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Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris III.djvu/288

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— Je ne vous cache pas que je suis très curieux de connaître votre opinion à ce sujet.

— Soit, monsieur, la voici : j’ai lu, comme tout le monde, les charmants romans de Fenimore Cooper et d’autres auteurs plus modernes, sur les mystérieuses savanes et prairies américaines ; c’est fort ingénieux et fort attachant, j’en conviens ; mais suivre une piste à travers un désert si étendu qu’il soit, n’a rien à mon avis qui dépasse les limites du possible ; j’admets même, jusqu’à un certain point, ces théories attrayantes par leur singularité. Mais je suis fermement convaincu qu’un coureur des bois, si habile qu’il fût, serait très embarrassé s’il lui fallait mettre en pratique ses étranges talents dans les rues de Paris, où toute piste, à la mode des Peaux-Rouges bien entendu, est impossible. La police seule possède des moyens presque infaillibles pour nous découvrir, parce qu’elle connaît tous nos repaires, tous nos lieux de rendez-vous ; que nos dossiers sont à la préfecture, nos signalements répandus partout ; que la police nous cerne et nous traque sans cesse, et cela avec succès, le plus souvent, au moyen des nombreux agents qu’elle compte parmi nous, ou de faux-frères qui nous vendent sans vergogne aucune, dès qu’ils sont pris, pour un adoucissement de peine, ou pour quelques misérables pièces de cinq francs : voilà monsieur, le seul ennemi véritablement redoutable que nous ayons. Tant que nous ne l’aurons pas à nos trousses, nous pourrons être tranquilles et dormir sur nos deux oreilles, comme on dit, ajouta-t-il en riant. Quant à ces fameux coureurs des bois dont vous êtes si fort effrayé, laissez-les s’égarer sur les pistes de fantaisie qu’ils s’amusent à suivre ; c’est un exercice salutaire et peu dangereux pour nous.

— Vous reconnaîtrez bientôt votre erreur, monsieur.

— C’est possible, monsieur, mais je vous répète — car telle est ma conviction — que, jusqu’à ce que cette irrésistible habileté me soit bien prouvée et bien démontrée, je n’en croirai pas un traître mot. Veuillez donc, je vous prie, revenir à la question, dont il me semble que nous nous