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Le Drame d'Alexandre Dumas (Parigot)/01/04/03

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III

« HENRI III ET SA COUR. »

Le 11 février 1829 fut représenté, sur la scène du Théâtre-Français, Henri III et sa Cour, en cinq actes et en prose.

Je n’ignore pas ce qu’on peut alléguer contre ce drame, qui est une date et une œuvre, quoi qu’on dise. Cela ne ressemble pas à Bérénice, à qui je ne le comparerai pas. On n’y trouvera ni la mesure, ni le goût, ni la psychologie harmonieuse. Qu’on se rassure : je n’ai pas formé le dessein d’y découvrir ces délices. Le temps en était passé, pour ne plus revenir. Même il ne m’échappe point qu’une légère transposition suffit pour tourner cette pièce à panache en parodie[1]. C’est une besogne aisée, qui n’est pas neuve, et dont nos artistes de la Comédie-Française s’acquittent, à cette heure, avec distinction. Les successeurs de mademoiselle Mars la vengent de ses démêlés avec Dumas. Henri III et sa Cour est une œuvre de début, où le cadre et le pittoresque débordent parfois le reste, où les imitations abondent, où des vestiges de tradition classique et tragique survivent tout de même par endroits, où la jeunesse triomphe avec frénésie, les poings ramassés au corps, et la tête en avant. Mais cette œuvre apportait à cette génération juste le genre d’émotion et de spectacle, dont elle était avide, que ni Pixérécourt, ni Mérimée, ni Delavigne, ni Hugo ne lui avaient encore donné, où Dumas, ignorant et peu timide, venait d’atteindre, par un hasard, à ce qu’il conte, après beaucoup de travail, comme nous avons dit (le hasard étant la providence des sots). Il n’a pas renversé la tragédie, ni lui ni aucun autre : cette forme d’art est supérieure. Mais il a communié avec l’imagination et l’âme du peuple. Et, lui premier, il apporta un drame, français par le choix du sujet, populaire par son fonds et ses points d’attache, et moderne par les germes féconds qu’il renfermait. C’est peu, si l’on se reporte aux préfaces de Victor Hugo, beaucoup, si l’on songe à ses pièces.

Henri III est en prose. Le théâtre populaire était à ce prix. Le vers agit sur la foule, mais repousse les personnages et les événements dans un lointain. Il fait l’impérissable beauté de la tragédie classique ; la prose constituait provisoirement un avantage décisif pour le drame. Puis, le sujet est pris dans notre histoire. D’instinct, Dumas avait amené Christine à Fontainebleau. D’instinct, il va ensuite à cette époque agitée du xvie siècle, où l’indépendance des partis déchire la France, où les passions sont entières, où, vaincus par l’esprit guerrier, philosophes et humanistes sont impuissants : époque énigmatique et trouble, que viennent de réveiller Chroniques et Mémoires, et dont les superstitions autant que les croyances sont pour la fantaisie un ragoût. Accessoires, trucs de théâtre, miroirs de réflexion, cela n’est point méprisable alors. Dumas pense fermement que son père mourut de langueur, pour avoir avalé quelque drogue des Borgia dans une prison d’Italie[2]. Cet état d’esprit fait partie de la légende napoléonienne. C’est la légende aussi qui détermine le caractère scénique d’Henri III, cet étrange contraste de mômerie et de volonté, de débauche et d’autorité, de cruauté et d’intelligence. Et cela même est populaire et bien français.

La pièce l’est à d’autres titres. Dumas remonte à Corneille par-dessus Voltaire et Racine ; c’est sa première attache. Dès longtemps, furent notés les emprunts faits à Don Sanche. Dans Christine il rend hommage au vieux dramatiste[3]. Dans Charles VII il se souviendra de Polyeucte[4], tout en imitant Andromaque, œuvre à demi cornélienne, au moins par le caractère d’Hermione. Corneille, père de la tragédie historique, imitateur de l’étranger, admirable dans la préparation des péripéties et par la logique, qui exalte les volontés et les caractères tout d’une pièce, fécond, toujours nouveau et enclin au mélodrame, était l’ancêtre désigné de Dumas[5]. Il en a un autre, aussi français, qui a plus influé sur lui et sur ce drame que Schiller et Scott même, c’est le maître ouvrier de notre scène moderne, le Beaumarchais du Mariage de Figaro. Il a le génie du théâtre ; il va droit au « machiniste ». Il se garde de se régler sur la Mère coupable, laissant cette erreur à Pixérécourt. « J’ai fait cinquante drames depuis Henri III, écrira-t-il plus tard, aucun n’est plus savamment fait[6]. » Il exagère à peine.

