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Les Véritables régles de l’ortografe francéze/Chapitre III

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CHAPITRE III.
Des Régles que nous devons ſuivre, pour randre l’Ortôgrafe Francéze conforme à la prononſiaſion.


I L faut donner quelque conéſancne de la diférance des létres, & de quelques marques qui ſervent à l’intélijance de l’écriture, avant que d’établir les régles qu’il faut ſuivre pour écrire comme l’on parle.

Les Grammairiens divizent les létres an Voïéles et Conſones.

Les premiéres ſont céles qui peuvent faire une vois diſtincte ; & qui peuvent compozer un ſilabe, ou un mot, ſans le ſecours des Voïéles.

Les Coſones doivent étre jointes à quelque Voïéle, pour faire ſon diſtinct ; d’où vient qu’on ne peut faire aucune ſilabe ſans Voïéle.

Les Voïéles ſont ; ou Simples, c’éét à dire céles qui ſe prononſent ſeules ; ou Compozées, c’ét à dire céles qui ſe prononſent auec une autre.

Il ï a cinq Voïéles Simples, qui ſont a, e, i, o, u.

Eles ſont ; ou Longues ; ou Bréves.

Les Voïéles longues ſont céles dont la prononſiaſion ét de longue durée, comme dans ces mos pâſaje, étre. Nous tâcherons de les marquer d’un acſant aigu, ou circonflêxe, pour aprandre la véritable prononſiaſion de nôtre Langue.

Les Voïéles Bréves ſont céles qui ſe prononſent promtemant, comme dans ces mos, facilité, docilité.

Les Voïéles compozées (que les Grammairiens apélent diftongues) ſont ; ou propres ; ou impropres.

On antand diſtinctemant dans les premiéres le ſon de deus Voïéles, qui les compozent, comme dans ces mos jeu, Ouvrier.

Les diftongues impropres ſont céles qui font antandre un ſon, qui ne participe point des Voïéles dont éles ſont compozées, comme ai ſe prononſe comme un é ouvert dans les mots ſuivans faire, Palais, je dirai, &c.

Il faut remarquer que l’e, l’i, & l’u, ſe prononſent d’une maniére diferante.

L’é ét ; ou maſculin ; ou féminin ; ou ouvert ; ou plus ouvert.

L’e maſculin marque une prononſiaſion forte et bien articulée, comme celui qui finit ces mos divinité, majorité. On le marque ordinairement d’un acſant aigu.

L’e féminin ét celui dont la prononſiaſion ét préque imperceptible, ocmme celui qui ét à la fin de ces mos force, prudance.

L’é ouvert ét celui qui ſe prononſe d’une bouche plus ouverte que le maſculin, comme celui qui ét dans la derniére ſilable de ces mos objét, ſujét.

L’é plus ouvert eſt celui qui ſe prononſe d’une bouche plus ouverte que l’é ouvert, comme celui qui ét dans la premiére ſilabe des mos ſuivans, étre, téte, &c.

L’i, & l’u deviénent Conſones, cand ils précédent les autres Voïéles ; & qu’ils compozent avec éles une méme ſilabe ; comme dans ces mos jeune, jour, déja, majeſté, vertu, vérité, &c.

L’u ét aûſi Conſone, cand il précéde l’r qui ét devant une Voïéle, au commanſemant d’un ſilable, comme dans ces mos, vivre, livre, vrai, &c.

L’i Conſone ét figuré an céte maniére (j) pour le diſtinguer de l’i Voïéle.

L’u Conſone doit étre figuré an céte faſon (v) au commanſemant ou au milieu des mos, pour le diſtinguer de l’u Voïéle.

Les Grammairiens ajoûtent l’y au nombre des Voïéles ; céte létre ét inutile dans nôtre Langue : car ceus qui la métent à la fin des mos qui ſe terminent par i, ſuivent l’éreur de quelques Maîtres Ecrivains, et des Compoziteurs d’Imprimerie.

Les premiers voïant, qui l’i qui ét à la fin des mos n’étét pas propre à reſevoir l’ornemant des parafes dont l’y ét ſuſceptible, ont amploïé l’i Grec, pour faire parétre davantaje leurs éxamples.

