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Le Forestier, par Gustave Aimard

Mais, ainsi que cela arrive trop souvent dans la vie, le hasard avait arrangé les choses à sa guise, et les deux hommes, poussés par les circonstances s’étaient vus ainsi contraints de changer de rôles.

Peut-être le doigt de la Providence était-il caché au plus profond de ces faits, en apparence si illogiques ;

Quoi qu’il en fut, les aventuriers naturellement assez insoucieux de l’avenir, et ne se souciant guère que du présent, qui, pour eux, résumait ! a vie, puisque le lendemain ne tour appartenait jamais, fêtaient gaiement les vivres apportés par José..

Le guide prenait à leurs yeux des proportions imposantes ; l’influence que cet homme étrange exerçait sur ceux qui l’approchaient se faisait sentir dans leur esprit ; leur défiance première diminuait pour faire place à la confiance. Jusque-là ils t’avaient trouvé fidèle, dévoué et intelligent. Ils se laissaient donc peu à peu entrainer sur la pente qui les attirait vers lui, et en arrivaient tout doucement à le traiter en camarade et même en ami.

José, lui, ne changeait pas, il conservait toujours sa position subalterne vis-à-vis des flibustiers, mais cela sans petitesse ni cajoleries ; prêt à tout pour les servir, mais ne faisant point un pas pour pénétrer malgré eux dans leur intimité ; sachant qu’il était nécessaire, peut-être même indispensable, il se faisait pardonner, grâce à ce tact exquis qu’il possédait à un si haut degré, cette situation difficile vis-a-vis des gens orgueilleux et susceptibles, par sa bonhomie, sa rondeur, et surtout sa gaieté communicative.

Cette fois le repas fut long, émaillé de joyeuses histoires. Rien ne pressait les aventuriers ; ils tuaient le temps en vidant les pots et en causant de tout ce qui leur passait par la tête.

Cependant, vers la fin du repas, la conversation prit une teinte plus sérieuse ; en somme, les deux boucaniers jouaient le jeu du diable. S’ils perdaient, il y allait pour eux de la tête il y avait donc là matière à réflexions.

— Enfin, nous voici à Panama ! dit le capitaine, et sains et saufs, grâce a Dieu !

— Oui, jusqu’à ce que nous soyons pendus, ajouta Michel le Basque en ingurgitant un énorme gobelet de vin.

— Le diable t’emporte de dire de pareilles choses, toi ! songeons un peu à nos affaires ; José, mon ami, dix des nôtres ont été capturés par cette face blême qui se nomme don Pablo de Sandoval.

— Je voudrais bien capturer sa corvette, dit Michel, comme appoint.

— Patience, compagnon, nous y arriverons.

— Je l’espère.