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Le Pain blanc/07

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Texte établi par Ferenczi et fils, éditeurs, L’Imprimerie Moderne (p. 65-76).

CHAPITRE VII


C ’était, comme au jour de son arrivée, Mlle Laporte qui l’accompagnait. Dans ce train qui la ramenait si tragiquement à Paris après cinq ans de candide bonheur, elle essayait de coordonner le désordre de ses pensées.

Pour qu’on ne l’eût avertie que par cette brutale dépêche, il fallait que maman fût morte subitement. Privée de nouvelles depuis tant de temps, elle se remémorait leur dernière entrevue si orageuse, sans un baiser échangé, sans un seul regard affectueux. « Ce jour-là, c’était la dernière fois que je la voyais. Oh ! si j’avais su. »

Elle se souvenait de sa surprise en constatant sous le chapeau maternel ces cheveux subitement gris. Fallait-il qu’elle eût souffert, cette mère passionnée, malade ! Ses chagrins avaient toujours semblé quelque peu ridicules ! Elle n’avait jamais su leur donner le noble charme de la douleur. Elle ne les avait exprimés que par exagérations, scènes, crises de nerfs, inconvenantes criailleries. C’étaient des chagrins tout de même, plus solitaires d’être antipathiques aux autres.

— Oh ! pauvre maman !…

Tout à coup, une nouvelle pensée, impérieusement, se jetait en travers, cri désespéré de l’égoïsme.

— Et moi !… qu’est-ce que je vais devenir ? Mon père est au front, ma mère est morte… Qui donc va s’occuper de moi, payer ma pension ? Où est l’argent de la maison ?

Elle sentait son cœur tout petit dans sa poitrine, place contractée qui lui faisait mal. Mais elle ne pleurait pas. Brouillés, curieusement scandés par le rythme du train, ses songes tournaient dans sa tête.

Au bas de l’escalier, Mlle Laporte la laissa, disant qu’elle reviendrait la chercher sur dépêche. Et, d’un pas hésitant, toute pâle, l’adolescente monta vers l’inconnu.

La porte était entr’ouverte. Elle la poussa d’une main peureuse. Et, dès le seuil, le silence complet de l’appartement et l’odeur pharmaceutique qui y régnait lui firent respirer la mort.

Un domestique, qu’elle voyait pour la première fois, apparut dans le vestibule et lui demanda tout bas si elle était Mlle Arnaud. Puis elle fut introduite, marchant sur la pointe des pieds, dans le salon, ce salon qu’elle avait laissé, cinq ans plus tôt, encore tout encombré par un emménagement interminable.

Avant d’avoir pu jeter un coup d’œil autour d’elle, elle vit ses deux frères debout, en tenue bleu horizon, qui vinrent au-devant d’elle en silence.

Ils étaient aussi pâles qu’elle, les joues creusées. Et, comme un imperceptible signe, elle reconnut sur le visage de Jacques, on ne sait quelle crispation qui faisait prévoir pour plus tard les tics de la mère.

Tristes ?… Leur expression était plutôt celle de garçons qui ont ce qu’on appelle un très gros embêtement.

Il n’y eut aucune accolade. Entrant d’emblée dans le sujet :

— J’ai trouvé la lettre de maman à mon bureau, hier au soir… chuchota Jacques. Tu penses si je suis arrivé vite !

— Comment, la lettre de maman ?… Alors elle est morte comme ça ?… toute seule ?…

Les yeux d’Élysée s’agrandissaient.

— C’est vrai, tu ne sais pas encore… remarqua Jacques un peu plus bas.

Il fit une pause, baissa les yeux, termina dans un souffle.

— Elle s’est suicidée.

Le grand pas de recul que fit leur sœur ne les interrompit pas.

— Tiens ! voilà sa lettre !… enchaîna Max.

Élysée, avec épouvante, prit des mains de son frère l’unique feuille où la main nerveuse de maman avait tracé quelques phrases, ses dernières paroles.