Comme l’amploi de l’i ét tres-commun dans l’écriture, les Compoziteurs d’Imprimerie ont ſouvant recours à l’y, cand la câféte, ou (comme ils parlent) le câſetin du premier eſt vuide.

Cand on met l’i Grec à la fin de ces mos moi, Roi, loi, on an fait deus ſilabes ; car l’i Grec ſe doit prononſer ſéparémant.

Lor qu’il ét au milieu de deus Voïéles, il ſe doit prononſer comme deus i i ſéparés, c’ét pourquoi nous ï pouvons métre l’i avec deus petis poins ſur céte létre, comme dans ces mos moïen, voïant.

Il faut dire la méme choze de l’i Grec que l’on mét au commanſemant de quelques mos, & méme de celui qui fait vn mot, c’ét à dire, que nous ï devons amploïer l’i avec deus petis poins ſur cét létre, au lieu de l’y, comme dans ces mos il ï ét, éle ï parle, il ï a, &c

Comme l’i Grec ne doit pas étre à la fin ; & qu’il n’ét pas necéſaire de le métre au commanſemant, ni au milieu des mos, il doit étre rentranché de nôtre Langue, pour éviter le mauvais üzaje que nous en poûrions faire.

Aprés avoir donné quelque conéſance de la diférance des létres, la propoziſion que nous avons faite au commanſemant de ce Chapitre, nous oblije à parler de quelques marques qui ſervent à l’intélijance de l’écriture, qui ſont l’Apoſtrofe, l’union, & la divizion.

L’Apoſtrofe ét une figure ſemblable à une Virgule, qui marque ordinairemant le retranchemant d’une Voïéle, pour éviter une mauvaize prononſiaſion ; comme l’on écrit, l’eſprit, et non pas le eſprit ; s’étonner, & non pas ſe étonner ; l’eſpérance, & non pas la eſpérance &c.

L’Apoſtrofe ſe fait préque toûjours, cand une Voïéle ét au commanſemant d’un mot qui ſuit les mos d’une ſilbae terminée par une autre Voïéle ; comme nous écrivons l’ame, au lieu de la ame ; j’aime, pour je aime, &c.

Nous ne devons pas toûjours pratiquer céte régle, ſi nous voulons éviter quelqu’obſurité dans nôtre diſcours, comme nous devons écrire ſi éle, et non pas s’éle ; ſi Adam, et non pas s’Adam.

L’Apoſtrofe ſe fait aûſi, cand une h muéte ét au commanſemant d’un mot qui ſuit les mos d’une ſilabe terminée par vne Voïéle ; comme l’on écrit l’homme, et non pas le homme ; l’honneur, et non pas le honneur ; l’hiſtoire, & non pas la hiſtoire, &c.

Lor que la létre (h) ét aſpirée, c’ét à dire, qu’éle ſe prononſe avec quelque véhémance, on ne retranche pas la Voïéle, comme l’on dit la haine, et non pas l’haine ; le Héros, & non pas l’Héros ; la harangue, et non pas l’harangue. Nous devons pourtant dire l’héroïne, et non pas la héroïne.

L’uzaje nous oblije à nous ſervir de l’Apoſtrofe dans ces mos antre, puîque, quelque, et jûque, cand une Voïéle ét au commanſemant du mot ſuivant, comme nous devons écrire, antr’acte, pour antre acte ; puîqu’il, pour puîque il ; qu’elqu’un, pour quelque un ; jûqu’à midi, pour jûque à midi.

L’vsaje autorize l’Apoſtrofe dans le mot, grande, quoi qu’il ſoit ſuivi d’une Conſone ; comme l’on dit grand’ chambre, grand’ chére, &c.

On ajoûte ſouvant une l avec une Apoſtrofe devant on, pour randre la prononſiaſion plus agréable, an évitant la rancontre des Voïéles, comme dans ces faſons de parler, comme l’on écrit ; comme l’on parle.

Anfin cand un Verbe qui ét terminé par une Voïéle précéde il, éle, et on, il faut métre un t, devant ces particules, auec une Apoſtrofe antre-deus, pour randre la prononſiaſion plus agréable, comme dans les paroles ſuivantes, combien ï a-t’il de Commandemans de Dieu ; parla-t’éle de la vertu ; parle-t’on de guerre.

