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Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 2/11/05

La bibliothèque libre.
Imprimerie de Chatelaudren (2p. 219-237).


V

LA TECHNIQUE DE L’IMPOSITION


L’imposeur est généralement un ouvrier que son intelligence élève au-dessus de ses collègues et qui doit sa situation à une connaissance complète du métier : composition, mise en pages, tableautage, correction sous presse, l’imposeur sait tout cela et a exécuté ces divers travaux.

L’imposeur connaît aussi les différents genres de machines de la Maison où il travaille, leur format exact, le genre de châssis qu’elles exigent, leur prise de pinces, leurs qualités, leurs défauts, ainsi, hélas ! que les… manies et les dadas de chaque conducteur.

Il lui faut se souvenir sans hésitation de tous les formats de papier, grands et petits, dont il plaît aux éditeurs de panacher leurs productions. Sa mémoire impeccable ne se troublera jamais devant l’imposition la plus imprévue non plus que dans le dédale des divers blancs de tous les ouvrages en cours ou de toutes les impositions.

À cela l’imposeur joindra une grande habileté manuelle, une véritable dextérité et une délicatesse du toucher, indispensables pour lier et délier sur le marbre ou même sur les machines des pages de toutes les grandeurs, interlignées ou non.

Son métier est tout de patience : il matera ses nerfs, lorsqu’il rejustifie nombre de lignes, lorsqu’il parfait un alignement, lorsqu’il vérifie une hauteur de page ; il surveillera son caractère, lorsqu’il serre et desserre pour un tableau, lorsqu’il dresse un bois, lorsqu’il transpose une page au folio erroné ; il fera surtout preuve de la plus sereine des philosophies lorsque, « peu foulé », il emploie ses loisirs aux besoins du moment, lorsque, dans un moment de presse on exige de lui un rude coup de collier, lorsque dans le fouillis des paquets et la confusion des travaux les explications font parfois défaut.

Ses accès d’humeur seront de courte durée : c’est, un sage qui ne s’offense de rien et qui n’attend rien : ni encouragements, ni satisfactions d’amour-propre, car sa tâche est et restera obscure. Elle n’apparaît en rien, le livre terminé, et ne lui apporte ni lustre ni même un… simple merci.


PRÉLIMINAIRES


Dès qu’on veut commencer l’imposition, il ne faut pas perdre de vue les précautions à prendre : vérifier les titres des colonnes, les rubriques, les folios, les manchettes, les figures et leurs légendes, les tableaux, les notes. Toutes les lignes fraîchement composées ou corrigées ont tendance à se disloquer, à pencher de droite et de gauche, n’ayant entre elles aucune adhérence ; on est exposé à les intervertir, comme cela arrive, d’ailleurs, pour les caractères neufs qui ont tout le poli du métal et qui glissent les uns sur les autres. Il sera donc prudent d’avoir toujours à sa portée toutes les garnitures nécessaires, soigneusement disposées. Il peut arriver, il arrive même souvent que, dans les compositions pour lesquelles des caractères neufs ou des lignes-blocs ont été utilisés, des parcelles de métal se détachent des lignes : on en trouve tantôt sous les lignes, tantôt entre elles ; ces parcelles seront enlevées soigneusement, et on brossera très fortement pour débarrasser le texte des éclats qui, logés parfois entre les lettres, émergent à la surface comme autant de petites pointes. Au besoin on les cassera, si elles résistent à l’effort de la brosse.


L’IMPOSITION


Au moment de l’imposition, le marbre est soigneusement nettoyé et débarrassé de toute scorie. La moindre souillure qui adhérerait au pied de la lettre risquerait de s’y fixer ; en surélevant légèrement le caractère, elle l’exposerait à être infailliblement écrasé par le taquoir, au serrage de la forme, ou par la presse, dès le début du tirage.

Pour les presses à retiration, « le nombre de pages composant une feuille se trouve divisé en deux parties égales, dont chacune est disposée pour imprimer l’un des côtés du papier ». L’imposition a donc lieu par côté, à raison de deux formes pour une feuille : côté de première, ainsi appelé lorsque la forme est celle dans laquelle se trouve la première page de la feuille ; côté de deux, parce que le châssis contient la page 2.

Ainsi, pour une feuille in-8, le côté de première comprend les pages 1, 4, 5, 8, 9, 12, 13 et 16 ; et le côté de deux, les pages 2, 3, 6, 7, 10, 11, 14 et 15. Ici dans chaque côté de feuille ou fraction de feuille, sauf le côté de première qui contient les pages 1 et 16, les pages se succèdent de deux en deux ; il en est de même dans toutes les impositions, si l’on envisage presque isolément chaque feuille ou, le cas échéant, chacune des fractions qui composent cette feuille ; cependant certains formats font exception à cette règle, tel l’in-18 en un cahier, comme on le verra plus loin.

Ces désignations — côté de première, côté de deux — sont parfois toutes relatives : dans les tirages à grand format, double ou quadruple, il arrive en effet que l’on marie, que l’on impose pour être tirées en même temps, deux ou quatre feuilles du même travail ; fréquemment, dans ces cas, pour des raisons d’assemblage, on impose dans un même châssis un côté de première et un côté de deux, alors qu’un autre châssis contient un côté de deux et un côté de première. Toujours alors la forme qui contient la page 1 de la feuille dont la désignation est la plus faible dans l’ordre numéral reçoit le nom de côté de première. Les tirages sur rotatives donnent lieu à la même observation : suivant que la sortie de la feuille imprimée a lieu à plat, à un ou plusieurs plis roulés, l’imposition est différente, et la dénomination côté de première ou côté de seconde n’a plus souvent qu’une valeur toute relative.

