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Les jours et les nuits/IV/VI

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Société du Mercure de France (p. 162-164).

vi
dricarpe

Dricarpe était ancien garçon marchand de vins — hum ? dit le Major. Il se vantait de n’avoir été arrêté qu’une fois pour escroquerie, laquelle consistait en l’annonce de vedettes d’un journal, qui n’existaient pas ; et que le dimanche viendrait le voir un cousin ex-perruquier aux Têtes-de-Veaux. Ses gestes étaient en sautoir, comme d’un valet de cartes, et sa face en forme de cœur ; l’haleine chaude et puante, les yeux toujours fermés, confondant leurs cils au duvet des joues blondes. Mains d’aveugle ou de modeleur, doigts de bossu ou de coupeur de bourses. Avec les claquantes savates d’hôpital, il marchait comme les chats-huants et les marlous nocturnes. Il témoigna d’une grande dévotion pour se faire bien venir de la sœur, et le matin fit les lits de tous les malades, afin d’avoir plus à manger ; contradictoirement l’engueula et la terrifia de jurons imprévus. Fuma avec frénésie, comme il se serait limé le larynx ; crachait du sang sans cela, et des mucosités immondes que Carlyle a signifiées en nommant les ordures des oiseaux mous auxquels Dricarpe était pareil : owl-droppings. Semblait ébloui de la grandeur des salles, et de la liberté intérieure absurde, puisqu’enclose de grilles. En tout, craintif aux bruits et aux lueurs, et hardi contre la surveillance comme un pour qui les circonstances auraient fait l’idée de prison presque innée.