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La Femme affranchie/Troisième partie/Chapitre III

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CHAPITRE III.




MARIAGE (DIALOGUE).

I


La jeune femme. Nous allons parler du Mariage au point de vue de l’idéal moderne : comment le définirez-vous ?

L’auteur. L’amour, sanctionné par la Société.

La jeune femme. Considérez-vous le Mariage comme indissoluble ?

L’auteur. Devant la loi, non ; mais au moment de leur union les époux doivent avoir pleine confiance que le lien ne se dissoudra pas.

Je crois que le Mariage est appelé à devenir indissoluble par la seule volonté des époux ; qu’il ne peut l’être que de cette manière.

La jeune femme. Quelle part faites-vous à la Société dans le Mariage ?

L’auteur. Vous la fixerez vous-même, en vous rappelant nos principes.

Si l’homme et la femme sont des êtres libres, dans aucune période de leur vie, ils ne peuvent légalement et valablement perdre leur liberté.

Si l’homme et la femme sont des êtres socialement égaux, dans aucun de leurs rapports, ils ne peuvent légalement, valablement être subordonnés l’un à l’autre.

Si le but constant de lêtre humain est de se perfectionner par la liberté et de chercher le bonheur, aucune loi ne peut légitimement, valablement le détourner de cette voie.

Si le but de la Société doit être d’égaliser les individus, elle ne peut, sans forfaire à sa mission, constituer l’inégalité des personnes et des droits.

Si la Société ne peut, sans iniquité, entrer dans le domaine de la liberté individuelle, elle ne peut légitimement, valablement, prescrire des devoirs qui ne relèvent que du for intérieur, et annuler la liberté morale.

Concluez maintenant.

La jeune femme. De ces principes il résulte que, dans le Mariage, l’homme et la femme doivent demeurer libres, égaux ; que la Société n’a le droit d’intervenir dans leur association que pour les égaliser ; qu’elle n’a pas le droit de leur prescrire des devoirs qui ne relèvent que de l’amour ni, conséquemment, d’en punir la violation, qu’elle ne peut, en principe, prononcer ou refuser le divorce, parce qu’aux époux seuls il appartient de savoir, s’il n’est pas utile pour leur bonheur et leur progrès de se séparer l’un de l’autre.

L’auteur. Bien conclu. Madame ; mais si la Société n’a de droit ni sur le corps ni sur l’âme des époux, tant qu’époux ; si elle ne peut, sans abus de pouvoir, s’immiscer dans aucun de leurs rapports intimes, elle a le droit et le devoir d’intervenir dans le Mariage au point de vue des intérêts et au point de vue des enfants.

La jeune femme. En effet dans l’union des sexes, il n’y a pas seulement association de deux personnes libres et égales, il y a encore association de capital et de travail ; puis, des époux, proviennent des enfants, à l’éducation, à la profession, à la subsistance desquels il faut pourvoir.

L’auteur. Or, la protection générale des intérêts et des jeunes générations incombe de droit à la Société. Aux yeux de la loi, les époux ne doivent être considérés que comme des associés, s’obligeant à employer tel apport et leur travail à telle ou telle chose définie. La Société n’enregistre qu’un contrat d’intérêt dont elle garantit l’exécution, comme celle de tout autre contrat, et dont elle publie la rupture, s’il y a lieu, par la volonté des conjoints : D’autre part, c’est une question de vie et de mort pour la Société que l’éducation des jeunes générations. Les enfants, étant des êtres libres en développement et devant, d’après la direction qu’ils auront reçue, nuire ou être utiles à leurs concitoyens, la Société a le droit de veiller sur eux, d’assurer leur existence matérielle, leur avenir moral, de fixer l’âge du Mariage, de confier les enfants, en cas de séparation, à l’époux le plus digne et, s’ils sont indignes tous deux, de les leur enlever.

La jeune femme. Vous allez peut-être un peu loin, Madame ; d’une part, les enfants n’appartiennent-ils pas à leurs parents ? De l’autre, la société ne peut-elle se tromper sur les meilleurs principes à leur donner ?

L’auteur. Les enfants n’appartiennent pas à leurs parents, Madame, parce qu’ils ne sont pas des choses : À ceux qui s’obstineraient à croire qu’ils sont une propriété nous dirions : la Société a le droit d’exproprier pour cause d’utilité publique. Ensuite le droit social sur les enfants se borne, en fait de principes, à ceux de la Morale : La Société n’a pas de droit sur les croyances religieuses qui sont du domaine du for intérieur. Un pouvoir qui enlèverait des enfants à leurs parents parce qu’ils n’ont pas telle foi religieuse, ferait du despotisme et mériterait l’exécration universelle. Que vous disiez : la Société n’a pas le droit d’imposer un dogme aux enfants, vous serez dans le vrai ; mais je ne concevrais pas que vous eussiez la pensée de lui interdire le droit de leur enseigner, même contre la volonté des parents, la science qui éclaire, la morale qui purifie : Est-ce que le devoir de la Société n’est pas de faire progresser ses membres, et quelqu’un peut-il avoir le droit de tenir une créature humaine dans l’ignorance et le mal ?

