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Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 2/11/04

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Imprimerie de Chatelaudren (2p. 204-219).


IV

LES BOIS


Sous le nom générique de bois on désigne les réglettes, ainsi que les garnitures lorsqu’elles ne sont pas en fonte, les biseaux, les coins, qui entrent dans la forme.

Les bois sont de la même hauteur que les garnitures ou blancs en matière ; pour leur confection on utilise de préférence le hêtre, le chêne, le merisier, etc. ; ces bois durs, d’excellente qualité, employés vieux et bien secs, ce qui leur assure une plus longue durée, sont, à l’exemple des garnitures en bois, parfois bouillis dans l’huile, afin de les soustraire à l’influence de l’humidité. Tous ces bois doivent être rabotés, travaillés et calibrés avec soin : il est très important en effet qu’ils soient dressés avec une grande précision, pour que le serrage de la forme soit parfaitement régulier.


RÉGLETTES


Les réglettes, dont on a déjà parlé au paragraphe Garnitures, se placent plus particulièrement le long de la barre et sur le côté des pages extérieures.


BISEAUX


Le mot lui-même indique la forme des biseaux : morceaux de bois, rabotés droits dans un sens et taillés dans l’autre en biais, ou biseau ; le côté droit est placé le long des réglettes extérieures ; sur le côté en biais viennent s’appuyer les coins qui se placent entre le biseau et la bande du châssis. L’inclinaison du biseau doit être peu sensible et modérée d’une extrémité à l’autre, sous peine de présenter à l’une de ses extrémités une épaisseur exagérée, et à l’autre une diminution qui le rendrait d’une fragilité excessive.

Il existe, d’ailleurs, des biseaux de différentes épaisseurs, proportionnées ou non à leur longueur : les impositions exigent, suivant les formats, des biseaux de diverses forces, pour lesquels l’épaisseur ne saurait être uniformément la même.

Les petits biseaux sont utilisés pour les côtés les plus étroits de la forme : leur tête ou partie la plus épaisse, s’opposant l’une à l’autre, est tournée vers la barre médiane du châssis.

Les grands biseaux occupent les grands côtés ; leurs extrémités amincies sont dirigées vers les petits biseaux qui leur sont perpendiculaires.

Certains biseaux sont mixtes et dits alors « biseaux des deux couches » : en raison de leur longueur ils sont utilisés indifféremment pour l’un ou l’autre sens ; par contre, ceux qui ne peuvent être employés que pour l’un des côtés d’une forme sont appelés « biseaux d’une couche ».

Certains constructeurs ont fabriqué des biseaux en fer, qui possèdent tous les avantages des biseaux en bois ; mais, se prêtant mal aux efforts du serrage, ces biseaux reportent sur le matériel plomb tous les inconvénients d’une pression exagérée, due à une erreur ou à une maladresse du compositeur.

Pour les impositions faites dans des ramettes, deux biseaux sont utilisés ; il en est de même pour les impositions d’in-folio en châssis.

Toutes les autres garnitures de forme pleine exigent, en raison de la barre médiane du châssis, quatre biseaux : deux grands (un du côté de chaque barre latérale) et deux petits (un de chaque côté, de la barre médiane) : la composition est ainsi entourée par eux sur trois côtés du châssis : bas ou côté de la signature pour les petits biseaux, et les deux côtés pour les grands ; l’appui de la composition a lieu sur la bande opposée à la signature et de chaque côté de la barre médiane.

Les châssis à croisillons, en raison de leur deuxième barre médiane, demandent en plus deux petits biseaux, pour le serrage supplémentaire : la poussée de la composition se fait exclusivement sur les barres médianes ou croisillons.


COINS


Les coins, petits morceaux de bois d’une longueur à peu près uniforme de 4 à 5 centimètres, sont taillés en biais ou biseau d’un côté, l’autre côté étant droit. Leur largeur ou épaisseur est variable, comme celle des biseaux et pour les mêmes raisons.

Employés de temps immémorial au serrage des formes, les coins en bois se placent entre les biseaux et les bandes du châssis. Très exceptionnellement, le serrage est exécuté à l’aide d’un seul coin ; dans presque toutes les circonstances, il a lieu à l’aide de deux coins : appuyés par leur face rectiligne l’un contre le biseau, l’autre contre la bande du châssis, les deux coins, dont les biseaux sont en opposition et chassés l’un sur l’autre, remontent le biseau, sur lequel ils opèrent une poussée ou pression plus ou moins forte : théoriquement, la bande du châssis doit subir cette poussée sans déformation.

Les coins qui s’adaptent aux petits biseaux sont, lors du serrage, remontés vers la barre médiane : ceux des grands biseaux, vers le haut de la bande, c’est-à-dire du côté opposé à la signature.

