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Le Drame d'Alexandre Dumas (Parigot)/01/04/02

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II

VICTOR HUGO ET LE DRAME NATIONAL.

Il le faut, une fois de plus ; succinctement, mais il le faut. C’est lui qui accola plus volontiers le mot « national » au mot « drame ». Lorsque, du fond de nos provinces, s’élève un cri d’alarme en faveur de la tragédie, c’est lui, le créateur, le maître, qu’on prend à partie pour démontrer que le drame repose sur quelques conventions. Il ne fut le premier ni dans le temps ni par le talent. Peu importe : il a écrit la préface de Cromwell. — Mais il a écrit Cromwell aussi. — Qu’importe ? Qu’importe ? C’est lui qui personnifie le drame. Et les badauds esthétiques en profitent pour sauver, une fois de plus, la tragédie de Corneille et de Racine, leur Capitole.

Victor Hugo n’a fondé ni le drame national, ni le drame sans épithète, par la raison qu’il n’est pas doué du génie dramatique. Il n’a ni la logique, ni l’exécution, ni l’esprit. Il est incapable de se détacher de lui et de ses visions. Car il voit, s’il n’observe pas ; il voit grand, en dedans, il a l’imagination grandiose ; il est un prodigieux créateur de tableaux, d’images et de métaphores ; s’il est un penseur, comme le dit ingénument Dumas, c’est un penseur à grand spectacle[1]. Il n’a pas le génie dramatique, mais une immense fantaisie théâtrale, qui élargit le décor, la couleur, le couplet, et le geste — surtout dans ses préfaces.

Ceux qui croient encore à l’originalité des idées prophétiques du manifeste de Cromwell étudieront avec fruit les xe, xie, xiie et xive leçons de W. Schlegel, le xve chapitre De l’Allemagne de madame de Staël, et la préface de Wallenstein de Benjamin Constant. Ils pourront parcourir aussi quelques pages du Racine et Shakespeare de Stendhal, plusieurs chapitres de la Dramaturgie de Lessing[2], notamment ce qui concerne l’histoire au théâtre ; et encore dans les lettres qui servent d’appendice au Don Carlos de Schiller, dans l’Autobiographie de Gœthe et un peu partout chez celui-ci ils retrouveront les germes de ce manifeste. S’ils tiennent à lire des choses analogues, ou à peu près, Mercier et Lemercier leur réservent quelques surprises. Je ne cite que le nécessaire[3]. Dirai-je que je trouve plus de sens dramatique et d’intelligence de l’avenir au deuxième volume de madame de Staël que dans toutes les préfaces de Victor Hugo superposées à celle de Cromwell ? Ceux qui estimeraient le paradoxe un peu fort ne le tiendront pas du moins pour neuf, si à toutes ces lectures ils ajoutent celle de la première lettre de Dupuis et Cotonet, et particulièrement de la page 194, laquelle est pleine de suc[4].

Et donc Victor Hugo s’est avisé, après d’autres, que l’avenir est au drame « national par l’histoire, populaire par la vérité[5] ». Après la Révolution, l’individu veut sa place sur la scène comme dans la société : l’époque est passée des caractères généraux et trop abstraits, des règles fixes et des divisions rectilignes. Le drame sera historique et social, mais surtout populaire. Là-dessus l’inspiration de Victor Hugo s’échauffe. Et apparaît cette faculté proprement théâtrale d’agrandissement qu’il déploie en ses manifestes. Pour justifier le mélange du rire et des larmes, du comique et du tragique (disons mieux : du grotesque et du sublime, il édifie une théorie de l’histoire du monde, pas davantage. Alfred de Musset, l’un des premiers, en a finement relevé les contresens et les contradictions[6]. La théorie n’est qu’une vision énorme, et d’un instant. Qu’est donc le drame, le drame soutenu, dès avant sa naissance, de cette métaphysique ? On en trouvera de copieuses et vastes définitions dans la préface de Cromwell[7] et plus tard dans celle d’Angelo. Là resplendit l’imagination féerique de Hugo. Les cadres de la pensée humaine craquent ; les catégories de nos concepts éclatent. Le poète s’enivre de ses intuitions. Le drame qu’il voit, c’est l’histoire, la nature, la vérité des mœurs et des caractères, l’individu complet et triomphant, c’est déjà presque « tout regardé à la fois sous toutes les faces[8] ». — « Le théâtre est un point d’optique. Tout ce qui existe dans le monde, dans l’histoire, dans la vie, dans l’homme, tout doit et peut s’y réfléchir, mais sous la baguette magique de l’art[9]… » Couleur locale, lyrisme, élégie, épopée, le drame est tout et tout est dans le drame. S’il tient le vers pour nécessaire à la pièce nationale, sociale et humanitaire, qu’il entrevoit dans le tourbillon des mots, ce n’est pas tant pour échapper au commun ni au mélodrame que pour contenter de prime abord sur le théâtre les appétits de son imagination[10]. À la vérité, son esthétique n’est que fantasmagorie. Toutes ses idées, ou du moins celles qu’il a faites siennes, se déforment et s’agrandissent démesurément dans le passage du cerveau où elles s’agitent sur le papier où elles se fixent. À mesure qu’il se rapprochera du mélodrame et que ses personnages seront plus inconsistants, la formule qui les définit ou plutôt qui les dilate dans la préface, s’élargira jusqu’au symbole. Que dis-je ? C’est proprement une discorde entre la fantaisie et les nécessités réelles de la composition. Tout ouvrage qu’il a écrit pour le théâtre, resplendit à ses yeux d’une auréole, qui en cache les défaillances. Il est prodigieusement dupe de visions admirables. Et il écrit des avant-propos, qui pourraient être en vers, comme le monologue de don Carlos ; le lyrisme y vaticine, les contradictions n’y sont point voilées. Au moment de mettre en couplets les descriptions de Walter Scott, il les dédaigne dans ses notes[11] ; il proclame le vers indispensable, et il écrit trois mélodrames en prose. Pour prendre ses vues sur les idées, il escalade à tout coup les tours de Notre-Dame, et fait de là-haut ses salutations théâtrales.