La jeune femme. Vous avez raison, Madame, et je passe condamnation. Revenons au Mariage. Je vois avec plaisir que vous vous éloignez de l’opinion de plusieurs novateurs modernes qui nient la légitimité de l’intervention sociale dans l’union des sexes.

L’auteur. Si cette union restait sans garantie, qui en souffrirait ? Ce ne sont pas les hommes, mais bien les femmes et les enfants.

Personne ne peut obliger un homme à demeurer avec une femme qu’il n’aime plus ; mais il faut qu’il soit contraint à remplir ses devoirs à l’égard des enfants nés de son union, à tenir ses engagements d’intérêts : en faisant tort à sa compagne, en échappant aux charges de la paternité, il userait de sa liberté pour nuire à autrui : la société a le droit de ne le pas souffrir.

La jeune femme. Ainsi, Madame, vous ne reconnaissez pas à la Société le droit de lier les âmes ni les corps ; mais celui d’être garante du contrat de Mariage, et de lobligation des époux envers les enfants futurs ; de les forcer, en cas de séparation, à remplir cette dernière obligation ?

L’auteur. Oui, Madame ; ainsi, en cas de rupture, la Société n’aurait qu’à constater publiquement les charges des époux, le nombre des enfants, le nom de celui des deux auquel la tutelle en est restée, soit de consentement mutuel, soit d’autorité sociale. En se bornant à ce rôle, la société ferait plus pour empêcher la séparation des époux que tout ce qu’elle a follement imaginé jusqu’ici. Les ex-conjoints seraient libres de se remarier : mais quelle femme voudrait s’unir à un homme chargé de plusieurs enfants, ou qui se serait mal comporté avec sa première compagne ? Quel homme consentirait à s’unir à une femme qui se trouverait dans le même cas ?

Pensez-vous que la difficulté qu’on éprouverait à contracter un nouveau mariage, ne serait pas un frein à l’inconstance et aux mauvais procédés qui conduisent à une rupture ?

La jeune femme. Je crois en effet que le mariage, tel que vous le concevez, aurait plus de chances de durée que le nôtre : d’abord parce qu’il est dans notre nature de tenir davantage à ce qu’on peut perdre. Je me suis demandé souvent pourquoi beaucoup d’hommes demeurent fidèles à leur maîtresse et ont envers elle de bons procédés, tandis qu’ils en manquent à l’égard de leur femme et leur sont infidèles ; je me suis demandé encore pourquoi beaucoup de couples, longtemps heureux lorsqu’ils étaient librement unis, sont malheureux, souvent obligés de se séparer légalement, lorsqu’ils ont fini par se marier, et je nai pu voir d’autres raisons à ces choses que celles-ci : nous tenons à ce que nous savons pouvoir nous échapper. L’homme a plus d’égards pour une femme qui n’est pas sa propriété légale, son inférieure, que pour celle ainsi transformée par la loi. Cependant il faut lavuer, vos idées, Madame, sembleront excentriques.

L’auteur. Et cependant elles ne sont qu’une application des lois françaises ; en effet nos lois n’établissent-elles pas que les conventions ne peuvent avoir pour objet que des choses, non des personnes ? Que la Société ne reconnaît pas les vœux et n’en poursuit pas la violation ?

Or, la loi du mariage actuel aliène les conjoints l’un à l’autre ; la femme appartient à son mari ; elle est en sa puissance, Qu’est-ce qu’un tel contrat, sinon la violation du principe qui déclare que toute convention ne peut avoir pour objet les personnes ? Serait-il plus permis d’aliéner sa personne par un contrat de Mariage que par un contrat d’esclavage ?

Quelques-uns disent qu’il est permis de disposer de sa liberté comme on l’entend, même pour y renoncer. En effet, on peut le faire, comme on peut se donner la mort ; mais user de sa liberté pour y renoncer ou se tuer, est beaucoup moins user d’un droit que violer les lois de la nature morale ou physique : ce sont des actes de folie qu’on doit plaindre, mais qu’il n’est pas permis d’ériger en loi.

Pourquoi la Société ne reconnaît-elle pas les vœux et n’en poursuit-elle pas la violation, si ce n’est parce qu’elle reconnaît qu’il lui est interdit, à elle, de pénétrer dans le for intérieur ? Si ce n’est parce qu’elle n’admet pas qu’un individu puisse aliéner son être moral et intellectuel plus que son corps, et se vouer à l’immobilité lorsque son devoir est, au contraire, de progresser ?

Je demande alors si cette même Société n’est pas inconséquente d’exiger des époux des vœux perpétuels, d’exiger de la femme vœu d’obéissance, vœu tacite de livrer sa personne aux désirs de l’époux ?

Est-ce que la liberté morale des époux n’est pas aussi respectable que celle des religieuses, des prêtres, des moines ?

Est-ce qu’aux yeux de la nature et de la Raison, les individus mariés ont plus le droit d’aliéner leur être moral et intellectuel, leur liberté et leur personne que les gens en religion ?

