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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/333

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tants de la bruyère. La ménagère nous dit que son mari avait été sur la montagne, et cette circonstance fut heureuse pour nous, car elle nous servit le produit de sa chasse ; c’était du gibier de bruyère mis en grillades, auquel elle joignit du saumon séché, du fromage, du lait de brebis et du pain d’avoine : c’était tout ce que la maison pouvait offrir. D’assez mauvaise bière et un verre d’excellente eau-de-vie complétèrent notre dîner ; et nos chevaux ayant aussi terminé le leur, nous reprîmes notre voyage avec une vigueur nouvelle.

J’aurais eu besoin d’être fortifié et animé par un bon dîner pour résister à l’abattement qui s’emparait insensiblement de mon esprit quand j’unissais dans ma pensée l’étrange incertitude du succès de mon voyage avec l’impression que produisait l’aspect désolé du pays. La route était plus sauvage et plus aride, s’il est possible, que celle que nous avions parcourue le matin. Les misérables huttes, qui de temps à autre avaient indiqué quelques traces d’habitation, devenaient de plus en plus rares, et lorsque nous commençâmes à gravir une suite non interrompue de hauteurs, elles disparurent tout à fait. Quelquefois cependant une échappée m’apparaissait à certains détours de la route. Enfin j’aperçus sur notre gauche une chaîne immense de montagnes d’un bleu foncé : elles s’élevaient au nord et au nord-ouest, et promettaient de renfermer dans leur enceinte un pays aussi sauvage peut-être, mais du moins d’un tout autre intérêt que celui que nous parcourions. Les sommets de ces remparts inaccessibles étaient aussi pittoresques dans leur variété que ceux des hauteurs que nous avions vues jusque là étaient fatigants par leur uniformité. Tout en contemplant cette région alpine, j’éprouvais un désir ardent d’en parcourir les profondeurs malgré la fatigue et les dangers qui pouvaient m’y attendre, désir semblable aux sentiments d’un marin qui, fatigué de la monotonie d’un long calme, soupire après les émotions et les périls d’un combat ou d’un orage. Je fis diverses questions à mon ami M. Jarvie sur les noms et les positions de ces montagnes remarquables, mais il ne pouvait où ne voulait pas y répondre. Il me dit seulement : « Ce sont les Highlands… vous aurez tout le temps de les voir et d’en entendre parler avant de revoir le marché de Glasgow… Je n’aime pas à les regarder, elles me mettent du noir dans l’âme… Ce n’est pas la peur au moins, non, ce n’est pas la peur ; c’est la compassion que m’inspirent les pauvres créatures à demi sauvages qui y meurent