À ce sujet, on peut dire qu’il est indispensable, toutes les fois que l’on aura plusieurs côtés de feuilles différentes à imposer dans un même châssis, d’adopter dans une Maison une règle uniforme. Ainsi le côté de deux, ou plutôt la première feuille des côtés de deux, sera toujours à droite sur le marbre et à main droite de l’ouvrier lorsqu’il a la feuille devant lui, le bas de la feuille 2 le plus rapproché de son corps. Il va de soi que les côtés de première doivent toujours être établis en rapport avec les côtés de deux.

L’intérêt qu’il y a à adopter une règle immuable est évident : on écarte toute chance d’erreur, on évite toute explication superflue ou hors de propos, s’il y a changement d’ouvrier. En tout, d’ailleurs, il est indispensable d’avoir une méthode.

En raison du format, du petit nombre de pages, du modèle ou de la grandeur de la presse, l’ensemble des pages composant la feuille peut être imposé en une seule forme. Cette disposition est utilisée pour les tirages en blanc, c’est-à-dire pour les tirages dans lesquels, en raison du genre de la machine, l’impression a lieu d’un seul côté du papier, l’autre côté étant imprimé seulement par un deuxième passage de la feuille sous presse.

Les pages, classées par le metteur en pages suivant les côtés, sont placées sur le marbre ; l’imposeur les dispose dans l’ordre exigé par le format, in-8, in-12, in-18, etc. Les macules sur lesquelles elles reposent sont enlevées : la main gauche saisit le porte-pages à l’une de ses extrémités ; la droite étendue sur la page la soulève légèrement, en l’inclinant de dedans en dehors, et aide ainsi à l’échappement. Ce système est le plus couramment usité : contre les accidents toujours trop fréquents, par suite des grandes dimensions de la page, d’un mauvais liage, d’un bois à habillage défectueux, etc., il présente une sécurité relative que seuls peuvent tenir en échec une évidente maladresse ou un débutant impressionnable. Mais, quels que soient ses avantages, la méthode n’est pas sans présenter quelque inconvénient : l’enlèvement de la macule est parfois trop hâtif, alors que la page est, encore insuffisamment levée ; il peut être également un peu brutal ; la macule elle-même est des plus défectueuses, par raison d’humidité, de détérioration, ou de toute autre cause : alors elle se déchire, et des fragments restent, accrochés au pied de la lettre qu’ils surélèvent, l’exposant aux inconvénients signalés plus haut, si on n’y porte immédiatement remède.

Aussi l’enlèvement du porte-pages est-il effectué fréquemment d’autre manière : la main droite saisit la page toujours supportée par le porte-pages, le pouce et les doigts appliquant celui-ci de part et d’autre de la composition ; la main gauche largement étendue, et dans une position presque verticale, reçoit la composition, et, s’inclinant de dedans en dehors, la supporte horizontalement ; écartant les bords du porte-pages, à nouveau l’ouvrier reprend la page à l’aide de la main droite « dont l’index s’étend sur le revers de la ligne de pied, les trois autres doigts embrassant l’extrémité droite des lignes, et le pouce replié sur le bord sur l’extrémité gauche ». Le porte-pages est abandonné à la main gauche, cependant que la page est carrément posée sur le marbre.

Les porte-pages enlevés, il est-indispensable de vérifier avec le plus grand soin si chaque page occupe bien la place qui lui est assignée par l’ordre d’imposition : ce simple coup d’œil suffit en maintes circonstances pour éviter une erreur dont les conséquences sont parfois fort ennuyeuses.

Soit un côté de première de feuille in-8. En additionnant le folio de la première et de la dernière page de la feuille, on obtient un chiffre qui doit se retrouver constamment le même dans l’addition des autres pages deux à deux, le folio de la page de marge s’additionnant avec le folio de la page intérieure placée immédiatement à côté.

Exemple, côté de première :

  24 25   28 21
17 32 29 20

Le premier folio de la feuille

17 + le dernier folio 32 = 49 ;


ce chiffre devra se retrouver dans toutes les autres additions :

  17 + 32 = 49   24 + 25 = 49  
29 + 20 = 49 28 + 21 = 49

En procédant de la même façon dans l’addition des folios des pages du côté de deux, on doit obtenir le même chiffre 49 :

  22 27   26 23
19 30 31 18
  19 + 30 = 49   31 + 18 = 49  
22 + 27 = 49 26 + 23 = 49

Dans la pratique, pour simplifier les calculs et pour aller plus vite, une fois le premier résultat obtenu, soit dans l’espèce 17 + 32 = 49, on tient seulement compte du dernier chiffre, soit 9. Les calculs, pour le côté de première, donnent ainsi :

  7 + 2 = 9   9 + 0 = 9  
4 + 5 = 9 8 + 1 = 9

Dans une feuille in-18, l’addition donne un certain chiffre pour le carton in-12 ; mais pour le demi-carton in-12, ou, plus exactement, pour la feuille in-6, elle donne un chiffre autre :

  48 49   52 45   68 65  
44 53 56 41 64 69
37 60 57 40 61 72
* **

Chiffre de base

37 + 00 = 97, ou 7 pour le grand carton in-12 ;
61 + 72 = 133, ou 3 pour le petit carton in-12 ;
  7 + 0 = 7   7 + 0 = 7   1 + 2 = 3  
4 + 3 = 7 6 + 1 = 7 4 + 9 = 13
8 + 9 = 17 2 + 5 = 7 8 + 5 = 13

En outre, si l’on additionne la première page avec la page paire du milieu du carton (qui se place toujours tête à tête avec la première), on obtient un chiffre-total qui se retrouve à tous les coins du papier occupé par le carton.