On ſe ſert de l’union, qui ét marquée par une petite lignen, an céte faſon (-) ou cand à la find d’une ligne il faut divizer un mot an deus ; comme propozi-ſion, defini-ſion ; ou pour joindre deus mos an un ; comme trés-mal, bon-heur, mal-heur, Sur-intandant, moi-méme, &c.

Cand on veut ſéparer un Voïéle d’vne autre, on mét deus poins deſus ; ou pour ne pas joindre deus ſilabse an une ; comme ces mos aïant, moïen, Poëte, heroïque, ou pour montrer que l’u doit étre pris pour une Voïéle, et non pas pour une Conſone, comme dans ces mos loüanje, joûïſance, ébloüir, &c.

La multitude des régles que donnent les Grammairiens, pour anſegner l’Ortôgrafe Francéze, peut faire naître la confuzion dans l’Eſprit : car ils confondent ordinairemant les régles qui aprénent à bien parler, avec céles qui regardent la perféxion de l’écriture.

Comme la plûpart des régles qu’ils établiſent, ſont fondées ſur un üzaje qui répugne à la raizon, la maniére d’écrire de leurs Sectateurs, ne peut reſevoir l’aprobaſion de ceus qui ſont raizonnables.

Ils donnent pluzieurs régles pour le plurier des Noms ; comme lor qu’ils âſûrent que les Noms qui ont leur ſingulier terminé en al, ou ail, ont ordinairemant leur plurier terminé an aus ; comme nous dizons animal, animaus ; travail, travaus, &c

Ils donnent aûſi pluzieurs régles pour les Noms Ajectifs ; an la maniére ſuivante.

Les Adjectifs dont la terminaizon maſculine ét an c, chanjent le c, an che, ou que, an leur terminaizon féminine ; comme l’on dit un homme blanc, et une muraille blanche ; un homme public, et une marchande publique.

Ceus qui ſe terminent en é maſculin, ajoûtent ſeulement e, au féminin ; comme l’on dit un Palais doré, et une chambre dorée.

Ces régles, & pluzieurs autres que donnent les Grammairiens ſur ce ſujet, ſont bonnes, pour anſegner la Langue Francéze à ceus qui l’ignorent : mais éles ne doivent pas étre amploïées, pour aprandre l’Ortôgrafe à ceus qui ſavent la Langue Francéze : car éles ne leur aprénent rien de nouveau ; et il ét certain qu’éles regardent la perféxion de la parole, & non pas céle de l’écriture.

Il faut ſuivre les maniéres d’écrire qui ſont autorizées par l’uzaje, cand éles ſont conformes à la prononſiaſion : d’ou vient que nous devons écrire, faire, je ferai, je dirai, j’aimerai, et non pas fére, je feré, je diré, j’aimeré : car l’Ortôgrafe des premiers mos, qui ét aprouvée par l’uzaje, ét trés-conforme à la prononſiaſion.

Le précepte que nous venons d’établir, prouve que nous devons ſuivre l’vzaje dans les premiéres ſilabes des mos prononſés an ſe, qui commanſent ; ou par ſ ; comme dans ces mos ſes, ſegond, ſéance, Secretaire, ſecours, ſecret, ſéculier, &c. ou par c ; comme dans ces mos, célébre, cercle, cérémonie, cerneau, certificat, cerize, certitude, certain, cerveau, Céleſtin, &c.

Il faut aûſi ſuivre l’uzaje dans les premiéres ſilabes des mos prononſés an ſi, qui commanſent ; ou par ſ ; comme dans ces mos, ſigne, ſiécle, ſignature, ſiéje, ſignificaſion, ſiance, &c. ou par c ; comme dans ces mos cierge, ciboire, Ciel, cilice, cizeau, cité, cinq, citron, circonférance, cidre, civilité, &c.

Il ne faut pas ſuivre aveuglémant l’vzaje : car comme il faut côrijer les defaus d’vn portrait par ſon originial, ſi les maniéres d’écrire ne répondent pas à la prononſiaſion, il ét tres-utile de les chanjer, puîque le portrait d’une choze la doit repréſanter comme éle ét pour étre véritable.