Autre inconséquence de la loi : elle déclare le Mariage une Société ; l’acte de mariage est donc un acte de Société : Or, je le demande, dans un seul acte de ce genre, est-il enjoint par la loi à l’un des associés, d’obéir, de se soumettre à une minorité perpétuelle, d’être absorbé ? Je ne doute pas que la loi ne déclarât un tel acte nul entre associés libres ; pourquoi donc légitime-t-elle une telle monstruosité dans la Société des époux ? Reste de barbarie, Madame, si l’on veut bien y réfléchir.

La jeune femme. J’espère que, par raison et par nécessité, l’on réformera la loi dans un temps plus ou moins proche : mais ce qui ne sera pas réformé, ce sont les formules du Mariage religieux qui prescrivent aux époux les mêmes vœux que le Code, et soumettent, comme lui, la femme à l’homme.

L’auteur. Eh ! Que nous importe, Madame, puisque, grâce à la liberté, le Mariage religieux n’est qu’une bénédiction dont on peut se passer. Celles dont le tempérament est d’aller à l’Église, au Temple, à la Synagogue doivent avoir toute liberté de se faire bénir par leurs prêtres respectifs : cela ne regarde pas la Société. Ce qu’il faut, c’est que si, plus tard, leurs vœux ne leur semblent pas valables, l’autorité sociale ne les leur rende pas obligatoires : Elles ont le droit d’être absurdes, mais la Société n’a pas le droit de leur imposer l’absurdité : Son devoir est, au contraire, de les éclairer et de les rendre libres.


II


La jeune femme. Ceux qui ont subordonné la femme dans le Mariage, s’appuient sur ce que, disent-ils, il faut unité de direction dans la famille, conséquemment une autorité ; or évidemment votre théorie ruine cette autorité.

L’auteur. Qu’est ce que l’autorité ? Dans la pratique, elle se manifeste par la fonction du gouvernement. Autrefois elle reposait sur deux principes reconnus aujourd’hui radicalement faux : le Droit divin et l’Inégalité. Elle était un Droit pour ceux qui l’exerçaient, qu’ils s’appelassent rois, aristocrates, prêtres, hommes : alors le Peuple, l’Église, la Femme avaient le Devoir d’obéir aux élus de Dieu, à leurs supérieurs par la grâce du droit octroyé d’en haut.

Mais, dans l’opinion moderne, l’autorité n’est plus qu’une fonction déléguée par les intéressés pour exécuter leur volonté.

Nous n’avons pas à examiner ici si cette conception moderne s’est incarnée dans les faits ; si le principe ancien n’est pas en lutte contre le principe nouveau ; si les dépositaires de l’autorité politique et familiale n’ont pas de folles prétentions de droit divin ; nous avons seulement à constater ce qu’est devenue la notion de l’autorité dans la pensée et le sentiment actuels.

Que serait l’autorité dans le Mariage, d’après l’opinion moderne, sinon la délégation faite par l’un des époux à l’autre, du gouvernement des affaires et de la famille, sinon une délégation de fonction, non plus un droit ?

Et si l’homme et la femme sont, en principe, socialement égaux, si les aptitudes, raison d’être de toute fonction, ne dépendent pas du sexe, de quel droit la Société interviendrait-elle pour donner l’autorité soit à l’homme soit à la femme ?

S’il y a besoin d’une autorité dans le ménage, est-ce que les époux ne sauront pas bien en charger celui des deux qui saura le mieux et le plus utilement l’exercer ?

Mais, entre conjoints, y a-t-il vraiment place pour l’autorité ? Non : il n’y a place que pour la division du travail, la bonne entente sur des intérêts communs. Se consulter, se mettre d’accord, se partager la tâche, rester maître chacun dans son département : voilà ce qu’ont à faire et ce que font généralement les époux.

La loi est si peu dans nos mœurs, que voici ce qui se passe aujourd’hui : beaucoup de dames riches traduisent ainsi deux articles du Code : le mari obéira à sa femme, et la suivra partout où elle jugera convenable d’aller résider ou se promener. Et les maris obéissent, parce qu’on doit ménager une femme bien dotée ; parce que ce serait un scandale que de contrarier sa femme ; parce qu’on a besoin d’elle, ne pouvant, sans se déshonorer, entretenir une maîtresse.

Les maris des grands centres de population échappent à l’obéissance par l’amour hors du mariage ; ils ne commandent pas ; Madame est libre.

Parmi les travailleurs de la bourgeoisie et du peuple, il est admis dans la pratique que personne ne commande, et qu’un mari ne doit rien faire sans consulter sa femme et avoir son consentement.

Dans tous les rangs, si quelque mari est assez naïf pour prendre au sérieux son prétendu droit, il est cité comme un méchant homme, un despote intolérable que sa femme peut haïr et tromper en sûreté de conscience ; et ce qu’il y a de curieux, c’est que les séparations légales n’ont, la plupart, au fond d’autre motif que l’exercice des droits et prérogatives concédés par la loi à Messieurs les maris.

Je vous le demande maintenant, Madame, à quoi bon maintenir contre la raison et les mœurs, une autorité qui n’existe pas, ou qui passe à l’époux condamné à la subir ?