Leur nombre est variable suivant le format : deux aux petits biseaux d’un in-8, trois aux grands biseaux ; deux et quatre pour l’in-12 ; trois et quatre pour l’in-18.

Dans des circonstances tout à fait exceptionnelles — qu’il est impossible d’énumérer, car les causes qui leur donnent naissance varient trop fréquemment — le serrage, au lieu de se faire sur la bande près de la signature de la feuille et sur celle qui lui est opposée, s’exécute des deux côtés de la barre médiane. La poussée se produit alors sur les bandes des grands côtés.

Les petits biseaux ayant leur partie mince tournée vers la barre médiane, c’est-à-dire à l’opposé de leur position normale, le serrage se fait en poussant les coins vers la bande des grands côtés.

Les coins qui accompagnent les grands biseaux remontent le long de la barre médiane en s’éloignant du serrage des petits biseaux.

Ce serrage exige, de la part de l’imposeur, la plus grande attention. Il est indispensable qu’il soit exécuté avec une exactitude presque mathématique ; il remplace, ce qu’il ne faut pas oublier, le blanc de grande tête, et celui-ci ne saurait, de ce fait, être augmenté ou diminué de la plus minime quantité ; toute variation de blanc provenant d’un serrage ou plus fort qu’il n’est nécessaire, ou trop faible, entraînerait une irrégularité de registre, dont la correction serait fort difficile, pour ne pas dire impossible, dans ce cas.

Le serrage aux coins de bois est le meilleur quant à la conservation du matériel. Avec lui, obligation de justifier proprement, ou la forme ne se lève pas. S’il s’agit d’un tableau, d’une réglure, la presque impossibilité de trop serrer empêche de fausser les filets ou de faire chevaucher les coins de cadre. Le coin de bois a donc l’avantage de réclamer plus de soins de la composition. La justification étant meilleure, la forme se lèvera sans difficulté, avec un bien moindre serrage, d’où conservation plus grande du matériel.

Mais l’inconvénient du coin de bois, c’est la lessive. Mouillé, le bois gonfle, et, si la forme doit être conservée, il faudra resserrer bientôt, sans quoi il y a des chances pour que de la forme il ne reste que le châssis.

Dans ce cas, le coin à crémaillère est tout indiqué. Si donc il s’agit de formes à laisser assez longtemps en conservation, il serait bon de se servir des coins à crémaillère.

Il ne faut pas oublier qu’en aucun cas la lettre ne doit venir en contact direct avec les bandes du châssis : une garniture, un lingot matière, ou mieux une réglette en bois doivent toujours être interposés entre le fer et la composition ; une simple interligne ne suffirait pas à éviter l’écrasement, si minime soit-il, qui se produit inévitablement, même lors du serrage le plus régulier.


SERRAGES


Pour suppléer le coin en bois qu’ils estimaient fragile et trop sujet à se détériorer promptement, nombre de fabricants ont imaginé, depuis plus d’un demi-siècle, des moyens mécaniques de serrage.

D’incontestables progrès ont été réalisés dans cette voie depuis le jour où H. Fournier déclarait qu’aucun de ces moyens « ne peut encore passer pour définitif ». Si la perfection, si le définitif n’ont pas été atteints, c’est qu’ici, comme en toute autre chose, rien n’est définitif : en dépit de tous les jugements le progrès poursuit sans cesse sa lente évolution ; un objet estimé parfait est toujours dépassé par un autre objet déclaré plus parfait.

a) Le plus simple, et sans doute aussi le plus ancien, des serrages mécaniques est le « serrage système Marinoni à noix », appelé parfois serrage à crémaillère.

Ce modèle de serrage est essentiellement composé de coins en fer, de divers genres, dont le biseau, d’une inclinaison générale de 1 pour 10 environ, est muni de dents. La partie rectiligne de ces coins s’applique le long de la réglette en bois bordant la garniture ou la composition ; sur le côté opposé, ou biseau proprement dit, roule une noix ou pignon dont les entailles engrènent dans les dents du biseau. La noix et le coin sont indépendants l’un de l’autre ; une clé à T à bout carré, s’engageant dans la noix, placée entre la bande du châssis et le biseau, aide à mouvoir la noix le long de la crémaillère. Le serrage a lieu progressivement par le simple mouvement de la noix sur la crémaillère.