Il parle au peuple. Aux grandes foules les grands mots ; et aux grands mots les grands remèdes. Ces symboles ne font pas qu’il ait vu seulement ce qu’il y avait à faire. Le promoteur du drame national débute par Cromwell, du drame historique par Hernani, et pousse jusqu’au drame social avec Angelo. Je sais qu’Angelo[12], c’est « la femme… toute la femme », à moins que ce ne soit plus simplement un mélodrame à couloirs, corridors et portes secrètes, et que cette œuvre sociale — en dépit de ses tirades déclamatoires, où ceux qui sermonnent la société sont les moins qualifiés sermonneurs et où il est enfin avéré que la seule créature aimante, héroïque et douloureuse est la fille de joie, la pauvre excellente fille de joie, ainsi nommée par une lamentable antiphrase — n’apparaisse, en fin de compte, comme une médiocre reprise de Marion de Lorme ou plutôt comme une imitation assez réjouissante de Catherine Howard, représentée un an plus tôt, qui n’affichait pas de telles prétentions, et se contentait d’être un drame « extra-historique » avec sérénité[13]. Par une singulière coïncidence, à l’instant que Victor Hugo incline à prendre son bien où il le trouve, chez Dumas et les auteurs voisins[14], sa dissertation préliminaire est plus ambitieuse, didactique, politique et symbolique. Décidément, il faut chercher ailleurs des idées précises sur le drame moderne. « Des mots, des mots… », dit Hamlet, père de ceux qui vont gonflant sur le théâtre leurs homélies lyriques et métaphysiques. Que Dumas ait lu la préface de Cromwell, je ne saurais l’affirmer, quoiqu’il en fasse une fois mention[15] ; que, hormis la ruine des règles de la tragédie, il y ait entendu quelque chose et en ait tiré quelque fruit, on le peut nier en toute assurance.

On accordera qu’en Cromwell même il n’a pas dû rencontrer un ferme appui. Je passe. D’une théorie révolutionnaire sort un centon d’écolier, où Shakespeare, Corneille, Molière, Racine s’étonnent de se rejoindre ; telles les victimes de Matalobos. C’est l’application d’un vers de la pièce :

Avec la tragédie unir la mascarade[16].

Et c’est aussi le premier point à noter. Hugo ne manque pas de mémoire, non plus que Dumas. Seulement, il s’attache encore davantage aux aubaines de ses souvenirs. Il coupe les scènes empruntées, les quitte et y revient, et ne les lâche plus. Le monologue d’Auguste est repris à toute heure du jour et de la nuit[17]. Deux vers de Corneille s’espacent en deux longues pages[18]. C’est la seconde remarque à retenir. Cromwell n’est pas, comme on l’a dit, un accident de composition, mais le premier résultat de cette faculté d’agrandissement et d’accumulation que Victor Hugo apportait au théâtre, de son propre fonds, et sous l’influence de Walter Scott. La peinture de l’individu tournait d’abord à l’énorme. N’ayant point le génie dramatique, jamais il n’arrivera à se réduire aux justes proportions du drame. Dumas conte qu’après la première lecture de Marion de Lorme chez Devéria, se trouvant assis à côté du baron Taylor, qui lui demandait ce qu’il en pensait, il répondit que l’auteur avait fait sa meilleure pièce[19]. En effet, au point de vue scénique, aucun progrès ne se manifeste depuis Marion de Lorme jusqu’à Ruy Blas. La trame de Lucrèce Borgia semble plus serrée : nous verrons tout à l’heure par quel heureux hasard. Hugo est un voyant, dénué de logique et de mesure.