Il faut demander aux grans protecteurs de l’uzaje, de quéle maniére on écrivét autrefois le mos écriture : s’ils veulent parler véritablement, ils diront qu’on l’écrivét an céte faſon eſcripture. Il ï a long-tams que l’on a retranché le p, ſans reſpecter la Langue Latine. On a aûſi retranché l’ſ, an metant un acſant aigu ſur l’é ; & par ce moïen l’Ortôgrafe de ce mot a été réduite à ſa prononſiaſion. On doit faire la méme choze à l’égard des autres mos ; car la méme raizon qui nous a fait retrancher de tams an tams pluzieurs létres dans nôtre maniére d’écrire, nous oblije à retrancher céles qui ne ſe prononſent pas.

La méme raizon qui nous a fait ôter l’ſ de la premiére ſilabe du mot eſtre, an métant un acſant aîgu ſur l’é, nous oblije à l’ôter du mot eſt ; c’ét pourquoi nous devons écrire il ét ; puîque nous écrivons étre.

Il ét urai que ceus qui ont quité le parti du bon ſans, pour ſuivre aveuglémant celui de l’uzaje, ont ſouvant condanné les auteurs de ces chanjemans : mais ils ont été contrains (malgré leurs exclamaſions) ou de pâſer pour ignorans dans l’Ortôgrafe Francéze ; ou de reſevoir les maniéres d’écrire qu’ils aveent condamnées. Ils ſont en peril de tomber dans la méme confuzion, s’ils s’opozent à la metôde qui nous preſcrit d’écrire comme nous parlons.

Il ne faut pas condamner dans les vieus livres ces faſons d’écrire, j’aimois, il aimoit, je parlois, il parloit, ils parloient, car éles ont été conformes à la parole de leurs auteurs : mais comme la prononſiaſion an a été adoucie, ceus qui les retiénent à prézant, aprés avoir aprouvé le chanjemant de leur original, ſont ridicules de préferer vn mauvais uzaje à la raiſon. Nous devons donc écrire j’aimés, il aimét, je parlés, il parlét, ils parléent, &c.

Si nous voulons donner le moïen d’écrire côrectemant, nous devons éxaminer les cauzes des fautes que nous ï pouvons faire.

Éles viénent du déréglemant ordinaire des hommes, et du grand atachemant que les Grammairiens ont à la Langue Latine, & à la Gréque.

La plûpart des hommes ſont ſi déreglés, qu’ils font ce qu’ils devréent éviter ; & qu’ils ne font pas ce qu’ils devréent faire. Si nous cherchons avec ſoin la premiére cauze de ce déréglemant, nous trouverons qu’il vient ; ou de la pâſion ; ou de l’ignorance ; ou de l’uzaje.

La pâſion, qui fait tomber les hommes dans le vice qu’ils devréent éviter, les élogne de la vertu qu’ils devréent pourſuivre.

L’ignorance ét cauze que pluzieurs Filozofes cherchent la conéſance des chozes qui leurs ſont inutiles ; & qu’ils ne s’appliquent pas à céles qui poûréent les conduire à la conéſance, & à l’amour de Dieu.

Cand les Grammairiens veulent regler nôtre maniére d’écrire par l’uzaje ordinaire, ils ſe trompent ſouvant ; ou an metant des létres où éles ne doivent pas étre ; ou an mancant de les métres à la place qu’éles doivent ocuper.

Ils tombent principalemant dans ce defaut, à l’égard du z, & de la létre x.

Ils métent ordinairemant le z, au plurier des Noms qui ſont terminés an é maſculin ; comme dans ces mos, les bontez, les dignitez, les beautez, &c.

Mais l’s ét âfectée aus pluriers ; et ſi nous conſidérons bien la prononſiaſion de céte ſilabe és, marquée d’un acſant aigu, nous trouverons que la létre s ï ét plus naturéle que le z ; comme dans ces mos les bontés, les dignités, les beautés. Nous devons par la méme raizon métre l’s, & non pas le z, à la fin de ces Verbes vous avés, vous parlés, vous parlerés, vous aimerés, &c.

Cand ils dizent que l’s antre-deus Voïéles ſe doit prononſer comme un z, ils ne métent pas le z à la place qu’il doit ocuper : car ſi l’s antre-deus Voïéles ſe prononſe comme un z ; pourquoi n’ï métra-t’on pas le z ? c’ét pourquoi nous devons écrire choze, roze, dezirer, propozer, et non pas choſe, roſe, deſirer, propoſer. Mais cand la létre ſ, ſe rancontrerar antre-deus Voïéles, éle ï retiendra ſa prononſiaſion naturéle ; comme dans ces mos pâſaje, ſajéſe, puîſante, fôſe, aûſi, &c.

