » Aujourd’hui, quand tu me vois désespéré de ce que je viens d’apprendre sur ton frère et ta sœur, tu es là qui les défends, non pas en faisant appel à ma pitié, ce que j’admettrais, mais en insinuant que je ne leur ai pas donné de quoi se gouverner dans la vie, que la raison ne suffit pas… Explique-toi clairement. Est-ce de vous avoir élevés librement que tu me reproches, sans vous mentir, en vous évitant les luttes morales que j’ai dû traverser pour affranchir ma pensée ? Entends-tu me rendre responsable, en quoi que ce soit, des aberrations de conscience de ces deux malheureux, parce que je n’ai pas fait d’eux des catholiques, par exemple, quand je ne l’étais pas moi-même, quand je considère toutes les religions, et celle-là surtout, comme des illusions ou des impostures ?… Si c’est cela que tu sous-entends, parle net… sinon, n’essaie plus de te mettre entre eux et mon indignation. Ou c’est eux les coupables et ils ont tout mérité, ou bien c’est moi… Mais alors, ose le dire en face, à ton père… »

— « Ah ! mon père ! » reprit Jean, « où prendrais-je le droit de te juger, de te rendre responsables de pareilles hontes, toi que je respecte, que je vénère ?… Non, tu n’es pas coupable de ne pas leur avoir donné des croyances que tu n’avais pas. Tu as cru bien agir en ne les leur donnant pas… Tu n’avais pas eu besoin de la vie religieuse pour être un si honnête homme. Tu as cru qu’une foi n’était pas nécessaire, ou plutôt, tu en avais, tu en as une, puisque tu crois à la Justice, comme on croit à une révélation. Tu as pensé qu’elle nous suffirait… Tout ce que je me permets de te demander, c’est que tu te dises que, ne l’ayant pas, cette foi qui te soutenait, ils ont été bien dépourvus. Une autre peut-être, plus humble, les eût aidés, Julie surtout qui avait le cœur faible et tendre, qui était si peu faite pour cette atmosphère de négation où elle a étouffé ! … La Justice, c’est une idée, c’est une abstraction… Il leur fallait… » Il hésita une seconde, puis, comme Joseph Monneron le regardait avec un impérieux défi dans ses yeux, comme pour lui enjoindre d’achever, il eut le courage d’ajouter : « Oui. Il leur fallait Dieu !… »

Il y eut un silence entre le père et le fils. Celui-ci demeurait épouvanté des phrases qu’il avait prononcées. Il appréhendait d’avoir, en parlant ainsi, produit un effet entièrement opposé à celui qu’il avait désiré. Le visage du professeur s’était contracté davantage encore. Ses yeux avaient jeté un éclair plus aigu. Mais, contrairement à l’attente de son interlocuteur, sa voix, quand il se décida à répondre, était redevenue presque calme, ou du moins contenue. Cet entretien lui était souverainement pénible, et il voulait le clore par des détails précis, qui ne permissent plus la discussion :

— « Je t’ai dit souvent, » reprit-il, « que si je ne vous ai pas fait baptiser, c’était par respect pour votre conscience, afin que vous fussiez maîtres, une fois en âge, de choisir votre credo en pleine indépendance. La façon dont tu me parles me prouve que tu es tenté d’en choisir un qui n’est pas le mien. Peut-être l’as-tu déjà choisi ? J’en conclus que rien n’empêchait Antoine et Julie de choisir le même. Leur nihilisme, puisque tu prétends qu’ils avaient tiré le nihilisme d’idées dont j’ai tiré, moi, tout le contraire, leur nihilisme donc, n’est pas une excuse à leurs fautes. Ces fautes n’ont pas d’excuse, je te le répète, et j’entends que nous en avions causé aujourd’hui pour la dernière fois. Je ferai pour eux ce que ma conscience m’ordonne, Julie est une femme, et incapable, d’ici à quelque temps, de gagner sa vie. Je lui servirai une pension, un an durant. Après quoi, elle se suffira, comme elle l’entendra. Quant à lui, il n’aura rien. Il est grand et vigoureux. Qu’il travaille de ses mains ou qu’il s’engage. Le métier de soldat est grossier et stupide. Il lui convient. Il obéira comme une brute, puisqu’il n’a pas su se commander comme un homme… Tout cela est arrêté dans mon esprit, dès maintenant. Il reste un point à régler, celui de la somme qu’il avait volée et qu’il a restituée à M. Berthier : cinq mille francs. Il a prétendu qu’il avait mis ces cinq mille francs à part, sur ses gains aux courses. Je voudrais en être bien sûr et ne pas penser qu’il a abusé de mon nom pour les emprunter. Je te demande de tout essayer pour le savoir. »