Dumas, qui n’était pas lent à exécuter, s’étonne que Hernani et Marion de Lorme aient été composés l’un en huit jours et l’autre en onze. Et il ajoute : « Hâtons-nous de dire que d’avance les plans de ces deux pièces étaient faits dans la tête du poète[20] ». Le poète n’a pas dû fatiguer beaucoup à les composer. Il est, en ce point, très inférieur à Pixérécourt. Il conçoit une abstraction, qui devient une image, qui s’agrandit et se découpe en tableaux, qui se développe par un contraste, qui s’accompagne d’une mélodie. La plupart de ses péripéties décisives ne se justifient point. Il ne s’avise aucunement des progrès de la technique. Et l’on ne saurait dire qu’il la méprise. Il prend pour des préparations sans réplique la signature d’un billet ou la remise d’un gage, comme aux jeux innocents. Salluste a le billet, Ruy Gomez sonne du cor. Il a des quatrièmes actes qui ne tiennent à rien, et que justifie le seul plaisir de la surprise : on y entre par les balcons et les cheminées ; il semble que les portes tapissées qui y sont le triomphe de la couleur locale, y soient d’ailleurs inutiles[21]. Au cours des autres, l’harmonie ne règne que dans le tissu délicieux et fragile des vers : au surplus, nulle proportion ; presque toujours une scène démesurée, celle qui se chante, la scène lyrique, et qui emplit chacun des actes. Le reste s’ajuste au petit bonheur. Les personnages sont trop souvent où ils ne devraient pas être. Une analyse de Hernani, vu de ce biais, serait piquante ; et de Ruy Blas aussi. Ils vont et ils viennent, se rencontrent, se quittent, et, quoi qu’ils en disent, sont rarement à leur affaire. Aucune logique en eux, point de projets à suivre. Ils ont des intrigues sinistres, qui avortent on ne sait pourquoi. Ils veulent s’entr’égorger et oublient leur poignard ; quand ils l’ont retrouvé, ils sont redevenus des frères[22]. Du théâtre Hugo n’a que le mouvement, et encore prenez garde que ce mouvement se propage le plus souvent à la surface des strophes et des couplets lancés à toute volée. De caractères ou de passions nous parlerons à une occasion meilleure.

Il y a juste autant de logique en ces chanteurs que dans les événements où il leur faut s’engager, vocaliser et mourir. La voix est d’or, mais la verve souvent bizarre, parfois épaisse[23], la passion monotone sans progression et comme hypnotisée par la beauté des passages et du récitatif. Dépouillé de l’éclat de la forme, ce n’est que du bruit cadencé qui fuit.

Vous êtes mon lion superbe et généreux[24]

fait un vers d’un élan farouche. Le « lion » est de Schiller et de Mérimée[25]. Mademoiselle Mars, fine-mouche, le domestiquait ainsi :

Vous êtes mon seigneur superbe et généreux[26].

Plus de lion, plus rien, que la banalité de « superbe » et l’équivoque de « généreux ». M. Émile Faguet a remarqué que Victor Hugo n’est « pas du tout le poète des femmes[27] ». Certes, dans son théâtre, elles n’ont pas un langage très différent de celui des amoureux. Ce n’est pas le signe d’une rare sensibilité. Les femmes s’expriment à la façon des hommes, et les hommes agissent comme des femmes. Ils sont enivrés de poésie, de couplets et de rythmes. La théorie du drame moderne, les contrastes physiologiques, moraux, sociaux s’évaporent en des duos sans fin. Hommes et femmes sont romantiques, antithétiques, énigmatiques et symboliques en beaux vers. Ils ont lu, eux aussi, Calderon, Lope, Shakespeare, Scott, Byron, Gœthe, Schiller et Casimir Delavigne. Je vous quitte de ceux qui déclament la prose, et qui ont pratiqué Dumas. Les autres sont poètes, nés du cerveau d’un poète, de sensibilité moyenne, d’imagination magnifique, et nullement dramatique. Ils réjouissent nos yeux ; ils charment nos oreilles. Ils versent les sons avec les couleurs… « Sortons vite, disait Dumas à son fils après une représentation de Hernani ; ça pourrait recommencer. »

Depuis Marion de Lorme jusqu’à Ruy Blas, Victor Hugo n’a fait que recommencer. Il est d’une incroyable pauvreté de moyens, malgré les emprunts qu’il fait aux autres et à lui-même. Je ne lui reproche pas ses imitations du théâtre étranger, qui ne sont guère moins nombreuses que celles de Dumas, mais le faible parti qu’il en tire, parfois à contresens. La conspiration de Cromwell, souvenir de Cinna et de Fiesque, est reprise dans Hernani[28]. La scène des portraits de Ruy Gomez est une adaptation de celle des spectres de Richard III[29] : qu’on se rassure, je ne les rapprocherai point. Cela devient la scène des affronts dans Lucrèce Borgia et celle des duels de don Guritan dans Ruy Blas. L’inspiration de Shakespeare s’amoindrit toujours davantage. Hernani n’est pas moins imité qu’Henri III. Seulement, l’exécution diffère. Outre les obligations qu’il a à Corneille, au Romancero gênerai, aux Brigands[30], — surtout les rôles d’Amalie, de Charles Moor et du vieux Moor, — j’indique pour mémoire le canon qui annonce l’élection de don Carlos[31], — le monologue du même[32], — les scènes du cor : « Le chef des outlaws détacha de son cou le cor de chasse et le baudrier qu’il avait récemment gagnés au tir d’Ashby : « Noble guerrier, dit-il au Chevalier noir, etc.[33]», — le couplet de Hernani :

XXXXXXX
Parmi nos rudes compagnons[34]!…
extrait de Schiller, — le cri :

Qui veut gagner ici mille carolus d’or ?


reproduit de Schiller[35], — le motif :

Que sur ce velours noir ce collier d’or fait bien[36] !


réminiscence affaiblie d’Egmont. Encore un coup, je ne fais pas à Victor Hugo un grief d’imiter, mais de diminuer souvent ses originaux. Jusqu’à Ruy Blas, il imite, il se répète, sans s’améliorer. Et à la fin il lui arrive de tirer plus gauchement profit de ses souvenirs qu’à ses débuts. Ainsi, l’acte II de Ruy Blas est transposé de Don Carlos[37], dans une intention dont la logique échappe, s’il est vrai que pendant plusieurs scènes la camerera mayor nous persuade qu’en l’absence du roi, personne, sauf les ministres, n’est admis à voir la reine, tandis que dans les suivantes nous apparaît tout justement le contraire.