La jeune femme. Sur ce point, je suis tout à fait de votre avis ; pas une femme de la nouvelle génération ne prend au sérieux les droits du mari. Mais votre théorie n’attaque pas que son autorité ; elle attaque aussi l’indissolubilité du Mariage qui, dit-on, est nécessaire à la dignité de ce lien ; au bonheur, à l’avenir des enfants, à la moralité de la famille.

L’auteur. Je prétends, au contraire, que ma théorie assure, autant qu’il est humainement possible, la perpétuité et la pureté du Mariage. Aujourd’hui, quand ce lien est serré, les époux, ne craignant plus de se perdre, trouvent, dans cette absence de crainte, le germe d’un refroidissement réciproque ; ils peuvent se quereller, manquer de procédés, s’être infidèles ; il y aura scandale, séparation légale peut-être ; mais ils sont rivés l’un à l’autre : ils ne peuvent se devenir étrangers. Mettez en perspective de ce tableau celui d’un ménage où le lien est dissoluble : tout change ; l’époux despote et brutal réprime ses mauvais penchants, parce qu’il sait que sa compagne, qu’il aime après tout, le quitterait, porterait à un autre les soins dont il est comblé, et qu’une femme honorable ne voudrait pas la remplacer.

Le mari, disposé à être infidèle, reste dans le devoir, parce que son abandon, ses outrages éloigneraient sa femme, nuiraient à sa réputation, et l’empêcheraient de former un lien honorable.

L’homme blasé n’épouserait plus la dot d’une jeune fille, parce qu’il saurait que, promptement désillusionnée, au lieu de recourir à l’adultère, la jeune femme romprait une union mal assortie.

La femme qui se prévaut de sa dot, de la nécessité où est son mari de lui être fidèle pour le tyranniser, craindrait un divorce qui attirerait sur elle le blâme et la jetterait dans l’isolement.

Une femme acariâtre n’oserait plus faire souffrir son mari, une coquette le tromper ou le désoler ; qui les épouserait après une rupture ?

Ne voyez-vous pas les mariages libres plus heureux et plus durables que les autres ?

N’êtes-vous pas convenue vous-même qu’il suffit souvent, pour que les conjoints se séparent, qu’ils aient été légalement mariés ?

J’ai connu pour mon compte une union libre, très heureuse pendant vingt-deux ans, qui se rompit au bout de trois ans de mariage légal par la séparation ; j’en ai connu d’autres de moins longue durée que la légalité a contribué à dissoudre au lieu de les éterniser.

On ne saurait croire combien d’époux, en 1848, rentrèrent dans une meilleure voie lorsqu’ils craignirent que la loi du Divorce ne fût votée. Si le Divorce, simple expédient, peut produire de bons résultats, que ne devrait-on pas attendre d’une loi rationnelle !

Il n’y a qu’à réfléchir pour comprendre que la dissolubilité volontaire, sans intervention sociale, rendrait les unions mieux assorties, car l’on aurait intérêt, pour sa propre réputation, de ne se prendre qu’avec la conviction morale de pouvoir se garder ; alors seulement il n’y aurait plus d’excuse à l’infidélité ; la loyauté entrerait dans les rapports des époux. La loi de la perpétuité a tout faussé, tout corrompu : du côté de la femme, elle favorise, elle nécessite la ruse ; du côté de l’homme, elle favorise la brutalité, le despotisme ; elle provoque des deux côtés l’adultère, l’empoisonnement, l’assassinat et conduit à ces séparations dont chaque jour augmente le nombre, qui, en donnant un démenti à la nécessité de l’indissolubilité du Mariage, jettent les conjoints dans une situation douloureuse, périlleuse, et traînent à leur suite une foule de désordres.

En effet, si les époux sont séparés jeunes, le concubinage est leur refuge. L’homme, dans cette fausse position, trouve beaucoup de gens qui l’excusent ; mais la femme est obligée de se cacher, de trembler à la pensée d’une grossesse et… de la faire disparaître. La séparation légale conduit les époux non seulement au concubinage, à la haine réciproque mais provoque la naissance d’une foule d’enfants dont l’avenir est compromis, perdu par le fait de leur illégitimité.

Que les époux, selon leur droit, soient libres et tout rentrera dans l’ordre, parce que tout se fera dans la lumière et la vérité.

La jeune femme. Mais l’avenir des enfants, Madame ?

L’auteur. La moralité des enfants est plus assurée sous le régime de la liberté que sous celui de l’indissolubilité, car ils n’assisteraient pas longtemps à ces cruels démêlés, à ces désordres qui, aujourd’hui, les rendent dissimulés, vicieux, leur font prendre en mépris ou en haine l’un de leurs auteurs, quelquefois tous les deux quand ils ne les prennent pas pour modèles : si la vie commune devient impossible aux parents, ce qui sera plus rare sous la loi de liberté, les enfants ne seront pas soumis à la puissance de gens qui violent les lois de la morale reçue : ils verront peut-être ces parents contracter un nouveau lien, comme aujourd’hui mais ce lien sera honoré de tous.