— « Je n’ai besoin de rien essayer, » dit le jeune homme. « Je le sais. Il les a empruntés. »

— « Et à qui ?… »

— « À Rumesnil. »

— « À… » Le nom du séducteur de la fille s’arrêta dans la bouche du père qui se domina de nouveau, avec un effort plus visible encore. « C’est bien… Ils seront remboursés avant ce soir… C’est trop que nous les ayons dus un jour à ce scélérat. »

— « Ils sont remboursés, » répondit Jean, « depuis hier. »

— « Par qui ? » demanda Joseph Monneron.

— « Par moi, » dit Jean. « Ce que tu penses, je l’ai pensé, ce que tu sens, je l’ai senti, avant même de savoir toute la vérité. »

— « Ah ! noble enfant !… » ne put s’empêcher de soupirer le père. « Mais comment les as-tu eus ? Cinq mille francs ! Plus de la moitié de mon traitement !… »

— « J’ai trouvé à les emprunter moi-même, » répondit le fils, à qui la pourpre vint aux joues. Le nom qu’il allait articuler lui brûlait d’avance les lèvres, mais il ne pouvait pas mentir, et il ajouta : « à M. Ferrand. »

— « À Victor Ferrand ? » s’écria Joseph Monneron, et l’attendrissement qui avait passé dans ses prunelles, pour remercier son fils de n’avoir pas supporté qu’ils eussent une dette envers Rumesnil, se changea en une inexprimable douleur, « À Victor Ferrand ? » répéta-t-il. « Tu m’as fait cela, toi, mon Jean, d’aller livrer nos secrets de famille à cet ennemi de tout ce que je crois, de tout ce que j’aime ?… »

— « Mais je ne lui ai rien dit du motif de ma démarche, » interjeta le jeune homme. « Et il ne ma pas questionné… Il a été si généreux, si bon !… »

— « Il n’a pas eu besoin de t’interroger, » répondit le père, « il a tout deviné. Il sait bien que ce n’était pas pour moi que tu lui demandais de l’argent, il me connaît, — ni pour toi, il te connaît. Ce ne pouvait être que pour ton frère, et une somme pareille, sur laquelle on ne s’explique pas, à quoi peut-on la destiner, quand on l’emprunte de la sorte, sinon à une restitution ? Ferrand a compris qu’un de mes fils a volé !… Ah ! comme il doit triompher dans son cœur ! Comme il doit plaindre son ancien camarade, et en tirer une preuve que ses idées sont vraies ! … Ses idées ?… Je comprends pourquoi tu m’as parlé comme tu as fait tout à l’heure. C’est son influence qui t’a conquis. C’est pour cela que tu as pensé à t’adresser à lui dans un moment de crise, au lieu de venir à ton père… Il t’a pris à moi… C’est le dernier coup. Je t’ai perdu aussi… Il ne me reste que le petit. Mais je le défendrai, celui-là. Que j’y voyais juste, quand je ne voulais pas que tu entrasses en philosophie chez cet homme !… Et puis, je t’ai laissé y entrer, parce que c’était mon lycée, et que nous faisions route ensemble pour y aller tous les matins. Oui, voilà mon motif. Je t’ai tant aimé, mon Jean ! Je me suis tant plu en toi ! J’ai eu tant de joie à former ton esprit !… Et il t’a pris à moi… Mais je le lui dirai. Il saura ce que je pense de ce travail de subornement qu’il a exercé sur toi… Il faut que je lui rende cet argent d’abord. Cela me fait autant d’horreur de le lui devoir qu’à l’autre. Il l’aura aujourd’hui… » Et, se tournant vers son fils : « Mais comment as-tu pu ? Comment n’as-tu pas compris que c’était la dernière porte à laquelle frapper ?… »