Même il advient que Victor Hugo choisit ses sources plus près de lui. Je ne parle pas de Marion de Lorme, composée après et d’après le roman de Cinq-Mars, et je me veux borner à Hernani et Ruy Blas, qui tiennent encore l’affiche.

Quand Ruy Goraez parut (25 février 1830), Casimir Delavigne avait donné l’École des vieillards depuis sept ans (6 décembre 1823), et Marino Faliero (30 mai 1829) depuis quelque neuf mois. On lit dans la première pièce :

 
 
Quand on aime avec crainte on aime avec excès ;

Jeune, on sent qu’on doit plaire, on est sûr du succès[38], etc.

Et l’on trouve dans Marino Faliero d’autres couplets que je ne compare pas à ceux de Don Ruy ni de Doña Sol, mais qu’il faut pourtant rapprocher.

Tout s’est éteint, flambeaux et musique de fête,
Rien que la nuit et nous ! Félicité parfaite[39]

Délicieuse, délicieuse mélodie, à laquelle préludait modestement le sage auteur de Marino Faliero :

J’ai vu les astres fuir et la nuit s’avancer,
Et des palais voisins les formes s’effacer,
Et leurs feux qui du ciel perçaient leur voile sombre,
Eteints jusqu’au dernier disparaître dans l’ombre[40]

Si la scène des portraits est de Shakespeare, la situation du roi exigeant de Ruy Goraez qu’il livre son hôte, est de Mérimée, indubitablement. On la reconnaîtra dans Inés Mendo ou le Triomphe du préjugé[41]. « Je sens, dit le corrégidor à don Esteban, combien il vous est pénible de livrer votre hôte. Mais je sais aussi que vous ne voudriez pas donner asile à un ennemi du roi. » Ce que Hugo traduit :

 
Mon cousin, je t’estime ;
Ton scrupule, après tout, peut sembler légitime.

Sois fidèle à ton hôte, infidèle à ton roi[42].

N’allez pas croire que ce soient péchés de jeunesse, ni que le dramaturge devienne avec le temps plus inventif ou discret. J’ai dit que le deuxième acte de Ruy Blas est imité de Don Carlos. Il convient d’ajouter que le conseil des ministres est emprunté d’une autre pièce du même Delavigne, représentée le 6 mars 1828, la Princesse Aurélie, et qu’il n’y a pas à s’y méprendre :

 
Au conseil appuyez mon projet.
— Vous y pouvez compter. — Moi, sur un autre objet

J’y réclame à mon tour votre utile assistance[43]

Dans le discours du conseiller Polla on notera de même quelques traits de celui de Ruy Blas :

Votre empire opulent, qui craint pour son commerce,
Est grevé d’un tribut de vingt mille ducats
Payé par sa marine aux Turcs qui n’en ont pas[44], etc.

Il y a mieux. Les Enfants d’Edouard parurent en 1833, Ruy Blas vint en 1838. Victor Hugo a fait de Tyrrel don César de Bazan et don Salluste de Glocester. La scène ii du premier acte entre don César et don Salluste est une adaptation directe de la scène iii du II entre Glocester et Tyrrel :

 
Vous êtes
Décrié pour vos mœurs, écrasé par vos dettes,

Sans principes, sans frein… — Ajoutez : sans crédit,
Et cela fait, mylord, vous n’aurez pas tout dit[45]

Je ne cite que le nécessaire ; mais il faut lire toute la scène. Encore une fois, je ne compare pas les vers de Casimir Delavigne, plus timide et circonspect en son essor[46]. Mais la situation dramatique et les types étaient créés depuis cinq ans et Victor Hugo s’en empare et les démarque, je dis : textuellement. Qu’on se rappelle les précautions de don Salluste :

 
Ce matin,
Quand vous êtes venu, je ne suis pas certain
S’il faisait jour déjà
Personne en ce cas, au château.
Ne vous a vu porter cette livrée encore

Ni personne à Madrid ?

Et plus loin :

 
Est-ce que, sans reproche,
Quand votre sort grandit, votre esprit s’amoindrit[47]?

Et lisez la fin de la scène des Enfants d’Édouard :

 
Peut-on encor te connaître à la cour ?
— J’y parus à vingt ans et n’y restai qu’un jour.
— Pourquoi ? — Je m’ennuyai, mylord, de l’étiquette.
— C’est bien : levez les yeux.
Sur votre front hautain portez tous vos aïeux.
Allons, mon gentilhomme, une superbe audace !
 

