Aller au contenu

Page:Aimard - Le forestier.djvu/119

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
114
Le Forestier.

plètement sa pensée et lui faisaient entrevoir comme à travers un prisme enchanteur des horizons de bonheur et de volupté inexprimables.

Comment cela était-il arrivé ? Il l’ignorait et ne cherchait même pas à le savoir ; la seule chose dont il avait la conviction, c’était qu’il était impossible d’être plus certain de l’amour d’une femme qu’il ne l’était de celui de doña Flor ; cependant, s’il eût confié à quelqu’un son secret et qu’on lui eût demandé sur quelle preuve reposait cette certitude, il lui eût été complètement impossible non pas de l’expliquer, mais seulement de le dire.

Il sentait ses pensées s’agrandir avec son amour ; le but qu’il s’était proposé jusque-là lui semblait bien misérable en comparaison de celui que la passion lui révélait et des horizons lumineux qui s’ouvraient peu à peu devant lui.

Cependant la nuit s’avançait, la fatigue commençait à prendre le dessus ; le jeune homme sentait ses paupières s’alourdir ; ses pensées devenaient moins lucides, elles lui échappaient sans qu’il parvînt a les coordonner d’une manière logique ; il était enfin dans cet état qui n’est déjà plus la veille sans être encore le sommeil ; il n’allait pas tarder à s’endormir tout à fait.

Tout à coup, au milieu de l’anéantissement dans lequel il était plongé, il tressaillit brusquement, bondit sur lui-même, ouvrit les yeux et regarda.

La chambre était plongée dans une obscurité presque complète, la veilleuse s’était éteinte, un rayon de lune offrant à travers les vitraux traçait une large bande d’un blanc bleuâtre sur le parquet.

Le jeune homme avait cru entendre résonner à son oreille un bruit sec ressemblant à celui d’un ressort trop tendu et qui s’échappe.

Ce fut en vain que Fernan essaya de sonder les ténèbres, il ne vit rien ; il prêta l’oreille, il n’entendit rien que les ronflements sourds de son compagnon.

— Je me serai trompé, murmura-t-il, cependant j’avais bien cru entendre.

Il glissa la main sous son chevet et prit ses pistolets, puis il saisit son épée, et bondit brusquement au milieu de la chambre.

Au même instant, sans qu’il vît ni n’entendit rien, il fut saisi à la fois par les bras et par les jambes, renversé sur le sol et, malgré une résistance désespérée, désarmé et mis dans l’impossibilité de faire un mouvement.

— Trahison ! cria-t-il d’une voix rauque, à moi Michel, à moi ! trahison, frère

— À quoi bon appeler celui qui ne peut répondre ? murmura une voix douce et mélodieuse a son oreille votre compagnon ne s’éveillera pas.