Ce type de serrage comporte un certain nombre de dispositifs : 1° les dents occupent le biseau entier, dont la longueur varie de 0m,10 à 0m,15 environ ; 2° une sorte de plate-forme supporte le biseau et se prolonge de chaque côté au delà de celui-ci de 2 à 3 centimètres : c’est le modèle renforcé : bien que les dimensions de la crémaillère soient égales à celles du modèle ordinaire, la pression produite par le serrage se trouve cependant répartie sur une étendue plus considérable de la composition, grâce à la plate-forme support ; 3° deux ou même trois biseaux sont réunis sur un support commun dont la face rectiligne, parfaitement dressée, s’applique pour le serrage sur des réglettes en bois ; la longueur du support varie, suivant les constructeurs, de 5 en 5 ou de 2 en 2 centimètres, afin de s’adapter à tous les formats de châssis ; selon le nombre des biseaux et la longueur du support, un intervalle plus ou moins grand sépare chaque crémaillère ; ces biseaux combinés sont, dès lors, analogues aux grands et aux petits biseaux en bois ; l’emplacement de chaque crémaillère semble calculé pour une répartition rationnelle, sur l’ensemble de la composition, de la poussée produite par le serrage de la noix ; 4° la combinaison de deux biseaux opposés réunit sur un même support une double crémaillère : quelle que soit la longueur de ce type, 0m,15 ou 0m,80, le serrage, en raison de la disposition, s’effectue exclusivement à l’aide de deux noix ou pignons : si pour les dimensions moyennes de 0m,35 à 0m,55, ce nombre de deux noix est suffisant, il apparaît bien, par contre, qu’il est insuffisant pour les longueurs extrêmes de 0m,80 ; d’autre part, pour celles de 0m,15, l’emploi de deux pignons paraît superflu, alors qu’une seule crémaillère à support serait aisément suffisante.

Ce système de serrage à crémaillère est l’un des plus connus et des plus employés pour les journaux, les revues, les placards et aussi le serrage des formes à conserver. Il offre le grand avantage d’être très rapide, indesserrable au cours du tirage, et, surtout, complètement à l’abri des influences de la température.

Mais on peut, sans crainte d’être taxé de parti pris, lui faire grief de nombreux méfaits. Entre les mains d’un imposeur brutal, c’est pour les châssis et les ramettes, quel que soit d’ailleurs leur degré de résistance, un agent de destruction de premier ordre : l’ouvrier emploie toute sa force au serrage convenable de la forme, et le serrage n’est généralement convenable qu’au moment où la noix est parvenue au sommet de la crémaillère. Sous la poussée de ces efforts incessamment répétés, les bandes ne tardent pas à se déformer ; une courbure vers l’extérieur se manifeste rapidement, de plus en plus appréciable, en même temps que le châssis perd son appui sur le marbre. Plus s’accentue la courbure et disparaît l’appui, plus le compositeur, aggravant le mal, cherche, à l’aide de réglettes ou d’interlignes supplémentaires, à accentuer la pression pour arriver au serrage convenable. La forme serrée, par aucun procédé on ne peut diminuer la courbure, mais on rétablit brutalement l’appui à coups de marteau répétés ; la levée de la bande s’atténue sans doute, mais noix, biseaux, réglettes et composition se sont légèrement soulevés à leur tour ; il est nécessaire de desserrer pour effectuer une deuxième fois un serrage qui certes ne sera point plus convenable que le précédent ; ou alors les risques de rupture sont tels que, même maniée avec les plus grandes précautions, la forme présente de réelles difficultés à la mise sous presse et donne lieu au cours du tirage à de nombreux désagréments.

Il est, en outre, nécessaire de faire remarquer que le serrage ainsi porté à la partie supérieure de la crémaillère tend à faire basculer légèrement le biseau ; la pression, au lieu d’être répartie uniformément sur l’ensemble de la crémaillère, écrase en quelque sorte une fraction minime du coin, et par lui produit, en une partie correspondante du texte, une dépression d’aspect désagréable. Une forme serrée dans ces conditions ne présente aucune garantie de solidité ; certaines pages tendent à chasser de côté ou d’autre selon l’effort du serrage ; l’aplomb leur fait complètement défaut, et la forme elle-même, par contre-coup, semble imposée complètement de guingois.

Enfin la rugosité de ce système, dans lequel les entailles de la noix ne correspondent pas toujours exactement aux dents de la crémaillère, en aggrave parfois les inconvénients. Pour remédier à ce dernier défaut, certains constructeurs rectifient à la fraise les dents des crémaillères et conseillent l’emploi de « noix rectifiées, d’un fonctionnement plus doux et, par suite, d’une plus longue durée ».

Pour être convenable, le serrage à crémaillère doit, surtout, pouvoir être modéré ; il y faut une douceur et une sûreté de main que, seul, possède l’ouvrier, le véritable ouvrier, et que n’acquerra jamais le brutal, non plus que le « poseur » ou le « faiseur ».

