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Les jours et les nuits/IV/V

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Société du Mercure de France (p. 159-161).

v
pendant les lampes

À quatre heures et demie, une sœur venait dire la prière dans les salles, et avant cinq heures on soupait. Sengle allait présenter à la sœur trois épaisses assiettes, pour le bouillon, l’aile de poulet et la pomme cuite, descendait à la cantine acheter une « crotte en chocolat », payait à l’infirmier le vin qui lui était défendu, et les six derniers quarts d’heure où il était permis de jouer ou lire s’égouttaient monotones dans les deux carcels que se disputaient le double centre et les deux bouts de la table longue.

Personne n’osait rester debout après sept heures, du jour où un sergent entra à sept heures juste dans la salle des Fiévreux, Sengle n’ayant que le temps de s’engaîner tout vêtu dans ses draps, et prit pour quatre jours du Cabanon, là-haut, aux Détenus, les noms des non-couchés qui avaient eu la naïveté de laisser à leur chevet leurs feuilles.

À huit heures, tout chuchotement de lit à lit tu sous les réclamations des grands malades, il n’y avait pas d’exemple que quelqu’un fût éveillé dans la grande chambre ; et Sengle n’avait jamais pu rouvrir les yeux avant le froid des premières heures matinales, chu du vasistas de sa haute fenêtre.

La nuit, il n’y avait pas d’autres rondes que les pas emplumés de la vieille sœur, faisant boire les derniers venus, qu’elle jugeait les plus grands malades. Et Sengle les savait par ouï-dire.

Il ne crut rien pouvoir demander de plus difficile, pour l’épreuve de Sa-Dame, qu’un réveil en sursaut, cette nuit-là, à dix heures.