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Les Singularitez de la France antarctique/15

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Texte établi par Paul GaffarelMaisonneuve (p. 69-72).


CHAPITRE XV.

De l’isle de Feu.


Isle de Feu, et pourquoy insi nommée. Entre autres singularites, ie n’ay voulu omettre l’isle de Feu[1], ainsi appellée, pourtant que continuellement elle iette une flambe de feu, que si les anciens en eussent eu aucune cognoissance, ils l’eussent mise entre les autres choses, qu’ils ont escrit par quelque miracle et singularité, aussi bien que la montagne de Vesuve, et la montagne d’Etna, desquelles pour vray en recitent merueilles. Quant à Etna en Sicile, elle a ietté le feu quelques fois auec un bruit merueilleux, comme au temps de M. ÆEmile et T. Flamin comme escrit Orose. Ce que conferment plusieurs autres historiographes, comme Strabon, qui afferme l’auoir veue et diligemment considerée. Qui me fait croire, qu’il en soit quelque chose, mesme pour le regard des personnages, qui en ont parlé : aussi elles ne sont si elongnées de nous, qu’il ne soit bien possible de faire epreuue auecques l’œil, tesmoing le plus fidele, de ce qu’en trouuês aux histoires. Ie scay bien que quelcun d’entre noz modernes escriuains, a voulu dire que l’une des Canaries[2] iette perpetuellement du feu, mais qu’il se garde bien de prendre celle dont nous parlons, pour l’autre. Aristote au liure des Merueilles parle d’une isle découuerte par les Carthaginois, non habitée, laquelle ietoit comme flambeaux de feu, venàt de matières sulfureuses, outre plusieurs autres choses admirables. Toutesfois ne sçauroys iuger qu’il ayt entendu de la nostre, encore moins du mont Etna, car il estoit cogneu deuant le regne des Carthaginois. Montagne de Pussole. Quant à la montagne de Pussole[3] elle est située en terre ferme : et si aucun vouloit dire autrement, ie m’en rapporte : de ma part ie n’ay trouué, que iamais ayt esté congnue, que depuis mil cinq cens trente, en ceste part de Ponent, auec autres tant loingtaines, que prochaines, et terre continente. Il y a bien une autre montagne en Hirlande, nommée Hecla[4], laquelle par certains têps iette pierres sulfureuses, tellemêt que la terre demeure inutile cinq ou six lieues à l’entour pour les cendres de soulfre dont elle est couuerte. Ceste îsle dont nous parlons, côtient enuirô sept lieues de circuit : nômée à bonne raison isle de feu, car la montagne ayant de circuit six cens septàte neuf pas, et de hauteur mil cinquante cinq brassées ou enuiron, iette continuellement par le sommet une flàbe, que l’on voit de trente ou quarante lieues sur la mer, beaucoup plus clerement la nuyt que le iour, pour ce qu’en bonne philosophie la plus grande lumiere anneantist la moindre. Ce que donne quelque terreur aux nauigans, qui ne l’ont congneue auparauant. Ceste flambe est accompagnée de ie ne sçay quelle mauuaise odeur resentant aucunement le soulfre, qu’est argument qu’au ventre de ceste montagne y a quelque mine de soulfre. Parquoy l’on ne doit trouuer telles manieres de feu estranges, attendu que ce sont choses naturelles, ainsi que tesmoignent les philosophes : c’est que ces lieux sont pleins de soulfre et autres mineraux fort chaux, desquels se resoult une vapeur chaude et seiche semblable à feu. Ce qui ne se peut faire sans air. Parquoy nous apparaissent hors la terre par le premier soupirail trouué, et quand elles sont agitées de l’air. Aussi de là sortent les eaux naturellement chaudes, seiches, quelques fois adstringêtes, côme les fontaines et beins en Allemagne et Italie. Dauantage en Esclauonie pres Apollonia[5] se trouue une fontaine sortant d’un roc, ou l’on voit sourdre une flamme de feu, dont toutes les eaux prochaines sont comme bouillantes. Ce lieu donc est habité de Portugais, ainsi que plusieurs autres par delà. Et tout ainsi que l’ardeur de ceste montagne n’empesche la fertilité de la terre, qui produit plusieurs especes de bons fruits, où est une grande temperature de l’air, viues sources et belles fonteines : aussi, la mer qui l’enuironne, n’esteint ceste vehemente chaleur, comme recite Pline[6] de la Chimere tousiours ardente, qui s’esteint par terre ou foin iettez dessus, et est allumée par eau.

  1. C’est l’île do Fogo, surmontée par un volcan de 2,790 mètres d’élévation. Ce volcan ne paraît pas avoir eu d’éruptions violentes avant 1680. Depuis le milieu jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les commotions volcaniques devinrent de plus en plus fréquentes. Celles de 1785 et 1799 furent très-redoutables.
  2. On a vu plus haut (§ vi) qu’une des Canaries est effectivement formée par un volcan.
  3. Sur la montagne de Pouzzolles, consulter Strabon. Liv. v. § 4-6.
  4. Intéressante description du mont Hécla dans le Tour du Monde. n° 453. N. Nougaret. Voyage dans l’intérieur de l’Islande. Cf. La Peyrère. Relation de l’Islande.
  5. Strabon. xvi, 2.
  6. Pline. H. N. ii. 108. In Commagenes urbe Samosatis stagnum est emittens liraum flagrantem, quum quid attigit solidi, adhæret : præterea tacta sequitur fugientes… Aquis etiam accenditur. Terra tantum restingui docuere experimenta.