Feuille in-8, côté de première :

  24 25 28 21  
17 32 29 20
*
17 + 24 = 41xxxxxxxxxxxx20 + 21 = 41

La page impaire du milieu du carton se place toujours tête à tête avec la dernière ; l’addition des folios de ces deux pages produit une somme, que doit donner également l’addition des folios des pages placées au milieu du cahier :

  24 25 28 21  
17 32 29 20
32 + 25 = 57xxxxxxxxxxxx29 + 28 = 57

Ces moyens de vérification, d’une simplicité remarquable, peuvent être utilisés par tous les imposeurs. On reconnaît immédiatement ou une erreur d’imposition, ou une erreur de foliotage, sans avoir à exécuter des recherches fastidieuses par la comparaison du texte sur le plomb et du texte de l’épreuve.

Il ne faut pas cependant négliger la revision de l’imposition avec les épreuves : elle rend des services ; cette revision est, d’ailleurs, indispensable pour les pages qui n’auraient pas de folios, tels que titres ou têtes de chapitres, lorsqu’il s’en rencontre plusieurs dans une même forme.

La vérification terminée, l’imposeur dégage et ramène vers le haut de la lettre l’extrémité de chaque ficelle liant la page ; une ficelle prise sous la composition ou sous la garniture, parfois même sous le châssis, oblige à une manœuvre supplémentaire — page ou châssis soulevé, garniture retirée — qu’il est préférable de prévenir.

Les pages sont alors légèrement serrées les unes contre les autres, sauf à l’emplacement où se rencontrera la barre du châssis. Cette précaution est nécessaire. En posant le châssis sur le marbre, il faut en effet prendre garde qu’aucune de ses bandes ou sa barre ne vienne en contact avec la lettre. Toute lettre touchée est, presque à coup sûr, une lettre mise hors de service, pour le moins sérieusement endommagée et dont le remplacement est presque obligé.

Les châssis choisis doivent être en excellent état : les bandes exemptes de toute aspérité ou de coups, la barre transversale solidement fixée, et l’ensemble rigoureusement d’équerre. Posé sur le marbre, le châssis doit se présenter suivant un plan horizontal, c’est-à-dire reposer uniformément, par toutes ses parties sur la surface qui le supporte ; un châssis dont un angle baisse, alors que l’autre se relève, en formant une sorte de bascule, ne saurait être utilisé : c’est un châssis qui a perdu ses qualités essentielles et qui expose, ses défauts s’aggravant sans cesse, aux accidents les plus regrettables.

Les deux châssis employés, côté de première, côté de deux, pour le tirage en retiration d’une feuille doivent, en théorie, être identiquement semblables ; il est bon, avant l’imposition, de s’en assurer en les superposant. On remédie aux légères différences que peuvent présenter parfois entre elles les barres médianes par l’emploi de lingots et d’interlignes ; « la précision du registre, au tirage, dépend en grande partie de cette rigoureuse conformité ».

D’une manière générale, dans nombre d’imprimeries, les châssis sont numérotés et appareillés deux à deux, afin de faciliter le travail.

Il y a, lors du tirage d’un labeur, un avantage certain — rapidité d’exécution, économie de matériel — à utiliser, tout le cours de ce tirage, mêmes châssis et garnitures. Si l’impression doit être exécutée rapidement, et même sans invoquer ce motif, il est d’usage, lorsque le travail est d’importance suffisante, d’établir plusieurs garnitures : deux, par exemple, sont au tirage, alors que deux autres sont imposées et préparées pour la mise sous presse. D’autre part, durant tout le travail, châssis et garnitures conservent leur affectation primitive : ainsi le matériel utilisé lors du tirage de la première feuille pour l’imposition du côté de première continuera à être employé pour le côté de première de toutes les autres feuilles. Outre l’avantage d’une rapidité d’exécution qui ne saurait échapper à un esprit même prévenu, et qui a été déjà mentionné, cette manière d’agir présente pour la régularité de la confection de la garniture une sécurité relative : un blanc de garniture correctement établi pour la première feuille se conservera régulier pour toutes les feuilles suivantes, à moins d’une faute grossière de la part de l’imposeur.

Il n’est pas indifférent de placer le châssis dans un sens ou dans l’autre. On a déjà vu que « la barre des châssis in-4 porte une petite crénure ou entaille vers ses deux extrémités à cause de la rencontre des pointures au tirage, dans les machines en blanc. Il est donc important, lors de l’imposition, de placer les châssis les crénures en dessus ». D’ailleurs, dans les Maisons où chaque châssis porte son numéro d’ordre, ce numéro est gravé en dessus.

Les dimensions des châssis doivent être en rapport avec la composition qu’ils doivent renfermer. Il est irrationnel pour l’imposition d’une feuille carré d’utiliser un châssis raisin ou autre. On s’expose, malgré tous les soins apportés au serrage, à de regrettables accidents, lors de la mise sous presse ou de l’enlèvement du marbre ; d’autre part, cette méthode immobilise un matériel garnitures beaucoup plus important, qui peut faire défaut. Une forme n’est d’ailleurs bien imposée que si la composition occupe exactement le centre de celle-ci. Ainsi on impose à peu près au milieu de la ramette toute composition qui, à l’imposition, ne comporte qu’une seule page ; le serrage latéral a lieu à gauche.

Le châssis en place, on procède à la répartition, dans la forme, des blancs de garniture. On commence par le blanc du côté droit, de la barre médiane ; le blanc de fond vient ensuite, puis les têtières, et enfin les marges de côté et de pied. On passe ensuite au côté gauche, en suivant le même ordre. En plaçant les garnitures, le bout de la ficelle qui enserre chaque paquet est dégagé, de manière à pouvoir délier sans inconvénient la page, le moment venu.