« Quand tu recevras ceci, je serai morte. J’ai compris maintenant que ton père ne reviendrait pas, puisque, décidément, il en aime une autre. Ne pouvant supporter plus longtemps mon malheur, je m’en vais. Ne croyez pas, toi et ton frère, que vous allez être les maîtres à la maison. J’écris également à mon notaire, qui sera chez nous avant vous pour mettre les scellés partout. Mon testament est entre ses mains. C’est lui qui s’occupera de mon enterrement, et qui gérera mes biens, puisque votre père vous a abandonnés. Je quitte sans regret cette vie qui ne m’a apporté qu’amertume et injustice. Bon débarras pour tout le monde, et surtout pour moi !

« Marcelle ARNAUD. »

Livide, la fillette relut cela plusieurs fois. Pas un mot pour elle ! Dernière méchanceté, cette lettre grimaçante était plus désespérée qu’aucune plainte.

Toute l’infortune de Marcelle Arnaud y était contenue. Ne devait-elle pas mourir de ses propres mains, celle qui, toute sa vie, n’avait fait que détruire autour d’elle ?

Relevant enfin la tête :

— Comment est-elle morte ?… demanda la petite, si bas qu’on l’entendit à peine.

— Revolver !… répondirent ensemble les deux frères.

Et Jacques ajouta :

— Quand je suis arrivé, hier au soir, elle était encore chaude…

Il hocha la tête en se mordant les lèvres.

— Elle avait attendu, pour faire ça, l’heure où les domestiques sont dans leurs chambres. Elle était seule dans l’appartement. Ah ! c’est du propre ! C’est le concierge qui m’a ouvert.

Puis, ayant haussé les épaules :

— Quant au notaire, elle n’avait pas réfléchi (ça lui ressemble !) que l’étude serait fermée quand sa lettre arriverait. Il n’est venu que ce matin, à la première heure, avec le médecin légal, la police et des tas d’autres gens.

Ses yeux, pleins d’un regard faux, allèrent de sa sœur à son frère.

— J’ai voulu téléphoner tout de suite à Max. Impossible d’avoir la communication. D’abord il était dix heures du soir. Car je n’ai trouvé la lettre qu’en rentrant d’une course militaire en auto. Il a fallu que je montre la lettre pour obtenir une permission. Quant aux domestiques, j’ai eu beau les faire appeler par les concierges, tout le monde était valsé.

— Alors, tu as passé la nuit tout seul avec…

— Non, dit-il. À onze heures, la femme du concierge est venue.

Élysée remarqua que Max le fixait avec une insistance et d’une manière singulière. Elle ne voulait pas accepter l’horreur du soupçon qui lui venait ; mais elle devinait que Max, en silence, accusait son frère d’avoir volé la morte. Alors, comme quand elle était petite, elle eut peur de ces deux garçons ; mais c’était une peur d’un genre si terrible qu’elle sentit un frisson la parcourir.

Brusquement, Jacques demanda :

— Veux-tu la voir ?

Elle crut qu’elle allait s’évanouir. Elle n’avait jamais vu de cadavre. Le premier qu’elle allait regarder serait celui de sa mère.

Avec un grand effort, elle put répondre :

— Je veux bien, oui…

On avait lavé la blessure de la tempe et rabattu des mèches dessus. Calme et goûtant un repos infini, le visage que maman avait pris était celui qui la transfigurait lorsqu’elle chantait. Et si parfaite était la ressemblance qu’Élysée, tout à coup, réalisa que jamais plus elle n’entendrait la voix admirable de sa mère.

Une sorte d’irritation étrange lui venait de la voir ainsi muette, couchée et tout habillée, ayant, sur ses traits de cire, cette espèce de dédain qui rend si distant le visage des morts.

Toute épouvante disparue, la petite se pencha comme familièrement et appela tout bas, sur un ton presque scandalisé :

— Maman ?…

Là-dessus, Jacques eut un petit mot surprenant, tragique.

— Laisse-la ! souffla-t-il. Nous n’avons jamais été rien pour elle.

Ils étaient revenus tous trois dans le salon. Le jour commençait à baisser.

— Et papa ?…

— Nous n’avons pas son adresse au front, dirent-ils. Les bureaux font des recherches pour pouvoir le prévenir.