Dans la nécessité de peindre les mœurs, le théâtre est contraint de faire aux yeux un appel plus direct. Car, si les caractères perdent leur relief et leur généralité depuis la Révolution, les milieux en revanche prennent une influence prépondérante. Diderot en avait eu comme un pressentiment et recommandait les tableaux ; Beaumarchais, peintre de mœurs, s’était mis à les exécuter. Le Barbier de Séville et le Mariage de Figaro en sont tout remplis. Et, tout de suite, Pixérécourt en avait abusé grandement. Dumas en use d’abord ; il en abusera plus tard. S’il s’en était tenu à son talent dramatique, et n’eût apporté ici aucune préoccupation d’école, il allégeait l’empâtement de quelques détails d’érudition hâtive et soulageait sa pièce d’un poids mort qui pèse surtout sur l’acte I et le début du II. Dès Charles VII, il sera plus habile et suivra son naturel. Cela dit, je ne saurais souscrire aux jugements dédaigneux de certains critiques. Copieuse enluminure, orgie de couleur locale sont les moindres termes de leur mépris. Ils s’indignent de ce que Dumas trouve son sujet dans Anquetil. Vouliez-vous qu’il inventât Henri III ? Anquetil ou Surius, la belle affaire ! — Il puisait encore dans le Journal de l’Estoile. — On oublie la Confession de Sancy et l’Île des Hermaphrodites. On oublie surtout que le décor n’est pas la miniature, ni la délicatesse le fait du décorateur. Mais Bajazet ? Nous y voilà. Moi aussi, je suis d’avis qu’il y a de la couleur assez pour mon goût et pour une tragédie psychologique dans Bajazet ou Bérénice, mais je tiens que ni l’une ni l’autre ne sont des œuvres populaires, et qu’il en faudrait à la fin convenir. Dumas vise la foule ; et l’essentiel, en cette affaire, n’est pas que la couleur soit déliée, mais adroitement répandue à la surface. Il s’agit de représenter Henri III — et sa cour ; c’est à savoir un drame de passion et de mœurs. Or j’estime que, malgré quelque affectation de science juvénile, l’acte II, celui de la cour, est exécuté de main de maître, que des touches successives achèvent peu à peu le tableau, que nos yeux, nos oreilles, notre esprit sont comme remplis de cette impression que voilà une époque singulière, avec ses qualités d’action et ses vices florentins, sa foi et ses superstitions, ses passions et ses débauches et ses simagrées. Et je dis que déjà paraissent les procédés du crayon qui dessinera le Demi-Monde ou le tableau de l’acte I du Père prodigue. Si l’on observe que ces procédés ne sont point ceux de la tragédie, oh ! que l’on a raison, et avec quelle prudhommie ! Autre temps, autres mœurs, autre public. Que ne nous dit-on encore : Ah ! si vous aviez vu la Champmeslé ?

Pour le mélange des genres, Dumas suit sa veine. Il innove en dramatiste. À la vérité, cela ne fait pas un problème pour lui. Il n’oppose point le sublime au grotesque. Il est en scène. Les mots plaisants jaillissent parmi les situations. La gaîté s’insinue dans le tissu du drame et fait corps avec lui. Joyeuse, le bien nommé, l’émaille de ses saillies, sans avoir pour unique emploi d’exciter le rire. Il n’est pas un gracioso. Il a une verve de santé, qui est du premier coup au point du théâtre, et qui passe la rampe. L’esprit de théâtre, c’est l’esprit de tout le monde, en projection. Dumas l’a justement de cette sorte, et le projette. Joyeuse n’est un raffiné que sur le terrain. Il ne coupe pas les actes en deux pour y faire à l’antithèse sa part. Il n’arrête point la pièce, ni le mouvement d’ensemble, pour se détirer à l’acte IV, dans le vif de la crise.

Des situations et des mots, et des mots de situation, plus rarement de caractère, n’est-ce point le drame ? Est-ce que Beaumarchais n’avait pas beaucoup de cet esprit-là ? N’avait-il pas donné l’exemple de mêler la sensibilité au comique, à la suite de son siècle, et perfectionné les moyens d’opérer ce mélange, pour le plaisir du nôtre ?