L’emploi des garnitures ou des lingots en contact direct avec le fer du châssis est à éviter soigneusement, il est bon de le rappeler : la moindre aspérité, le moindre coup formant saillie ou creux sur la bande, la moindre différence dans une équerre de la barre se reproduiront infailliblement sur la garniture et le lingot, qui maintes fois alors perdront de leur précision rigoureuse ; une interligne, une réglette préviendront tous ces inconvénients et contribueront à la solidité de l’ensemble : c’est une précaution indispensable.

Non moins nécessaire est l’emploi de la réglette en bois dans l’imposition des blocs pour clichés : ceux-ci sont maintenus au moyen de griffes ; malgré certains systèmes fort ingénieux de cadrats avec lesquels elles se combinent, ces griffes débordent légèrement au delà de l’alignement du bloc. Si l’imposeur a négligé de placer, le long du bloc, une réglette en bois, on peut constater, le tirage terminé, que les lingots, surtout ceux à colonnes, sont complètement faussés au point où portaient les griffes.

Les garnitures de têtes, ou têtières, sont de longueur légèrement inférieure à la composition ; par contre, les garnitures de côté, ou latérales, sont de hauteur supérieure à celle des pages. La raison de ce fait est aisée à comprendre : la compression d’un texte au serrage se fait surtout dans le sens de la hauteur de la page ; la différence de longueur que présente la garniture ne donne lieu à aucun inconvénient, les interlignes servent de soutien au texte et répartissent uniformément la pression du serrage ; par contre, le serrage exerce, dans le sens de la justification, une compression bien moindre en raison de la butée qui ne tarde pas à se produire sur chacune des extrémités des interlignes ; une garniture latérale de longueur, même très légèrement inférieure à la hauteur de la page, présenterait un grave inconvénient : elle ne pourrait s’opposer à l’échappement des lettres latérales des lignes de tête ou de pied ; les interlignes de ces mêmes lignes glisseraient, produisant des chevauchements d’aspect fort désagréable ; avec un texte compact, un soleil, une mise en pâte en seraient le corollaire presque obligé.

Des garnitures ou des lingots sont également placés aux extrémités — base et côté — libres des pages, entre les bandes du châssis ; on réserve seulement l’espace nécessaire pour les biseaux et les coins de serrage.

Une recommandation qui a son importance, et qui cependant est fort rarement mise en pratique, est celle de « mettre de la monnaie dans le côté, de première ».

« Mettre de la monnaie » consiste tout simplement à « jeter des fractions de 12 points dans les blancs où l’on pourrait faire usage des garnitures sur un nombre exact de cicéros » ; pour mettre, par exemple, un blanc de 6 douzes, on utilisera un 4, un 1, deux lingots de 6 points, ou toute autre combinaison.

Cette manière de faire n’est certes point obligatoire, mais elle a son utilité et ses avantages : elle permet au conducteur de « faire son registre » à coup sûr et beaucoup plus rapidement. Les modifications dans les blancs auxquelles il est parfois obligé afin de « faire tomber une page première sur la page correspondante côté seconde, sont plus aisées ; si même la « monnaie » est suffisante, le registre est parfait au premier coup, sans tâtonnement et sans dérangement inutile.

Lorsque les nécessités du matériel, la longueur de la justification ou d’autres motifs obligent à l’emploi de garnitures ou de lingots en deux morceaux, il est indispensable d’utiliser des pièces de justification dissemblable. Ces pièces sont toujours, comme les interlignes dans la composition, croisées par opposition de longueur. Les garnitures latérales ne sauraient présenter entre elles le moindre vide, sous peine d’aider au glissement d’une interligne ou de laisser échapper une lettre. Par contre, dans les têtières un léger intervalle peut exister entre chacune de leurs fractions qui, de préférence, seront rapprochées clés extrémités des lignes. Une têtière, en un seul morceau, mais de longueur inférieure à la justification, est « poussée de préférence du côté du folio ».

Les interlignes, qui, le cas échéant, complètent un blanc de garniture, sont toujours placées près de la composition.

La forme garnie, on place les biseaux.

La garniture terminée, l’imposeur s’assure d’un coup d’œil que l’ensemble est régulier, qu’il n’a commis aucune omission, et il se prépare à délier les pages.

L’ordre dans lequel les pages sont déliées est le même que celui suivi lors du placement des garnitures. L’imposeur commence, au côté droit, par la page la plus voisine de la barre médiane et la plus éloignée de lui : page 10 pour un côté de deux, et page 12 côté de première.

De la main droite il saisit le bout saillant de la ficelle qu’il tire doucement, pendant que la main gauche largement étendue maintient l’ensemble de la page, et plus particulièrement les bords, afin que rien ne s’échappe ou ne tombe. À chaque tour, la main gauche, se lève pour le passage de la ficelle, puis se replace aussitôt. En déliant, il est indispensable, de temps à autre, même presque à chaque tour de ficelle défait, de rapprocher la garniture légèrement ou de pousser la page soit vers la barre, soit vers le fond, si quelque accident est à redouter. Pendant, ce temps, les yeux ne doivent pas abandonner la composition, afin de vérifier s’il ne se produit point de chevauchement, ou si quelque malencontreuse lettre ne va pas disparaître entre la page et la garniture.

Au cours de ces diverses opérations, la composition doit être poussée parfaitement d’équerre : il faut éviter avec le plus grand soin en effet, surtout dans un texte plein, que la lettre ne se « couche », car alors, le caractère portant à faux, la lettre pique au tirage malgré la mise en train, l’œil placé obliquement s’écrase en une partie, alors que l’autre paraît imparfaitement.