Jean écoutait cette plainte avec une consternation qui ne lui permettait pas de se défendre. Il s’était aperçu, — on l’a noté déjà, — et depuis longtemps, que le professeur jacobin nourrissait une antipathie pour le professeur catholique, il n’en avait jamais mesuré la profondeur, ni compris qu’entre les deux camarades d’École Normale il existait un de ces étranges sentiments qui sont la survivance douloureuse et passionnée de certains compagnonnages de jeunesse. On a cessé de se voir, après ne s’être pas quittés pendant des années. On a marché chacun dans son chemin, et l’on est si loin l’un de l’autre qu’il semble que l’intimité d’autrefois n’ait jamais eu lieu. L’on se suit pourtant l’un l’autre, à travers l’existence, avec une ardeur d’intérêt qui, chez le moins heureux des deux anciens amis, s’empoisonne si aisément d’une souffrance secrète. Le fond même de la personne est engagé dans cette espèce de concurrence que l’on établit entre soi et le compagnon des débuts. On se mesure et ses propres défaites, à ses succès à lui. Cette nuance de la triste passion d’envie n’a jamais été bien étudiée. Ceux qui l’inspirent mettent leur orgueil à l’ignorer, et ceux qui l’éprouvent ne se l’avouent guère. Si l’on eût dit à Joseph Monneron qu’il haïssait l’ami de jadis, avec lequel il avait tant discuté dans le préau d’Ulm, oui, qu’il le haïssait, lui, qui n’avait même pas eu le loisir d’une thèse, pour sa large aisance, pour le temps que Ferrand avait pu donner à un travail libre, pour son bel ouvrage sur la Tradition et la Science, dont il avait admiré, malgré la doctrine, l’ordonnance et le style, certes il se serait révolté là contre. Cependant une telle violence d’aversion, c’était bien de la haine. Heureusement pour le jeune homme, à qui cette constatation était très douloureuse, l’arrivée de Mme Monneron vint couper court à cet entretien. Aurait-il pu supporter d’entendre son père donner cours à des sentiments trop naturels, trop explicables par l’infirmité du cœur humain, trop justifiables même par une opposition radicale de principes et de formes d’esprit ? Cette épreuve fut épargnée à l’amoureux de Brigitte, et il était habitué à l’autre épreuve, celle que lui représentait depuis tant d’années la vulgarité maternelle :

— « Je rentre de la rue Oudinot, » commença la femme du professeur, « Julie l’a échappé belle… Ça ne sera rien… Si elle n’avait pas la manie de courir les rues comme un chat maigre, elle n’aurait pas été là, — sur le boulevard Montparnasse, je te demande un peu ! — quand cet évadé de Sainte-Anne a tiré… C’est ce pauvre chéri de Gaspard qui va être impressionné quand je lui raconterai cela. Il a trop de cœur, lui !… » Et elle regardait le fils qu’elle n’aimait pas, en prononçant cet éloge de l’affreux potache dont elle faisait son idole. « C’est son jour de promenade, aujourd’hui… Je ne pourrai le voir au parloir que tard… » Elle eut un autre regard, vers son mari, cette fois, puis de nouveau du côté de Jean. Il lui fut trop pénible de parler devant celui-ci de son Antoine, de cet aîné qui se partageait sa tendresse avec Gaspard, et dont elle eût dû avouer des choses si honteuses ! Elle jeta seulement un : « Ah ! pauvre de moi !… » où tout le Midi de sa jeunesse se retrouvait dans la mimique et dans l’accent, et elle s’en alla de la chambre, tandis que le professeur disait à son fils :

— « Elle ne soupçonne pas la vérité sur cette malheureuse. Plus elle l’apprendra tard, mieux cela vaudra. Elle est déjà si désespérée d’Antoine… C’est elle qui a trop de cœur… Ah ! si nous avions pu tout lui cacher, toujours ! »