Et nul n’ira chercher, s’il s’amuse à vos fêtes,
Qui vous étiez, sir James, en voyant qui vous êtes.
Tout vous convient-il ? — Tout. — C’est donc fait. — Je conclus.
— Moi, je paye : à présent tu ne t’appartiens plus[48].

Qui se serait douté que don César de Bazan, costumé à l’espagnole, avec

Sa cape en dents de scie et ses bas en spirale[49],


descendait de Shakespeare par Casimir Delavigne[50] ?

Le créateur du drame national, symbolique et social est manifestement à court de moyens scéniques. De sujets dramatiques il n’est pas très riche non plus. Je ne parle, cela s’entend, que de ses œuvres représentées. Les autres ne nous sauraient intéresser ici[51]. Au moment où il abandonne le vers pour serrer de plus près la réalité, il écrit Lucrèce Borgia, Marie Tudor et Angelo. Ne méprisons pas la chronologie : elle contient parfois de précieux enseignements. Lucrèce Borgia parut le 2 février 1833. Le 29 mai 1832, Dumas avait donné la Tour de Nesle. L’analogie des deux pièces ne nous saurait échapper : Marguerite et Lucrèce, l’inceste et la mère, la mère et l’inceste ; festins, orgies à la Tour et chez la Negroni, les cadavres de la Seine et du Tibre ; et le récit du début : «… Cette nuit donc, un batelier du Tibre, qui s’était couché dans son bateau… C’était un peu au-dessous de l’église de Santo-Hieronimo. Il pouvait être cinq heures après minuit[52]… » Gennaro et Buridan, capitaines d’aventures, noms de guerre ; Gubetta et Orsini, sinistres machinistes. Victor Hugo a repris le drame au point où Dumas l’avait laissé : « Malheureux ! Malheureux ! Je suis ta mère[53] ! » Il a interverti les rôles et c’est le fils qui tue sa mère. Mais il n’a dédaigné ni les masques, ni les poignards, ni les poisons. Là, ces poisons « brisent les vases qui les renferment » ; ils « transpirent » ici « à travers les murs » du palais ducal[54]. Hugo n’a rien épargné, sauf l’esprit. Si l’on veut voir à plein l’insuffisance de son talent dramatique, on peut comparer Lucrèce Borgia et la Tour de Nesle. À tout coup, la logique souffre, l’invraisemblance crie, depuis la scène où Lucrèce raconte à « Gubetta-poignard, à Gubetta-gibet » ses crimes et ses misères en présence de Gennaro endormi[55], jusqu’à celle où de jeunes imprudents, qui savent que les murs ont des oreilles, s’en viennent deviser sous le balcon de doña Lucrezia[56], sans compter celle du dénoûment, qui n’est pas la moins choquante[57]. Songez, je vous prie, à la fin de la Tour de Nesle !

Marie Tudor est du 6 novembre 1833 et Christine du 30 mars 1830. L’imitation est flagrante au point que les personnages se font vis-à-vis. Seulement, le poète historien, le dramaturge aux documents, qui devait écrire la préface de Ruy Blas, avait fait de Marie Tudor hydropique et archicatholique une courtisane éhontée. Quant à Angelo, j’en ai dit la date, et qu’il suivait de près Catherine Howard. Après avoir transporté la Tour de Nesle en Italie, il était aisé à Victor Hugo de transplanter la Tour de Londres à Venise. Sans doute la préface d’Angelo a débordé jusqu’à trois fois à travers l’œuvre[58]; mais enlevez les sermons, qui sont pièces de rapport, restent le sujet et le dessin général de Catherine Howard, à défaut de l’exécution dramatique. Le manteau de Rodolphe trahit Catarina, comme la toque d’Ethelwood dénonce Catherine[59] ; le roi Henri et le podestat sont deux sires de Barbe-Bleue ; Homodéi joue une partie du rôle d’Ethelwood ; et pour les narcotiques, nous savons que Roméo les a fournis. Victor Hugo ouvre et ferme sa pièce avec une a clef fatale » ; Dumas, toujours prodigue, en a deux[60].

Qu’est-ce à dire ? Que le théâtre de Victor Hugo n’existe que par les vers, et en dehors de la scène ; que les plus beaux sont dans les Burgraves[61] et ne sont pas dans un drame, et qu’il y parut bien, au premier soir ; et qu’enfin, même si Henri III fût venu après Hernani, il n’en eût guère profité. Dumas ne doit rien à son heureux rival, ou presque rien, hormis quelques traits d’Antony que Didier a pu inspirer, et qui ne sont pas essentiels, et peut-être aussi un médiocre soin de la morale courante, avec je ne sais quel plaisir de la violenter, — si cette joie et ce dédain n’étaient pas d’ailleurs fort congruents à sa complexion et à son éducation[62]. Il avait vu qu’après Marion de

Lorme et après Hernani, la tragédie n’était pas morte, le drame n’était pas né. Il admirait ce qui nous charme tous, la maîtrise des mots et des images, l’harmonieuse complicité des rythmes et des voix, en un cadre grandiose des suites de mélodies, la romance et le duo en cinq actes, et non pas même l’opéra, qui est plus complexe, ni non plus la tragédie de Voltaire, dont les discours ont plus de suite ; mais des images, des sons, de la musique enchanteresse, souvent gâtée par ce théâtre, — guignol enfantin et sans logique :

Ah ! qui n’oublierait tout à cette voix céleste ?
Sa parole est un chant où rien d’humain ne reste[63]

Dumas déclare qu’après la lecture de Marion de Lorme, il eût donné dix ans de sa vie « pour atteindre à cette forme[64] ». Au prix de dix années ce n’est pas trop chèrement acheter les dons luxuriants de la divine poésie. Mais le dramaturge eût fait un mauvais marché. Stendhal avait une vue plus juste des exigences du drame : il y fallait la prose[65].