La page déliée, elle est franchement poussée vers la barre médiane et sur la garniture de pied ; puis le blanc de fond est appuyé le long de la composition, ainsi que le blanc de tête. La page 10 (ou 12) en place, on passe à la page 15 (ou 13) qui, déliée, est serrée également sur la barre médiane et poussée sur la têtière, pendant que la garniture du petit fond est rapprochée d’elle, et la garniture de pied appuyée sur la dernière ligne. On délie ensuite successivement la page 7 (ou 5), puis la page 2 (ou 4), en répétant toujours les mêmes opérations.

Les pages du côté droit en place, on ajuste, le long des garnitures latérales et de pied, le grand biseau sa partie forte vers la barre (c’est-à-dire vers le pied de la page 5 ou 7), puis le petit biseau sa partie forte vers la barre médiane. Avec le bout des doigts, parfois doucement avec la paume de la main, les pages sont légèrement battues, pour bien dresser la composition et descendre les quelques espaces levées au cours de ces différentes manipulations.

Les coins de côté, puis ceux de pied sont intercalés à la main entre le biseau et le châssis ; s’il est nécessaire, une légère pesée effectuée à l’aide du marteau entre l’un et l’autre aide à leur mise en place ; mais ils sont simplement serrés à la main et maintenus dans une position presque droite.

Les pages du côté droit de la forme déliées et serrées, l’imposeur passe au côté gauche, en procédant comme précédemment : le long de la barre médiane, page 9 (ou 11), puis page 16 (ou 14), enfin page 8 (ou 6) et page 1 (ou 3). Les biseaux et les coins sont placés comme ceux du côté droit.

L’imposeur évitera de mettre la boîte aux coins sur la forme, malgré tout son désir d’avoir à proximité de sa main une ample provision de coins. Mieux encore, il se gardera soigneusement de traîner cette boîte sur le caractère : elle est en bois, il est, vrai, mais pour l’assemblage le menuisier aura certainement employé quelques pointes, et, quel que soit le soin avec lequel l’imposeur amène vers lui contenant, et contenu, le caractère en souffrira sûrement.

Renverser sur la forme le contenu de la boîte, coins et détritus, n’est certes pas plus recommandable ; si aucune lettre n’est égratignée ou détériorée, nombre d’entre elles sont, pour le moins, encrassées de poussières, de parcelles minimes de bois, etc. Après un lavage superficiel, la presse, au premier tour de cylindre, aura causé des dégâts plus redoutables que la boîte.

Si l’ouvrier tient, à avoir à sa disposition immédiate un choix de coins, il prendra une ou deux macules ou feuilles de papier, pliées en plusieurs épaisseurs, sur lesquelles il placera sa provision de coins. L’imposition terminée, au lieu de ramasser les coins, par poignée sur la forme, il suffira d’enlever les papiers et de reverser le contenu dans la boîte.

Le nombre, des coins est, d’ailleurs, variable : il dépend de l’emplacement disponible entre la bande du châssis et le biseau, ainsi que de la longueur et de la force de ce dernier.

Le serrage s’exécute avec un coin unique, si le blanc qui existe le long du châssis est de moyenne grandeur. Par contre, mieux vaut employer deux coins de force légèrement au-dessous de la moyenne, opposés l’un à l’autre — le premier dans le sens même du biseau — au lieu d’un coin très large, lorsque le blanc atteint une certaine importance.

Pour diverses raisons — manque de garnitures, grandeur des châssis hors de proportion avec l’importance du texte, etc. — l’emplacement libre pour le serrage, peut se trouver exagéré et dépasser l’épaisseur des coins les plus larges dont on dispose, ou bien le serrage ne présente point une sécurité suffisante. Nombre de typographes conseillent, dans ces cas, l’emploi de deux biseaux placés l’un du côté du texte, l’autre le long de la bande du châssis. Le serrage se fait entre les deux biseaux, à l’aide de deux coins d’épaisseur voulue.

Quelques imposeurs ont parfois recours à un serrage à trois coins dont les biseaux sont opposés les uns aux autres. Ce système ne paraît offrir qu’une sécurité toute relative ; en tout cas, fréquemment les coins s’harmonisent de manière plutôt défectueuse. Il est préférable d’avoir recours à l’emploi de deux biseaux, qui, d’ailleurs, est beaucoup plus expéditif.

Le chiffre des serrages sera plus ou moins élevé : pour une feuille in-8 carré, généralement leur nombre est de trois pour le côté et de deux pour le pied ; pour une feuille in-18, on emploie sur le côté quatre serrages et trois en pied.

Il est, d’ailleurs, indispensable que le serrage soit parfaitement régulier, c’est-à-dire que la pression exercée par les coins en un point du biseau soit la même sur toute la longueur de ce biseau.

Il faut d’ailleurs remarquer que l’emplacement occupé par les coins ne saurait être arbitrairement fixé ; le choix de ce point est soumis à des règles fixes dont le but principal est la répartition régulière sur l’ensemble du biseau — et par suite sur la composition — des efforts produits par le serrage.

Dans un côté de première de feuille in-8, côté droit, les coins sont répartis de la manière suivante sur le grand biseau : vers le bas de la page 5, au milieu de la têtière entre les pages 4 et 5, vers le bas de la page 4 ; pour le petit biseau, l’emplacement est le suivant : vers le premier tiers, coin gauche, de la page 13 ; vers le dernier tiers, coin droit, de la page 4. Au côté gauche, les coins sont placés sur le même plan que les coins du côté droit.

Ces positions sont, peut-on dire, les points extrêmes que peuvent occuper les coins ; en aucun cas, on ne saurait les buter contre la bande du châssis vers laquelle, lors du serrage final, le marteau les chassera ; le desserrage de ces coins serait d’ailleurs presque impossible, sans risque de les détruire, en raison de l’impossibilité de passer le nez du chasse-coin ou décognoir.

