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Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris III.djvu/348

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— C’est Dieu qui vous jugera, monsieur ! répondit-elle sévèrement.

— Dieu ! s’écria-t-il avec un ricanement de sinistre défi ; où est-il ? où est sa justice ? Je la cherche partout, je ne la vois nulle part ! Pourquoi donc suis-je si malheureux, moi, quand vous, madame, vous êtes si heureuse ?

— Cette question, adressez-vous-la à vous-même, monsieur, si vous l’osez ! et s’il vous reste au cœur l’ombre seulement d’un sentiment humain, vous frémirez de la réponse que vous fera votre conscience.

Il y eut un court silence pendant lequel les deux interlocuteurs de cette conversation étrange, s’il est possible de donner ce nom à cette altercation fiévreuse, semblèrent reprendre haleine un instant, comme deux duellistes sur le terrain s’arrêtent avant d’engager la dernière et décisive partie.

— Tenez, madame ! s’écria enfin le marquis avec une violence contenue ; toujours et partout vous avez été mon mauvais génie ; vous seule êtes la cause première de toutes mes erreurs et de tous mes crimes ; constamment et en toutes circonstances je vous ai rencontrée sur mon chemin, me barrant le passage, déjouant mes projets, anéantissent mes joies, brisant mon bonheur, et, systématiquement et comme de parti pris, faisant de moi un paria, un damné en horreur aux hommes et à lui-même !

— Parce que je suis votre remords vivant, monsieur, répondit froidement la comtesse, parce que le Dieu que vous essayez denier, mais dont la main puissante s’est appesantie sur vous, ce Dieu dont la justice est lente, mais inévitable, a voulu que je vive, moi, pauvre femme innocente, que vous avez si indignement traitée et si lâchement assassinée, pour me dresser devant vous, partout et toujours, afin de vous prouver combien sont fragiles vos résolutions et folles vos continuelles révoltes contre toutes les lois divines et humaines que, pauvre insensé, vous vous êtes plu avec une fureur impuissante à fouler rageusement sous vos pieds, en jetant un défi de fauve aux abois à la