Le biseau, quel qu’il soit, simple, double ou à crémaillère opposée, présentera à la composition une face rigoureusement plane ; en outre, il couvrira presque entièrement l’ensemble du texte à serrer, afin de répartir uniformément sur toutes les pages la poussée exercée lors du serrage. La noix dépassera de peu la moitié de la crémaillère sur laquelle elle monte, afin de ne point déplacer le centre de gravité de sa pression. Toutes les noix d’un même côté d’une forme donneront une pression rigoureusement équivalente. Enfin, le serrage d’une noix ne sera pas exécuté d’un seul coup, mais progressivement et successivement, comme cela a lieu avec les coins en bois.

b) Le serrage Lavater paraît présenter moins d’inconvénients que le système à crémaillère, tout en possédant la plupart de ses avantages.

Ce système, dont le prix d’achat est peu élevé, est constitué par une pièce de fer, dont l’une des faces, destinée à être appliquée sur les réglettes côté composition, est parfaitement dressée et rigoureusement rectiligne ; l’autre face comporte un nombre d’entailles en forme de quart de cercle variable suivant sa longueur. Ces entailles sont destinées à recevoir, selon les circonstances, une, deux ou trois noix, de forme particulière, légèrement excentrées. La partie excentrée, ou partie forte, est taillée de telle sorte que sa surface de serrage croît progressivement de zéro jusqu’à un maximum au delà duquel elle retombe brusquement à zéro : l’ouvrier ne saurait dès lors, à moins de mauvaise volonté évidente, dépasser les limites normales d’un serrage convenable. D’autre part, les faces destinées à obtenir la pression de serrage sont rondes pour celle en contact avec l’entaille en quart de cercle de la pièce de fer, et plates pour celle portant sur la bande du châssis. Les deux parties en contact se présentant de la sorte dans un même plan, la surface serrante est plus étendue, et la pression se fait normalement sur la composition.

Dès lors aucun desserrage intempestif d’une forme convenablement serrée ne semble à redouter.

Ce serrage se fait à l’aide d’une clé à T carré s’encastrant dans la noix ; il s’exécute aussi rapidement, peut-être même plus rapidement, que le serrage à crémaillère ; on peut dire également qu’il tient moins de place.

Ce système n’offre aucun risque de bascule pour la pièce à entaille, comme cela se présente avec le biseau à crémaillère. En outre, pour peu que l’ouvrier place convenablement — ce à quoi la disposition du système l’oblige — la ou les noix, et qu’il procède, suivant les règles, au serrage, aucun glissement ne peut se produire même dans les compositions à tableaux.

La longueur des pièces à entailles, variable suivant les formats, va de 0m,075 à 0m,862.

c) Les biseaux à rainures, avec coins adhérents en fer, sont, semble-t-il, moins connus que les biseaux à crémaillère ; on peut estimer cependant qu’ils ont une valeur au moins égale, sinon supérieure.

La partie rectiligne sert de support à un biseau d’inclinaison moyenne limité et surmonté par deux rainures latérales ; la partie supérieure donne passage à un coin maintenu en contact avec le biseau par l’intermédiaire d’oreilles latérales glissant dans les rainures de celui-ci. La face du coin engagée dans les rainures porte seule un biseau, mais ce biseau est taillé à l’opposé du biseau sur lequel il glisse. Ainsi, au serrage, la poussée augmente au fur et à mesure de la montée du biseau du coin sur le biseau à rainures, par suite de la venue en contact de deux surfaces de plus en plus fortes. Cette poussée se porte, d’une part, sur la composition par la face rectiligne du biseau à rainure, et, d’autre part, sur la bande du châssis par le coin lui-même qui, de ce côté, possède une face rectiligne.

Ces biseaux se font à un, deux ou trois coins ; il n’existe pas, semble-t-il, de biseau à rampes opposées, analogue aux biseaux à double crémaillère opposée ; les biseaux à plusieurs coins présentent entre chacun de ceux-ci des intervalles variables suivant le nombre de coins et la longueur du biseau. Ils se fabriquent pour tous formats, depuis 0m,10 jusqu’à 0m,80 de longueur.

La surface de butée étant avec ce modèle encore plus étendue que dans le système Lavater, la mise en bascule du biseau à rainure est pour ainsi dire impossible.