Les progrès techniques accomplis par Beaumarchais, Dumas s’en empare et les tourne au profit du drame. L’action est simple, plus simple même que chez le modèle, dans les œuvres de tenue, mais aussi rapide, accélérée et souple. Nous ne sommes plus dans la tragédie : les événements se tiennent, se commandent de proche en proche comme les anneaux d’une chaîne sans fin. On notera que sous le pittoresque de l’époque historique l’intrigue se déroule, serrée, en un mouvement impitoyable. Aussitôt que Catherine, pour servir ses propres visées sur le roi, s’est mise à agir Saint-Mégrin et le duc de Guise, c’est une progression haletante et sans cesse indiquée. Cinq actes, les deux premiers plus longs ; au milieu, un III consacré au ménage des Guise ; un IV où Guise est joué par le roi et Saint-Mégrin appelé au rendez-vous fatal ; un V passionné, effréné, étouffant et concis, comme tous les dénoûments de Dumas. Au I, Saint-Mégrin a manqué être surpris en tête à tête avec la duchesse ; au V le tête-à-tête est un guet-apens ; et tous les actes sont coupés d’un mot qui dose, suspend et avive l’émotion : « Qu’on me cherche les mômes hommes qui ont assassiné Dugast[7] ! » Et aussi le mot de la fin rappelle le début, scelle l’unité de l’ensemble. « Eh bien, serre-lui la gorge avec ce mouchoir[8] ! » Tout est lié, animé, gradué, d’une logique fiévreuse. Et c’est bien le drame, constitué dans sa forme presque définitive. En ce sens, Dumas a pu en résumer la formule : « En fait d’art dramatique, tout est dans la préparation[9]  ». Seulement, la préparation est continue, jalonnée d’acte en acte, et de scène en scène, au lieu que toutes les « semences » de la pièce soient contenues dans l’exposition. L’armature de l’œuvre implexe est ainsi plus flexible et articulée. On comprend qu’elle soit nécessaire à un théâtre où les mœurs et les événements occupent une place prépondérante[10].

Il s’agit d’amener Saint-Mégrin à la scène finale du rendez-vous, où il trouve la mort. Notez que, pour être historique ou à peu près, elle n’en est pas moins invraisemblable. Si c’était un mignon sans cervelle, passe ; mais Dumas en a dû faire l’adversaire de Guise, le vaillant conseiller du roi : un danger pour les projets ambitieux de Catherine, un modèle de jeune et fervente tendresse amoureuse. Eh quoi, Saint-Mégrin, qui se souvient de Dugast, qui peut s’attendre à toutes les embûches, s’en va, sur la foi d’un billet, comme un bon étourdi, à l’hôtel de Guise, de nuit, confondu parmi les Ligueurs ? La difficulté est manifeste, mais la catastrophe et la suprême émotion sont à ce prix. Or voyez l’art et le travail du dramaturge, d’un vrai, celui-là. J’ai dit que Catherine manœuvre ces ambitions et ces passions. Et l’on accordera que cela n’est point mal vu.

Il faut tout tenter et faire
Pour son ennemi défaire[11].

Désormais, tous les événements vont pousser Saint-Mégrin vers le guet-apens : l’entrevue et la prédiction de Ruggieri, la duchesse chez l’astronome, le duc qui trouve le mouchoir de la duchesse. Puis, Saint-Mégrin est triste et rêveur ; il délie son ennemi, qui est le mari. Puis, c’est la jalousie du duc, la scène du billet et du gantelet, le guet-apens préparé. L’homme qui meurtrit une main de femme n’est pas pour s’arrêter à mi-chemin de la vengeance. Saint-Mégrin reçoit la lettre et la clef, qui le convient au rendez-vous. On se souvient qu’ici Dumas imite Schiller. La scène est empruntée ; même les expressions les plus fortes s’y retrouvent. Comparez et appréciez ce qu’il en fait, comme il nous met en l’esprit cette conviction que Saint-Mégrin doit affronter le rendez-vous, et la défiance céder à l’amour. Ce sont tour à tour la crainte, la compassion, les questions pressées, la lettre lue à haute voix, dont nous avons entendu la dictée alors que nous voyions le bras de la duchesse broyé, et c’est le meurtre de Saint-Mégrin inévitable. Oui, tout se trouve dans Schiller ; il n’y manque que le mouvement, les préparations, l’ordonnance dramatique. Cependant le nom de Dugast retentit à nos oreilles, tel un glas, comme au deuxième, comme au premier acte. Et le quatrième se termine au bruit de l’orage et dans une appréhension vague de la mort. Le but est atteint ; la scène terrible et douloureuse, la scène invraisemblable, qui est le terme de l’émotion et de l’action, est devenue nécessaire. Nous l’attendons avec tremblement ; nous l’écoutons dans l’angoisse. Ne voilà-t-il pas le drame ?

