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Le Livre des ballades/Riche amoureux a toujours l’advantage

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Ballade d’amours

Plaiſant aſſez & des biens de fortune
Ung peu garny, me trouvai amoureux,
Voire ſi bien qu’en aymai tant fort une,
Que nuict & jour j’en eſtoye douloureux ;
Mais tant y a que je suis ſi heureux,
Que moyennant vingtz eſcuz à la roſe,
Je fis cela que chaſcun bien ſuppoſe :
Alors je dis congnoiſſant ce paſſage :
Au faict d’amours, babil eſt peu de choſe ;
Riche amoureux a touſiours l’avantage.

Or eſt ainſi que durant ma pecune
Je fuz retins pour amy precieux ;
Mais quant j’euz faict, ſans dire choſe aulcune
Ceſte villaine alla jetter les yeux
Sur ung vieillart riche, mais chaſſieux,
Laid & hideux, trop plus que ne propoſe.

Ce non obſtant, il en jouit ſa poſe,
Dont moy confuz voyant ung tel oultrage,
Deffus ce texte allay bouter en gloſe,
Riche amoureux a touſiours l’advantage.

Or elle a tort, car noyſe ne rancune
N’euſt onc de moy : tant luy fuz gracieux ;
Que s’elle euſt dit, donnez-moi de la lune,
J’euſſe entreprins de monter jusqu’aux cieulx ;
Et non obſtant ſon corps tant vicieulx
Au ſervice de ce vieillard expofe,
Dont ce voyant, ung rondeau je compoſe,
Que luy tranſmis, mais en peu de langage
Me reſpond franc, povreté le depoſe ;
Riche amoureux a touſiours l’advantage.


ENVOY.


Prince ſoyez bien parlant comme Oroſe,
Bel entre tous, vermeil comme une roſe,
Sans dire tien, perdrez temps & uſage ;
Parquoy je dis tant en ryme qu’en proſe,
Riche amoureux a toufiours l’advantage.


Jehan Marot.