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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/386

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comte que sa maîtresse, agitée par suite de toutes les inquiétudes des jours précédents, n’avait pu quitter la chambre. Le vaillant chevalier ne perdit donc pas de temps pour apprendre à sa fidèle comtesse qu’il était sain et sauf ; puis, rejoignant les convives qui devaient assister au festin du palais, il se comporta comme s’il ne lui restait pas le moindre souvenir de la perfide conduite de l’empereur à la fin du dernier banquet. Il savait à la vérité que les troupes du prince Tancrède faisaient non seulement bonne garde autour de la maison où logeait Brenhilda, mais encore surveillaient rigoureusement les environs de Blaquernal, autant pour la sûreté de leur chef héroïque que pour celle du comte Robert, compagnon respecté de leur pèlerinage militaire.

Le principe général de la chevalerie européenne était de laisser rarement la méfiance survivre à une querelle vidée au grand jour, et tout ce qui était pardonné s’effaçait de la mémoire comme ne devant plus revenir ; mais, dans la présente occasion, les divers événements de la journée avaient réuni un nombre de troupes fort considérable, de sorte que les croisés avaient à se bien tenir sur leurs gardes.

On peut croire que la soirée se passa sans aucune tentative pour renouveler le cérémonial de la grande chambre des Lions, qui avait amené, dans une occasion précédente, une telle mésintelligence. Il eût été vraiment heureux que l’explication entre le puissant empereur de la Grèce et le chevaleresque comte de Paris fût arrivée plus tôt, car un moment de réflexion sur ce qui s’était passé avait convaincu l’empereur que les Francs n’étaient pas gens à s’en laisser imposer par des ouvrages de mécanique ou de pareilles bagatelles, et que ce qu’ils ne comprenaient pas, au lieu d’exciter leur crainte ou leur admiration, ne faisait qu’enflammer leur courage. D’une autre part, il n’avait pas échappé au comte Robert que les mœurs des Orientaux étaient absolument différentes de celles auxquelles il avait été habitué ; qu’ils n’étaient pas aussi profondément imbus de l’esprit de la chevalerie, et que le culte de Notre-Dame des Lances rompues, pour parler comme lui, n’était pas pour eux un sujet naturel d’adoration. Cependant le comte Robert avait observé aussi qu’Alexis Comnène était un prince sage et politique, et que, s’il se mêlait beaucoup de ruse à sa sagesse, c’était peut-être à cette conduite adroite qu’il devait d’exercer sur les esprits de ses sujets cet empire nécessaire pour leur propre bien et pour le maintien de son autorité. Il résolut donc d’écouter sans colère tout