    Lucrèce Borgia, 1re partie, I, sc. vi, pp. 35-36 ; Ruy Blas, II, sc. IV, pp. 143-144. On trouve, à la scène citée de Marino Faliero, l’idée de la salle des portraits des doges. Peut-être les deux souvenirs se sont-ils combinés dans la mémoire de Victor Hugo.

  1. Voir op. cit. de Séchan, décorateur de l’Opéra, ch. ii, pp. 32-34. L’auteur raconte comment Victor Hugo refit lui-même, brosses en main, un de ses décors, celui du II de Lucrèce Borgia, avant la représentation. Et il cite ce mot du poète : « Ah ! si je n’avais pas eu le goût des vers, quel architecte-décorateur j’eusse fait ! », p. 34. Cf. préface de Hernani, p. 8. « Peut-être ne trouvera-t-on pas mauvaise un jour la fantaisie qui lui a pris (à l’auteur) de mettre, comme l’architecte de Bourges, une porte presque moresque à sa cathédrale gothique. » Cf. préface de Ruy Blas, p. 83 : « Ainsi, il a voulu remplir Hernani du rayonnement d’une aurore et couvrir Ruy Blas des ténèbres d’un crépuscule. »
  2. nos XXXIII et XXXIV.
  3. Voir le récent ouvrage très renseigné de M. Maurice Souriau la Préface de Cromwell, mais le lire avec infiniment de précautions, surtout en ce qui concerne les influences subies par Victor Hugo (pp. 1-43) et les idées de la Préface (pp. 113-168).
  4. Mélanges de littérature et de critique. Biblioth. Charpentier, 1894.
  5. Préface de Marion de Lorme, p. 182. Cf. Première lettre de Dupuis et Cotonet, p. 198, à propos de l’art humanitaire.
  6. Première lettre de Dupuis et Cotonet, p. 195. Contresens à propos des Eumenides et sqq.
  7. Préface de Cromwell, pp. 8 sqq.
  8. Préface de Marie Tudor. p. 131.
  9. Préface de Cromwell, p. 47.
  10. Préface de Cromwell, p. 49.
  11. Théâtre, t. I, p. 513, note 10. « Ce n’est pas non plus en accommodant des romans, fussent-ils de Walter Scott, pour la scène, qu’on fera faire à l’art de grands progrès. »
  12. Préface d’Angelo, p. 267.
  13. Avertissement de 'Catherine Howard, Théâtre complet (t. IV), p. 207.
  14. Voir ci-après pp. 139 sqq.
  15. Mes mémoires, t. V, ch. cxxx, p. 245.
  16. Cromwell, III, sc. xii, p. 308.
  17. Ibid., II, sc. xv, p. 207 ; cf. IV, sc. ii, p. 346 et passim.
  18. Ibid., V, sc. iv, pp. 423-425. Développement des deux vers de Cinna : I, sc. iii.

    L’occasion leur plaît, mais chacun veut pour soi
    L’honneur du premier coup, que j’ai choisi pour moi.

  19. Mes mémoires, t. V, ch. cxxxi, p. 258.
  20. Mes mémoires, t. V, ch. cxxxi, p. 268.
  21. Voir plus bas, p. 273, n. 1.
  22. Cf. l’énergie de Buridan et du chevalier de Maison-Rouge.
  23. L’acte IV de Ruy Blas, trop vanté, produit parfois l’effet d’une suite d’à peu près ou de coq-à-l’âne :

    Quel livre vaut cela ? Trouvez-moi quelque chose
    De plus spiritueux !


    Ou encore :

    Dans ce charmant logis on entre par en haut
    Juste comme le vin entre dans les bouteilles.