— Et l’enterrement ? Quand ?

— Après-demain matin, à neuf heures.

Élysée ne put s’empêcher de calculer : « À onze heures, je serai dans le train pour retourner là-bas ! » Elle chassa cette pensée avec remords, et demanda :

— Où l’enterre-t-on ?…

— Nous ne savons pas encore, c’est le notaire qui s’occupe de tout.

Oh ! tristesse, hostilité !

Après un petit silence :

— Retournons la voir !… dit Élysée Nous devrions être tous trois près d’elle.

— Retournes-y !… dit Max. Nous n’avons plus de perm’ que pour après-demain. Il faut que nous soyons rentrés tout à l’heure, chacun dans notre bureau.

Élysée avait bondi.

— Vous n’allez pas me laisser toute seule ?…

Froidement, Jacques la toisa :

— C’est la guerre, ma chère…

Ils passaient déjà leur capote bleue, reprenaient leur bonnet de police.

— Tiens !… dit Max, je vais te donner de la lumière. Ferme d’abord tout, Jacques, sans cela le flic montera.

Comme Élysée le regardait, ahurie :

— Tu ne sais donc pas que les zeppelins existent ?

Les fenêtres hermétiquement bouchées, il tourna le commutateur.

— Voilà ! Et puis tu as les deux bonnes et le valet de chambre dans la maison. Bonsoir !

Effarée, elle les dévisageait. Elle les avait reniés dans son esprit lors de leur visite à l’institution. Ils l’avaient senti sans doute, et lui rendaient la pareille. D’ailleurs, depuis tant de temps qu’elle n’habitait plus avec eux, comment la jugeaient-ils, eux et leur mère ? Quels propos tenaient-ils sur elle tous les trois ? Il lui sembla que la mort qui remplissait la maison était de plusieurs sortes. Elle n’avait plus de famille. Les derniers restes du mauvais nid achevaient de tomber en poussière.

— Alors… Bonsoir !… articula-t-elle d’un air halluciné.

Et, sur un petit geste ironique, ils sortirent du salon sans retourner la tête.

Quand le bruit de leur départ eut cessé, se sentant seule dans la maison, seule sur la terre, elle jeta les yeux autour d’elle avec effroi.

Le désordre du salon était à peu près le même que cinq ans plus tôt. Cependant quelques bibelots qu’elle ne connaissait pas, le piano changé de place, des détails, des riens révélaient toute une vie à laquelle elle n’avait pas assisté.

Pendant cinq ans maman avait respiré parmi ces choses, traîné sur ce parquet son redoutable pas inégal.

Elle s’approcha du piano, compagnon de la vie musicale, seule vie harmonieuse de la morte courroucée.

« C’est là-dessus que je jouais mes études de Czerny, pour tâcher de lui faire plaisir… »

Et tout à coup, abandonnée dans cet appartement où elle n’était plus qu’une étrangère, ce fut en elle un instinct péremptoire : retourner près de sa mère. Car ce cadavre dans la chambre à côté, c’était encore sa mère, malgré tout. Réfugiée près de sa dépouille, elle ne serait plus seule.

Juste à ce moment, la porte s’ouvrit. Respectueux, bien stylé, le valet de chambre entra sans bruit.

— Quand Mademoiselle voudra dîner, tout est prêt dans la salle à manger. Mademoiselle excusera ; ce n’est qu’un dîner froid, car on est tellement affolé…

Désemparée, elle suivit cet homme. Pendant qu’il la servait, correct et silencieux, elle eut envie de poser des questions, de savoir par lui quelque chose de la vie de Mme Arnaud pendant ces derniers temps. Mais elle se retint sans savoir pourquoi. Plongée dans sa tristesse affreuse, elle mangea mécaniquement. Autrefois, à dix ans, elle avait connu pareil isolement, assise à cette même table. Mais alors elle guettait le pas de sa mère, qui pouvait entrer d’un instant à l’autre. À présent, elle ne rentrerait pas. Elle était sortie pour toujours, sortie de la vie.