Trop d’imposeurs oublient volontairement ces principes élémentaires et créent aux conducteurs et aux tierceurs de multiples désagréments : pages creuses, filets de cadre faussés, extrémités de pages piquant du nez, habillages de guingois, etc.

Les coins placés, l’imposeur examine l’ensemble de sa forme et remédie, le cas échéant, aux multiples défauts qui se présentent et qui ont déjà été succinctement énumérés : les pages seront rigoureusement droites, ne présentant aucun travers (pages de guingois), si minime soit-il ; les habillages de gravure, parfaitement d’équerre ; toutes les garnitures convenablement et régulièrement établies ; aucun lingot, aucune réglette en bois, trop longs, susceptibles de nuire au serrage ; aucun blanc court, capable de faire tourner les bas de pages, s’il ne porte pas exactement au milieu de celles-ci ; les lettres des bords de pages, maintenues par l’interligne ou la garniture, ne chevauchant pas ; dans une composition non interlignée, la rectitude de la ligne conservée, sans courbure ni, à plus forte raison, « soleil » ; dans un tableau, la soudure parfaite des angles des filets de cadre ; pour une opération mathématique ou algébrique, aucun terme ou signe tombé ou parangonnage dérangé, etc.

Cette vérification terminée, le compositeur pourra taquer sa forme, mais non sans s’être assuré qu’aucun corps étranger, papier, fragments de lettres ou d’espaces brisées, esquilles de bois ou autre, n’est resté sur la composition : toute lettre atteinte est une lettre perdue.

Sous l’action du taquoir, légèrement frappé à deux ou trois reprises par le marteau ou le maillet en bois[1], la lettre cède, et l’ensemble de la page repose sur le marbre parfaitement d’aplomb. D’autre part, le taquoir, répétons-le, ne doit jamais être traîné sur la page ; il risquerait d’égratigner l’œil d’une lettre ou d’un signe qui par hasard déborderait au-dessus de la composition ; tout au contraire, il est franchement levé, puis posé bien à plat, et alors seulement frappé par le marteau. Enfin, pour être réellement efficace, le taquage doit être effectué alors que la forme est desserrée ; le taquoir à semelle tendre est alors suffisamment efficace.

Dans une forme in-8, on taque dans l’ordre suivant : pages 4, 5, 12 et 13 ; pages 16, 9, 8 et 1.

Dans nombre d’imprimeries, où les formes sont pointées immédiatement aux machines, sitôt l’imposition terminée, l’imposeur abandonne cette opération du taquage aux bons soins de l’imprimeur obligé de desserrer dès la mise sous presse. La répétition d’une opération d’une valeur toute relative au moment de l’imposition est ainsi évitée. Sans doute, le taquage est utile ; il est même nécessaire, indispensable ; mais quelques ouvriers accomplissent si brutalement et si inconséquemment ce travail, qu’il est permis de réduire au strict minimum les cas où il est bon d’y procéder : moins de lettres cassées, moins de signes écrasés, moins de bords de pages égratignés, sans compter plus de silence que ne viendra point rompre inopportunément le roulement continu d’un taquage à tour de bras, tel sera le gain réalisé à maintes reprises.

Le taquage exécuté, on procède à un léger serrage, pour permettre de sonder la forme. Si aucune lettre ou partie de garniture ne bouge, on serre définitivement les coins, et on les abat. L’opération se fait d’ailleurs toujours, en deux ou trois reprises, en procédant par serrages progressifs.

La composition présente, on l’a vu, une élasticité, donc une facilité de compression plus grande dans le sens de la hauteur de la page : dès lors, de toute évidence, pour obtenir le maximum d’effet que l’on attend de lui, le serrage doit commencer par le petit biseau, placé en pied des pages ; le serrage latéral, exécuté sur le grand biseau, complète le serrage en hauteur et dès lors doit alterner avec lui. Le serrage doit donc être effectué dans l’ordre suivant, tout en jetant de temps à autre un coup d’œil sur l’ensemble de la forme pour s’assurer que « tout va bien » : feuille in-8, côté de première et côté droit : coin de la page 13, coin de la page 5 sur le biseau de côté, coin de la têtière entre les pages 4 et 5, coin du pied de la page 4, et enfin coin du grand biseau, sur la partie latérale de la page 4. Le serrage de la partie gauche s’exécute dans le même ordre.

Il est, d’ailleurs, indispensable de maintenir entre les deux parties du châssis un équilibre rationnel et de ne pas exercer sur les bandes d’un côté une pression anormale au profit des barres du côté opposé : à cet effet, le serrage s’exécute progressivement comme on l’a vu, dans l’ordre indiqué, et successivement du côté droit au côté gauche.

Il arrive parfois, par exemple pour l’imposition d’une fraction de feuille, qu’une moitié seulement du châssis soit utilisée : dans ce cas, un biseau, aussi fort et résistant que possible, s’arc-boutant sur la bande latérale, au milieu du côté vide, s’appuie à la barre médiane ; la poussée exercée lors du serrage sera ainsi reportée, par l’intermédiaire du biseau, sur la bande latérale ; la barre médiane ne courra dès lors aucun risque d’être faussée.

Le desserrage s’opère, comme le serrage, progressivement : les coins de l’intervalle le plus étroit sont d’abord dégagés à l’aide du décognoir, en commençant par ceux placés à l’extrémité la plus forte du biseau : puis ils sont redressés et poussés à la main, afin d’éviter, pendant le desserrage du deuxième biseau, une mise en pâte ou la dislocation des coins ou même de l’intérieur des pages.