Il est, d’ailleurs, plus difficile de pousser le serrage au delà d’une limite convenable. La chasse du coin sur le biseau à rainure s’effectue en effet soit directement à l’aide du marteau, soit par l’intermédiaire d’un décognoir en fer : la résistance offerte à un moment donné peut paraître ainsi plus difficile à surmonter que dans le système à serrage par noix où le compositeur, faisant usage de ses deux mains, utilise toute sa force par l’intermédiaire de la clé à T.

d) Le serrage Hempels est une combinaison du système à crémaillère et du biseau à rainure. Il se compose essentiellement de deux coins évidés de manière particulière et portant chacun un biseau en saillie accompagné de crémaillères latérales taillées sur la moitié environ de leur longueur. Par la réunion de deux coins, lors du serrage, les biseaux glissent l’un contre l’autre par leurs faces semblables. La partie supérieure de chaque coin est renforcée par une partie pleine portant un léger évidement pour le passage du biseau opposé, si le serrage le nécessite ; cette entaille contribue à la solidité du serrage, en empêchant le renversement des deux biseaux l’un par rapport à l’autre. Le serrage a lieu par l’intermédiaire d’une clé spéciale à nervures, agissant simultanément sur la crémaillère des deux coins opposés ; il se produit, comme dans le biseau à rainures, par suite de la « venue au contact de parties de plus en plus fortes ».

Ce système de serrage est fort répandu ; convenablement disposé et utilisé par un imposeur sérieux, il présente des garanties de solidité fort appréciables en raison de sa longueur, qui varie généralement de 7 à 10 centimètres ; en outre, à l’instar des autres serrages en fer, il est théoriquement indesserrable.

Cependant le serrage Hempels présente un grave inconvénient. Dans ce système, une condition essentielle du serrage est, on l’a vu, le glissement en sens inverse des deux coins l’un contre l’autre. Chaque coin possède donc un mouvement propre : l’un se meut sur la bande du châssis ; l’autre, sur la réglette bordant la composition. Le premier de ces mouvements est nécessaire ; il est inoffensif, car il a lieu sur une surface pratiquement immobile ; il est, d’ailleurs, analogue à celui qui découle de tout système quel qu’il soit, même du serrage avec coins en bois. Mais il en est tout autrement du second : trop fréquemment, surtout lorsque l’ouvrier est sur le point d’atteindre la limite convenable du serrage, le texte a tendance à « jouer », ou, pour mieux dire, à suivre le mouvement du coin ; que cette limite soit dépassée, et le mal est irréparable, surtout dans les pages à tableaux : les cadres sont déformés, les filets courbés, les interlignes faussées. — Aucun des autres serrages énumérés précédemment ne présente un semblable inconvénient ; dans tous, en effet, le mouvement enregistré doit théoriquement et pratiquement s’exercer exclusivement le long de la bande du châssis.

En outre, dans ce système, comme dans presque tous les modèles mécaniques à clé étudiés jusqu’ici, la limite du serrage convenable est trop aisément franchie par l’ouvrier : l’effort exercé sur la crémaillère par l’intermédiaire de la clé aboutit rapidement, et sans travail anormal de l’ouvrier, à une poussée considérable. En principe, tout système devrait être établi pour un arrêt en quelque sorte automatique de pression ou être soumis à un écrasement une fois sa poussée maximum atteinte : tel le serrage en bois. L’écrasement du serrage Hempels ne saurait exister avec un fer serrant une matière de résistance inférieure et bordée par des réglettes en bois. D’autre part, l’arrêt automatique de pression est une idée que nombre d’imposeurs savent démontrer, sans conteste possible, devoir être toujours une utopie. Si la clé refuse ses services, si elle est jugée insuffisante, ou même difficile à retrouver dans le désordre voulu d’un tiroir, le marteau et le décognoir ont vite fait de la suppléer. En un rythme rudement cadencé, la crémaillère gagne rapidement le sommet du coin, non sans quelque risque de mise en pâte. Si aucun dommage n’est survenu, le compositeur n’en est que plus ardent à reprendre l’opération pour la « mener à bonne fin ». Sans doute, l’imposeur n’a point, avec le serrage Hempels, à craindre la sortie intempestive de l’un ou de l’autre biseau, en raison de la butée d’évidement qui existe, à la partie supérieure ; mais il ne faut pas oublier que le moindre inconvénient qui résulte d’un procédé aussi brutal est, trop fréquemment, la rupture du coin.

e) L’emploi du fer dans la construction d’un serrage étant, on l’a vu, un obstacle absolu à son écrasement, on s’est contenté de limiter la puissance de ce serrage. Les Américains et les Anglais ont obtenu de ce côté un résultat des plus appréciables.

Le plus simple des types de serrage qui nous soit venu d’au delà l’Atlantique paraît être le serrage dit à expansion.

