Aller au contenu

Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/298

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Toutefois, nous possédons encore un instinct de ce genre, et cette espèce de pressentiment, qui nous annonce de tristes et d’effrayantes nouvelles, vient, pour ainsi dire, comme l’annonce fatale des sœurs, nous assaillir et couvrir soudainement notre ciel.

Pendant le jour fatal qui précéda le combat du césar avec le comte de Paris, il courut dans la ville de Constantinople les bruits les plus contradictoires et en même temps les plus sinistres. Une conspiration secrète, prétendait-on, était à l’instant d’éclater ; la guerre allait bientôt, disaient les autres, agiter ses bannières dans la malheureuse cité ; mais on n’était d’accord ni sur le motif de cette guerre ni sur la nature de l’ennemi. Quelques uns soutenaient que les barbares des confins de la Thrace, les Hongrois, comme on les appelait, et les Comaniens venaient des extrémités de leurs frontières surprendre Constantinople ; une autre version disait que les Turcs, qui, à cette époque, s’étaient établis en Asie, avaient résolu de prévenir les attaques dont les croisés menaçaient la Palestine, en écrasant, non seulement les pèlerins de l’Occident, mais encore les chrétiens de l’Orient, par une de ces innombrables invasions qu’ils exécutaient avec une incroyable rapidité.

Enfin d’autres, qui approchaient davantage de la vérité, assuraient que les croisés eux-mêmes, ayant découvert leurs nombreux griefs contre Alexis Comnène, avaient résolu de marcher avec toutes leurs forces réunies sur la capitale pour le détrôner ou le punir ; et les habitants ne pouvaient que s’alarmer du ressentiment d’hommes si farouches dans leurs habitudes et si étranges dans leurs manières. Bref, quoiqu’on ne tombât point d’accord sur la cause précise du danger, néanmoins il était généralement reconnu qu’il se préparait quelque chose de terrible, et les craintes semblaient être jusqu’à un certain point confirmées par les mouvements qui avaient lieu parmi les troupes. Les Varangiens, aussi bien que les immortels, se rassemblaient peu à peu, et s’emparaient des positions les plus fortes de la ville, jusqu’à ce qu’enfin on vît la flottille de galères, de barques et de bâtiments de transport, montée par Tancrède et sa troupe, s’éloigner de Scutari et chercher à gagner dans le détroit une position qui leur permît, au retour de la marée, de se transporter en un instant dans le port de Constantinople.

Alexis Comnène fut frappé lui-même de ce mouvement des croisés. Mais après avoir parlé à Hereward, en qui il avait résolu de