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Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris III.djvu/195

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Cette enfant s’était prise d’une grande affection pour moi ; de mon côté, je l’aimais beaucoup, et je la comblais de cadeaux. Bien entendu que mon affection pour elle n’avait rien que d’honnête ; malgré ma corruption, j’éprouvais une joie vive et pure de tout mauvais sentiment à me retremper dans cette innocence et le calme de cette âme enfantine, dans laquelle aucune ombre n’existait encore. Malheureusement, je fus contraint de quitter New-York ; une affaire importante m’appelait à Saratoga. Je remis quelques centaines de dollars à la famille, j’embrassai la fillette, qui pleurait a chaudes larmes de me voir partir, et je m’en fus. Je restai absent plus longtemps que je ne l’avais supposé d’abord ; cependant, après sept ou huit mois, je revins à New-York. Aussitôt de retour, ma première visite fut pour la pauvre famille. Tout avait bien changé : la misère avait disparu pour faire place à l’aisance ; une dame française, madame la comtesse de Valenfleurs, avait opéré ce miracle. Bonne et généreuse, elle s’était intéressée à l’honnête et pauvre famille ; elle l’avait mise à l’abri du besoin, et s’était chargée de l’éducation de la petite Lucy, qu’elle avait emmenée avec elle au Canada, où elle avait l’intention de se fixer. Je fus heureux du bonheur de l’enfant ; et, bientôt emporté par le tourbillon qui m’entraînait, je n’y pensai plus.

— Mais c’est une idylle de Berquin que vous me racontez là, mon maître, dit M. Romieux avec son agaçant ricanement.

— Vous croyez, cher monsieur ? répondit le Loupeur, avec un sourire ironique ; voulez-vous que je m’arrête ?

— Non pas ; continuez, je vous en prie : c’est fort drôle.

— Oui, très drôle, fit-il, avec un accent singulier ; je continue donc ?

— Certes, allez, je vous écoute.

— J’avais complètement oublié cette enfant, lorsque le hasard me la fit rencontrer, il y a quelques années, à New-York ; ce n’était plus une enfant, mais une grande et belle jeune fille, portant sa toilette avec une distinction