De trouver et déterminer les situations, c’est beaucoup. Mais il faut faire les scènes. Le dramaturge se reconnaît à ce qu’il en exprime tout ce qu’elles contiennent, sans tout dire, dans une progression naturelle, où le dénoûment n’est en aucun cas perdu de vue. Il doit couler les motifs de son développement en des mouvements de dialogue, qui en objectivent sur la scène le sens et même les mots. Un écrivain, si puissant qu’il vous plaira l’imaginer, s’il n’a point ce don, n’a point celui du drame. Hernani et dona Sol font des passages, chacun pour son compte ; ils font aussi parfois des duos, plus souvent leur partie d’un duo, la scène jamais, ou peu s’en faut. Henri III est, comme Hernani, une œuvre jeune. Mais les scènes sont sur pied ; historiques ou passionnelles, l’auteur les aborde de front, et, si je puis dire, les vide de leur contenu. Tous les développements y sont, engagés en des mouvements appropriés. Relisez celle du gantelet[12]. Il s’agit de faire paraître la violente jalousie du duc de Guise, qui s’exerce sur l’épouse, en attendant qu’elle frappe l’amant : un gantelet de fer broyant la main d’une femme, voilà le moyen dramatique. Brutal, dit-on ; c’est une autre affaire, et nous y viendrons. Ce gantelet est un symbole pour les yeux, le symbole de la passion frénétique et musclée. Pour être empruntée de Scott, la scène n’en était pas moins difficile à exécuter. Elle est poussée à fond. On y reconnaîtra sans peine six mouvements : 1o attaque brusque ; 2o la dictée de la première moitié du billet ; dialogue heurté ; répliques hachées ; 3o menaces ; le couplet se développe, l’orage des mots gronde ; 4o « mort et damnation ! » Le duc verse le contenu d’un flacon dans une coupe ; supplication ; un temps pour la prière ; l’allure se précipite ; le duc arrache la coupe : « Vous l’aimiez bien, madame !… Elle a préféré !… Malédiction sur vous et sur lui…, sur surtout qui est tant aimé[13] ! » Violent coup de barre, on s’oriente sur le dénoûment ; 5o les nerfs sont tendus. les cœurs serrés. Il s’agit d’arracher le reste du billet. Cris et répliques s’entre-croisent ; la duchesse s’évanouit ; le gantelet est impitoyable : « Eh non, madame ! » La phrase de la lettre en suspens s’achève dans un cri de douleur et un sanglot ; 6o reproches ; on appelle le page ; enfin la situation douloureuse prend fin dans une suprême angoisse : Saint-Mégrin est un homme mort. Toutes les phases de la jalousie physiologique et passionnelle ont été exprimées sous nos yeux, et vigoureusement imposées à notre émotion ensemble rebelle et complice.

Les interprètes d’Henri III ont-ils « ressuscité des hommes et rebâti un siècle[14] ? » C’est la question même du drame historique, que nous aborderons plus tard. Du moins, ils représentaient des hommes d’action et de passion, c’est-à-dire la vie telle que la rêva une génération condamnée à rêver, après les exploits et les grands coups de la précédente. Ces héros passent à travers les fortes situations de la pièce comme des lions à travers les flammes. Ils sont vraiment des lions superbes et généreux. Ils ont moins de logique que d’énergie instinctive et rectiligne, ou plutôt leur logique est dans la tension de leurs muscles et de leur volonté. Ils sont des ressorts peu compliqués, c’est-à-dire très populaires. Quand ils aiment ou haïssent, c’est de toutes leurs forces et de tous leurs appétits. Et les aventures ne leur font pas peur ; ils en ont le génie : c’est leur fatalité. Par la vigueur de sentir et de vouloir qui s’agite en ce drame, Dumas est en contact avec l’âme de son temps et il la dépasse.