Ce modèle est composé de deux joues, dont les surfaces latérales sont parfaitement rectilignes en vue d’un serrage régulier ; elles sont solidaires ; chacune de leurs extrémités est taillée en biseau, formant par la réunion des deux joues une sorte de V, dans lequel vient s’encastrer un coin. Une double molette est placée à la partie extérieure de l’un des coins, destinée à produire l’écartement, l’expansion des joues ; une clé, de forme spéciale, à double prise, sert à manœuvrer la molette.

Ce système est l’un des plus parfaits ; il est particulièrement recommandé pour l’imposition des formes compliquées, ou qui exigent, des précautions spéciales de serrage, à cause du repérage. La double molette dentée permet un serrage absolument progressif de la pression ; enfin, la course de ce coin d’expansion est très nettement limitée : fermé, il mesure 48 points d’épaisseur ; ouvert, il ne peut dépasser 60 points, soit 12 points de course maximum. Ce coin est indesserrable ; il existe en longueurs de 7cm,5 à 18 centimètres.

f) Plus compliqué, mais plus énergique comme pression, est le serrage de sûreté appelé Chicago.

Du côté du texte, la pression sur les réglettes ou les lingots est constituée par une surface parfaitement polie, variant de 5 centimètres à 17cm,5 de longueur, lorsque le serrage est unique, c’est-à-dire composé par un seul coin, et de 20 centimètres à 40, avec un double serrage ou à deux coins. L’expansion se fait vers l’extérieur, par l’ouverture des coins dont la surface latérale carrée et parfaitement polie vient buter sur la bande du châssis ou de la ramette.

« Au moyen d’une clé, munie d’un carré, on agit, par l’intermédiaire d’une noix, sur un jeu de biseaux qui forcent le coin à s’ouvrir ou à se fermer. » Ce mouvement, donne une ouverture allant jusqu’à 24 points ; le compositeur dispose donc, pour le serrage, de 2 cicéros, chiffre qu’il atteindra très rarement, si la ramette ou le châssis sont appropriés à l’importance de la composition. La force d’expansion du serrage Chicago est tel d’ailleurs que même les grandes formes sont serrées sans aucun effort anormal, et que le desserrage est pratiquement impossible, au cours du tirage ou du transport des formes.

Le coin Chicago est, d’ailleurs d’une justesse et d’une régularité de serrage parfaites. Aussi son usage est-il particulièrement à recommander pour les travaux en couleurs et pour toutes les impressions effectuées sur les machines à platine Victoria, Héraclès, Phœnix, Étoile, Reliance, etc.

g) Le serrage Caslon est, comme les deux précédents, un serrage à expansion ; mais l’expansion est obtenue au moyen d’une noix excentrée de construction particulière.

Une clé à T, munie d’un carré, permet de manœuvrer l’excentrique : celui-ci, fabriqué en acier cémenté et conséquemment d’une solidité à toute épreuve, possède une double came ; son mouvement force les deux joues du serrage à s’écarter. Les côtés extérieurs de ces joues, en acier fondu, sont rectifiés et, assurent un serrage parfaitement d’équerre, l’ouverture du coin ayant lieu d’après un plan rigoureusement rectiligne. L’expansion maximum est produite sans effort anormal de la part de l’imposeur.

La longueur du serrage Caslon, à type unique, est de 5 centimètres ; lorsqu’il est fermé, son épaisseur est de 19 millimètres ; ouvert, il atteint 24 millimètres. L’expansion atteint de la sorte un peu plus de 13 points.

Sans doute, la précision même du serrage à expansion rend ce système plus fragile que tous les autres procédés de serrage mécanique. Mais sa construction même protège la partie la plus délicate et la met à l’abri de toute tentative d’emploi brutal à l’aide du marteau ; sans clé le serrage à expansion est en effet inutilisable. Ce léger inconvénient est pour ce système une sauvegarde et lui assure une durée supérieure à celle des serrages à biseaux ou à crémaillère.


OUTILS DIVERS


L’imposeur doit avoir à sa disposition trois outils qui lui sont indispensables sans doute, mais dont il doit, en toutes circonstances, user avec la plus grande circonspection : le marteau ou maillet, le chasse-coin ou décognoir, et le taquoir.

a) Il est inutile de donner ici une description même sommaire du marteau, objet, que tout le monde connaît. On peut, toutefois, faire remarquer qu’en aucun cas un marteau de typographe ne devrait présenter-même une vague ressemblance avec un marteau de… forgeron. Cependant trop de compositeurs se font une vaine gloriole de posséder un tel marteau, et nombreux parmi ceux-là sont ceux qui, armés d’un semblable outil, confondent écraser et serrer : deux choses pourtant fort distinctes.

b) Avec un serrage à coins en bois, il est plus recommandable et surtout moins dispendieux, au point de vue d’un plus long usage des coins, d’employer le maillet. Fabriqué généralement de bois exotiques, très durs et très lourds, le maillet est parfois, pour augmenter encore sa solidité, cerclé de fer à chacune de ses extrémités.

