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Page:Aimard - Le forestier.djvu/141

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Le Forestier

cesse renaissants sous leurs pas, sautant les arbres renversés, franchissant les ravins, escaladant les montées, côtoyant les fondrières cuits avaient à peine le place suffisante pour poser leurs pieds.

De temps en temps le guide faisait doucement clapper sa langue. À ce signal, les deux nobles bêtes redoublaient leurs efforts déjà prodigieux et leur course affolée prenait les proportions effrayantes d’un cauchemar.

Les cavaliers ne voyaient pas, n’entendaient pas, ils allaient, ils allaient comme emportés par un tourbillon, sans pensée et presque sans souffle ; les arbres, les ravins, les montagnes fuyaient derrière eux avec une rapidité vertigineuse.

Les chevaux volaient dans l’espace, soufflant le feu par leurs naseaux sanglants, superbes, échevelés, hennissants, n’hésitant, ne trébuchant jamais et maintenant leur vélocité fantastique, sans aucune apparence de lassitude ou de vertige.

Combien de temps dura cette course endiablée, où cent fois les aventuriers avaient failli router dans les ravins ou se briser au fond des précipice- ! béants sous leurs pas ?

Ni l’un ni l’autre n’aurait su le dire, à peine conservaient-ils la conscience de leur existence ; ils obéissaient machinalement a l’ouragan qui les emportait sans même y songer.

Tout à coup le guide siffla.

Les chevaux s’arrêtèrent subitement comme si leurs sabots s’étaient incrustés dans le sot.

L’arrêt fut tellement subit et imprévu que Michel passa par-dessus la tête de son cheval et roula à terre.

— Merci ! dit-il en se relevant et en se tâtant les eûtes.

— Nous sommes arrivés, dit le guide d’une voix aussi calme et aussi reposée que si rien d’extraordinaire ne s’était passé.

— Déjà ! dit Laurent en regardant autour de lui, et n’apercevant que les arbres séculaires d’une épaisse forêt.

— Je n’en suis pas fâche, ajouta Michel, voilà une petite promenade dont je me souviendrai longtemps ; quels démons ! comme ils détalent

— Vous connaissez mes chevaux maintenant, qu’en dites-vous ?

— Ce sont de nobles bêtes ! s’écria le jeune homme, et pas apparence de fatigue.

— Ils auraient pu soutenir cette course trois heures encore s’il l’avait fallu.

— Mais don Jésus et son compagnon ?