    (Ruy Blas, IV, sc. ii, pp. 185 et 186.)
  24. Hernani, III, sc. iv, p. 78.
  25. Voir la Conjuration de Fiesque à Gènes, II, sc. xviii, p. 268 : « Pensiez-vous que le lion dormait ? » Cf. Théâtre de Clara Gazul. L’amour africain, p. 172. Mojana après avoir ôté son voile : « Que veut mon lion ? »
  26. Mes mémoires, t. V, ch. cxxxii, pp. 272-273.
  27. XIXe siècle, Victor Hugo, § iv, p. 168.
  28. Hernani, acte IV. Cf. Cromwell, III, sc. ii, p. 255.
  29. Le roi Richard III, V, sc. iii, pp. 231-253. Cf. Marino Faliero, V, sc. ii, p. 102 ; Hernani, III, sc. vi, pp. 84-88 ;
  30. M. Petit de Julleville a noté (le Théâtre en France, ch. xi, p. 158) les rapports de mouvement scénique entre Hernani et Victor ou l’Enfant de la forêt. Il y a plus. Victor Hugo et Pixérécourt imitent les Brigands de Schiller. Voir surtout, outre les rôles indiqués, les Brigands, II, sc. iii, pp. 81 sqq., et V, sc. ii, pp. 158 sqq.
  31. Cf. la Conjuration de Fiesque à Gênes, IV, sc. xv, p. 318 ; Hernani, IV, sc. iii, p. 118.
  32. La Conjuration de Fiesque à Gênes, III, sc. ii, p. 273 ; Hernani, IV, sc. ii, pp. 107 sqq. Tous ces monologues dérivent d’ailleurs d’Hamlet.
  33. Ivanhoe, trad. Dumas, t. II, ch. xxxii, pp. 102 sqq. et ch. xl, pp. 216 sqq.
  34. Les Brigands, II, sc. iii, p. 81. « Il y a ici soixante-dix-neuf hommes dont je suis le capitaine, etc. ». Hernani, I, sc. ii, p. 22. Cf. Victor ou l’Enfant de la forêt, III, sc. vi, pp. 43-46. Pixérécourt adoucit.
  35. Les Brigands, V, sc. ii, p. 164 : « On a promis mille louis d’or à celui qui livrerait en vie le grand brigand ».
  36. Hernani, V, sc. iii, p. 139. Cf. Egmont, III, p. 325. « Ah ! le velours est trop magnifique »
  37. Ruy Blas, II, sc. i, pp. 125-131. Cf. Don Carlos, I, sc. iii, p. 16. J. Janin avait déjà remarqué, malgré son évidente sympathie pour V. Hugo dramaturge, comment les scènes imitées sont diminuées et perdent de leur portée dramatique ou autre. Voir Hist. de la litt. dramat., t. IV, ch. xviii, p. 377. « Par exemple, cette représentation des futilités de la cour d’Espagne au second acte de Ruy Blas, pour être exacte et complète et pour amener de charmantes répliques, de fines reparties, n’est tout au plus qu’une délicate peinture posée dans un salon, et dont on admire la finesse, sans demander pourquoi ce tableau est placé là. Le grand poète Schiller avait retracé, avant M. Victor Hugo, un grand et sévère tableau historique avec le même sujet, etc. »
  38. Vers dont l’écho sonore se propag-e dans Hernani, III, sc. i, pp. 61 sqq. ; l’École des vieillards (Th., I), III, sc. ii, p. 316.
  39. Hernani, V, sc. iii, p. 139.
  40. Marino Faliero (Th., II), IV, sc. i, p. 283.
  41. Inès Mendo ou le Triomphe du préjugé, III, sc. ii, p. 256.
  42. Hernani, III, sc. vi, p. 91.
  43. La Princesse Aurélie (Th., I), II, sc. vi, p. 421. Il faut lire toute la scène, pp. 417-422 et la comparer à Ruy Blas, III, sc. i, pp. 152-156. Ajoutons que la scène de Casimir Delavigne est d’une observation autrement générale et pénétrante que celle de Victor Hugo. C’est de la comédie très fine, du genre de la Popularité et même de la Camaraderie.
  44. La Princesse Aurélie, IV, sc. i, p. 448. Cf. Ruy Blas, III, sc. ii, p. 156.
  45. Les Enfants d’Édouard, II, sc. iii, p. 332. Cf. Ruy Blas, I, sc. ii, pp. 91 sqq.
  46. Ibid., p. 333.

    Nous étions beaux à voir autour d’un bol en feu.
    Buvant sa flamme, en proie aux bourrasques du jeu.
    Quand il faisait rouler sous nos mains forcenées
    Le flux et le reflux des piles de guinées.

  47. Ruy Blas, I, sc. iii, pp. 111-112 ; et I, sc. v, p. 119.
  48. Les Enfants d’Edouard, II, iii, p. 337.
  49. Ruy Blas, I, sc. ii, p. 94.
  50. Le Roi Richard III, IV, sc. ii, p. 219. « Je connais un gentilhomme mécontent, dont les humbles moyens ne sont pas en rapport avec son orgueil : l’or vaudrait auprès de lui vingt orateurs, et le pousserait incontestablement à entreprendre quelque chose que ce fût. » Et ibid., p. 220. Mais la scène de Shakespeare est rapide. Il semble que Casimir Delavigne y ait mêlé le souvenir de Falstaff. Hugo en fait un « bandit », un « gueux », un picaro.
    Ajouterai-je qu’on retrouve dans Ruy Blas (IV, i, 182) le page d'Henri III et sa Cour et de Don Carlos (voir plus haut, p. 99).

    Cours, mon bon petit page, as-tu bien tout compris ?…


    que la duègne (IV, sc. iv, pp. 197 sqq) est une doublure de celle de la Tour de Nesle (I, tabl. i, sc. iii, pp. 10 sqq), laquelle est extraite de la Chronique du règne de Charles IX, ch. xiv, p. 221, où Dumas, il faut le dire, a trouvé exactement la situation qu’il mettait en scène : deux frères et un rendez-vous de nuit… N’oublions pas le prototype : Macette.