Dans le cadre de ces peintures historiques la passion vit et frémit, telle que le public, je ne dis pas celui des Méditations, mais le peuple, oui, vraiment, ce peuple né des lassitudes sensuelles et des excès de sensibilité du xviiie siècle, pendant les exodes de l’Empire, après les secousses de 89, la pouvait concevoir, toute-puissante, sans frein, renversant toutes les barrières à la force du poignet, et de par les droits de l’imagination. Saint-Mégrin est le champion des rêves et des cœurs. Il incarne cette ardeur déchaînée, évocatrice, magique, fatale et peu platonique. Il en meurt, sans l’assouvir. Regardez-y de près : il meurt avec courage, mais à regret. Il préférerait que la mort vînt après[15]. Ainsi feront d’autres — qui disparaîtront après le plaisir, pour l’honneur. Il est surtout individualiste en amour, naïvement, mais avec une intrépidité de bonne opinion incomparable : « Ah ! madame, s’écrie-t-il, on n’aime pas comme j’aime pour ne pas être aimé[16]  ». Il ne s’engourdit pas

À regarder entrer et sortir des duchesses[17],


il pousse droit au but, il affronte le martyre moderne. On n’y prend pas assez garde, parce que Saint-Mégrin est une ébauche, et que le décor historique fait illusion. De même, Catherine de Clèves, qui a lu Jean-Jacques et attend George Sand, est déjà rêveuse, sensible, soucieuse de sa réputation, non au point d’en être esclave — jusqu’au moment où, dans un élan superbe, elle se révolte contre l’opinion, les préjugés et les devoirs, et s’enivre des joies douloureuses de l’amour. Elle est l’esquisse, elle aussi, de la faible femme souveraine (le plus notable contresens de ce siècle), placée si haut par les romantiques, et qui trébucha si follement de ces hauteurs.

Cette pièce plonge dans l’avenir du théâtre. Elle est grosse des drames de l’adultère, comme aussi des conséquences passionnelles, morales, légales, qui vont occuper la scène. L’épouse coupable, la sainte patronne de nos dramaturges, peut maintenant apparaître dans toute sa gloire, en attendant que le commissaire s’en mêle. Après la déroute de la noblesse, l’avènement improvisé de la femme moderne aboutit au renouvellement des mœurs, du code et du théâtre.

Henri III est le point de départ. Désormais la trinité dramatique est constituée ; elle, consciente des droits que lui confèrent les biens qu’elle a « apportés comme duchesse de Porcian[18] », et qui bientôt s’appellera tout uniment Adèle ; lui, qui se croit encore le seigneur et le maître, et qui en use ; et l’autre, l’ami céleste, le parangon de la divine passion, aujourd’hui victime du mari, plus tard autre mari de sa victime. Tous les trois, sur la scène, pendant tout le siècle, ils évolueront avec les mœurs. Et ainsi, en dépit de quelques traces de tragédie persistante, malgré les emprunts, souvenirs et imitations, Henri III et sa Cour fonde définitivement le drame populaire et original, sinon national et historique, où il suffira de remplacer la cour par un salon pour mettre dans le plein du drame moderne. Du premier coup, Dumas ouvrait au genre sa double voie.

  1. Le drame Henri III et sa Cour suscita trois parodies : la Cour du roi Pétaud, à laquelle Dumas collabora (Alex. Dumas, Gavé, Laviglé et A. de Ribbing), représentée au Vaudeville, le 28 février 1829 ; — le Brutal — et Cricri et ses Mitrons. Voir Charles Glinel, op. cit., ch. iv, p. 222, n. 1.
  2. Mes mémoires, t. I, ch. xiv, pp. 176 sqq.
  3. Christine, I, sc. i, pp. 212-213. Et l’acte III intitulé Corneille.
  4. Charles VII chez ses grands vassaux, IV, sc. iv, pp. 294-297.
  5. Des Dumas. Voir ci-après, p. 390. Cf, notre Théâtre d’hier, Alexandre Dumas fils, § II. Le système dramatique, p. 126.
  6. Mes mémoires, t. V, ch. cxvii, p. 81.
  7. I, sc. vii, p. 141.
  8. V, sc. iii, p. 198.
  9. Histoire de mes bêtes, ch. i, p. 3.
  10. Beaumarchais avait utilisé le jeu des accessoires, qui sont comme les signes matériels de ces préparations dans le drame comme dans le vaudeville : clefs, lettres, toques, cicatrices, etc. Il va sans dire que Beaumarchais les avait empruntés de l’espagnol, et Corneille aussi.
  11. I, sc. i, p. 123.
  12. III, sc. v, pp. 169-175.
  13. Ibid., p. 173.
  14. Théâtre complet, I, Un mot, p. 118.
  15. V, sc. ii, p. 195. « Oh ! assez ! assez ! Tu ne veux donc pas que je puisse mourir ? Malédiction !… Là, toutes les félicités de la terre, et là, la mort, l’enfer, etc. »
  16. I, sc. v, p. 134.
  17. Ruy Blas, I, sc. iii, p. 104.
  18. III, sc. v, p. 171.