Cand on mét la létre x, à la fin de la plûpart des mos, on la mét où éle ne doit pas étre ; d’où vient que nous ne devons pas écrire deux, dix, les animaux, la voix, les loix, &c ; mais nous devons écrire deus, dis, les animaus, la vois, les lois, &c. car ſi nous conſidérons la prononſiaſion de tous ces mos, nous trouverons qu’ils doivent étre terminés par l’s, & non pas par l’x. Le defaut des Grammairiens ſur ce ſujét, vient des Compoziteurs d’Imprimerie, qui ont abuzé de la létre x, pour épargner l’s, dont la câſéte étét trop tôt épuizée.

Si l’on ſe trompe, an metant la létre x où éle ne doit pas étre ; on ſe trompe aûſi, an mancant de la métre à la place qu’éle doit ocuper ; comme au lieu de ces trois létres cti, on doit métre la ſilabe xi, dans les mos qui ſe prononſent par xi ; comme nous ne devons pas écrire action, traduction, perfection ; mais nous devons écrire axion, traduxion, perféxion, ſi nous voulons randre l’écriture de ces mos conforme à leur prononſiaſion.

L’atachemant que la plûpart des Grammairiens ont à la Langue Latine, & à la Gréque, les oblije d’établir des régles ſur un üzaje qui répugne à la raizon, cand ils veulent anſegner l’Ortôgrafe Francéze ; comme lor qu’ils dizent que l’on doit écrire les Noms qui ſont prononſés an ca, ou can, tantôt par qua, ou quand ; & tantôt par ca, ou can. Céte régle réduit tout les Francés à la necéſité de ſavoir la Langue Latine, pour aprandre l’Ortôgrafe de leur Langue ; c’ét pourquoi il faut âſûrer que nous devons écrire par ca, ou can tous les mos qui ont les mémes prononſiaſions ; comme les mos ſuivans, calité, catre, catriéme, carante, cadruple, carte, catorze, cantité, cand, cant, &c.

Ils établiſent aûſi une régle ſur un üzaje qu’il faut méprizer, cand ils ſoû tiénent que les Noms qui ſont terminés par ça, & çon ; et que l’on prononſe comme ſa, & ſon, demandent une petite marque ſous le c, pour montrer qu’il doit étre prononſé comme un ſ ; comme dans ces mos il prononça, il commança, façon, garçon, leçon, &c.

Comme la petite marque qui ét ſous le c, ſignifie qu’il doit étre prononſé comme un ſ, nous ï devons métre l’ſ ; an la maniére ſuivante, il prononſa, il commanſa, faſon, garſon, leſon, &c. Puîque nous devons écrire ces mos il prononſa, il commanſa par un ſ, nous devons amploïer la méme létre dans ces mos prononſer, prononſiaſion, commanſer, commanſemant. Céte régle nous aprand, que nous devons écrire par un ſ ces mos conſevoir, conſepſion, reſevoir ; puî que nous devons écrire par la méme létre ces mos ils conſoivent, ils reſoivent.

Les Grammairiens ſe trompent aûſi, à cauze du grand atachemant qu’ils ont à la langue Latine, lor qu’ils dizent que les Nomes qui ſont prononſés an ſion, ſont ordinairemant terminés par tion ; comme ces mos definition, propozition. Mais comme ils ſont prononſés an ſion, ils doivent étre écris an la maniére ſuivante définiſion, propoziſion.

Les Grammairiens donnent pluziers régles, pour montrer qu’il faut écrire, tantôt par a ; & tantôt par e les Noms qui ſont prononſés an dance, gance, lance, mance, pance, rance, ſance, tance, zance.

Les régles qu’ils donnent ſur ce ſujét ſont ; ou inutiles ; ou fondées ſur un üzaje qui répugne à la raizon : car il faut amploïer l’a, & non pas l’e dans tous les Noms qui ſont prononſés an ance ; comme dans les mos ſuivans prudance, intélijance, violance, clémance, continance, diſpance, conferance, éſance, pénitance, prézance. On prononſét autrefois tous ces mos an ence, aûſi bien que les mos Latins dont ils dérivent : mais comme leur prononſiaſion a été chanjée, il an faut aûſi chanjer la maniére d’écrire ; puî qu’un protrait doit répondre à ſon original.