  51. Voir Ernest Dupuy, Victor Hugo ; l’homme et le poète ; l’inspiration dramatique, ch. i, ii, iii, pp. 133-175, surtout le chapitre iii. C’est une étude excellente et d’un vrai poète qui aime, comprend, et sent le poète. L’auteur en vient d’ailleurs, avec quelque ennui, à cette conclusion : « Ce qui peut arriver à ces pièces de moins heureux, c’est qu’on les joue ». L’inspiration dramatique (ch. iii, p. 159).
  52. Lucrèce Borgia, 1re partie, I, sc. i, p. 14.
  53. La Tour de Nesle, V, tabl. ix, sc. iv, p. 97.
  54. La Tour de Nesle, III, tabl. vi, sc. v, p. 59. — Lucrèce Borgia, 1re partie, II, sc. iii, p. 45.
  55. Lucrèce Borgia, 1re partie, I, sc. iii, pp. 19-28. Et comme le procédé est commode, il le reprend dans Angelo, I, journée I, sc. i-iv, pp. 275-291.
  56. Lucrèce Borgia, 1re partie, II, sc. iii, pp. 48 sqq.
  57. Lucrèce Borgia, III, sc. iii, p. 111. En vain l’auteur prend-il, juste au moment de commencer cette scène odieuse, une précaution tardive (V, sc. ii, p. 110) : « Gubetta, quoi qu’il arrive, quoi qu’on puisse entendre du dehors de ce qui va se passer ici, que personne n’y entre », l’invraisemblance n’en est que plus forte. Comment ! Gennaro entend la voix de son ami Maffio, qui meurt dans la chambre à côté, et Gubetta n’entend pas les cris de Lucrèce : « Grâce ! Grâce ! » Ou les entendant, il n’enfreint pas la consigne ? Ah ! non, non, Victor Hugo n’est pas le génie du drame.
  58. La première fois (Angelo, journée II, sc. v, pp. 322 sqq.), quand la Tisbe, fille de théâtre, dit leur fait aux femmes du monde ; la seconde (journée III, partie i, sc. viii, p. 354 sqq.), alors que Catarina, condamnée à mourir, dit leur fait aux maris et à leurs « maîtresses publiques » et en conclut que tous les trois, Angelo, Tisbe et elle-même, ils sont « d’un bien exécrable pays ». Et enfin, la troisième fois (journée III, partie ii, sc. iii. pp. 371 sqq.), après qu’il est évident que tous ces événements naturels et ces théories sociales aboutissent à nous faire paraître le « pauvre cœur gonflé » de la courtisane édifiante et loquace.
  59. Angelo, journée II, sc. v, p. 325. Cf. Catherine Howard, IV, tabl. vi, p. 289.
  60. Angelo, journée I, sc. vii, pp. 299 sqq. Cf. Catherine Howard, III, tabl. v, sc. vi, p. 276. « Tu as oublié, Catherine, qu’il y avait deux clefs… »
  61. On trouverait peut-être dans l’épilogue de Christine l’idée, ou plutôt le germe théâtral des Burgraves, l’antithèse de Christine et de Sentinelli, tous deux blanchis par l’âge, tels Job et Guanhumara, et tous deux chargés du remords de l’homicide.
  62. Signalons toutefois une réminiscence de Marion de Lorme, II, sc. i, pp. 212-215. Cf. Christine, I, sc. i, pp. 212-213 ; sans oublier qu’en son Saint-Genest, Rotrou avait déjà mis en œuvre ce procédé de couleur locale. Il est indéniable aussi que les vers de Victor Hugo firent une vive impression sur Dumas, et que quelques-uns ont retenti en sa mémoire. Il y a quelque rapport de ce genre entre le monologue de don Carlos et celui de Christine. Hugo écrit :

    Ah ! c’est un beau spectacle à ravir la pensée !

    (Hernani, IV, sc. ii, p. 107.)


    et Dumas :

    Oh ! que c’est un spectacle à faire envie au cœur !

    (Christine, II, sc. ii, p. 225.))

    « Observez, je vous prie, concluait Granier de Cassagnac (art. cit., ci-dessus, p. 109), les différences : Charles-Quint va être empereur et Christine abdique ; Charles-Quint dit : ah ! et Christine dit : oh ! » Au fond, sans dire précisément les mêmes oh ! ni les mêmes ah ! ils paraphrasent tous deux, Hugo longuement et à perte de vue, Dumas avec une métaphysique plus matérielle et d’un bon enfant :

    Marcher sur du velours, mais, partout où nous sommes.
    Sentir que nous marchons sur la tête des hommes.


    — tous deux ils paraphrasent le monologue de Fiesque (III, sc. ii, pp. 273-274), lequel, comme tous ces monologues romantiques, tire son origine première du « To be or not to be » (Hamlet., III, sc. i, p. 245).

  63. Hernani, V, sc. iii, p. 140.
  64. Mes mémoires, t. VIII, ch. cxxxi, p. 259.
  65. Racine et Shakespeare, partie I, p. 127 : « Nous ne réclamons la prose que pour les tragédies nationales », et partie II, lettre ii, p. 166 : « Le vers alexandrin n’est souvent qu’un cache-sottises ».