Pendant longtemps, le maillet fut seul utilisé pour le serrage des formes. De nos jours on emploie plus volontiers le marteau. Une maladresse, un choc intempestif font que cet objet est certes très redoutable pour le caractère ; toutefois, grâce à sa moindre surface, il présente moins de chances d’accidents que le maillet, son prédécesseur.

L’emmanchement du maillet, ainsi qu’au reste celui du marteau, ne doit pas atteindre des dimensions exagérées. On sait que, si la force du choc est en rapport avec la puissance du marteau ou du maillet, il est également proportionnel à la longueur de l’emmanchement. De manière générale, le conducteur typographe, qui serre et taque modérément la forme, utilise un marteau à emmanchement plutôt court. L’imposeur, obligé, en raison de la manutention qu’il doit opérer, d’assurer à la forme une solidité à toute épreuve, serre fortement : l’emmanchement du marteau ou du maillet est plus long. Une limite s’impose, d’ailleurs, ici naturellement : un emmanchement long est pour l’avant-bras une cause incontestable de fatigue inutile ; le marteau « est moins en main », et le choc répété sur un même point moins exact.

c) Le décognoir est un outil d’une longueur approximative de 15 centimètres : l’une de ses extrémités, ronde et renforcée, reçoit le choc du maillet, alors que l’autre, plus mince, appuyée sur le coin, aide à le chasser aisément, lors du serrage ou du desserrage de la forme. En raison de sa destination — intermédiaire entre le marteau qui frappe et le coin qui résiste — le décognoir doit être confectionné avec soin. Il se fabrique en bois ou en fer.

Dans le premier cas, le décognoir est en bois des Îles (gaïac) ou, plus fréquemment, en buis d’excellente qualité, afin de subir sans dommage le double effort auquel son rôle le condamne : un buis tendre s’émousserait trop rapidement et formerait, à l’une et à l’autre extrémité, un bourrelet gênant qui occasionnerait rapidement la mise hors d’usage de l’outil. L’extrémité du décognoir destinée à chasser le coin ne doit pas être trop mince : elle risquerait en effet de se fendre rapidement.

Le décognoir en bois est aujourd’hui d’usage plutôt exceptionnel ; presque partout on emploie le décognoir en fer, plus robuste, plus résistant. Ce dernier possède d’ailleurs cet avantage que, même sous une épaisseur minime, il présente aux divers efforts auxquels il est soumis un coefficient, de résistance que ne peut offrir le décognoir en bois. Par contre, les coins en bois, dans un serrage un peu énergique, souffrent gravement de son emploi et ne tardent pas à être mis complètement hors d’usage.

En principe, l’emploi du décognoir devrait être surtout réservé au desserrage des formes ; en pratique, il est aussi, et très fréquemment, utilisé pour augmenter, pour terminer le serrage, particulièrement là où le marteau, en raison de la place trop restreinte, ne peut plus utilement atteindre le coin, sans risque pour la garniture ou la composition.

Pour faciliter la poussée, ou mieux la chasse du coin, le décognoir est encoché à sa partie inférieure : certains préfèrent le décognoir à simple bec ; d’autres, le décognoir à double bec. L’encoche est destinée à séparer et à permettre d’appuyer sur le coin l’une ou l’autre corne. Lors du serrage, sous le choc du marteau, le talon bute sur la tête du coin ; le nez s’appuyant sur le coin lui-même empêche sa levée et l’oblige à progresser suivant une ligne horizontale. Le pied du décognoir est suffisamment mince pour permettre son emploi même dans les cas où le blanc réservé au serrage est réduit au minimum ; fréquemment même, pour obvier aux inconvénients d’un espace restreint, une différence est établie pour l’épaisseur de l’une et de l’autre partie : suivant l’emplacement dont il dispose et la force du coin, l’imposeur utilise la partie forte ou la partie faible.

Pour éviter d’endommager les coins, on recommande d’appuyer le décognoir, non point vers le milieu du coin, ni vers le côté appliqué sur le biseau, mais près de l’angle qui serre sur le châssis : de ce côté le coin, énergiquement coincé le long du fer, paraît plus résistant à l’action toujours un peu destructive du décognoir. Celui-ci, d’ailleurs, pour que son action soit réellement efficace et rapide, doit, être employé dans la position, la plus inclinée possible : la poussée qui s’exerce alors sur le coin est en effet seulement horizontale ; au contraire, la poussée est en même temps horizontale et verticale, avec un décognoir franchement relevé : la force verticale tend plutôt à buter le coin sur le marbre et à l’empêcher de se mouvoir horizontalement ; en outre, fréquemment le décognoir entre alors, par son talon, en contact brutal avec le marbre.