La régle que nous venons d’établir, détruit céle que donnent les Grammairiens, cand ils âſûrent que l’e devant l’m, et l’n, ſe prononſe quelquefois comme vn a ; comme dans ce mot entendement : car ſi l’e, ſe prononſe comme un a ; pourquoi n’ï metra-t’on pas un a ? pour donner aus Etrangers, & aus anfans la facilité de lire les mos ſuivans antandemant, antandre, antre, commanſemant, tams, &c.

On dira que la pratique de céte régle, ſera cauſe d’une mauvaize prononſiaſion, lor que l’e qui précédera l’n, ſera aprés le c, et le g : car ſi nous chanjons l’e an a dans ces mos innoncent, diligent, nous les écrirons an céte maniére innocant, diligant.

Nous éviterons ces mauvaizes prononſiaſions, ſi nous chanjons le c an ſ, & le g an j Conſone dans ces mos innoſant, dilijant.

Comme les Grammairiens ſont d’accord que le g devant l’e, ſe prononſe comme un j Conſone, nous ï devons amploïer l’j Conſone, plûtôt que le g : c’ét pourquoi nous ne devons pas écrire agent, engendrer, génération, jugemant, juger, changer, ſagéſe, &c. mais nous devons écrire ajant, anjandrere, jénéraſion, jujemant, jujer, chanjer, ſajéſe, &c.

On ſe ſert ordinairemant de ph, au lieu de la létre f, dans les mos qui ſont dérivés de la Langue Gréque, pour an marquer l’étimologie : mais il ne faut pas réduire tout le monde à la necéſité de ſavoir la Langue Gréque, pour aprandre l’Ortôgrafe Francéze ; c’ét pourquoi nous devons écrire les mos ſuivans par f, Filozofie, Ortôgrafe, Coſmografie, Blasfème, Epitafe, Fizique, &c.

Le méme raizon nous oblize d’écrire les mos ſuivans ſans b, Téologie, metôde, Catôlique Crétien, &c.

Il faudrét ſans doute condamner un Médecin, qui cauzerét une maladie pour an combatre une autre ; et un Orateur, qui ferét naître l’ambiſion dans le cœur d’un Prince, pour ï étoufer le dezir de vanjancne. Il faut aûſi blâmer les Grammairiens, qui ſont cauze d’une mauvaize prononſiaſion, par la méme régle qu’ils donnent pour an éviter une autre.

Ils dizent que le g, ſe prononſe quelquefois comme un j Conſone, devant a, o, u, an metant un e, antre le g, et a, o, u ; comme dans ces mos, jugea, jugeons, gageure. Lis métent ſans doute un e, antre le g, & a, o, u pour éviter ces prononſiaſions juga, jugons, gagure ; mais ils ne conſidérent pas qu’ils ſont cauze d’une mauvaize prononſiaſion, par la méme régle qu’ils donnent pour an éviter une autre. Nous ne tomberons pas dans leur faute, ſi nous amploïons l’j Conſone, au lieu du g, an céte maniére juja, jujons, gajure : car puî qu’ils avoüent que le g, ſe prononſe quelquefois comme j Conſone, devant a, o, u ; pourquoi n’ï métent-ils pas un j Conſone ?

Sextus Pompeïus nous apland qu’avant Enniuns les Romains ne doubleent point les Conſones dans leurs écritures, ce Poëte aïant été le premier qui comme Grec prit céte liberté, qu’on ſuivit dépuis à ſon éxample. Il ne faut pas ſuivre les régles que donnent les Grammairiens pour les doubler dans l’Ortôgrafe Francéze ; car éles ſont fondées ſur un üzaje qui répugne à la raizon ; comme cand on prononſe la lettre ſ, antre-deus Voïéles, ils la doublent toûjours ; à cauſe (dizent-ils) qu’un ſ ſeul antre-deus Voïéles, ſe prononſe comme un z. Mais cand il ſe prononſe comme un z, on ï doit métre le z ; c’ét pourquoi il n’ét pas necéſaire de le doubler, lor qu’il ſe rancontre antre-deus Voïéles ; puî qu’il ï retient ſa prononſiaſion naturéle ; et il faut métre ordinairemant un acſant circonfléxe, ou aigu ſur la Voïéle qui le précéde ; comme dans ces mos pâſaje, ſajéſe, puîſance, pôſéſion, aûſi, &c.