De ces unions pourront naître des enfants comme aujourd’hui ; mais ces enfants, au lieu d’être jetés à l’hospice, partageront avec les premiers la tendresse et l’héritage de leur père ou de leur mère. Les enfants, dits légitimes, perdront en fortune, c’est vrai ; mais ils gagneront en bons exemples ; beaucoup d’enfants qui sont aujourd’hui dans la catégorie des illégitimes, passeront dans la première et ne seront plus condamnés par l’abandon à mourir jeunes, ou bien à croupir dans l’ignorance, le vice, la misère ; à se voir imprimer au front, comme leur faute propre , la faute de leurs parents , par une foule d’imbéciles et de gens sans cœur qui nont eux-mêmes de garantie de ce qu’ils nomment leur légitimité, que la présomption que leur accorde la loi.


III


La jeune femme. De longtemps encore, peut-être, la Raison collective ne comprendra comme vous la liberté dans l’union des sexes, et l’on se croira le droit, non seulement de lier les intérêts, mais l’âme et le corps des époux.

L’auteur. Autant qu’il peut nous être permis de prévoir, la Société, pour réaliser notre conception, doit fournir préalablement deux étapes : elle doit décréter d’abord le divorce motivé ; plus tard, elle décrétera le divorce prononcé à huis-clos, sur la demande des époux ou de l’un d’eux. Nous ne nous occuperons pas de cette dernière forme de rupture du lien conjugal, mais de celle qui est le plus près de nous : le divorce motivé.

Pour vous, jeune femme, quelles seraient les raisons valables d’une demande en divorce ?

La jeune femme. D’abord celles qui, aujourd’hui, donnent lieu à la séparation de corps et de biens : adultère de la femme, sévices, injures graves, condamnation d’un époux a une peine afflictive ou infamante, mauvaise gérance du mari quant aux biens ; de plus l’infidélité du mari, qualifiée adultère, l’incompatibilité d’humeur, des vices notables , tels que l’ivrognerie , la passion du jeu, etc.

L’auteur. Très bien ; ces motifs suffisent.

La jeune femme. Pendant l’instance en Divorce, la femme devrait être aussi libre que l’homme. L’enfant qui naîtrait d’elle, après plus de dix mois de séparation, serait réputé naturel, lors même que le divorce ne serait pas prononcé ; il porterait son nom et hériterait d’elle comme un de ses enfants légitimes.

L’auteur. Qui administrera les enfants et les biens pendant l’instance ?

La jeune femme. Le tribunal doit décider qui administrera les enfants d’après les motifs de la demande en Divorce et le témoignage de parents, amis et voisins.

L’auteur. Mais si les époux ne demandent à divorcer que pour incompatibilité d’humeur et sont tous deux honorables ?

La jeune femme. Ils seront invités à s’entendre pour se partager les enfants, ou les confier à l’un d’eux, ou donner les filles et les garçons tout jeunes à la mère, laissant au père les garçons au dessus de quinze ans. Le tribunal, en outre, nommerait dans la famille maternelle une subrogée tutrice pour les enfants laissés au père ; et dans la famille paternelle, un subrogé tuteur pour les enfants demeurés à la mère. Cette subrogée tutelle, toute morale, lie cesserait qu’à la majorité des enfants.

L’auteur. Et dans le cas où les parents seraient également indignes ?

La jeune femme. Dans ce cas rare, le président, au nom de la Société, leur enlèverait l’administration des enfants et les confierait à la tutelle de l’un des membres d’une famille, mettant la subrogée tutelle dans l’autre.

L’auteur. Très bien ; je vois avec plaisir que vous vous êtes guérie de cette fausse croyance que les enfants appartiennent aux parents, et que vous comprenez la haute fonction de la Société comme protectrice des mineurs.

Pendant le procès en divorce, qui aura l’administration des biens ?

La jeune femme. Si le contrat est fait sous le régime de la séparation de biens, et pour les paraphernaux, il n’y a pas lieu à poser la question : chacun administre ses propres.

Mais je serais assez embarrassée de vous répondre pour le cas de communauté, pour le cas où les fonds sont engagés dans un négoce commun, administrés par un seul des époux. La loi d’aujourd’hui ne me semble pas sauvegarder suffisamment les les intérêts de la femme dans les cas de séparation.

L’auteur. Sans nous embarrasser dans une foule de cas particuliers qui se modifient ou se contredisent, établissons que dans les cas de communauté, l’administration des biens sera enlevée à l’époux si la demande en divorce est fondée sur sa mauvaise gérance, ses habitudes dissipatrices ou sur sa condamnation à une peine afflictive et infamante ; que, dans tout autre cas, il sera fait inventaire des biens et de l’état des affaires, et qu’un subrogé tuteur de la famille de l’époux évincé de l’administration sera nommé pour surveiller la gérance de l’époux nommé administrateur qui sera tenu de payer à l’autre une pension alimentaire jusqu’à ce que le Divorce soit prononcé.

La jeune femme. Et s’il n’y a aucune fortune. Madame ?