Le desserrage n’est point, comme trop d’ouvriers sont portés à le croire, une opération accessoire que l’on peut exécuter « par-dessous la jambe ». Ceux-là, utilisant le marteau, à l’exclusion du décognoir, qu’ils veulent ignorer, frappent quelques coups à côté : « ils éreintent le châssis, écornent deux ou trois lingots, décapitent nombre de lettres et sabrent les coins auxquels ils s’attaquent. Pour n’avoir point voulu utiliser un instrument modeste, que par hasard leurs yeux n’ont point aperçu dès l’abord, ils sont les destructeurs d’un matériel contre le mauvais état duquel ils seront les premiers et les plus ardents à protester à la première occasion. Inconscience d’un moment, manque d’éducation professionnelle dont tous supportent les regrettables conséquences. »

Toute forme, qui, sitôt son imposition, n’est point remise aux machines, doit porter une inscription qui lui constitue une sorte d’état civil. À cet effet, on inscrit au dos, sur les bandes du châssis, et de manière très apparente, le titre de l’ouvrage, le nom de l’auteur, la tomaison du volume, le numéro de la feuille et l’indication du côté ; on peut, d’ailleurs, utiliser toute autre désignation plus rapide permettant de cataloguer immédiatement la forme. Toute forme, quelle qu’elle soit, et particulièrement les formes isolées ou d’encart, reçoivent des indications très nettes pouvant faciliter les recherches. Ces divers renseignements seront mis autant que possible à l’abri des causes qui entraîneraient leur disparition, et la conservation en sera assurée avec soin.

La conservation des formes imposées est à surveiller de manière toute particulière. L’un des principaux inconvénients du serrage à l’aide de coins de bois est, on l’a vu, l’influence exercée sur eux par la température. Par suite de la sécheresse, le bois subit, une diminution appréciable, rendant illusoire même le serrage le plus soigné.

Le remède le plus simple est assurément un serrage nouveau : si la forme, tenue d’aplomb, est encore suffisamment résistante, les coins sont, à l’aide du décognoir, chassés avec précaution vers l’extrémité forte du biseau.

Lorsqu’elle présente trop de risques de rupture, la forme est appuyée contre un ais, puis, toujours sur ce support, placée sur le marbre ou sur le sol. On procède alors sans crainte à une vérification et à un renouvellement du serrage : les coins existants, encore utilisables, sont serrés ; ceux jugés impropres à un plus long emploi sont écartés et remplacés par d’autres en excellent état et parfaitement secs ; enfin, pour diverses raisons, si la quantité des serrages est jugée insuffisante, on augmente leur nombre.

Sans recourir à ces diverses opérations qui nécessitent un certain délai, quelques typographes recommandent un procédé assez simple : la forme et particulièrement les bois — biseaux et coins — sont abondamment aspergés d’eau : une adhérence momentanée de la lettre se produit, et au bout de quelques heures coins et biseaux ont suffisamment gonflé pour écarter tout péril immédiat de rupture et de mise en pâte. Mais il ne faut pas oublier que ce procédé, très expéditif, n’est qu’un expédient : il n’a d’autre valeur que celle qu’il acquiert de sa rapide efficacité et de l’impossibilité où l’on se trouve momentanément de recourir à un serrage normal ; il offre, d’autre part, le grave inconvénient de présenter, au bout de quelque temps, toujours en raison de l’influence de la température sur le bois, le danger auquel on s’est efforcé d’échapper ; et ce danger s’aggrave de la sécurité relative que l’on estime avoir obtenue et qui conduit ultérieurement à une négligence complète de toute surveillance.

Le tirage exécuté, les formes dont la conservation n’est pas nécessaire sont appelées formes de distribution. Sur le point d’être retirées de la presse, elles sont, pour enlever toute trace d’encre, convenablement lavées à l’essence, avec une brosse suffisamment souple ; puis portées immédiatement à l’atelier de composition, lorsqu’elles contiennent des gravures en zinc, ou quelque autre métal sujet à oxydation. Si, au contraire, les formes contiennent exclusivement un texte en alliage de fonte, après leur lavage à l’essence, elles sont portées à la laverie ; là elles subissent un nouveau lavage avec une dissolution de potasse ou une lessive de composition analogue ; puis elles sont abondamment rincées à l’eau sous pression ou sous jet assez violent, afin d’éliminer toute trace de potasse, de lessive ou d’essence. Légèrement égouttées, les formes sont amenées à la composition, ou, le cas échéant, suivant l’organisation de la Maison, à l’atelier d’imposition, puis placées sur le marbre et desserrées.

Si la garniture doit être utilisée pour l’imposition d’une nouvelle forme, « les coins sont retirés et placés en ordre sur les pages immédiatement voisines », ou mieux en dehors des châssis, près des bandes ; par un léger mouvement de va-et-vient successivement vers la droite, puis vers la gauche, on dégage le châssis tenu à l’aide des deux mains qui embrassent les bandes latérales, près de la bande de pied ; on l’enlève et on encadre les pages de la feuille nouvelle à imposer.

Les garnitures sont reprises dans l’ordre régulier : partie droite du châssis : blancs de barre, blanc de fond, têtières des pages les plus proches de la barre médiane, blanc de marge, têtières des deux autres pages, biseaux de côté et de pied pour le format in-8. Les coins sont, comme lors de l’établissement d’une garniture nouvelle, placés seulement alors que les pages sont déliées, et les garnitures et biseaux bien en place. L’imposeur doit apporter tous ses soins et toute son attention à ne rien omettre ou intervertir au cours de ces changements ; il devra, au reste, avant de délier les pages, s’assurer, par une vérification attentive, qu’il n’a commis aucune faute.