Il ne faut pas pourtant retrancher toutes les létres doubles ; car il faut retenir céles qui ſe prononſent ; comme dans ces mos honneur, homme, guerre, terre, donner, couronne, commandemant, travailler, &c. Il faut méme les doubler contre l’üzaje ordinaire, cand la prononſiaſion la demande ; comme on écrit le mot Romme, par un ſeul m ; mais ſi nous an conſidérons la prononſiaſion, nous trouverons qu’éle ét ſamblable à céle du mot comme ; il faut donc doubler l’m, dans le premier de ces mos, aûſi bien que dans le ſegond.

On ſe trompe ſouvant dans l’écriture de la Particule ce ; et dans céle des Pronoms ſes, et leur.

Cand la particule ce ſert à démontrer quelque choze, on la commanſe toûjours par c, comme ce Filozofe, ce Marchand, ce Capitaine, cét animal, cét homme, &c. Mais cand éle a du raport avec la perſonne d’un Verbe, on la commanſe toûjours par ſ ; comme le Maître ſe mét an colére, mon pére ſe repoze, les jans de bien ſe conſolent.

Le Pronom ſes, ſe doit écrire par ſ, cand il marque quelque pôſéſion ; comme un pére aime ſes anfans : et par c, cand il ne marque point de pôſéſion C; comme ces choſes là ſont admirables.

Cand le Pronom leur ét joint au plurier d’un Nom Subſtantif, on mét un ſ, à la fin ; comme j’aï lû leurs livres, j’ai condamné leurs diſcours : mais lor qu’il précéde immédiatemant un Verbe, il n’ï faut point d’s, quoi que le Verbe ſoit au plurier ; comme jeu leur ai parlé, nous leur parlerons.

Il ï a quelques années que j’antandis un plaizant Dialogue, antre une Dame de calité et le Précepteur de ſes anfans. Aprés qu’éle lût prié de lui anſegner l’Ortôgrafe Francéze, il lui fit conétre par le chanjemant de ſon viſaje, que la propoziſion qu’éle lui fezét ne lui étét pas agréable : Ele ſe perſüada que ſon ſilancne été un éfét de la crainte qu’il avét de n’étre pas bien recompanſé : ce qui l’oblija à lui dire qu’il ne travaillerét pas inutilemant. Ie n’an doute pas Madame (lui répondit-il) mais vous me demandés une choze trés-dificile. Vous panſés, peut-étre, que je n’ai pas âſés de lumiére pour bien profiter de vos leſons (lui dit-éle avec douceur) il lui replica bruſquemant, que la conéſance de la Langue Latine, et de la Gréque étét necéſaire pour ſavoir l’Ortôgrafe Francéze.

Si vous me réduizés à la necéſité d’aprandre le Grec, et le Latin, pour ſavoir écrire la Langue Francéze (reprit-éle an riant) je ne vous donnerai pas la péne de m’inſtruire.

Céte Dame a été trés-heureuſe, de n’avoir pas reſû l’inſtruxion d’un tel Maître ; et il ſerét heureus à ſon tour, s’il ſe metét an état de la conſulter, pour avoir la conéſance qu’éle lui avét demandée. Car comme les fames prononſent ordinairemant nôtre Langue, plus agréablemant que les hommes qui pâſent leur vie dans leur cabinet, à lire des livres Grecs, et Latins, il leur ét trés-facile de ſavoir l’Ortôgrafe Francéze ; puîque nous devons écrire comme nous parlons.

Ie me perſüade facilemant, que ceus qui ſont raizonnables aprouveront céte métôde ; mais ceus qui ſont eſclaves de l’üzaje, diront qu’éle ſera cauze d’un trés-grand mal. Ie n’antre-prandrai pas de les guerir de celui qu’ils ont dans l’eſprit : car comme ils s’atachent à leurs ſantimans avec beaucoup d’opiniâtreté, ils ſont incurables. Ie répondrai pourtant à leurs raizons, pour donner aus autres le moïen de les combatre.