Une bougie neuve venait de remplacer l’autre sur la table de nuit. On leur met près d’eux cela, qui remue et vit, comme pour les empêcher d’être tout à fait morts.

Dans la chambre pleine de grandes ombres qui bougeaient selon la toute petite flamme, unique lumière, la seconde servante veillait à son tour, assise dans le fauteuil. Elle se leva quand Élysée entra.

— Non ! Non !… restez ! chuchota la petite.

Tout doucement, elle vint s’agenouiller au pied du lit. Elle n’avait pas encore eu l’idée de prier. Sa mère s’était suicidée. Elle ne passerait pas par l’église. Elle avait vécu comme une pauvre damnée. Le visage dans les paumes, Élysée suppliait Dieu de l’excuser. Les excuses qu’elle trouvait elle-même, Dieu ne pouvait pas ne pas en tenir compte. L’idée de l’enfer ne pénétrait pas dans l’âme de cette enfant inoffensive et bonne.

En se relevant, elle se pencha de nouveau sur le visage transfiguré de l’ancienne vivante, oh ! si vivante ! Elle s’étonnait de ses mèches grises, seule chose qui fût restée identique, seule chose qui ne fût pas, comme le reste, entrée dans le mystère.

Soudain, inspirée, elle fouilla dans la poche de sa robe de pensionnaire, en sortit un chapelet. Et, pleine de soins et de précautions, elle enroula les grains noirs aux mains croisées, si blanches, si froides, et d’une matière qui n’avait plus rien d’humain.

Ce geste la rassurait.

« Avec cela, maman, tu ne peux pas aller en enfer… »

Elle regardait. Les ombres changeaient imperceptiblement de place, animaient les traits immobiles. Ce n’étaient plus les tics de la vie. C’étaient des expressions incompréhensibles sur un visage de revenant. Elle eut peur et jeta les yeux sur la bonne.

Puis, revenue à sa contemplation, elle se demanda qui avait fermé ces paupières, croisé ces mains… « Où est son revolver ? »

La nouvelle du suicide n’était plus une nouvelle. Comme on s’habitue vite à une catastrophe !

Attirée et tremblante, elle toucha le front glacial. Elle souhaitait sentir la colère passer sur cette figure définitive. Brusquement, elle se remit à genoux. Et, comme quand elle avait dix ans :

— Mon Dieu, faites que ce ne soit pas vrai !

Enfin, apaisée sa lente agitation, elle consentit à s’asseoir aussi pour veiller calmement la calme dormeuse. Et, sans la quitter des yeux, elle pensa.

Une fille de quinze ans, une pensionnaire bien sage, est-ce que cela pense ? Élysée n’avait jamais fait que de subir les impulsions d’autrui.

Livrée soudain à elle-même, en face des brutales réalités, privée de toute direction, elle s’effrayait des idées qui lui venaient.

Sa longue enfance avait additionné. Ses quinze ans faisaient la somme.

En cette heure funèbre et nocturne, elle commençait seulement à s’apercevoir du monstrueux égoïsme de ses parents.

— Si encore ils nous avaient abandonnés pour s’aimer ! Mais mon père a été le martyr de ma mère et, pour finir, c’est elle qui s’est tuée de chagrin !

Est-ce donc cela, l’existence, et les humains ne songent-ils, si sensibles, si fragiles, si douloureux, qu’à se faire du mal les uns aux autres ? À l’horizon, la guerre. Dans les pièces closes, la mésentente. Veillant sa mère suicidée, résultat de cinq ans de torture morale, elle s’attendait d’un instant à l’autre à entendre passer dans la rue les clameurs de cette alerte attentatoire dont les journaux avaient tant parlé.

Amère leçon, après tant de blanche paix au sein de la grande maison d’éducation, vaste tour d’ivoire où rien ne pénétrait des dures choses de la vie…

On lui avait appris à faire « son examen de conscience ». Elle se rendit compte qu’elle s’égarait, faisant l’examen de conscience des autres.

— Et moi ? Est-ce que je n’ai pas, comme eux, pensé simplement à moi ? J’aurais pu, sans doute, me préoccuper un peu plus du malheur de maman, essayer de la consoler, lui écrire, lui faire sentir que j’étais là, tâcher de l’aimer.