Il est indispensable, pour que ces diverses opérations soient exécutées avec la plus entière sécurité, que la forme à « désosser » soit légèrement mouillée. Les formes lavées exclusivement à l’essence, ainsi que celles reprises quelque temps après le tirage, seront donc, à l’aide d’une éponge, mouillées tout au moins sur les bords, afin de donner quelque adhérence aux extrémités des lignes. Toutefois, on se souviendra que l’humidité est préjudiciable à certains métaux, et on évitera soigneusement toute cause d’oxydation des « zincs » que pourrait contenir une forme.

La feuille de distribution, débarrassée de son châssis et de ses garnitures, est prête au désossage : les signatures sont retirées, les folios enlevés et soigneusement groupés, pour, le cas échéant, être utilisés à nouveau, avec le moins de modifications possible, dans le même travail ; les blancs de mise en pages — blancs de divisions diverses, de folios, de notes, d’intercalations — sont rangés par catégories et remis au metteur en pages pour la suite du travail ou pour un travail analogue, ou rangés au lingotier ; les caractères de notes, d’intercalations diverses, les caractères gras ou de fantaisie sont, triés par genres et portés au matériel ; les tableaux, les opérations, les alignements, dont la distribution est presque toujours effectuée en conscience, sont mis à part ; les gravures, immédiatement cataloguées et numérotées, avec épreuves à l’appui, sont, recouvertes d’un enduit, bitume de Judée ou autre, qui les protège contre les atteintes de l’humidité. Dans quelques Maisons même, où l’on ne craint point la multiplicité des fonctions, toute ligne de composition contenant un texte en italique ou en petite capitale est également extraite de la distribution courante : toute distribution, ou « lettre », remise au compositeur aux pièces ne doit comprendre que du caractère romain.

Le désinterlignage de la distribution avant rangement est une fonction qui ne paraît présenter aucune utilité, encore moins une nécessité quelconque. Pour les Maisons de moyenne importance, le désinterlignage se fait automatiquement lors de la distribution par les paquetiers ; on peut vraiment estimer que sont nuls le dérangement et le désagrément de recevoir, pour être distribuée, de la lettre sur une justification, alors que la composition nouvelle s’établit sur une justification différente. Tout au contraire, la distribution interlignée paraît devoir être plus rapide, plus sûre, tout au moins sujette à de moindres risques de mise en pâte ; et les ennuis d’une telle conservation sont plutôt nuls.

Ces considérations ne perdent rien de leur valeur pour les grandes imprimeries ; tout au contraire, elles acquièrent plus de force de la quantité plus élevée de distribution à désinterligner, qui constitue une perte de temps considérable, sans profit certain. À l’encontre de certaines affirmations, il paraît bien, d’ailleurs, que le rangement et la conservation de la lettre, qu’ils s’effectuent simplement en paquets sur porte-pages ou enveloppés, sont plus aisés et moins sujets à accidents, si la distribution est interlignée. Enfin, on peut objecter encore que la poussière, lorsque poussière, il y a — ce qui n’est pas certes une preuve de propreté et de bon ordre — s’accumule tout aussi facilement entre les interstices de chaque lettre qu’entre « les interstices formés par les interlignes ».

Lorsque la libre disposition immédiate d’une certaine quantité d’interlignes est indispensable — à l’exclusion de la lettre — il ne semble point, difficile, sans ériger le désinterlignage en pratique courante, d’y recourir exceptionnellement. À cet effet, la lettre suffisamment sèche, le désinterlignage s’exécute, suivant les circonstances, sur le marbre ou en galée : en galée la manipulation est relativement plus aisée ; la distribution, maintenue sur deux de ses extrémités, redoute moins les conséquences d’un faux mouvement ou d’une involontaire maladresse. Avec l’extrémité d’une interligne, avec la pointe, ou, occasionnellement, avec l’une des branches de pinces légères, on bute sur l’extrémité de l’interligne à enlever ; on la soulève au-dessus du texte, et la main gauche la saisit au moment où cesse la butée. Les lignes désinterlignées sont serrées par fractions les unes sur les autres ; généralement, la poussée est exercée, sur la partie libre, par la main gauche, tandis que la main droite protège le côté, afin d’éviter la chute ou la mise en pâte de l’extrémité des lignes. Toute composition désinterlignée doit posséder, en tête et en pied, afin d’assurer une manipulation relativement aisée, une interligne forte. Il est, d’ailleurs, indispensable de conserver également, dans le corps du paquet, et suivant une proportion déterminée par sa longueur, une ou plusieurs interlignes de soutien.

Les blancs des formes de revues, de travaux périodiques, sont, fréquemment, après tirage et distribution des feuilles, conservés pour les tirages ultérieurs. À cet effet, le châssis est placé sur un ais. Les garnitures, les biseaux, les coins même sont mis en place, tout comme s’il s’agissait de procéder à une imposition réelle : les pages sont figurées par les vides existants dans la forme. L’imposeur doit s’assurer qu’il ne s’est glissé aucune erreur ni aucune interversion dans la place des blancs, — et ceci est important, car la moindre omission pourrait causer de graves désagréments lors d’une imposition ultérieure exécutée sur la foi d’une telle garniture ainsi conservée.

Généralement, on recouvre l’ais d’une forte macule : celle-ci protège le bois contre l’usure anormale causée par le frottement du métal ; en outre, elle met le bois à l’abri de l’humidité et des conséquences produites par le contact direct de châssis et de garnitures maintes fois largement recouverts d’eau.

Le nom de l’ouvrage ou, le cas échéant, suivant l’usage de la Maison, le nom de l’auteur est inscrit à la craie sur les bandes du châssis, sur la macule ou sur l’ais lui-même.

  1. Pour indiquer très nettement que le taquage ne doit être jamais brutal, Th. Lefevre dit : « On frappe dessus deux ou trois légers coups avec le manche du maillet. »