L’auteur. Jusqu’à ce que les époux soient étrangers, ils se doivent assistance ; le tribunal pourra donc forcer l’époux qui gagne le plus à venir en aide à celui qui gagne le moins,

La jeune femme. Combien de temps devrait s’écouler entre la déposition de la demande et l’arrêt de divorce ?

L’auteur. Une année, afin que les époux aient le temps de réfléchir.

La jeune femme. Le divorce est prononcé, chacun des ex-conjoints est rentré dans sa liberté, leur permettrons-nous de se marier à d’autres ?

L’auteur. Mais assurément, Madame ; que signifierait sans cela notre critique de la séparation ?

La jeune femme. Quoi ! l’époux adultère, brutal, celui qui aurait fait souffrir son conjoint, qui aurait eu tous les torts, jouirait comme l’autre du privilège de pouvoir se remarier ? J’avoue que cela me choque.

L’auteur. Parce que vous n’êtes pas suffisamment imbue des doctrines de liberté et du sentiment du Droit : le Mariage est de droit naturel pour tout adulte ; la société n’a donc pas le droit de l’interdire ou d’en faire un privilège ; d’autre part, dans tout divorce, des deux côtés, il y a des torts ou insuffisance de l’un par rapport à l’autre ; celui ou celle qui commet adultère, sera peut-être un modèle de fidélité avec un conjoint qui répondra mieux à son tempérament et à son humeur ; celui qui a été brutal, violent, sera peut-être tout autre avec une femme ayant un caractère différent ; enfin, répétons-le, interdire le mariage, c’est vouloir le libertinage, et la société n’a pas d’intérêt à se pervertir. Donc les deux ex-conjoints ont le droit de se marier ; mais la loi doit veiller à ce que tous soient avertis des charges qui pèsent sur eux par suite de leur premier mariage, et sachent qu’ils sont divorcés. En conséquence, la Société a le droit de publier l’acte de divorce, et d’exiger que les divorcés pourvoient aux besoins de leurs enfants mineurs et que l’acte de divorce, joint à celui qui constate cette obligation, accompagne la publication des bans d’un nouveau mariage : en cela, point d’injustice ni d’abus de pouvoir : car chacun subira la conséquence des actions qu’il a faites en parfaite liberté.

La jeune femme. Et l’on ne fixerait pas le nombre de fois qu’un divorcé pourrait se marier ?

L’auteur. Pourquoi faire ? fixez-vous le nombre de fois que peut se marier un veuf et une veuve ?

La jeune femme. Mais un libertin, un méchant homme pourrait se marier dix fois et rendre ainsi dix femmes malheureuses…

L’auteur. Que dites-vous là, Madame ! Vous croyez sérieusement qu’il y aura une femme assez insensée pour épouser un homme neuf fois divorcé, un homme obligé d’accompagner la publication de ses bans de neuf actes de divorce, de neuf jugements qui le condamnent à payer tant de pension pour sept, huit et plus d’enfants ! Vous croyez sérieusement qu’une femme consente à devenir la compagne d’un homme semblable ! Cet homme pourrait bien se marier deux fois, mais trois, pensez-vous que ce soit possible ?

La jeune femme. Vous avez raison, et, en réfléchissant, les mesures que vous indiquez paraîtront peut-être sévères.

L’auteur. Je le sais ; mais notre but n’est pas de favoriser le divorce ni les unions subséquentes ; c’est, tout au contraire, d’empêcher, autant que possible, l’un par la difficulté de former les autres. Or, pour cela, il n’est pas besoin de gêner la liberté individuelle, mais de la rendre responsable de ses actes, et de la river tellement à la chaine qu’elle-même s’est forgée, qu’elle ne puisse ni la rejeter, ni la faire porter à d’autres sans qu’ils n’en soient dûment avertis et qu’ils n’y consentent.


IV


La jeune femme. La société devrait-elle permettre les unions disproportionnées sous le rapport de l’âge ? N’est-ce pas exposer une femme à l’adultère, que de lui faire épouser à dix-sept ou dix-huit ans un homme de trente, quarante et même cinquante ans ? Quels rapports de sentiments et de manière de voir peuvent exister alors entre les époux ? La femme voit en son mari une sorte de père qu’elle ne peut cependant aimer ni respecter comme un père, et elle reste toute sa vie mineure.

L’auteur. Ces unions sont très fâcheuses pour la femme et pour la génération, et elles seraient pour la plupart évitées, si la loi fixait l’âge du mariage pour les deux sexes à vingt-quatre ou vingt-cinq ans. À dix-sept ans, nous nous marions pour être appelées Madame, pour porter une robe magnifique et une couronne de fleurs d’oranger ; certes nous ne le ferions pas à vingt-cinq.

Si la fleur n’est appelée à former son fruit que quand elle est parfaite, il doit en être de même de l’homme et de la femme : or, dans nos climats, l’organisation de l’un et de l’autre n’est complète qu’à l’âge de vingt-quatre ou vingt-cinq ans.

La femme donne plus et fatigue plus dans la grande œuvre de la reproduction ; la mettre dans le cas d’être prématurément mère, est donc l’exposer à de plus grands maux.