Elle se retourna. La respiration de la bonne, lente et peu à peu bruyante, tournait au ronflement. Cette fille, dans son fauteuil, s’était endormie.

Élysée fut d’abord sur le point de la réveiller, par convenance. Puis elle sentit qu’elle allait être plus seule encore avec sa mère, pour lui parler, lui parler comme jamais elle n’avait pu le faire de son vivant.

Elle s’approcha, tout doux. C’était la première fois que sa mère était à elle, à elle seule.

— Écoute, maman… Je me souviens si bien de tout. Puisque je n’ai pas agi comme une fille affectueuse, je veux m’imposer une pénitence en mémoire de toi. Tu ne m’as jamais donné qu’un seul conseil : travailler la musique. C’est toi qui m’as appris mes notes, toi qui étais toi-même la musique incarnée. Je te promets, je te fais le serment que, dès que je serai rentrée au pensionnat, je me mettrai à la tâche, de toutes mes forces. Et tu sais si cela me coûtera. Comme ça je n’aurai pas perdu ce que tu as bien voulu me donner, maman, ton conseil, tes premières leçons. Et ce sera peut-être une toute petite réparation.

Un baiser peureux sur le front de marbre scella le pacte. Et, dès cet instant, l’adolescente eut le sentiment que sa mère était moins morte.

Elle reprit place dans son fauteuil. Comme lorsqu’elle cherchait le plan d’une composition française : « À présent, à quoi vais-je réfléchir ? »

Mais elle ne réfléchit à rien du tout, car, subitement, comme la bonne, elle s’endormit.

Le petit jour filtrait par les rideaux serrés.

Étonnée d’avoir froid et d’être si courbaturée, elle ouvrit les yeux. « Quoi… Quoi !… Où suis-je ?… »

Et ce fut une grande honte. Au lieu de réfléchir, elle avait dormi. La bonne continuait à ronfler… La morte, pendant des heures, n’avait été veillée que par sa bougie fidèle, presque consumée, prête à s’éteindre.

Un sourire singulier s’était établi lentement sur ses traits décolorés. Son expression était énigmatique, prélude d’autres changements plus graves auxquels personne, plus tard, n’assisterait. Et l’odeur sournoise qui venait du lit annonçait le commencement d’un terrible au-delà physique.

Élysée, qui s’était levée, fit un grand pas de recul. Car les mortels, malgré la racine funèbre de ce mot, n’admettront jamais dans leurs maisons la présence insolite du cadavre, cet étranger d’une autre race.

Secouée à l’épaule, la servante, avec effort, se réveilla.

— Il faut une autre bougie… marmotta la petite Arnaud ; et je ne sais pas où on les met.

Un peu de va-et-vient dans la chambre y remit le mouvement de la vie. Il y avait quelque six heures que tout le monde y dormait, sommeil vivant et sommeil éternel.

À sept heures, la cuisinière vint remplacer l’autre fille. Élysée alla faire sa toilette dans n’importe quelle pièce, puis prendre le café au lait qui l’attendait dans la salle à manger. Ô grossièreté des appétits vivants, face à l’éthérée immobilité des morts !

Quand elle revint dans la chambre :

— Il faudra un crêpe à mademoiselle pour demain… dit tout bas la cuisinière. Faudra-t-il dire à la modiste de passer tantôt ?…

Et ce fut la longue journée éreintante où se succèdent tant d’indifférents, notaire, pompes funèbres et le reste, gens pressés qui s’agitent autour des morts, collaborant à la rapide disparition de ces pauvres indésirables.

Élysée ne voulut pas assister à la mise au cercueil. Cachée au fond de son ancienne chambre d’enfant, elle avait l’impression qu’un crime se passait dans la maison.

Le lit vide, les quatre angles de la bière recouverte de noir, c’était l’irrémissible. Défaillante, elle fut obligée, à la fin, d’aller dormir sa nuit, de crainte de ne pouvoir suivre l’enterrement du lendemain.