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Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/349

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cin de la diphtérie ; elle fut la dernière joie de sa grande âme. Il pouvait quitter son œuvre : il savait qu’elle était en bonnes mains.

Cette œuvre colossale, qui a transformé sous nos yeux l’industrie de la soie, de la bière et du vin, l’élève des bestiaux, la chirurgie, l’obstétrique et plusieurs parties de la médecine, et dont les conséquences sont en train de modifier profondément l’agriculture, Pasteur l’a accomplie sans être ni vétérinaire ni médecin, sans être capable de donner un coup de bistouri, sans avoir la moindre connaissance technique, sans être en état, a-t-on dit, de distinguer un champ de colza d’un champ de navets. C’est uniquement par la fécondité de son imagination, par la puissance de son raisonnement, par son invention expérimentale, qu’il a si prodigieusement agi sur des formes de l’activité humaine auxquelles il ne prenait nulle part. Force admirable et presque divine de la pensée, qui montre combien est peu fondé le dédain que les hommes d’action affectent parfois pour les hommes de science ! Du fond de son laboratoire, Pasteur a eu sur la vie de l’humanité une action plus puissante que celle du plus heureux des conquérants, du plus habile des hommes d’État. Les problèmes purement théoriques, futiles aux yeux des gens soi-disant pratiques, qui s’agitaient dans son cerveau pendant qu’il surveillait ses tubes ou appliquait l’œil à son microscope, portaient en eux la solution de questions d’un intérêt autrement grand et autrement durable que tous ces problèmes éphémères où s’absorbe l’attention de ceux qui croient mener le monde. C’est l’idée qui mène le monde, c’est l’esprit qui meut la masse inerte, et le roseau pen-