D’abord on la force à partager entre elle et son fruit les éléments qui sont nécessaires à sa propre nutrition, ce qui affaiblit elle et l’enfant.

On arrête son développement, on altère sa constitution, on la prédispose aux affections utérines, et on l’expose à devenir valétudinaire à l’âge où elle devrait jouir d’une santé vigoureuse.

L’affaiblissement physique entraîne celui du caractère : la femme devient nerveuse, irritable, souvent fantasque ; elle n’a pu nourrir ses enfants ; elle ne sera pas capable de les élever ; elle en fera des poupées, et favorisera le développement des défauts qui, plus tard, devenant des vices, désoleront la famille et la société.

Cette femme, mère avant l’âge, non seulement ne sera pas la compagne sérieuse, la conseillère de son mari qui, étant beaucoup plus âgé qu’elle, s’en amusera comme d’une petite fille, mais toute sa vie elle sera sa pupille et rusera pour faire sa propre volonté.

Ainsi affaiblir la femme sous tous les rapports, abréger sa vie, la mettre en tutelle, préparer des générations étiolées et mal élevées, tels sont les résultats les plus clairs du mariage précoce des femmes.

Il suffirait, pour tenir les femmes dans un servage volontaire et pour organiser le harem parmi nous, de profiter de la permission de la loi qui autorise leur mariage à quinze ans.

Pour qu’une femme ne soit pas esclave, puisse être mère sans dommage pour sa santé, et au profit de la bonne organisation des enfants ; pour qu’elle soit une épouse digne et sérieuse, prête à remplir tous ses devoirs, je le répète, il ne faut pas la marier avant vingt-quatre ou vingt-cinq ans ; il ne faut pas lui faire épouser un homme plus âgé qu’elle.

La jeune femme. Mais on prétend que le mari doit avoir dix ans de plus que la femme, parce que celle-ci vieillit plus vite ; qu’il est nécessaire qu’il ait l’expérience de la vie pour apprécier sa femme et la rendre heureuse.

L’auteur. Erreurs et préjugés que tout cela, Madame. La femme ne vieillit plus que l’homme que par le mariage et la maternité prématurés : un homme et une femme bien conservés ne sont pas plus vieux l’un que l’autre au même âge. Seulement la femme consent à vieillir, l’homme y consent beaucoup moins, puisqu’il ne rougit pas, lorsqu’il a les cheveux gris, d’épouser une jeune fille et d’afficher la ridicule prétention d’en être aimé d’amour. Il faut déshabituer les hommes de se croire perpétuellement dans le bel âge de plaire ; de s’imaginer qu’ils sont tout aussi agréables à nos yeux quand ils sont vieux ou laids que s’ils étaient des Adonis. Il faut leur redire sans cesse que ce qui est malséant pour nous l’est pour eux ; et qu’une vieille femme ne serait pas plus ridicule de rechercher l’amour d’un jeune homme, qu’un vieillard de prétendre à celui d’une jeune femme.

Le mari et la femme doivent être à peu près du même âge ; d’abord pour se traiter plus facilement en égaux, puis parce qu’il y a plus d’harmonie dans la manière de sentir et de voir et dans le tempérament, toutes choses très nécessaires à l’organisation des enfants.

Il faut encore, pour que la femme ne soit pas tentée d’infidélité : vous savez que de désordres naissent des unions disproportionnées sous le rapport de l’âge.

Il faut, dit-on, que l’homme ait vécu ; c’est l’opinion des gens qui permettent à leurs fils de jeter la gourme du cœur ; qui croient que l’homme peut se vautrer dans la fange des mauvais lieux et qu’il y a deux morales. Or, Madame, nous ne sommes pas de ces gens-là. Vous ne donnerez pas à votre fille un homme qui ait vécu, parce qu’il serait blasé, la pervertirait ou l’exposerait, par la désillusion, à chercher dans un autre ce que ne lui donne pas son mari.

Ce que nous avons dit pour votre fille, nous le dirons pour votre fils : il ne faut pas qu’il épouse une femme plus jeune que lui ; car vous ne devez pas plus vouloir une situation désavantageuse pour votre belle-fille que pour votre fille : toutes deux vous sont chères et respectables devant la solidarité du sexe.

La jeune femme. J’élèverai mon fils, Madame, de manière à ce qu’il comprenne que la formule du mariage prescrite par le Code n’est qu’un reste de barbarie ; que sa femme ne doit obéissance qu’au Devoir ; qu’elle est un être libre, son égale ; qu’il n’a de droits sur sa personne que ceux qu’elle-même lui accorde. Je lui dirai que l’amour est une plante délicate qu’on doit cultiver pour qu’elle ne meure pas ; que le sans-gène et la malpropreté la flétrissent ; qu’il doit donc soigner sa personne, étant marié, comme il le faisait pour être agréable aux yeux de sa fiancée. Je lui dirai : ne demande rien qu’à l’amour de ta femme ; rappelle-toi que plus d’un mari a excité la répulsion par la brutalité d’une première nuit de noces. Le mariage, mon fils, est une chose grave et sainte : la pureté en est le plus bel ornement ; sache que beaucoup d’hommes ont dû ladultère de leur femme aux tristes soins qu’ils ont pris de dépraver leur imagination. Bien loin d’user de ton influence sur celle qui sera la moitié de toi-même, pour la rendre docile à tes volontés, pour en faire ton écho, développe en elle la Raison, le caractère : en l’élevant, tu t’amélioreras et te prépareras un conseil et un soutien. Je t’ai marié sous le régime de la séparation de biens afin que ta femme soit armée contre toi, si tu manques à tes principes ; et si jamais tu me donnes la douleur d’y manquer, ta femme deviendra doublement ma fille ; je serai sa compagne, sa consolatrice, et je te fermerai mes bras et ma maison.

