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Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris III.djvu/4

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une série de courbettes des plus fantaisistes, qui faisaient retourner les passants, qui se pâmaient d’aise.

Ils admiraient surtout l’élégance, la grâce, la désinvolture et l’insouciance du cavalier, qui semblait rivé à la selle, et ne se préoccupait en aucune façon des espiègleries de sa monture.

Quelques-uns de ces dignes badauds allaient même jusqu’à se dire de l’un à l’autre, tout bas et d’un air entendu, que ce cavalier était un des plus fameux écuyers du cirque Dejean, et qu’il répétait ainsi une partie des exercices qu’il devait exécuter à la représentation du soir.

Mais Armand ne se souciait guère de ce que l’on disait autour de lui ; il n’entendait et ne voyait rien ; il voyageait en plein pays du Tendre ; toutes ses pensées étaient absorbées par son amour.

Le jeune homme s’en allait donc ainsi, rêvant sur son cheval, dansant et cabriolant, lorsqu’aux environs de l’avenue de Wagram, il fut réveillé en sursaut par les roulements de plus en plus forts d’une voiture de remise lancée à fond de train, et poursuivie par une foule haletante, criant, ou plutôt hurlant à pleins poumons :

— Arrêtez ! arrêtez ! à l’assassin ! au meurtre ! arrêtez !

Une des portières de cette voiture était ouverte et battait avec fracas ; le cocher, debout sur son siège, rouait son cheval de coups, afin de l’exciter encore davantage, au lieu d’essayer de le maîtriser et de le retenir.

Le jeune comte jugea la position d’un coup d’œil.

Il se redressa sur la selle, rassembla les rênes d’une main ferme, et, calculant bien la distance, il lança vigoureusement son cheval, lui fit traverser la chaussée, et passa comme la foudre, presque à toucher les naseaux du cheval de remise.

L’animal, épouvanté par cette vision rapide, se jeta de côté, recula, rua, se cabra, et finalement il tomba sur un des brancards de la voiture qu’il mit en pièces.