L’emploi du décognoir est obligé dans tous les serrages mécaniques pour lesquels la clé, à douille, à carré, à dents, n’est pas prévue : tel le serrage par biseaux à rainures avec coins adhérents en fer ; l’action du marteau, légèrement amortie par l’intermédiaire qu’est le décognoir, est moins brutale et risque moins d’occasionner des dégâts parfois irréparables.

d) Le taquoir est un morceau de bois de forme rectangulaire ; ses dimensions, fort variables, ont, approximativement, en largeur, 9 centimètres sur 20 de longueur, et 4 à 5 centimètres d’épaisseur. Cet instrument, sur lequel on frappe légèrement à l’aide du marteau, est destiné, lors de l’imposition ou de la mise sous presse, « à niveler toutes les lettres d’une forme en abaissant celles qui ne porteraient pas sur le marbre » : une forme bien taquée « n’offre au tirage ou à l’épreuve aucune de ces aspérités qui font que certaines lettres plongent dans le papier plus profondément que les autres, et que celles qui sont à côté deviennent moins apparentes ».

En raison même de l’usage auquel il est destiné, le taquoir doit posséder des qualités particulières : le bois sera suffisamment résistant pour supporter sans dommage les chocs successifs du marteau, mais il n’offrira pas une dureté susceptible d’endommager une lettre haute. L’érable est communément employé pour la confection des taquoirs.

On confectionne aussi des taquoirs avec deux couches de bois de dureté différente ; la partie supérieure est de bois dur, chêne, gaïac, buis, etc. ; la partie inférieure, celle qui vient en contact avec la lettre, est en bois blanc ou tendre. Parfois, la partie supérieure est recouverte d’une pièce de cuir qui amortit le choc brutal du marteau et prévient, en même temps, l’usure toujours rapide. Fréquemment, le dessous est garni d’un feutre léger : la surface du bois est ainsi à l’abri d’une déchirure entraînant immédiatement la mise au rebut de l’outil, et le caractère est protégé contre une maladresse ou un accident toujours possible. À défaut de feutre ou d’étoffe souple et cependant suffisamment résistante, on enveloppe le taquoir de feuilles de papier, décharges, feuilles mauvaises, etc.

Un taquoir constamment propre et en bon état d’entretien est indispensable : aucune ordure, aucun grain de poussière ou autre ne pénétrera de cette façon dans l’œil de la lettre ; la surface en contact avec le caractère ne présentera aucune inégalité : elle, sera dressée chaque fois que cela sera nécessaire ou possible : au cas contraire, le taquoir sera renouvelé.

Le taquoir se tient de la main gauche, entre le pouce et les doigts appuyés de côté et d’autre : à cet effet, les parties latérales du taquoir, au lieu d’être légèrement chanfreinées, portent fréquemment une gorge qui permet de saisir facilement et solidement cet outil ; sur la partie supérieure presque entièrement dégagée, l’ouvrier frappe légèrement à l’aide du marteau. Chaque page de la forme est, à tour de rôle, soumise à l’action du taquoir : soulevé légèrement, il est posé d’aplomb sur le caractère et frappé ensuite ; en aucun cas il ne rabotera la lettre : en le traînant sur le plomb, l’ouvrier risque de rencontrer une lettre, un signe, un filet, etc. ; le taquoir bute ou se trouve placé en porte-à-faux ; dès les premiers coups de marteau, le caractère peut se trouver gravement endommagé.

Dans l’imposition, les formes sont taquées, alors que « les pages sont déliées et que, sans être serrées, elles sont seulement contenues par les coins » ; un jeu existe alors entre toutes les lettres, suffisant pour qu’elles cèdent facilement : une trop grande résistance à la poussée du taquoir risquerait d’amener l’écrasement de la lettre ou, pour le moins, d’endommager ses parties fines.

Chaque fois qu’une forme est desserrée, pour une correction ou pour tout autre motif, il est nécessaire de la taquer à nouveau ; l’opération peut même être répétée, si on le juge nécessaire, à plusieurs reprises, « afin que les lettres qui n’auraient été qu’ébranlées la première fois soient entièrement abaissées à la seconde et retombent au niveau commun ».

Sous presse, les formes sont taquées après avoir été desserrées, et ensuite lorsqu’elles ont été resserrées. Dans ce dernier cas, il est indispensable de se souvenir que la lettre s’abaisse plus difficilement, et que le moindre choc, le moindre heurt, une trop forte résistance à un coup plus violent, risquent, comme on l’a déjà dit, d’endommager gravement la lettre.