L’auteur. Très bien, Madame, et vous ferez bien d’ajouter : intéresse ta femme à ton travail ; fais qu’elle veuille toujours être occupée, parce que le travail est le conservateur de la chasteté.

La jeune femme. À ma fille, je dirai : l’ordre social dans lequel nous vivons exige, mon enfant, que tu administres ta maison ; c’est une fonction dont notre sexe ne sera relevé que dans un ordre de choses encore loin de nous. N’oublie pas que la prospérité de la famille dépend de l’esprit d’ordre et d’économie de la femme. Ce que ta fortune ou ton travail spécial te dispensent de faire, règle-le et surveille-le. Aujourd’hui, le luxe de la toilette et de l’ameublement dépasse toutes les bornes. Le luxe en soi n’est pas un mal, mais, actuellement, il est un grand mal relatif, parce qu’on n’a pas encore résolu le problème d’augmenter, de varier les produits, sans augmenter en même temps la misère et l’abrutissement des travailleurs. Sois donc simple : cela n’exclut pas l’élégance, mais seulement ces monceaux de soie, de dentelles qui traînent dans la poussière du macadam ; mais ces diamants, ces pierres précieuses qui font la fortune de quelques-uns aux dépens, de la moralité de beaucoup d’autres, et qui ne sont que des capitaux enfouis, dont la mobilisation ferait grand bien. Ne te laisse pas prendre à ce sophisme : il faut que les honnêtes femmes se parent pour empêcher les hommes de passer leur temps avec les filles de joie. Ne serais-tu pas honteuse de lutter de toilette avec des femmes que tu n’estimes pas ; et l’homme qui serait retenu par de semblables moyens, en vaudrait-il la peine ?

Je t’ai instruite de ta situation légale comme épouse, mère, et propriétaire ; je te marie sous le régime de la séparation de biens pour épargner à ton mari la tentation de se considérer comme ton maître ; pour qu’il soit obligé de prendre ton avis, et de voir en toi son associée. Malgré ces précautions, tu seras mineure, puisque la loi le veut ainsi. Mais notre loi n’est pas la Raison : n’oublie jamais que tu es une créature humaine, c’est à dire un être doué, comme ton mari, d’intelligence, de sentiments, de libre arbitre, de volonté ; que tu ne dois de soumission qu’à la Raison et à ta conscience ; que s’il est de ton devoir de faire des sacrifices à la paix dans les petites choses, et de tolérer les défauts de ton mari, comme il doit tolérer les tiens, il n’est pas moins de ton devoir de résister résolument à un brutal : je le veux !

Tu seras mère, je l’espère ; nourris toi-même tes enfants ; élève-les dans les principes de Droit et de Devoir que j’ai déposés dans ton intelligence et dans ton cœur, afin d’en faire, non seulement des femmes et des hommes justes, bons, chastes, mais des ouvriers de la grande œuvre du Progrès.

Tu connais la grande Destinée de notre espèce ; tu connais tes Droits et tes Devoirs : je n’ai donc pas à te répéter que la femme n’est pas plus faite pour l’homme que celui-ci pour celle-là ; qu’en conséquence, la femme ne peut, sans manquer à son devoir, se perdre et s’absorber dans l’homme : car elle doit aimer avec lui ses enfants, la patrie, l’humanité ; elle doit plus à ses enfants qu’à lui-même ; et, entre l’égoïsme de la famille et les sentiments généraux d’un ordre plus élevé, la femme ne doit pas plus hésiter que l’homme à sacrifier les premiers à la Justice.

L’auteur. On dira, Madame, que vous enseignez bien virilement votre fille.

La jeune femme. Puisque de nos jours les hommes jouent de la mandoline, ne faut-il pas que les femmes parlent sérieusement ?

Puisque des hommes, au nom de leur naïf égoïsme, prétendent confisquer la femme à leur profit, lui vantent les charmes du gynécée, suppriment ses droits et lui prêchent les douceurs de l’absorption, ne faut-il pas que les femmes réagissent contre ces doctrines soporifiques, et rappellent leurs filles au sentiment de la dignité et de la personnalité ?

L’auteur. Je vous approuve de tout mon cœur :

Maintenant que nous sommes d’accord à peu près sur tous les points, nous n’avons plus qu’à nous résumer et à donner l’ébauche des principales réformes nécessaires à opérer pour que la femme soit placée dans une situation plus conforme au Droit et à la Justice.